Histoire du Montréal, 1640-1672/06

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de l’automne de 1643 a l’automne de 1644.


Les dépêches de France étant parties, on commença à arracher les petits pieux qui environnaient le fort et à mesure on le revêtit de beaux bastions que traça M. d’Aillebout, annuel M. de Maison-Neufve laissa la conduite de cette entreprise, MM. de la compagnie lui ayant mandé qu’il était fort intelligent en ce fait, aussi y réussit-il très-bien ainsi qu’on l’a vu depuis. Enfin nos Français se lassèrent de se voir insultés tous les jours par les Iroquois, ne pouvant continuellement souffrir de leurs alarmes sans les aller chercher, ils importunaient tellement M. de Maison-Neufve pour aller en partie, disant qu’il n’y avait aucune apparence à s’entendre fusiller chaque jour et de demeurer néanmoins dans la modération et de ne les oser poursuivre jusqu’à la portée du fusil des bois ; M. de Maison-Neufve leur disait de son côté :

« Les poursuivant comme vous le souhaitez, nous ne sommes qu’une poignée de monde peu expérimentés au bois, nous serons surpris dans une embuscade là où il y aura vingt Iroquois contre un Français ; au reste, prenez patience, quand Dieu nous aura donné du monde, nous risquerons ces coups, mais maintenant, ce serait imprudemment hazarder la perte de tout à une seule fois, ce qui serait mal ménager l’ouvrage dont j’ai la conduite. » Tout cela ne servait de rien à nos bouillants Français sinon à faire croire que M. de Maison-Neufve appréhendait de s’exposer ; de quoi on commença à murmurer au fort, que cela étant venu à sa connaissance, il crut qu’il valait mieux hasarder imprudemment une bonne fois, que de les laisser dans cette croyance qui nuirait à jamais et serait capable de tout perdre. Résolu donc à la chose, voici ce qui arriva : Le trentième jour de mars, les chiens qui tous les matins faisaient une grande ronde pour découvrir les ennemis, sous la conduite d’une chienne nommée Pilotte, laquelle pillait fortement à son retour ceux qui avaient manqué à la compagnie, se mirent à crier et hurler de toutes leurs forces, faisant face du côté où ils sentaient les ennemis. Or, comme l’expérience journalière avait fait connaître à tout le monde cet instinct naturel que Dieu donnait lors à ces animaux pour nous garantir de mille embuscades que les barbares faisaient partout, sans qu’il fût possible de s’en parer, si Dieu n’y avait pourvu par les hurlements favorables : d’abord que nos gens les entendaient, soudain, pleins de feu, ils accouraient suivant la coutume, vers M. de Maison-Neufve, lui disant, « Monsieur : les ennemis sont dans le bois, d’un tel côté, ne les irons nous jamais voir ? à quoi il repartit brusquement contre son ordinaire : oui, vous les verrez, qu’on se prépare tout à l’heure à marcher, mais qu’on soit aussi brave qu’on le promet ; je serai à votre tête ; »

D’abord un chacun se disposa, mais comme on avait que très peu de raquettes et que les neiges étaient encore hautes, on ne pouvait pas bien s’équiper, mais enfin ayant mis son monde dans le meilleur ordre qu’il put, il marcha avec trente hommes vers les ennemis, laissant le château et toutes autres choses entre les mains de d’Aillebout, auquel il donna ses ordres en cas d’événements ; étant entré dans le bois quasi aussitôt après, ils furent chargés par 200 Iroquois qui, les ayant vu venir s’étaient mis dans plusieurs embuscades propres à les bien recevoir. Le combat fut fort chaud. Incontinent que M. de Maison-Neufve se vit attaqué, il plaça ses gens derrière les arbres ainsi que faisaient les ennemis, et lors on commença à tirer à qui mieux mieux, ce qui dura si longtemps que la munition des nôtres manqua ; ce qui obligea M. de Maison-Neufve, lequel d’ailleurs était accablé par le grand nombre d’ennemis et qui avait la plus part de ses gens morts ou blessés de penser à la retraite comme à l’unique moyen de se sauver, lui et son monde, ce qui était bien difficile à faire à cause de ce que nous ôtions beaucoup engagés et que les autres étaient si bien montés en raquette qu’à peine étions-nous de l’infanterie au respect de la cavalerie ; quoi qu’il en fût, n’y ayant pas d’autres parties à choisir, il commanda qu’on se retira, mais tout bellement, faisant face de temps en temps vers l’ennemi, allant toujours vers un certain chemin de traîne par lequel on emmenait le bois pour construire l’hôpital ; à cause qu’il était dur et que leurs raquettes ne leur serait pas nécessaires en ce lieu là pour bien aller ; chacun exécuta cet ordre, mais à la vérité, plus précipitamment qu’il n’était porté. Monsieur de Maison-Neufve voulant être le dernier en cette rencontre, il attendait que les blessés fussent passés avant de marcher : quand on fut arrivé à ce chemin de traîne qui fut notre sentier de salut, nos Français effrayés s’enfuirent de toutes leurs forces et laissèrent M. de Maison Neufve fort loin derrière eux ; lui de temps en temps, faisant face avec ses deux pistolets, crainte d’être saisi de ces barbares qui étaient toujours sur le point de le faire prisonnier Ils ne le voulaient pas tuer, parce que le reconnaissant pour le gouverneur, ils voulurent en faire la victime de leur cruauté, mais Dieu l’on garantit et cela de la façon que je vais dire : les Iroquois ayant déféré à leur commandant cette capture, ils le laissèrent aller un peu devant eux, afin qu’il eût l’honneur de le prendre, mais celui qui voulait prendre fut pris, car M. le Gouverneur s’en trouvant si importuné qu’il l’avait toujours sur les épaules, il se mit en devoir de tirer, ce que ce sauvage voyant, il se baissa pour éviter le coup. M. le Gouverneur ayant raté, cet homme se releva pour sauter sur lui, mais en cet instant, il prit son autre pistolet et le tira si promptement et si heureusement qu’il le jeta tout raide mort. Or comme cet homme était le plus proche de lui, il eut le loisir de prendre un peu d’avance jusqu’à ce que les autres barbares étant venus à leur commandant déjà expiré, soudain au lieu de le poursuivre, ils chargèrent cet homme sur leurs épaules et l’emportèrent promptement parce qu’ils avaient peur que quelque secours inopiné ne leur vint ravir et que le corps d’un tel personnage ne tomba entre les mains de leurs ennemis : ce ridicule procédé donna loisir à M. de Maison-Neufve de se rendre au fort, quoiqu’après tous les autres, lesquels pensaient être emportés d’un coup de canon par un malhabile homme, qui les voyant venir, courant avec confusion, sans faire distinction d’amis ou d’ennemis, mit le feu au canon, mais par bonheur, l’amorce se trouva si mauvaise que le coup ne s’en alla pas. Que s’il eut parti, la pièce étant si bien braquée sur le petit chemin par lequel ils venaient, qu’il eut tué tout le monde. M. de Maison-Neuve arriva au fort, chacun en eut une joie qu’on ne peut exprimer, et alors, trop convaincus de son courage, protestèrent qu’à l’avenir, ils se donneraient bien de garde de le faire ainsi exposer mal à propos. Au reste, il semble que Dieu en cette occasion ne leur avait imprimé de la frayeur que pour faire davantage éclater son courage et le mieux établir dans leur esprit. Ce rude combat et plusieurs autres qui se firent pendant cette année n’empêcha pas ce printemps même qu’on ne commença à faire du bled français à la sollicitation de M. d’Aillebout auquel le Canada a l’obligation de cette première épreuve, qui convainquit un chacun que la froideur de ce climat, ne l’empêchait pas de produire une grande abondance de bled. Enfin l’été étant venu, le sieur de la Barre arriva de France ici avec beaucoup de gens, partie desquels étaient d’une compagnie que la reine envoya cette année là en Canada sous sa conduite, laquelle compagnie fut distribuée dans les différents quartiers de ce pays ; et l’autre partie de ce monde venait aux frais des Messieurs du Montréal, lesquels firent encore cette année de très-grandes dépenses pour ce lieu. Ce qui est remarquable ici dedans, c’est l’hypocrisie du sieur de la Barre qui trompa tant de gens en France et en Canada ; à la Rochelle, il portait à sa ceinture un grand chapelet avec un grand crucifix qu’il avait quasi incessamment devant les yeux, tellement qu’il venait en ce pays comme un homme apostolique auquel on avait confié ce commandement. Ainsi, sous des vertus apparentes, il cachait une très méchante vie qui l’a fait finir ses jours sous une barre qui était plus pesante que celle de son nom ; au reste quoiqu’il fît l’hypocrite aussi bien qu’homme de son siècle, toujours est-il vrai qu’il a rendu un grand service au pays en y amenant ce secours, et c’est un être pour l’en récompenser que Dieu lui a fait faire cette rude pénitence pour la conclusion de sa vie ; afin de lui donner un moyen de satisfaire à ses crimes, comme apparemment il a fait mourant d’une façon qui a laissé sujet de croire à tous que ça été pour le grand bien de son âme. Ce personnage qui portait en lui l’image de la même vertu, demeura au Montréal toute l’année suivante, mais enfin on le reconnut par quelques promenades qu’il faisait fréquemment dans le bois avec une sauvagesse qu’il engrossa, ce qui découvrit l’erreur de ces beaux prétextes. Mais pour ne pas prévenir le temps qu’il faut laisser à l’année qui vient et dire un mot de notre charitable inconnue qui envoya pour sa part à Mlle Mance, pendant cette année, 3 000 livres, trois chapelles et plusieurs meubles, lui adressant le tout comme si elle eut été logée, ce que M. de Maison-Neufve voyant, il résolut d’employer tout son monde avec la plus grande diligence qu’il se pouvait, afin de la loger, ce qu’il fit avec tant de promptitude que le 8 Octobre du même au, elle fut logée et en état d’écrire et de dater ses lettres de l’hôpital du Montréal, écrivant à sa chère fondatrice, ce qu’envisageait beaucoup M. de Maison-Neufve afin de la contenter ; l’hôpital ne fut pas plus tôt fait qu’il se trouva assez de malades et de blessés ! pour le fournir, tous les jours, les Iroquois par leurs boucheries y fournissaient de nouveaux hôtes, ce qui obligeait un chacun à bénir Dieu de tout son cœur pour les saintes inspirations qu’il avait données à cette inconnue en faveur des pauvres malades et blessé ? de ce lieu ; cela fit voir à Mlle Mance que sa bonne Dame avait bien raison de ne lui point acquiescer en changeant ses charités ci ; faveur d’une mission pour laquelle elle la sollicitait ; cet ouvrage étant si nécessaire même dans les commencements, de quoi Mlle Mance étant pour lors bien convaincue, lui écrivit en cette sorte. D’abord que la maison où je suis a été faite, incontinent elle a été garnie, et le besoin qu’on en a fait voir la conduite de Dieu en cet ouvrage : C’est pourquoi, si vous pouviez encore faire une charité qui serait que j’eusse ma subsistance pour moi et pour une servante, et que les 2 000 livres de rente que vous avez donné fussent entièrement aux pauvres, on aurait meilleur moyen de les assister voyez ce que vous pouvez faire là dessus, j’ai de la peine à vous le proposer, parce que j’ai peine à demander, mais vos bontés sont si grandes que j’aurais peur d’un reproche éternel si je manquais à vous mander les besoins que je sais. Ce peu de paroles furent un grain de semence jetée dans une terre très excellente, nous verrons ce qu’elles produiront l’année prochaine.