Histoire du chevalier Grandisson/Lettre 28
LETTRE XXVIII.
la Comtesse Douairiere de D…, à Mme Selby.
Permettez, Madame, que sans vous être connue personnellement, je m’adresse à vous pour une affaire de quelque importance, & que je vous demande en même tems le secret, jusqu’à ma premiere Lettre, à l’égard même de M. Selby & de la jeune personne dont il est question. Personne de ma famille, sans excepter le Comte de D…, mon Fils, n’est informée de mes vues, & n’en aura la moindre connoissance, avant que vous les ayez approuvées.
Mon Fils est entré depuis peu dans sa vingt-cinquième année. Il y a peu de jeunes gens, dans la haute Noblesse, à qui l’on puisse attribuer de meilleures qualités. Sa minorité m’a donné le pouvoir, lorsqu’il est entré en âge, de le mettre en possession d’un bien fort noble & fort clair, qu’il n’a point altéré depuis qu’il vit dans l’indépendance. Il n’y a rien à lui reprocher pour la figure. On lui accorde du savoir & du jugement. Sa conduite l’a fait respecter dans ses voyages. Vous pouvez prendre là-dessus toutes les informations qui conviennent à la prudence.
Notre plus grande passion, comme vous pouvez vous l’imaginer, est de le voir heureusement marié. Il est fort éloigné d’être un mauvais Fils. Je ne lui ai jamais reconnu que de la tendresse & du respect pour moi. Un Fils respectueux promet un bon Mari. Il m’assure que son cœur est sans engagement, & qu’il aura les plus grands égards pour ma recommandation. Je cherche un parti qui lui convienne : mais, quoique Mylord ne soit pas indifférent pour la beauté, je porte les yeux plus loin que l’extérieur, dans une femme. Ma premiere vue tombe sur la famille, à laquelle une jeune personne doit sa naissance & son éducation. La qualité me touche peu. Un homme de qualité, comme vous savez, la confére à sa femme. Je ne demande qu’une bonne & ancienne Noblesse. On sait, Madame, que cet avantage ne manque d’aucune part à la vôtre ; & si les conditions d’ailleurs étoient agréées mutuellement, je vous avoue que je serois flattée de votre alliance. La jeune personne ayant reçu son éducation sous vos yeux, votre caractere seroit un puissant motif pour moi.
La beauté, le mérite & l’excellent naturel de votre Niece Byron, font l’entretien & l’admiration de tout le monde. Il ne se passe point un jour, où je n’en entende parler avec de nouveaux éloges. Je n’ai, Madame, qu’une seule question à vous faire aujourd’hui ; & je vous supplie de me répondre avec l’ouverture qui convient à l’importance de l’occasion, & que je crois mériter par la mienne, sur-tout lorsque je promets le secret avec autant de fidélité que je le demande. Les affections de Miss Byron sont-elles absolument libres ? Notre délicatesse est extrême sur ce point. C’est le seul auquel je m’attache aujourd’hui. Si votre réponse est telle que je la desire, nous en viendrons des deux côtés à d’autres explications. Un mot, lorsque votre commodité vous le permettra, ne sauroit manquer, Madame, d’obliger infiniment votre très-humble & très-obéissante Servante.
À cette Lettre, Madame Selby joint la réponse qu’elle avoit faite à Mylady D…, pour l’assurer qu’elle ne connoissoit aucun attachement de cœur à Miss Byron, quoique tout le monde lui connût plusieurs Amans déclarés, qui la recherchoient avec des offres fort avantageuses ; & pour l’avertir d’ailleurs que Miss Byron n’étoit pas riche, n’ayant actuellement à elle que quinze mille livres sterling de fond, avec quelques espérances à la vérité, mais fort éloignées. Elle y joint aussi une seconde Lettre de Mylady D…, du 23 de Février, par laquelle cette Dame lui apprend que depuis qu’elle a reçu la sienne, ayant parlé de ses vues à son Fils, elle l’a trouvé si prévenu par le bruit public, en faveur de miss Byron, qu’il ne respire que l’occasion de la voir, & qu’à l’objection du bien il répond qu’un homme