Histoire du Montréal, 1640-1672/19

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de l’automne 1656, jusqu’à l’automne 1657 au départ des vaisseaux du Canada.


Le 27 du mois de janvier, il arriva ici un grand malheur à Mlle Mance, laquelle se rompit et se disloqua le bras tout en même temps d’une étrange façon, sans que les chirurgiens pussent trouver moyen de le rétablir, mais ce qui n’était pas possible aux hommes, s’est trouvé depuis facile à la main du Tout-Puissant, laquelle avait permis ce malheur afin de mettre la mémoire de feu M. Ollier en vénération, par l’effet miraculeux de cette guérison 1 jugée de tous incurable, soit en Canada, soit en France, ce que nous verrons dans son lieu. En attendant, accompagnons un peu Mr. de Maison-Neufve dans son voyage, et le voyons convier MM. les associés à demander à feu M. Ollier qu’il envoyât des ecclésiastiques à Montréal, proposition qui fut si bien reçue que tous jugèrent qu’il l’en fallait presser fortement, mais on n’y eut pas grand peine, car Mr. de Maison-Neufve, allant trouver Mr. Ollier, après s’être entendu avec lui de toutes ces choses, il le pria de se ressouvenir d’une lettre que Mlle. Mance lui avait écrite l’an dernier, laquelle l’avertissait qu’il était temps d’exécuter tous les beaux projets qu’il avait fait pour le Montréal, qu’il ne devait pas retarder davantage à lui envoyer des ecclésiastiques de son séminaire ; Le zélé serviteur de J. C. ne pouvant refuser telles propositions les accepta d’abord, il eut bien voulu venir se sacrifier lui-même tout accablé qu’il était et près de son tombeau par ses mortifications et austérités extraordinaires, mais n’y ayant de possibilité à la chose, il jeta les yeux sur Mr. l’abbé Quélus, sur Mrs. Souart et Gallinier et Mr. Dallet, qui tous quatre acceptèrent le parti avec autant d’obéissance et de zèle qu’on en saurait souhaiter. Le temps étant venu de partir, chacun plia la toilette avec autant de diligence et de promptitude, qu’Isaac plia son fagot, s’en allant vers ce lieu qu’on regardait pour celui de son sacrifice. Quant à Mr. l’abbé de Quélus auquel l’assemblage du clergé avait voulu auparavant procurer une mitre pour venir ici prêcher l’évangile, il n’y vint pas avec moins de joie sous une moindre qualité. Voyant que la plus grande gloire de Dieu ne s’était pas trouvé conforme à celle que l’on avait eu de l’honorer du bâton pastoral. La conduite de Dieu est admirable en toutes choses ; Mr. de Maison-Neufve et Mlle . Mance se disaient d’années en années, il faut demander des ecclésiastiques à M. Ollier avant qu’il meurt, même il ne faut pas beaucoup tarder, car tous les ans on nous mande qu’il se porte mal. Ils se disaient assez cela tous deux ensemble, mais pour cela, ils n’en poursuivaient point l’exécution ; il n’y eut que cette année qu’ils entreprirent cela chaudement. — Voyons un peu comment il était temps de le faire ; incontinent que ces quatre messieurs furent partis, Mr. Ollier mourut, ils partirent en carême et il mourut à Pâques ; s’il fut mort plus tôt, peut-être que l’ouvrage serait encore aujourd’hui à entreprendre, même si ces quatre messieurs eussent différé le carême à partir, n’ayant point été engagés dans ce voyage qu’ils ne pouvaient honnêtement abandonner après s’y être mis ; apparemment ils ne seraient pas partis ; voyant cette mort arriver, mais la providence qui veillait sur son serviteur exécuta ses desseins, avant que d’en sortir voulut qu’il commença l’exécution de celui-ci et le mit en état d’être poursuivi avant que de l’attirer à soi ; — jusques alors, il avait été servi de lui par tous les coins de la France, mais pour dilater son cœur davantage et donner des espaces à l’excès de son amour, il voulut le porter par ses enfants, avant sa mort, jusques dans les pays étrangers, il ne voulut lui faire cette grâce qu’à la mort parce qu’il voulait que l’arrivée de ces quatre ecclésiastiques du séminaire de St. Sulpice fut un témoignage authentique au Montréal de l’intime amour que lui portait son serviteur, parle legs pieux qu’il lui faisait de ses enfants pour le servir après lui, Dieu seul sait combien ces quatre Missionnaires Évangéliques furent affligés ; étant encore à Nantes, avant de faire voile, ils apprirent la fâcheuse nouvelle de ce décès, mais enfin comme ils étaient dans le dessein de mourir à tout pour Dieu, ils ployèrent le col comme des victimes qui n’allaient pas pour éviter le sacrifice. Pour cela, ils ne tournèrent pas la tête en arrière, ils suivaient toujours M. de Maison-Neufve comme celui qui les devait mener dans cette bonne terre pour être le champ de leurs combats aussi bien que le théâtre de leurs triomphes. Quand ce fut le temps de partir, ils montèrent tous gaiement dans le vaisseau et se disposèrent à affronter généreusement pour Dieu les plus élevés flots de la mer, il est vrai que au commencement, elle sembla être la maîtresse et fit mal au cœur à plusieurs, mais la partie supérieure qui dans les âmes généreuses et chrétiennes ne cède pas volontiers aux souffrances corporelles, devint la maîtresse par la vertu de la patience qui les fit triompher de toutes les peines et hazards de la mer. Il est vrai que Dieu les assista bien dans ce voyage et que par une protection de sa main, il les délivra de plusieurs grands et imminents périls dans lesquels ils devaient faire naufrage ; mais enfin le ciel qui les destinait à toute autre chose, les délivra de tous ces accidents ; et les ayant mis dans le fleuve St. Laurent, ils naviguèrent heureusement vers Québec ; ce qui ne se fit pas sans goûter auparavant des rafraîchissements de ce pays, parce que le père Deguan, les Rev. Pères Jésuites et Mr. d’Aillebout ayant su leur venue, ils s’en allèrent au devant d’eux jusqu’à l’Isle d’Orléans où ils les régalèrent avec des témoignages d’une si grande bienveillance que cela les obligea de venir passer quelques jours à Québec avant de monter au Montréal, contre la résolution qu’ils en avaient faite ; quoi plus on complimenta Mr. l’abbé Quélus sur les lettres de grand Vicaire, qu’on savait qu’il avait ou qu’on présumait avoir de Mgr. L’Archevêque de Rouen. Ayant reçu leurs compliments et civilités sur ce sujet, il fut convié surtout par un des Révérends Pères Jésuites de s’en vouloir servir pour Québec, ce qu’il ne voulait pas faire d’abord, mais enfin il acquiesça aux instances, il n’y avait rien de plus doux dans un pays barbare comme celui-ci que d’y voir de si belles choses ; mais un temps si serein, ne fut pas longtemps sans se brouiller, les tonnerres commencèrent à gronder et nos quatre nouveaux missionnaires ne s’enfuirent pas pour être menacés. Ils se regardèrent comme des novices sous le père maître et se résolurent de souffrir tout au long les rigueurs de leur noviciat. Laissons-les tous sur la croix, avec le Père Poner, très-digne religieux de la compagnie de Jésus, ne disons rien de leurs peines afin que le ciel découvrant un jour toutes choses à la fois, fasse voir en même temps la sincérité d’un chacun dans son procédé, et la raison pourquoi il a permis tout ce qui s’est passé. J’espère que nous verrons que comme tous ont eu bonne intention, que tous aussi en auront des récompenses, tant ceux qui auront jeté les balles que ceux qui les auront reçues. Quand à ce qui est du reste des choses qui regardent le Montréal, nous n’avons rien à vous en dire pour cette année, si ce n’est la joie singulière qu’on y reçut de voir ces quatre messieurs, mais cette satisfaction ne dura pas longtemps et fut bientôt mélangée de tristesse par la venue du R. P. Pauset qui fit descendre Mr. l’abbé de Quélus à Québec afin d’y exercer les fonctions curiales.