Histoire du Canada sous la domination française, Vol 1/Chapitre 43

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CHAPITRE XLIII.

Préparatifs de Défense.


La prise des forts Frontenac et Duquesne ne permit plus au marquis de Vaudreuil de douter que le but du gouvernement anglais ne fût l’anéantissement de la puissance française en Amérique. Il adressa aux capitaines de milice une circulaire, où il leur indiquait la conduite qu’ils devaient tenir, et ordonna que toute la population mâle, depuis l’âge de seize ans jusqu’à celui de soixante, fut enrôlée et prête à marcher, au premier avis. Les ordres du gouverneur furent exécutés, de point en point ; mais il était moins difficile de trouver des soldats que des vivres, pour les nourrir : les devoirs militaires auxquels les cultivateurs étaient soumis, augmentèrent encore la disette, qui se faisait sentir depuis l’automne de 1755, où l’on avait été contraint de réduire la ration de pain et de viande des troupes du roi, et où il y avait eu, à Québec, une espèce d’émeute, surtout parmi les femmes, en conséquence de la rareté du pain et des viandes de boucherie. La récolte de 1758 fut très médiocre, et les réquisitions de grains que faisait le gouvernement, augmentèrent encore la cherté du bled. Quoique l’intendant en eût fixé le prix à douze francs, le minot, les particuliers ne pouvaient s’en procurer à moins de trente-six à quarante francs. Ce n’était même qu’avec beaucoup de difficulté que le gouvernement pouvait en obtenir pour les troupes, quelque peu qu’il leur en fallût, après la diminution de la ration ; diminution, à laquelle elles ne s’étaient soumises, ainsi qu’à l’obligation de manger de la chair de cheval, qu’après une mutinerie qui aurait pu avoir des suites fâcheuses, mais qui fut appaisée, dès le principe, par la prudence et la fermeté du chevalier de Levis. Durant l’hiver de 1758 à 1759, on fut obligé d’augmenter la paie des officiers, et de mettre une partie des soldats, en quartiers, chez les habitans des campagnes.

D’après le recensement qui fut fait, au mois de janvier, le nombre des hommes en état de porter les armes était de 7,511, dans le gouvernement de Québec ; de 6,405, dans celui de Montréal, et de 1,313, dans celui des Trois-Rivières ; faisant un total de 15,229 miliciens.

Pendant le reste de l’hiver, une grande partie des troupes et des milices furent employées à la réparation et à l’approvisionnement des différentes garnisons de la colonie.

Le gouverneur reçut, par le colonel de Bougainville, qui arriva à Québec, le 14 mai, la confirmation, de l’avis qu’il avait déjà reçu, que le dessein du gouvernement anglais était d’attaquer le Canada, par terre et par mer. Il lui était ordonné de faire les meilleures dispositions possibles, pour la défense de la colonie, à défaut des secours qu’on ne pouvait pas lui envoyer.

M. de Bougainville était porteur des nouvelles promotions pour les principaux officiers de la colonie : le marquis de Vaudreuil était nommé grand-croix de l’ordre de Saint-Louis ; le marquis de Montcalm, Commandeur du même ordre et lieutenant-général ; le chevalier de Levis, maréchal-de-camp ; MM. Bourlamaque et Sennezergues, brigadiers, et M. Dumas, inspecteur-général des troupes de la marine.

Le 20 mai, M. de Vaudreuil émana une proclamation, dans laquelle, après avoir enjoint aux capitaines des milices de tenir leurs compagnies prêtes à marcher, au premier ordre, il disait, entr’autres choses, aux habitans,

« Que la prochaine campagne fournirait aux Canadiens l’occasion de se signaler ; que sa majesté connaissait la confiance qu’il avait en eux, et qu’il n’avait pas manqué de l’informer des services qu’ils avaient rendus ; que le roi ne doutait pas qu’ils ne fissent tous les efforts qu’on pouvait attendre de sujets fidèles, d’autant plus qu’ils auraient à mettre leur religion, leurs femmes et leurs enfans à l’abri du cruel traitement qu’ils éprouveraient, de la part des Anglais, qui portaient contre eux la haine jusqu’à les rendre responsables des cruautés des Sauvages ; qu’il avait la satisfaction de pouvoir dire qu’il n’appréhendait nullement pour le salut de la colonie ; mais que cependant il prendrait les mesures les plus efficaces, pour mettre en sûreté les biens et les droits des habitans. »

Quelques jours après, les milices du gouvernement de Québec eurent ordre de se rendre dans les environs de la capitale. Il fut assigné, dans les bois, des endroits particuliers, où les vieillards, les femmes et les enfans devaient se retirer, avec les bestiaux, à l’approche de la flotte anglaise. Afin que cette approche fût connue aussitôt que possible, il fut établi trois postes à signaux, le premier, sur l’île du Portage, sous la direction de M. de Lery ; le second, à Kamouraska, sous celle de M. de Montesson, et le troisième, sur l’île d’Orléans, sous celle de M. de Lanaudière.

Dans un grand conseil de guerre, tenu à Montréal, pour aviser aux moyens de défendre efficacement la colonie, il fut arrêté qu’un corps de troupes, sous le marquis de Montcalm et deux officiers généraux, MM. de Levis et de Sennezergues, serait posté à Québec ; que M. de Bourlamaque se rendrait à Carillon, avec ordre de détruire les fortifications, et de descendre le lac, dans le cas de l’approche des Anglais, pour s’établir à l’Île aux Noix, et y faire face à l’ennemi, afin de l’empêcher de pénétrer dans le pays ; que les petits forts de la Présentation et de la Pointe au Baril seraient abandonnés, comme incapables de défense ; mais qu’un détachement de huit cents hommes, sous M. de la Corne, se rendrait incessamment à la tête des rapides, pour y élever de forts retranchemens.

Ces résolutions furent aussitôt mises à exécution. À son arrivée à Québec, le général Montcalm ordonna que les troupes et les milices fussent employées à élever des retranchemens à Beauport. Il ne négligea rien de ce qui pouvait mettre la capitale dans le meilleur état de défense possible : il assura la communication de la ville basse à la haute, par une forte palissade, et y fit élever une plate-forme, sur laquelle furent placés des canons, pour enfiler la rue. Une batterie érigée derrière l’Évêché fut étendue de chaque côté, et jointe par une forte palissade, qui se prolongeait sur le penchant de la colline. Il fut érigé plusieurs batteries, pour la défense de la basse ville, et toutes les communications avec le fleuve furent barricadées. Saint-Roch et le palais de l’intendant furent entourrés d’une palissade et protégés par de petites batteries. On établit une batterie de gros canons sur deux vaisseaux, qui furent calés dans la rivière Saint-Charles, et l’on érigea une redoute, près du gué, où l’on avait construit un pont de bateaux. Il fut construit une batterie flottante de dix-huit canons et plusieurs brulots, pour harrasser et tenter d’incendier la flotte anglaise, et toutes les bouées et autres marques, pour la navigation du fleuve, furent enlevées.

La garde des batteries de la basse ville fut confiée à un détachement de troupes de la colonie, sous les ordres de M. Vaudain, lieutenant de marine. Il fut formé un petit corps de cavalerie, dont le commandement fut donné à M. de la Roche-Beaucourt, aide-de-camp du marquis de Montcalm. Enfin, la milice de Québec fut formée en compagnies, et eut ordre de se tenir prête à agir, au premier avis.

Le conseil de guerre dont nous venons de parler, fit rapport d’un plan de campagne, dont les principales dispositions étaient comme suit :

« La brigade de Québec, composée de 3,500 hommes, et commandée par M. de Saint-Ours, campera sur la droite : la brigade des Trois-Rivières, forte de neuf cent-vingt hommes, sous le commandement de M. Delorme, campera aussi sur la droite, à la gauche de la brigade de Québec : la milice de Montréal, consistant en 1,150 hommes, sous les ordres de M. Prud’homme, campera à la gauche des forces précédentes, et la brigade de la ville et de l’île de Montréal, forte de 2,300 hommes, sous le commandement de M. Herbin, formera la gauche de la ligne. La réserve se composera de la cavalerie, (au nombre de trois cent-cinquante hommes), des troupes légères, composées d’un choix des troupes de la colonie et de quelques volontaires acadiens, (formant 1,400 hommes), et des Sauvages, au nombre de quatre cent-cinquante ; formant un total de 2,200 hommes, sous les ordres de M. de Boishebert.

« L’artillerie, les effets et provisions, sous la direction de M. Mercier, seront placés, ainsi que la réserve, dans les endroits qui paraîtront les plus convenables, selon qu’ils leur seront assignés. La milice de Québec, composée de six cent-cinquante hommes, sera laissée en garnison dans la ville, sous le commandement de M. de Ramsay, lieutenant de roi. Les équipages des frégates échouées dans la rivière Saint-Charles, et des autres vaisseaux qui seront désarmés et deviendront inutiles, entreront dans la ville, pour y être employés aux batteries. Tous les vaisseaux, bateaux, etc. seront aux ordres de M. Vauguelin, commodore de la baie, qui les emploiera de la manière qui lui paraîtra la plus avantageuse, d’après l’exigence des cas.

« Les dispositions pour s’opposer à la descente seront celles-ci : l’armée passera la rivière de Saint-Charles : la droite, composée des brigades de Québec et des Trois-Rivières, campera dans la plaine, depuis la redoute de la Canardière jusqu’à celle de l’embouchure de la petite rivière de Beauport. Les deux brigades retrancheront le front de leur camp, pour le mettre à l’abri du canon de l’ennemi. Les troupes de ligne, formant le centre de l’armée, camperont sur les hauteurs de Beauport, et le long du chemin qui suit la petite rivière de ce nom. La gauche, composée des brigades de la ville et du gouvernement de Montréal, campera à la gauche de l’église de Beauport, et s’étendra le long du sommet de la grande escarpe, ou côte élevée, qui règne sur les derrières de cette paroisse. La réserve se postera sur le niveau de la chûte de Montmorency, et étendra sa droite le long de la hauteur dont on vient de parler, afin de joindre la gauche de la ligne. Dans cette position, l’armée retranchera la totalité de son front, pour se mettre à couvert de l’artillerie de l’assaillant. On fortifiera aussi les endroits qui paraîtront propres à servir de communication avec le corps principal. »

Dans le cas où la retraite deviendrait nécessaire, après une défaite, l’armée principale devait traverser la rivière Saint-Charles, au pont de bateaux, et la réserve suivre le chemin de Charlesbourg, et même se retirer jusqu’à Lorette, si elle était trop pressée par les ennemis, en tenant ferme, à chaque défilé, afin de retarder leurs progrès. Tout ce qu’il y avait à faire, dans ce cas extrême, est également détaillé, dans le rapport du conseil de guerre, où l’on paraît avoir prévu tout ce qui se pouvait faire de mieux, avec le peu de forces que l’on avait, soit pour l’attaque, soit pour la défense, ou enfin pour la retraite. Le but principal était d’empêcher que Québec ne tombât au pouvoir des Anglais : car on était bien convaincu que du sort de la capitale dépendait celui de toute la colonie.

Ce n’était pas assez d’avoir fait, ou ordonné les meilleures dispositions, et assemblé le plus de soldats et de miliciens qu’il avait été possible, il fallait encore trouver le moyen de nourrir ces troupes : c’était principalement l’affaire de l’intendant, et il faut convenir qu’il y mit un zèle plus qu’ordinaire. Pour rencontrer moins de difficultés, dans l’achat du bled, il emprunta, sur sa garantie personnelle, afin de le pouvoir payer en argent, et au prix courant, au lieu de le payer en ordonnances et à un prix déterminé par lui, comme il avait fait précédemment. Il écrivit une circulaire aux curés de campagne, pour les induire à vendre eux-mêmes le bled qu’ils avaient reçu pour dîmes, et à exhorter leurs paroissiens à vendre au gouvernement ce qu’ils en avaient de reste. Plusieurs citoyens se firent un devoir de seconder l’intendant dans ses efforts, et particulièrement M. Deschambauts, qui offrit généreusement tout l’argent qu’il possédait, et alla même, en personne, dans différentes paroisses, afin d’y acheter du bled et de la farine pour les troupes.