Histoire du Canada sous la domination française, Vol 1/Chapitre 24

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CHAPITRE XXIV.


Tentatives d’accommodement avec les Iroquois. — Irruptions et actes divers d’hostilité de ces Sauvages dans la colonie.


Le comte de Frontenac était revenu en Amérique persuadé qu’après la conquête de la nouvelle York, ce qu’il pouvait faire de plus avantageux pour la colonie dont il reprenait le gouvernement, c’était de regagner les Iroquois ; et il se flattait d’y réussir au moyen des chefs de cette nation, qu’il avait ramenés de France et surtout d’Ourehouharé, le plus apparent d’entr’eux, dont il s’était acquis l’estime et l’amitié. Il l’avait amené, avec lui, à Montréal, et par son conseil, il avait renvoyé aux Cantons quatre des compagnons de sa captivité, avec Gagniegaton, qui avait été député vers M. de Denonville, pour les avertir du retour de tous leurs chefs, et leur dire, de la part d’Oureouharé, qu’ils trouveraient dans le gouverneur général beaucoup d’estime et de tendresse, comme par le passé, et que pour lui, il ne retournerait dans son pays que quand on serait venu le redemander à Ononthio.

À l’arrivée de ces députés, les Cantons s’assemblèrent, et ils envoyèrent leur réponse par le même Gagniegaton. Il arriva à Montréal, le 9 mars 1690 ; mais il n’y trouva ni M. de Frontenac, ni Oureouharé, qui étaient retournés à Québec ; et M. de Callières ne put rien tirer de lui, d’abord, non plus que de ceux qui l’accompagnaient. À la fin pourtant, ils se laissèrent gagner par les bonnes manières du gouverneur de Montréal, et lui présentèrent six colliers. Le premier marquait le sujet de leur retardement, causé, disaient-ils, par l’arrivée de députés outaouais dans le canton de Tsonnonthouan. Gagniegaton, en expliquant ce collier, dit que c’était ainsi qu’il fallait faire les choses, quand on voulait traiter de la paix ; voulant donner à entendre que le gouverneur général aurait dû se rendre en personne à Onnontagué, ou en quelqu’autre endroit, dont on serait convenu, pour y parler d’accommodement.

Le second collier témoignait la joie qu’avaient eue les habitans d’Orange du retour d’Oureouharé et des autres chefs ; ce qui marquait la bonne intelligence qui régnait entre la Nouvelle York et les cantons iroquois. Par le troisième, le canton d’Onnontagué demandait, au nom de tous les autres, le prompt retour de tous les Iroquois revenus de France, afin qu’on pût prendre, avec eux, les mesures qui convenaient à la situation des affaires. L’orateur ajouta qu’on avait réuni, dans le canton d’Onnontagué, tous les prisonniers français faits par les Iroquois, et qu’on n’en disposerait que sur le rapport et de l’avis d’Oureouharé. Le quatrième et le cinquième parlaient de la trahison de Catarocouy, et des ravages faits chez les Tsonnonthouans, et disaient que quand le mal aurait été réparé, et que les chemins seraient libres et sûrs, Teganissorens irait traiter de la paix avec Ononthio. Par le sixième, Gagniegaton donnait avis, qu’à fonte des neiges, un parti d’Iroquois devait se mettre en campagne ; mais que s’il faisait des prisonniers, on aurait soin qu’ils fussent bien traités. « Usez-en de même, continua-t-il, si vous prenez quelques-uns des nôtres. J’avais huit prisonniers de la défaite de la Chine ; j’en ai mangé quatre ; j’ai donné la vie aux autres. Vous avez été plus cruels que moi : car vous avez fusillé douze Tsonnonthouans : vous auriez bien dû en épargner au moins un ou deux ; c’est par représailles que j’ai mangé quatre des vôtres. »

M. de Callières envoya les députés iroquois au comte de Frontenac ; mais ce général refusa de leur donner audience, par la raison qu’ils avaient à leur tête un homme dont l’insolence l’avait choqué. Il reçut pourtant assez bien ceux de sa suite ; mais il ne voulut traiter avec eux que par l’entremise d’Oureouharé, qui parut même toujours agir en son propre nom.

Le gouverneur général fit partir le chevalier d’Eau, capitaine réformé, avec les députés iroquois. Il jugeait à propos d’envoyer cet officier à Onnontagué, pour tâcher de gagner ce canton, en lui témoignant une confiance particulière, et pour être mieux instruit de ce qui s’y passait. Il savait qu’il pouvait compter sur Garakonthié et sur Teganissorens, amis déclarés des Français ; mais les négociations entre les Outaouais et les Iroquois, dont Gagniegaton avait parlé au gouverneur de Montréal, lui paraissaient un contre-temps fâcheux, dans les circonstances où se trouvait la colonie ; d’autant plus que c’étaient ces circonstances mêmes qui avaient amené ces négociations, et qu’elles pouvaient être d’un dangereux exemple pour les autres alliés des Français. Le peu de fruit que M. de Denonville avait retiré de son expédition contre les Tsonnonthouans ; l’abandon du fort de Niagara ; les irruptions fréquentes des Iroquois dans la colonie ; les démarches peu honorables qu’on avait faites pour obtenir la paix de ces Sauvages ; les hauteurs qu’on en souffrait, depuis longtemps, et l’inaction où l’on demeurait, malgré leurs nouvelles hostilités, avaient enfin fait faire aux Outaouais des démarches directes pour se reconcilier avec une nation dont ils avaient peu à espérer, il est vrai, mais beaucoup à craindre. Ils avaient renvoyé aux Tsonnonthouans tous les prisonniers qu’ils avaient faits sur eux, et étaient convenus d’un rendez-vous pour le mois de juin suivant.

M. de Frontenac, qui avait été informé des démarches des Outaouais, avant même l’arrivée de Gagniegaton à Montréal, par une lettre du P. Carheil, prépara un grand convoi pour Michillimakinac, sous la conduite du sieur de Louvigny, capitaine réformé, qui devait remplacer M. de la Durantaye, dans le commandement. Il était accompagné de Nicholas Perrot, chargé des présens du gouverneur pour les Sauvages septentrionaux ; de cent quarante-trois Français, et de quelques Sauvages domiciliés. Un détachement de trente hommes, commandé par MM. d’Hosta, capitaine, et de la Gemeraye, lieutenant, eut ordre d’escorter ce convoi, l’espace de trente lieues.

Ils partirent de Montréal, le 22 mai. Arrivés au lieu nommé les Chats, sur la Grande Rivière, ils découvrirent deux canots iroquois : MM. de Louvigny et d’Hosta jugeant qu’ils n’étaient pas seuls, envoyèrent trente hommes par eau, et soixante par terre, pour envelopper l’ennemi de toutes parts. Les premiers tombèrent dans une ambuscade, et essuyèrent d’abord un feu meurtrier, les Iroquois, qu’ils ne voyaient point, les choisissant, et tirant sur eux à coups sûrs. Aussi ne resta-t-il, après la première décharge, dans le canot de la Gemeraye, qui avait voulu aborder le premier, que deux hommes, qui ne fussent pas blessés.

M. de Louvigny se désespérait de voir ainsi massacrer ses gens, sans pouvoir les secourir, car Perrot, à qui il avait ordre d’obéir pendant la route, ne voulait point lui permettre d’avancer, de peur de risquer les présens dont il était porteur, et avec eux, le succès de la négociation dont il était chargé. À la fin, pourtant, il se laissa gagner aux instances de cet officier et de M. d’Hosta. Aussitôt, l’un et l’autre se mirent à la tête d’une soixantaine d’hommes, et coururent sur l’ennemi : la charge fut si brusque et faite si à propos, qu’il y eut une trentaine d’Iroquois de tués, plusieurs de blessés, et quelques uns de pris. Un des prisonniers fut envoyé au comte de Frontenac, qui le remit à Oureouharé ; un autre fut mené à Michillimakinac, et livré aux Outaouais, qui le brulèrent, pour faire voir au nouveau commandant qu’ils ne songeaient plus à s’accommoder avec les Iroquois. Ils allaient faire partir leurs députés pour mettre la dernière main à un traité irrévocable avec cette nation ; mais ils changèrent de résolution, lorsqu’ils virent arriver les Français victorieux de tous leurs ennemis, (car on ne manqua pas de leur parler d’abord des expéditions dans la Nouvelle York, et la Nouvelle Angleterre), chargés de marchandises, et en assez grand nombre pour les rassurer eux-mêmes contre tout ce que pourraient entreprendre les Iroquois, et qu’ils eurent reçu les présens dont Perrot était porteur, et qu’il sut admirablement bien leur faire valoir.

Ce changement avait lieu fort à propos pour l’avantage de la colonie ; car toute espérance de paix avec les Iroquois s’était évanouie. Ces barbares avaient arrêté le chevalier d’Eau et tous les Français de sa suite. Ils avaient fait plus : ils avaient brulé deux de ses gens, et l’avaient envoyé lui-même à New-York, pour convaincre les Anglais qu’ils étaient bien éloignés de vouloir se reconcilier avec les Français. Dès que M. de Frontenac fut instruit de ces faits, il prit ses précautions pour n’être point surpris : afin de mettre en sûreté les quartiers les plus exposés aux incursions des Iroquois, il fit deux détachemens de ses meilleures troupes. Le premier, destiné à protéger la côte du sud, depuis l’île de Montréal jusqu’à la rivière de Sorel, fut mis sous les ordres du chevalier de Clermont. Le second, qui devait mettre en sûreté le reste du pays, jusqu’à la capitale, eut pour commandant le chevalier de Lamotte. Ces précautions n’empêchèrent pas les Iroquois de se montrer en différents endroits du gouvernement de Montréal, et d’y tuer ou d’y enlever un grand nombre d’hommes, de femmes et d’enfans. Un de leurs partis, qui avait enlevé une quinzaine de personnes, femmes et enfans, près de la rivière de Békancour, fut poursuivi ; mais tout ce qu’on y gagna fut que ces barbares, pour fuir plus aisément, massacrèrent leurs prisonniers. Quelques jours après, un autre parti d’Iroquois descendit dans l’île de Montréal, par la rivière des Prairies. Un lieutenant réformé, nommé Colombet, rassembla vingt-cinq hommes, et alla à la rencontre de l’ennemi. Les Iroquois, qui étaient fort supérieurs en nombre, chargèrent les Français avec résolution : M. Colombet resta sur la place, avec quelques uns de ses gens ; mais les barbares perdirent vingt-cinq des leurs.

Vers la fin d’août, on vit arriver à Montréal, un convoi de cent-dix canots, conduits par plus de trois cents Sauvages des tribus du Nord, et portant pour cent mille écus de pelleteries. La joie qu’on en ressentit fut bientôt troublée par les nouvelles alarmantes que l’on reçut. Un Sauvage du Sault Saint-Louis, qui avait été envoyé à la découverte, du côté d’Orange, rapporta qu’il avait apperçu, sur les bords du lac Saint-Sacrement, une armée entière occupée à faire des canots. Quelques jours après, le chevalier de Clermont, qui avait eu ordre de remonter la rivière de Richelieu, pour observer les ennemis, informa qu’il en avait vu un grand nombre sur le lac Champlain, et qu’il en avait même été poursuivi jusqu’à Chambly. Les signaux furent aussitôt donnés pour assembler les milices. Le 31, M. de Frontenac passa, de grand matin, à la Prairie de la Madeleine, où il avait assigné le rendez-vous général ; et les Sauvages septentrionaux, qu’il y avait invités, s’y rendirent tous, le soir. Le lendemain, le général fit la revue de ses forces, qui étaient de 1200 hommes. Le jour suivant, les découvreurs rapportèrent qu’ils n’avaient rien vu : sur quoi, les milices furent licenciées jusqu’à nouvel ordre. Deux jours après, un parti d’Iroquois tomba sur un quartier nommé la Souche, éloigné seulement d’un quart de lieue de celui où la petite armée de M. de Frontenac avait campé. Le même jour, c’est-à-dire, le 4 septembre, le gouverneur général congédia ses alliés sauvages, après leur avoir renouvellé les recommandations et les promesses qu’il leur avait faites, dès leur arrivée, au sujet des Iroquois. Peu de jours après leur départ, les Iroquois reparurent en plusieurs endroits. Le chevalier de Lamotte et M. Murat, lieutenant, furent attaqués par un parti plus nombreux que celui qu’ils commandaient : ils le repoussèrent néanmoins ; mais les Sauvages étant revenus à la charge, dans le temps que ces officiers les croyaient en fuite, le premier fut tué sur la place, et le second enlevé, et probablement massacré ensuite ; car on ne put jamais apprendre ce qu’il était devenu. À peu près dans le même temps, M. Desmarais qui commandait à Chateauguay, périt, dans une ambuscade, tout près de son fort, avec deux de ses gens.