Histoire du Canada sous la domination française, Vol 1/Chapitre 48

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CHAPITRE XLVIII.

Concentration des forces Anglaises. — Capitulation de Montréal.
— Cession du Canada à l’Angleterre. — Conclusion.


Le général Amherst s’était embarqué, le 10 août, sur le Saint-Laurent, avec une armée de 10,000 hommes. Il rencontra, sur sa route, le fort Lévis, dans l’Île Royale, où commandait M. Pouchot. Il érigea des batteries dans les îles voisines, investit le fort, et commença à le canonner. La canonnade n’ayant pas un effet aussi prompt qu’il l’aurait désiré, il se disposait à faire donner l’assaut, lorsque M. Pouchot se rendit.

Le 2 septembre, comme le chevalier de Levis haranguait les Sauvages du Sault Saint-Louis, qu’il avait fait venir à Laprairie, pour les engager à le seconder, dans son dessein d’attaquer l’armée du colonel Haviland, un député de leur village vint leur annoncer que le général Amherst était aux Cèdres, et ils se retirèrent tous, en disant qu’ils allaient faire la paix avec les Anglais. Cette nouvelle fut confirmée par M. de la Corne, qui s’était retiré, à l’approche de l’armée anglaise, et qui ajouta qu’elle pourrait être, le lendemain, à la Chine.

Le général français ne vit d’autre parti à prendre que de faire replier dans l’île de Montréal les corps de troupes qui étaient au sud du fleuve. Le corps que commandait le général Bourlamaque se porta au-dessus de la ville, et celui de M. Rauquemaure, au-dessous. Le général Murray ayant débarqué dans l’île, avec environ 3,000 hommes, M. Dumas se rapprocha de la ville.

L’armée du général Amherst, qui avait séjourné, quelques jours, dans l’île Perrot, débarqua à la Chine, le 6, vers 11 heures du matin. Les volontaires à cheval, qui étaient dans cette partie, se retirèrent devant elle, pied à pied ; car elle se mit en marche vers la ville, aussitôt après avoir débarqué. Toutes les troupes françaises entrèrent dans la ville. Tous les miliciens s’étant retirés, ainsi qu’un nombre de soldats mariés, elles ne se montaient pas à beaucoup plus de 3,000 hommes, non compris cinq cents hommes, qu’il y avait sur l’île Sainte-Hélène, et la petite garnison de Chambly. Elles n’avaient presque plus de munitions, et les vivres ne pouvaient pas durer plus de quinze à vingt jours.

L’armée d’Amherst campa dans les plaines de Saint-Gabriel, à un quart de lieue de la ville : celle d’Haviland était arrivée à Laprairie. Pendant la nuit du 6 au 7, il fut tenu une assemblée chez le gouverneur : M. Bigot y lut un mémoire sur l’état de la colonie, et un projet de capitulation. Tout le monde fut d’avis qu’il convenait de préférer une capitulation avantageuse aux peuples et honorable aux troupes, à une défense qui ne pouvait retarder que de quelques jours la perte du pays.

Le 7 au matin, le colonel Bougainville fut envoyé proposer au général Amherst une suspension d’armes pour un mois. Ce général s’y étant refusé, on lui envoya proposer, par le même officier, la capitulation dont on avait lu le projet, dans l’assemblée de la veille. Il minuta, à la marge, ce qu’il voulait accorder, refuser, ou modifier : il accorda presque tout, excepté les honneurs demandés pour les troupes françaises, voulant qu’elles missent bas les armes, livrassent leurs drapeaux, et ne servissent pas, durant la guerre. Cet article paraissant humiliant, on envoya d’abord le colonel de Bougainville, et ensuite M. de la Pause faire des représentations ; mais elles furent inutiles, M. Amherst ne voulant se départir en rien de sa première détermination.

Le chevalier de Levis, au nom des troupes qu’il commandait, présenta un mémoire au gouverneur, le priant de rompre toute négociation avec le général anglais, et de prendre la résolution de faire la défense la plus vigoureuse, quelque peu d’apparence qu’il y eût de réussir ; ou de permettre aux troupes de se retirer dans l’île Sainte-Hélène, pour y soutenir, jusqu’à la dernière extrémité, l’honneur des armes de France.

Le marquis de Vaudreuil lui fit réponse que l’état des affaires ne permettait pas de rejetter les conditions du général anglais ; qu’il devait les accepter, pour l’avantage du pays dont le gouvernement lui avait été confié ; et qu’il ordonnait à M. le chevalier de Levis de s’y conformer. Ce dernier, pour épargner aux troupes, une partie de l’humiliation qu’elles allaient subir, leur ordonna de bruler leurs drapeaux ; ce qu’elles firent, sur le champ.

Par la capitulation, la ville de Montréal, et toutes les places occupées par les Français devaient être évacuées sans délai, et livrées aux troupes de sa majesté britannique  ; les troupes françaises devaient mettre bas les armes et être transportées en France, pour ne pas servir durant la guerre  ; le gouverneur, l’intendant et les employés du gouvernement devaient pareillement être transportés en France, aux frais de l’Angleterre  ; quelques uns de ces employés, qui avaient des affaires à régler, dans la colonie, y pouvaient demeurer, jusqu’à ce que ces affaires fussent terminées  ; les Canadiens devaient avoir le libre exercice de leur culte  ; aucun d’eux ne pouvait être inquiété pour avoir porté les armes, comme milicien  ; les communautés de religieuses étaient maintenues dans la possession de leurs biens, privilèges et immunités  ; les séminaires et les communautés de religieux continuaient à jouir de leurs revenus, et pouvaient vendre leurs Seigneuries et autres propriétés foncières, s’ils le jugeaient à propos, et en transmettre le produit en France. Si par le traité de paix, le Canada restait à l’Angleterre, ceux des Français, ou des Canadiens, qui voudraient passer en France, le pourraient faire, en toute liberté.

Il avait été demandé des choses qui ne furent point accordées, et qui ne pouvaient l’être convenablement  ; telles que la neutralité perpétuelle des Canadiens, et la nomination de l’évêque de Québec par le roi de France.

Aussitôt que la capitulation eut été signée, de part et d’autre, le général Amherst fit occuper une des portes de la ville par un détachement de troupes, sous le colonel Haviland. Le chevalier de Levis partit pour Québec, le 16  ; le gouverneur, l’intendant et leurs suites partirent, quelques jours après.

Le marquis de Montcalm s’était fait estimer et chérir de ses soldats et des Canadiens, surtout de ceux qui avaient combattu sous ses ordres : le chevalier de Levis, d’une sévérité peu ordinaire, d’un zèle quelquefois outré, dut emporter au moins l’estime des derniers ; car il la méritait, par son activité, son courage et son habileté. Il n’en fut pas ainsi du marquis de Vaudreuil ; il partit chargé de plus de haine et de mépris qu’il n’en aurait dû porter, peut-être, si l’on eût voulu être rigoureusement juste à son égard ; car malgré son favoritisme, et ses liaisons avec des hommes dépourvus de tout principe d’honneur et de probité, on ne peut refuser à ce dernier des gouverneurs français du Canada un certain degré de prudence, et cet empire sur soi-même qui permet à l’homme de choisir le meilleur parti, dans les cas à peu près désespérés. Les Canadiens durent le remercier de n’avoir pas voulu accéder à la proposition que lui fit le chevalier de Levis de rompre toute négociation avec le général Amherst ; proposition peut-être pardonnable à un patriote zélé et à un militaire épris de la gloire des armes, tel qu’était le général français, mais on ne peut plus téméraire, dans les conjonctures où se trouvait le Canada. Qui pourrait dire, en effet, quel aurait été le sort des habitans de ce pays et de leur postérité, si Montréal eût été pris d’assaut, ou obligé de se rendre à discrétion ? Ils lui durent encore quelque reconnaissance d’avoir, dans son projet de capitulation, songé à leur assurer tout ce qui pouvait contribuer à leur avantage et à leur bien-être futur. S’il demanda pour nos pères plus que le vainqueur ne pouvait convenablement accorder, ce n’est pas à nous de nous en plaindre, ou de l’en blâmer.

Peu de jours après son entrée à Montréal, le général Amherst fit partir le major Rogers, pour aller prendre possession des postes que les Français avaient sur les lacs, et au delà, et particulièrement, du Détroit et de Michillimakinac.

Assez tard, dans l’automne, l’Aigle, vaisseau français de 50 canons, ayant pris la voie du détroit de Bellisle, pour entrer dans le Saint-Laurent, donna sur un écueil, et se brisa. Le Léopard, autre vaisseau de guerre français, de 60 canons, entra dans le Saint-Laurent, et vint jusque devant Québec, où il fut pris et brulé, de peur qu’une fièvre putride, qui régnait à son bord, ne se communiquât aux habitans. Dès le printemps, la cour de France avait tenté de faire parvenir un secours de vivres et de munitions dans la colonie. Mais la flotille française, qui consistait en une frégate, et une vingtaine de navires de charge, étant entrée dans le Saint-Laurent, après que l’escadre anglaise fut arrivée au port de Québec, elle avait été forcée de rebrousser chemin. Elle alla relâcher dans la baie des Chaleurs, où elle fut attaquée et détruite par le capitaine Byron, venu de Louisbourg, avec une escadre.

Quand même ce secours aurait réussi à remonter le Saint-Laurent, il n’aurait probablement pas retardé de beaucoup la reddition du Canada ; et peut-être le retard n’était-il pas à désirer : la possession de ce pays était devenue pour la France un fardeau qui s’appesantissait, de jour en jour, la misère et le malaise y croisaient dans la même proportion, et cela principalement en conséquence du gaspillage des deniers publics. « Les dépenses annuelles du gouvernement pour le Canada, dit Raynal, qui avant 1749, ne s’étaient jamais élevées au-dessus de dix-sept-cent mille livres, n’eurent plus de bornes, après cette époque. » Le même auteur ne compte pas moins de cent vingt-trois millions trois cent mille livres, déboursés par le gouvernement, depuis le commencement de 1750 jusqu’à l’automne de 1760. L’année 1758 couta seule vingt-sept millions trois cent mille livres, et la suivante, vingt-six millions.

Les négociations pour la paix, entre l’Angleterre et la France, furent entammées en 1762, et le traité définitif de paix fut signé, le 10 février 1763. Par le treizième article de ce traité, la France cède à l’Angleterre le Canada et ses dépendances, telles que les îles du Cap-Breton et de Saint-Jean, et les autres îles et côtes situées dans le golfe et le fleuve Saint-Laurent, avec tous les droits que le roi Très-Chrétien avait possédés et exercés dans ces pays. De l’autre côté, sa majesté britannique confirme et assure aux habitans du Canada le libre exercice du culte catholique, et à peu près tout ce qui avait été accordé par la capitulation de Montréal.

Ainsi passa de la domination de la France à celle de l’Angleterre une colonie d’un siècle et demi d’existence, une région aussi vaste que l’Europe ; et cela, par la faute des administrateurs de la métropole, et plus encore de ses employés dans la colonie. Avec les deniers publics dilapidés par ces employés, on aurait pu doubler les moyens de défense, et probablement repousser l’invasion. Des sommes prodigieuses dépensées pendant les dernières années de la domination française, il était dû, à la paix, dit Raynal, quatre-vingts millions ; On remonta à l’origine de cette dette impure : quelques uns des prévaricateurs, (entr’autres l’intendant Bigot,) furent flétris, bannis, dépouillés d’une partie de leurs brigandages. D’autres, non moins coupables, répandirent l’or à pleines mains, échappèrent à la restitution, et jouirent insolemment d’une fortune si mal acquise. Les lettres de change furent réduites à la moitié, et les ordonnances, au quart de leur valeur. Les unes et les autres furent payées en contrats à quatre pour cent.

Dans cette dette de quatre-vingts millions, (c’est toujours Raynal qui parle), les Canadiens étaient porteurs de trente-quatre millions d’ordonnances et de sept millions de lettres de change. Leur papier subit la loi commune ; mais la Grande-Bretagne, dont ils étaient devenus sujets, obtint pour eux un dédommagement de trois millions, en contrats, et de six cent mille livres, en argent ; de sorte qu’ils reçurent cinquante-cinq pour cent de leurs lettres de change, et trente-quatre pour cent de leurs ordonnances.

FIN.