Histoire financière de la France/Chapitre VI

La bibliothèque libre.
CHAPITRE VI.


__


Règne de Charles VI et de Charles VII.


1380 - 1461


SOMMAIRE.


Spoliation du trésor laissé par Charles V. — Déprédations commises par les oncles de Charles VI. - Troubles dans Paris, suivis de l’abolition de tous les impôts. - États-généraux de la Langue-d’Oyl en 1380. - Taxes sur les mêmes denrées. - Révoltes. - Maillotins. - Nouvelle assemblée d’états-généraux en 1382. - Conjuration des communes et des serfs. - Paysans révoltés. - Rétablissement et élévation de tous les impôts. - Dépenses à l’occasion de descentes projetées en Angleterre. - Rigueurs des poursuites exercées contre le clergé. - Droits sur le commerce de transit. - Guerres civiles. - Aliénation du domaine, violation des dépôts. - Assemblée dite d’états-généraux, sous l’influence du duc de Bourgogne, en 1413. - Traité de Troyes qui livre ce royaume à Henri V. - États-généraux de 1420, dociles aux volontés du roi d’Angleterre. - Secours accordés à l’héritier du trône par les provinces. - Traité de réconciliation. - Aides rétablies du consentement des trois états. — Pays d’états. - États-généraux d’Orléans en 1439. - Taille rendue perpétuelle, affectée à la solde de troupes permanente et interdite aux seigneurs.— Réorganisation.— Asséeurs, nommés par les taillables, remplacés par des élus royaux.


1380. - Sans doute par un pressentiment de sa fin prochaine, et des calamités que la régence devaient attirer sur les peuples, le sage Charles V avait fixé à quatorze ans l’époque de la majorité des rois. Lorsqu’il fut enlevé prématurément à l’affection des Français il laissait un fils âgé seulement de douze ans, et trois frères : Louis, duc d’Anjou; Jean, duc de Berri; et Philippe-le-Hardi, tige de la dernière maison de Bourgogne. Ces princes vaillants, mais prodigues, regardaient la France comme une proie qui leur était abandonnée; et la minorité de Charles VI fournit l’occasion de leur première dissension au sujet de la régence, à laquelle le roi avait appelé le duc d"Anjou.

La cupidité de ce prince s’était manifestée par les dons de tous genres qu’il avait attachés au roi son frère, et, dans le Languedoc, par des concussions qui avaient porté les habitants de Montpellier à des excès que les auteurs de la sédition avaient payés de leur tête. Charles V; redoutant avec raison l’avidité du duc, avait exigé qu’il souscrivît un serment par lequel, entre autres engagements, il prenait ceux de garantir de toute sa puissance les sujets d’être pillés ou grevés, et de conserver le dépôt des « joyaux, vaisselles, monnoyes d’or et d’argent, pereries, » et tous autres biens meubles que le roi laisserait à sa mort. Mais une autre circonstance, en éveillant l’ambition du prince, augmenta sa cupidité naturelle. Il venait d’être appelé au trône de Naples par le testament de la reine. Jeanne. Des troupes, et par conséquent des fonds, lui devenaient nécessaires pour se mettre en possession d’une couronne qui lui était disputée ; le désir d’obtenir ces moyens de conquête devint le mobile de toutes ses actions[1].

Déjà maître de l’argenterie, des joyaux de la couronne et des meubles précieux, il fit de leur conservation l’une des conditions d’un arrangement avec ses frères, qui se disposaient à lui disputer le gouvernement à main armée. Ce larcin n’était que le prélude d’une autre spoliation que méditait le duc[2].

Pendant que la cour se rendait à Rheims pour le sacre du jeune Charles VI, le régent va à Melun, où l’on savait qu’était déposé le trésor. Arrivé au château, par l’appareil des tortures il contraint Savoisy, confident de Charles V, à lui indiquer le lieu du dépôt : c’était une muraille épaisse dans laquelle étaient scellés des lingots d’or et d’argent. Le duc la fait démolir ; les espèces, chargées sur des voitures qu’il tenait prêtes, sont transportées dans ses domaines ; puis il va rejoindre la cour à Rheims[3].

La connaissance de ce vol acheva d’irriter les esprits, qu’avait mécontentés une imposition sur les menues denrées vendues dans les marchés, et dont le même duc d’Anjou avait arrêté le tarif. Des mouvements eurent lieu dans quelques provinces et à Paris. Au retour du roi dans la capitale, les habitants se refusèrent à payer les impôts dont l’abolition, promise par Charles V, avait été annoncée à la cérémonie de sacre ; mais les maîtres du gouvernement, qui avaient détourné les fonds de l’épargne, ne se montraient pas disposés à remplir les dernières volontés du roi défunt. Le peuple attroupé éclate en murmures et se rend en foule à une assemblée de la bourgeoisie, que le prévôt des marchands avait convoquée au parlouer aux bourgeois. Un artisan harangue l’assemblée : déplorant son sort et celui de ses compagnons, réduits à la misère par l’accumulation des taxes, il peint le luxe des traitants, le faste et les déprédations des princes et des seigneurs, qu’il nomme sans ménagement ; puis, apostrophant les bourgeois qui étaient présents, il leur reproche leur insouciance et leur lâcheté et cite l’exemple des Gantois, qui, dans ce moment, combattaient contre leur duc pour se délivrer des impôts arbitraires. La populace émue force le prévôt des marchands de la conduire au palais, et, par ses clameurs, obtient une audience du duc d’Anjou. Dans un discours plein de ménagements, le magistrat expose l’état des choses, et, demandant que les impôts établis par Charles V soient supprimés sans délai, il termine en déclarant que le peuple est dans l’impuissance de les supporter, et prêt à tout sacrifier pour s’en affranchir. Une réponse du prince, et celle-qu’y ajouta le chancelier de France, calmèrent les mutins en leur donnant des espérances que le lendemain vit réaliser.

Ce jour, en effet, parut une ordonnance prononçant « l’abolition et mise au neant de tous aydes et subsides quelconques qui, pour le faict des guerres, ont esté imposez, cueilliz et levez de puis le roi Philippe-le-Bel, jusqu’au jour d’ici, soient fouages, impositions, gabelles, XIIIe, XIVe, et autres quelconques ilz soient, et comment qu’ilz soient diz ou nommer. Et voulons et ordonnons, par ces mesmes lettres, que des diz aydes et subsides et de chacun d’iceux, nos diz subgez soient et de meurent francs, quictes et exemps doresenavant à toujours, mais comme ilz estoîent paravent le temps de nostre dit predecesseur le roi Philippe-le-Bel ; et avecque ce, avons octroyé et octroyons par ces presentes à nos diz subgez que choses qu’ilz aient payé à cause des dessudiz aydes ne leur tourne à aucun prejudice ne à leurs successeurs, ne que ils puissent estre traict à aucune conséquence, ores, ne du temps à venir[4].

À cette suppression entière, et plus étendue qu’on ne l’avait espéré, d’impôts qu’il fallait modérer et non pas abolir ; la populace, enhardie par le succès de sa résistance, demande que l’on ajoute l’expulsion des juifs, qui venaient d’obtenir du duc d’Anjou de nouveaux privilèges que sans doute il n’avait pas accordés gratuitement. Au milieu d’un tumulte excité par les nobles, débiteurs des juifs, on pille, dans les maisons de ces derniers ; la vaisselle, les bijoux, les meubles mis en gage ; on détruit les obligations qui leur avaient été souscrites. Les receveurs d’impôts ne sont pas épargnés ; le peuple brise leurs caisses, déchire les registres et les tarifs. Ces excès demeurèrent impunis dans le moment[5]. Les besoins de l’état exigeaient cependant des secours que, nonobstant les négociations entamées, le peuple persistait à refuser. Dans l’espoir d’en obtenir, on convoqua à Paris les états-généraux des provinces de la Langue-d'Oyl, mais sans plus de succès. Peu de députés se rendirent à l’assemblée. Ceux qui vinrent parurent convaincus que le trésor de Charles V et ses autres richesses, s’ils n’avaient pas été détournés, auraient suffi aux besoins présents; et craignant, non sans raison, que les subsides qu'ils accorderaient ne fussent dissipés par les oncles du roi et leurs favoris, ils insistèrent pour que les impositions fussent réduites aux seules taxes qui existaient avant Philippe-le-Bel. Ils réclamèrent en outre la confirmation des franchises, libertés, immunités, et des concessions obtenues depuis le même règne. Elles concernaient principalement la commutation en argent du service féodal corporel; la suppression des présents que les sujets du royaume étaient tenus de faire en vertu des coutumes à différentes époques de la vie des rois et de leurs enfants; enfin l'abolition du droit de prise, si à charge surtout aux habitants des campagnes : car cette partie des promesses faites au temps du roi Jean n’avait pas reçu son accomplissement [6].

Tout fut accordé, ou du moins promis : une ordonnance confirma celle qui avait été arrachée par l’émeute populaire, notamment en ce qui concernait les libertés et franchises des trois ordres, réservant seulement au roi les rentes foncières, les péages, les droits établis sur les marchandises exportées du royaume, et les taxes imposées sur les commerçans génois, lombards et autres étrangers, tous objets qui faisaient partie des revenus des domaines. Ces dispositions, adoptées dans le conseil et signées par les oncles du roi, étaient bien opposées à leurs intentions, et surtout au désir qui tourmentait le duc d’Anjou de grossir le trésor, qu’il destinait à son expédition dans le royaume de Naples[7].


1381.- Après avoir vainement essayé de la voie des négociations « avec les plus notables de chaque estat à Paris, » le duc crut qu’il pouvait violer impunément une promesse aussi solennelle et aussi récente, mais qui n’était à ses yeux qu’une concession faite à la nécessité du moment. Il mit en usage une ruse bien peu digne du gouvernement, et qui fut suivie de grands malheurs.

La ferme des impôts fut adjugée à huis-clos dans le Châtelet. Il fallait, pour se conformer à l’usage, que l’établissement des taxes affermées fût annoncé publiquement avant d'en commencer la perception. Un huissier, déterminé par une forte somme d’argent, se chargea de cette dangereuse publication. Monté sur un bon cheval, il vient aux halles, crie qu’on a volé la vaisselle du roi, et promet une récompense pour ceux qui découvriront les voleurs. On s’assemble autour de lui et pendant qu’on raisonne sur ce prétendu vol, il pique son cheval, et publie, en courent, que le lendemain on lèvera les impôts. Le lendemain, en effet, les collecteurs se présentent. L’un d’eux veut exiger le paiement des droits d’une marchande d’herbe : il est tué aussitôt; et ce premier meurtre devient comme le signal de la sédition connue sous le nom des maillotins. La populace furieuse crie aux armes; ceux qui n’en ont pas se saisissent de maillets de plomb fabriqués par l'ordre de Charles V pour la défense de Paris, et qui étaient déposés à l’Hôtel-de-Ville. Les prisons sont ouvertes; et, pendant plusieurs jours, la capitale est en proie aux massacres et au pillage.

Sur ces entrefaites, une révolte avait lieu à Rouen. La populace, ayant tué les receveurs des aides et des gabelles, décora du titre de roi un gros marchand, et, après l'avoir promené en triomphe, le contraignit de prononcer l’abolition des impôts. Charles VI se rendit dans cette ville, où il déploya d’abord l'appareil d’une grande sévérité pour intimider les factieux; mais à la suite de quelques exemples qui tombèrent, sur les plus mutins, le paiement de fortes amendes et la promesse faite par les habitants de fournir certains subsides furent le prix d’une amnistie qui rétablit la tranquillité[8].

On usait de ménagements envers Paris, dans la crainte d’exciter une nouvelle sédition qui menaçait d'être plus furieuse que la précédente; et les condamnations qui avaient été prononcées s’exécutaient en secret[9].


1382.-Une trêve d’un an avait été conclue avec les Anglais; mais l'intérêt particulier du duc de Bourgogne voulait que l'on réprimât la révolte des Flamands soulevés contre l’exigence de leur comte, dont la fille et l'unique héritière était mariée à l'oncle du roi. Il n’importait pas moins à la tranquillité du royaume de punir les Gantois, que les communes de France prenaient pour exemple dans la défense des franchises qu’elles réclamaient en matière d'impôts. Les revenus du domaine et les taxes qui restaient à la couronne étaient insuffisants pour entreprendre une guerre qui voulait des ressources extraordinaires. Dans la vue de les obtenir, on eut de nouveau recours à une assemblée des états-généraux. Aux représentations qu’on leur fit sur la nécessité d’augmenter les revenus par des secours les députés des villes répondirent qu'ils avaient ordre d’entendre seulement ce qu’on leur proposerait, sans rien conclure; qu’ils feraient leur rapport à leurs concitoyens, et qu’ils ne négligeraient rien pour les déterminer à se conformer à l’intention du roi. Les députés de Paris consentaient seuls à une imposition. Une nouvelle réunion de l’assemblée fut indiquée à Meaux. Les députés qui s'y rendirent déclarèrent qu’on ne pouvait vaincre l’opposition générale des peuples au rétablissement des subsides; et qu’ils étaient résolus de se porter aux dernières extrémités pour l’empêcher. On sut même que les députés de Sens avaient été désavoués pour avoir outrepassé leurs pouvoirs[10].

Les troubles cependant continuaient dans Paris, que le roi avait quitté. On négocia, mais inutilement d’abord. Les demandes de la cour se réduisaient pourtant à l’établissement de la gabelle et de la douane. Le duc d’Anjou, irrité de la résistance qu’il rencontrait, fit piller et ravager par ses troupes les environs de la capitale. La campagne, désolée, fut abandonnée. Alors les plus riches bourgeois, très innocents de la révolte, mais qui en supportaient le châtiment dans la dévastation de leurs propriétés, se concertèrent sur les moyens de ramener la tranquillité. Ils annoncèrent que les habitants de Paris partageraient volontiers la dépense des troupes avec les autres villes du royaume, et que, si le roi voulait ne pas rétablir les gabelles, impositions, aides et autres subsides, ils s’engageraient à contribuer par semaine pour une somme de dix mille francs dont ils feraient entre eux la répartition, et qui serait conservée par un trésorier qu’ils choisiraient, pour être uniquement employée à la solde des gens de guerre lorsqu’il en serait levé, « sans que rien de ces fonds pust venir et tourner au proufict du roi ne de ses oncles. » Ces offres furent acceptées, dans l'espérance que les autres villes suivraient l'exemple de la capitale « et que l'on auroit mieux quand on pourroit. » Le traité s’observa religieusement à l’égard du roi. Une disposition de cent mille francs qu’il fit sur le trésorier de Paris ne fut pas acquittée; mais on se montra moins scrupuleux à l’égard du duc d’Anjou. « Il fist tant par beau langaige, » qu’il obtint pour son compte cette même somme que l'on venait de refuser au roi. Ce fut la dernière que ce prince enleva aux Parisiens. Guidé par sa funeste ambition, il alla ensevelir en Italie, avec sa personne, une armée et les trésors dont il avait privé la France[11]. Pendant que le roi et le duc de Bourgogne dirigeaient l'expédition contre la Flandre, les Parisiens, voyant leur propre cause dans celle des Flamands insurgés, se munissaient d’armes en attendant l'issue de la guerre. A Rouen, à Reims, à Troyes, à Orléans, à Blois et dans d’autres villes, la révolte s’organisait pour s’opposer par la force au rétablissement des impositions; et dans la Champagne, dans le Beauvoisis, en. Normandie, les paysans vassaux menaçaient la noblesse de renouveler les horreurs de la Jacquerie si le sort des armes favorisait les Flamand; Tout annonçait une vaste conspiration des communes et des serfs contre l’autorité royale et contre » la noblesse; mais la bataille de Rosebèque, où les Flamands furent complètement défaits, prévint les événements les plus funestes en portant le découragement et la crainte dans l’esprit des séditieux du royaume[12].

Après que l'armée victorieuse eut pris possession de Paris comme d'une ville conquise, le gouvernement, voulant punir ses habitants et « garder ce peuple de rencheoir en telles et semblables rebellions, maléfices et desobeissances », désarma les bourgeois, et trois cents des plus riches furent noyés, pendus ou décapités sans autre forme de procès[13].


1383.-Au milieu de la consternation dont ces exécutions frappaient les esprits, on assembla les bourgeois des deux sexes dans la cour du palais : là, en présence du roi et des princes, le chancelier de France fit l’énumération des nombreuses révoltes dont Paris avait été le théâtre, en remontant jusqu’au règne du roi Jean, et peignit des couleurs les plus fortes ces attentats et les supplices qui devaient les punir. Les assistants, frappés de terreur, n’attendaient plus que leur sentence, lorsque que les deux oncles du jeune Charles VI, se jetant à ses genoux, unissent leurs prières aux cris des femmes qui demandent miséricorde. Alors le chancelier annonce que le roi se laisse fléchir, et qu’il change en amendes pécuniaires la peine de mort que le peuple avait méritée. « C’était -là, dit Mézerai, le vrai sujet de cette pièce de théâtre. » Les amendes furent excessives; les plus favorablement traités y perdirent la moitié de leurs biens : elles s’élevèrent, dans Paris seulement, à quatre cent mille francs. La ville se vit privée de ses magistrats, et dépouillée de ses privilèges et de ses revenus, qui furent réunis au domaine; les corps de métiers perdirent leurs communautés et les droits pécuniaires qui leur appartenaient. On punit avec la même sévérité Rouen, Reims, Troyes, Châlons, Orléans, Sens, des villes d’Auvergne, de Languedoc, du Poitou et leurs habitants; partout les amendes furent énormes, « et tout alloit au proufict du duc de Berry et du duc de Bourgogne : car le jeune roi estoit en leur gouvernement[14].  »

D’un autre côté, les gens de guerre qui avaient fait la campagne de Flandre, payés de leur solde arriérée en assignations qui ne se réalisaient pas, vivaient à discrétion chez les cultivateurs, qu’ils ruinaient; et dans la Guyenne, le Poitou, le Berry et l’Auvergne, des bandes de paysans révoltés, que l’on nommait les tuchins, ne faisaient aucun quartier à ceux qui n’avaient pas les mains calleuses[15].

Les princes, profitant de cette anarchie et de la terreur qu’inspiraient tant de mesures violentes, firent ordonner, « en raison de la souveraineté royale, » que les gabelles, les aides, les fouages ou tailles, et tous les autres subsides qui avaient été abolis, fussent rétablis et perçus dans le Languedoc comme dans les autres provinces du royaume, sans exception des personnes précédemment exemptes. Les édits ne fixaient pas de limites à la durée des impôts[16].

Non seulement les anciennes perceptions se poursuivirent avec rigueur, mais plusieurs s’élevèrent ou s’étendirent. Le droit sur les vins et autres boissons, du treizième qu’il était, fut porté au huitième; on assujettit le pain à la taxe du douze deniers pour livre qui existait sur les marchandises et menues denrées; et la gabelle s’établit à raison de vingt francs d'or par muid du poids de soixante quintaux, au lieu du cinquième du prix de vente que l’on payait précédemment sur le sel.

Pendant la lutte qui s’était élevée entre les peuples et les représentants de la puissance royale, plusieurs provinces, l’Artois et le Dauphiné, avaient continué d’octroyer des subsides annuels. Par cette contribution volontaire, qui se composait de taxes choisies suivant les contenances des habitants, et recouvrées par des collecteurs de leur choix, ces provinces conservèrent l’usage de leurs assemblées des trois états, et la faculté de porter leurs réclamations au pied du trône. Elles obtenaient en même temps la confirmation d’immunité de tous les impôts, redevances, corvées, prises de denrées et de marchandises, que la volonté des princes qui gouvernaient la France avait rétablis sur le reste du royaume. Dans le même temps, la gabelle était modifiée pour les habitants du Poitou et de la Saintonge à un droit de cinq sols pour livre à chaque revente du sel, après l’enlèvement des marais salants, pour lequel on payait moitié du prix d’achat. Mais le Languedoc, privé de l’usage de ses assemblées provinciales, fut pour un temps assimilé au reste du royaume en tout ce qui concernait les aidés, les gabelles, tailles, fouages et autres subsides[17].

Les généraux des finances, nommés aussi conseillers généraux sur le fait des aides, et qui, à cette époque, se réunissaient en chambre des aides et jugeaient en dernier ressort, furent investis du pouvoir d’étendre, de réduire et d’interpréter les règlements et instructions concernant la levée de ces impositions de guerre. Ils jouissaient, depuis leur institution, de l’exemption des droits de vente en gros pour les vins de leur crû. Le parlement, qui déjà cherchait à se distinguer, par des privilèges, de la classe du peuple d’où il était sorti, obtint la même immunité pour ses membres, et peu après elle fut étendue aux huissiers de cette cour. On accorda à la chambre des comptes l’exemption des tailles et des subsides rétablis; les mêmes faveurs s’étendirent aux écoliers, aux maîtres de l’université et à tous ses officiers[18].

1385 - 1386.- Les impôts toutefois ne restèrent pas long-temps au taux où on les avait portés : tous furent augmentés de moitié, et le droit de gabelle élevé de vingt à quarante francs d'or par muid, à l’occasion des immenses préparatifs qui se renouvelèrent à différents temps pour une descente en Angleterre. Ces expéditions, au lieu d’être préparées dans le secret et avec économie, comme celle que Charles V avait dirigée, ne servaient qu’à déployer la prodigalité d'une administration désordonnée, dans des armements qui coûtèrent trois millions au royaumes. Tout se réduisit à des démonstrations qui répandirent une inquiétude momentanée en Angleterre, et livrèrent les habitants de la France aux caprices d’une soldatesque indisciplinée et aux rigueurs des agents du fisc. Le duc de Berri, jaloux d’une entreprise dont il n’avait pas donné l’idée, différa son arrivée jusqu’à la mauvaise saison; et le duc de Bourgogne, toujours plus attaché à ses intérêts qu’à ceux du royaume, obtint qu’une partie de l’armée qui avait été destinée pour la descente en angleterre fût employée contre la Flandre, encore révoltée, et qui lui appartenait depuis la mort de son beau-père[19].

Le clergé ne fut pas exempt, sous ce règne, des persécutions que l’énormité des impôts et l’avidité des traitants attiraient sur les classes non exemptes : poursuivis, saisis dans leurs biens par les collecteurs du pape pour le paiement des décimes, procurations, services, et premiers fruits des bénéfices, que Clément VII faisait lever dans le royaume, les ecclésiastiques durent aussi payer à l’état une demi-décime que ce pape accorda au roi. Ils étaient, de plus, tenus au paiement de toutes les aides de guerre. Plus tard, pendant le schisme qui déchira l’Église, lorsque le royaume fut soustrait l'obédience de Benoît XIII, une assemblée du clergé consentit librement au paiement des nouvelles taxes pour trois années, mais en stipulant la réserve des franchises et immunités des membres de l’Église, et sous la condition que le recouvrement et les poursuites se feraient par des ecclésiastiques, sans l’intervention de l’autorité séculière[20].

Tant de ressources auraient dû suffire aux frais des armements; mais elles ne pouvaient satisfaire l'insatiable avidité des ducs. On fit un emprunt forcé, expédient qui n’était pas nouveau, mais dont on trouve, pour la première fois, à cette époque, le mode d’exécution. Une liste de bourgeois aisés et des sommes qu’ils devaient prêter fut remise aux receveurs; le terme du remboursement y était indiqué, mais sans intérêts. Le roi s’engagea personnellement sur sa parole d’honneur, et la remplit fidèlement.


1388.- Charles VI cependant, parvenu à vingt et un ans, commençait à supporter impatiemment la tutelle de ses oncles. Eclairé d’ailleurs sur les abus de leur administration, il annonça l’intention de gouverner par lui-même. Les ducs de Bourgogne et de Berri s’éloignèrent mécontents d’une cour où ils allaient être sans influence. Ce changement valut aux peuples un léger soulagement par la réforme des additions qui avaient été apportées depuis plusieurs années aux aides et à la gabelle, et la satisfaction stérile de voir rechercher et punir par de nouveaux réformateurs les malversations commises dans la répartition des tailles, dans le recouvrement des aides, et dans le paiement des gens d’armes. Afin d’ôter tout prétexte aux rapines des soldats, on ordonna que le produit d’une taille générale serait affecté à leur entretien; et durant une trêve de trois années, qui fut conclue avec l’Angleterre, plusieurs règlements sur la police et les finances annonçaient les bonnes intentions qui animaient le duc de Bourbon, que le roi avait retenu près de sa personne pour l’aider dans les soins du gouvernement.


1389. - Pendant un voyage que Charles VI fit dans le midi de la France, il délivre l’Auvergne et le Languedoc des exactions violentes du duc de Berri, qui avait le gouvernement de ces provinces. Lorsque les vassaux opprimés se plaignaient de l'excès des impositions, le prince doublait la somme, et punissait la résistance par des amendes, par la prison et même par la mort. Plus de quarante mille habitants, fuyant la tyrannie, étaient allés en Arragon chercher une meilleure patrie. Le ministre et l’instrument de tant de violences fut condamné au dernier supplice, et le duc, privé d’abord de son gouvernement, l'obtint de nouveau quelques années plus tard[21].


1392.- Les concussions et les désordres que le roi punissait dans une province s’étendirent peu après sur le royaume, lorsqu’à la faveur du délire qui affligea la vie de Charles VI, les dépenses déjà immodérées de la cour et du gouvernement furent livrées à l’influence que prit sur les affaires le duc d’Orléans, « qui succéda à son oncle le duc d’Anjou, et même le surpassa dans l'injuste désir de piller la France, et de ravir le bien d’autrui. »

Le commerce de transit fut grevé d’une addition au droit d’imposition foraine de six, puis de douze deniers pour livre, sur les draps et les denrées qui traversaient le royaume pour sortir par la Seine, par le Rhône ou par le port d’Aigues-Mortes. A cette occasion, le fermier obtint l’autorisation de visiter les ballorts, et de confisquer les marchandises faussement déclarées. L’imposition foraine, de même que les autres droits de douanes, fut déclarée droit domanial, bien qu’établie d’abord par forme d’aide, ce qui annonçait une durée temporaire. Elle se perpétua et s’accrut comme les taxes sur les boissons et les autres consommations [22].


1395.- Les Juifs, bannis de nouveau du royaume, se virent dépouillés de leurs créances par l’édit qui déclara leurs débiteurs quittes de tous engagements envers eux [23].


1396.- A l’occasion du mariage d'Isabelle de France, fille de Charles VI, avec Richard d’Angleterre, qui fut annoncé comme le gage d’une trêve de trente années entre les deux puissances, on promit une modération du tiers sur la gabelle, et de moitié sur la taxe des vins et liqueurs; mais en même temps on établit au nom du roi, « conformément au droit, à la raison et à l’exemple de ses prédécesseurs, » une taille générale. Le produit dut en être considérable, à en juger par son objet, qui était le paiement de la dot, fixée à la somme d’un million, et les dépenses occasionnées par la réception magnifique qui fut faite aux envoyés du jeune roi Richard, que l'on défraya, et qui recevaient encore deux cents écus par jour [24].


1598.- Dans le même temps, on commençait la levée de fortes contributions pour la délivrance des prisonniers chrétiens en Orient, et pour les secours accordés à l’empereur de Constantinople, que menaçaient les Turcs. Très peu de ces subsides parvinrent à leur destination. Une grande partie de leurs produits servit à payer les premiers frais d’une entreprise chevaleresque à la tête de laquelle était Jean, fils du duc de Bourgogne, qui fut prisonnier de Bajazet; et, dix années encore après le commencement de ces perceptions, les receveurs, tant français que grecs, étaient recherchés et poursuivis dans les différentes provinces du royaume où ils s’étaient retirés afin d’éviter de rendre compte [25].

Ces exactions multipliées n’étaient que le prélude de calamités plus grandes qui allaient affliger la France pendant les fréquentes aliénations d’esprit qu’éprouva l'infortuné Charles VI. Bientôt le royaume fut en proie à toutes les déprédations, à tous les désordres, pendant la guerre civile que la rivalité ides maisons de Bourgogne et d’Orléans alluma. A la faveur des partis qui déchiraient l’état, les seigneurs et leurs adhérents, maîtres de l’administration des provinces, sous le titre de lieutenants du roi et de capitaines généraux, s’attribuant le produit des aides, des tailles et des domaines, qu’ils employaient au soutien de leurs funestes querelles, faisaient rétrograder l’état vers ces temps malheureux qui avaient marqué le déclin de la seconde race. De leur côté, les princes, chefs des factions opposées qui ruinaient la patrie, semblaient n’aspirer au gouvernement que pour s’emparer du maniement des finances; véritable sceptre du pouvoir usurpé. Dans les révolutions rapides que la force ou la ruse opérait, le parti triomphant manifestait son avènement à l’autorité par de nouvelles impositions, dont une révolution contraire livrait le produit au parti opposé.

1404.- On vit le duc d’Orléans, devenu maître de Paris pendant l’absence du duc de Bourgogne, enlever de la tour du Louvre un trésor formé au moyen d’un subside qui avait été imposé sous le faux prétexte d’une rupture avec l’Angleterre ; et, quelques années après (1409), le duc de Bourgogne levait une aide pour racheter aux Anglais plusieurs places fortes dont ils s’étaient emparés à la faveur des troubles.

À tant de concussions, à l’abus des décharges mensongères surprises à un roi insensé pour couvrir la spoliation du trésor, le maître actuel du pouvoir ajoutait les confiscations, les emprunts forcés, la violation des dépôts judiciaires dans toutes les villes, enfin la recherche productive des financiers infidèles, moyen moins inique, peut-être ; si les dépouilles du surintendant Montaigu, et des traitants enrichis sous ses ordres, avaient, en retournant à l’état, épargné de nouvelles charges aux peuples, et si d’honnêtes bourgeois, dont le seul crime était de posséder quelque bien, n’eussent pas été confondus avec les spoliateurs de la fortune publique. Dans les campagnes, le cultivateur, victime des rapines que les différents partis exerçaient tour à tour, laissait la terre sans culture pour ne plus voir sa récolte détruite par des brigands armés ; et la défense d’exporter les grains du royaume n’offrit qu’un remède impuissant contre la famine qui fut la suite de tant d’excès[26].


1412-1413.- Dans une assemblée des députés des cours souveraines, de l’université, des notables de Paris et d’autres villes, réunis à Auxerre, à l’occasion d’une réconciliation qui venait d’être jurée entre les maisons de Bourgogne et d’Orléans, des plaintes avaient été portées contre les désordres du gouvernement. Ou en renvoya l’examen à une assemblée plus nombreuse, dont la réunion eut lieu peu après à Paris (1413), et qui, bien qu’elle eût été composée de notables choisis sous l’influence du duc Jean de Bourgogne, fut qualifiée d’assemblée d’états-généraux.

Des harangues véhémentes peignirent les malheurs du royaume, effet de l’ambition des princes, et signalèrent les déprédations et les désordres attribués à la cupidité des officiers de la couronne ; « le luxe et les violences des trésoriers, des généraux des aides, des receveurs généraux, grenetiers et de tous autres qui avaient part au maniement des finances. » Plusieurs de ces derniers furent éloignés. Une longue ordonnance, publiée en lit de justice, annonça les dispositions utiles sur la police et les finances; mais des troubles accompagnés de proscriptions et de massacres en rendirent les dispositions sans effet. De nouvelles taxes furent établies dans le royaume. A Paris, les bouchers, qui maîtrisaient la ville par la terreur et les assassinats, furent chargés du recouvrement : ils traînaient en prison sans pitié les personnes qui ne payaient pas sur-le-champ, quels que fussent l'âge, le rang ou la condition. Au nombre des perceptions qui prirent naissance à cette époque figure le dixième du produit purifié des mines d’argent que s’attribuaient les seigneurs, et qui fut revendiqué au nom du roi en raison de la protection qu’il accordait aux mineurs, étrangers pour la plupart[27].

Ces impôts et le produit de l’altération des monnaies, avec celui des aliénations, au lieu d’être employés aux besoins les plus pressante de l’état, servirent à soudoyer la populace de Paris, instrument aveugle des desseins du duc de Bourgogne. Les forteresses dégarnies, les provinces laissées sans défense, étaient abandonnées aux entreprises que ne cessaient de faire les Anglais dans le midi et vers le nord de la France. Une armée nombreuse les atteignit dans la Picardie, qu'i1s traversaient en vainqueurs. Mais ces troupes, assemblées à la hâte, et commandées par des chefs insubordonnés, essuyèrent une défaite totale à la bataille d’Azincourt (1415), où périt l'élite de la noblesse française. Peu de temps après, une flotte eut le même sort. Elle avait été formée de vaisseaux et de marins achetés à l'Écosse, à la Bretagne, aux Génois et à l’Espagne, et payée avec les fonds obtenus par l'aliénation des domaines, par de nouveaux impôts sur les laïcs, par un équivalent ou aide représentant le dixième de tous les bénéfices ecclésiastiques du royaume, et par la vente ou l’engagement des joyaux de la couronne.


1419.- A cette funeste époque de désastres et de discordes civiles, le dauphin, qui fut roi depuis sous le nom de Charles VII, obtint la régence en qualité de lieutenant-général de son père. En conséquence de ce choix le roi révoqua les pouvoirs que plusieurs années auparavant il avait conférés au même titre à la reine Isabelle. Cette princesse, ambitieuse et désordonnée, jusque alors ennemie du duc de Bourgogne, se ligua avec lui. Dans ce déchirement du pouvoir, le parti le moins fort, dans la vue d’enlever des partisans à ses ennemis, annonçait l’intention de soulager les peuples, en s’opposant à la levée des impôts dont ils étaient accablés. Ainsi, pendant que le dauphin, ou plutôt les Armagnacs, gouvernaient à Paris, la reine, retirée à Troyes (1418), promettait aux habitants. de l’Auvergne, de la Guyenne et du Languedoc, l’abolition de tous les impôts ayant cours, à l’exception seulement de la gabelle, s’i1s voulaient reconnaître l’autorité qu’elle et le duc usurpaient. Les villes du Languedoc, séduites par cet appât, et sous prétexte que les officiers du roi ne leur permettaient pas de délibérer sur la proposition qui leur était faite, obtinrent de convoquer l’assemblée des trois états de la province, toutes les fois que bon leur semblerait; et l’immunité d'impôts qui leur avait été promise devint le prix de leur adhésion momentanée au parti de la reine. Peu de temps après, les chefs bourguignons ayant occupé la capitale, le dauphin, éloigné de la cour et de l’administration, exagérait encore aux sujets le fardeau des taxes que lui-même avait établies. A son tour il en promettait la remise à tous les pays qui n’étaient plus sous sa puissance, tout en les maintenant, autant que l’état des affaires le permettait, dans les provinces qui lui restaient soumises[28].

Favorisés par ces dissensions, les Anglais étendaient leurs conquêtes. La conduite quel Henri V, leur roi, tenait dans la Normandie, donne la mesure de la confiance que méritent les promesses faites aux peuples par les prétendants au pouvoir. ce prince flattait la province retranchement prochain d'une partie des subsides, et cependant il lui imposait un fort emprunt forcé.


1419-1420. Après l’assassinat du duc de Bourgogne à Montereau, son fils et la reine Elisabelle, poussés par l’esprit de vengeance, qui, pour des motifs différents, les portait à fermer le chemin du trône au dauphin signèrent, par procuration du roi, le trop fameux traité de Troyes; traités honteux pour les membres des cours souveraines, de l'université, du chapitre de l’église de Paris, des députée de cette ville et des autres cités du royaume, qui en avaient posé les bases. D’après cet acte, Charles VI, en mariant la princesse Catherine, sa dernière fille, à Henri V, déclarait ce prince régent, se réservant la royauté jusqu'à sa mort, après laquelle la couronne de France appartiendrait au roi d’Angleterre et à ses héritiers, à l’exclusion du dauphin. De son côté, Henri V s’engageait à maintenir la cour du parlement dans l’autorité et la souveraineté dont elle jouissait dans ce royaume; à conserver à la noblesse, aux cités, villes et communautés, ainsi qu’aux personnes, les droits, coutumes, privilèges, prééminences, libertés et franchises qui leur appartenaient ou qui leur étaient dus; à gouverner le royaume selon les droits et coutumes établie; à réduire les places et les provinces encore occupées par le dauphin; à n’établir ni faire lever aucunes impositions ou exactions sur les sujets, sans cause raisonnable et nécessaire, ni autrement que pour le bien public du royaume, et selon l’ordonnance et exigence des lois et coutumes raisonnables et approuvées dudit royaume. » Afin. de maintenir la paix et la concorde entre la France et l’Angleterre, on stipulait de plus qu’à l’avènement de Henri V au trône il serait, « de l'avis et consentement des trois estats des deux royaumes, » pris les mesures nécessaires pour que les deux couronnes soient à toujours et non divisément réunies sur la tête de Henri ou de ses descendants, en conservant toutefois à chaque royaume ses lois et coutumes, sans qu’il pût être soumis aux lois, coutumes et usages de l’autre[29].


1420.- Le roi d’Angleterre, déjà possesseur de la moitié de la France, obtint à la faveur de ce traité les subsides qui lui devenaient indispensables pour achever la conquête du royaume. Une assemblée des députés des trois ordres à laquelle on donna le nom d'états-généraux, docile aux volontés du nouveau maître, autorisa une taxe générale sous la forme expéditive d’emprunt forcé, et une refonte des monnaies. Cette dernière opération, aussi simple que lucrative pour le fisc, y fit entrer en bénéfice le huitième de l'argent monnoyé du royaume : elle consistait à décrier les espèces en cours; à les racheter sur le pied de sept livres le marc, pour les remettre en circulation après la refonte, au taux de huit livres. Aucun des corps privilégiés ne fut exempt de l’emprunt forcé. L’université, habituée à l’influence qu’elle avait plusieurs fois exercée dans des remontrances au sujet des impôts, voulut invoquer ses privilèges; mais Henri V imposa silence à ses députés[30].

A l’égard des taxes précédemment établies, et qui, nonobstant leurs dénominations d’aides et de subsides extraordinaires, était devenues des impôts habituels, les produits en étaient à peu près nuls, soit par l'effet des dilapidations ou de la détresse trop réelle où se trouvait la nation, soit parce que des provinces entières invoquaient, pour s'en affranchir, les remises qu’elles avaient obtenues. Henri V, dans la vue sans doute de rétablir sans difficulté le cours des perceptions, usa d’abord de quelques ménagements. Des ordres donnés au nom de Charles VI, et dans lesquels on paraissait s'appuyer de l’autorité des derniers états-généraux, prorogeaient dans tout le royaume, et pour un an seulement, la levée du quatrième sur les vins et les autres boissons, de la gabelle et des douze deniers pour livre sur les marchandises et denrées; mais les grains, les farines, la pain, les légumes et les autres vivres et menues denrées qui se portent journellement sur les marchés furent exceptés de la taxe : les produits durent en être donnés à ferme. Peu de mois après ces ordres, et probablement à la suite des instances que faisaient les Normands pour jouir de l'exemption d’impôts dont Henri les avait flattés, ce prince ordonna que la gabelle et le quatrième des boissons continueraient d’être perçus dans ses pays de France et de Normandie, ainsi que parle passé ; « et tant comme bon lui sembleroit[31]. »

Le maintien des impositions, en exposant dans ces temps de désordres les peuples aux concussions des traitants, ne les délivrait ni des vexations des gens de guerre ni de la mutation des monnaies. Cette dernière opération, si facile et si pernicieuse; occupait, comme à l'envi, Henri V et le dauphin Charles, que ses ennemis nommaient par dérision le roi de Bourges. Elle fut, avec les emprunts et l'aliénation des biens et des revenus du domaine, la principale ressource de ce prince long-temps après que la mort de son père l'eut appelé au trône, sous le nom de Charles VII.


1422.- Dans ces moments de calamités publiques, cependant, la nécessité resserra les nœuds qui doivent unir la nation au monarque, et que, pour le malheur de la patrie, la violence des princes du sang royal avait rompus sous le règne précédent. Charles VII obtint d’abord une aide d’une assemblée des trois états, qu’il réunit à Bourges. Peu après (1425), les trois états de Languedoc, convoqués à Carcassonne, lui accordèrent deux cent mille livres tournois d’abord, puis, d’autres secours annuels (1426). A l’occasion d’une aide de cent cinquante mille livres tournois, le lieutenant du roi leva vingt-deux mille livres en sus, au profit du comte d’Armagnac. Sur la réclamation des états, invoquant le privilège qu’ils possédaient de n’être imposés, pour quelque cause que ce fût, que du consentement des députés des trois ordres, le roi reconnut les privilèges de la province, déclara que l'imposition avait été levée à son insu et ordonna que le recouvrement en serait suspendu jusqu’à l’assemblée de l’année suivante. Enfin, au moment où les Anglais se disposaient à faire le siège d’Orléans (1428), les états-généraux des pays qui restaient à Charles VII, réunis à Chinon, votèrent un subside de quatre cent mille livres, payable moitié par le Languedoc et le Dauphiné, moitié par la Langue-d’Oyl [32].


1455.- Un accord fait avec le duc de Bretagne, et, dans la suite, le traité de réconciliation qui fut conclu à Arras entre Charles VII et Philippe-le-Bon, duc de Bourgogne, hâtèrent la rentrée du roi dans sa capitale, en affaiblissant le parti des Anglais en France. Par ce traité le duc de Bourgogne était mis à jamais en possession, pour lui et ses hoirs mâles ou femelles, des comté et duché de Bourgogne, du comté de Mâcon, de la Picardie, de l’Artois, du comté de Boulogne, et des cités, villes, forteresses, situées dans ces provinces; terres, rentes, droits et profits quelconques qui y appartenaient à la couronne, ainsi que des aides, revenus et autres, impositions qui s’y percevaient. En outre, le duc n’était tenu ni de foi et hommage, ni d’aucun service envers Charles VII, pour les terres et seigneuries qu’il possédait en France; et ses sujets étaient dispensés de l’obligation de s’armer au commandement du roi. Par ces concessions, la maison de Bourgogne, qui possédait encore la Flandre et les Pays-Bas, devint sinon supérieure du moins l’égale des rois de France en force et en finances. Une clause du traité laissait à la couronne l'expectative de rentrer en possession de la Picardie et de ses revenus, moyennant une somme de quatre cent mille écus d'or pour le rachat : cette province, était donc plus exactement engagée que donnée[33].


1435-1437.- Pour conquérir. la paix, il restait à Charles VII à expulser entièrement les Anglais, qui, maîtres de la Guyenne et de la Normandie, occupaient encore plusieurs places sur la Loire. Des aides fournirent au roi les ressources qui lui étaient si nécessaires. Il rétablit ces impositions dans les pays de son obéissance, du consentement des trois états de la Langue-d’Oyl et du Languedoc[34], qui, cette fois, s'assemblèrent séparément. Elles consistaient en douze deniers à la vente et à la revente de toute denrée et marchandise au-dessus de cinq sous, dans un semblable droit sur les vins vendus en gros, et dans le huitième du prix du vin et de tout autre breuvage vendu en détail. Les marchandises et denrées d’un prix inférieur à cinq sous ne payaient le droit qu’à la revente. Les aides devaient être régies par des commissaires, au données à ferme, mais pour un an seulement; et les adjudicataires pouvaient être dépossédés par un doublement ou un tiercement.

Étaient formellement exclus de la gestion, à titre de régisseur ou de fermier, les ecclésiastiques, les nobles, les officiers au roi et ceux des grands seigneurs. Cette exclusion était dictée, sans doute, par l’expérience précédemment faite des inconvénients qui résultaient de l’admission de personnes puissantes au maniement des deniers publics. Les règlements concernant la perception de ce subside n’accordent l’exemption des taxes qu'aux « nobles vivant noblement et poursuivant armes, ou qui, par ancienneté, ne les peuvent poursuivre. » Nonobstant cette règle, la nécessité des circonstances, la faveur et l’importunité arrachèrent à la libéralité du prince des exceptions qui durent atténuer de beaucoup la ressource que promettaient les aides. Des seigneurs dont il fallut acheter le service, de riches abbayes, des corps influents, tels que l’université et les cours de magistrature, obtinrent l'immunité des taxes. Beaucoup de villes et des provinces entières jouirent de réductions, d’abonnement ou d’exemptions totales[35].

De ces dernières concessions, les unes étaient faîtes à titre d’octroi aux communes, à charge par elles de pourvoir aux réparations des murailles qui les protégeaient; d’autres furent accordées comme une récompense due à la fidélité gardée pendant l’occupation étrangère; d’autres conservèrent à des places nouvellement soumises les privilèges que les Anglais avaient consentis dans les derniers temps, afin de se ménager l'affectíon des peuples; ailleurs elles furent stipulées dans la capitulation, ou revendiquées comme un droit anciennement acquis.

Paris méritait des ménagements en raison de ses malheurs. Cette ville, long-temps désolée par la guerre etla maladie, était en partie dépeuplée et couverte de ruines; des bandes de brigands infestaient ses environs, et les loups dévoraient les enfants jusque dans son enceinte. On y attira des habitants de la Normandie dépouillés de leurs biens par les Anglais, en leur accordant une exemption totale d'impôts pendant trois ans. Plus tard, tous les habitants jouirent de l'immunité des tailles, moyennant la restitution au roi d’un tiers du produit des aides accordées pour la guerre, et que ce prince fleur avait d’abord abandonné. Cette immunité temporaire dans son origine, se perpétua, et devint un privilège habituel de la capitale[36].


1443.- Les états de Languedoc se rachetèrent des aides par un équivalent, qui fut fixé d’abord à quatre vingt-trois mille livres tournois par an, somme qu'ils se procurèrent au moyen de taxes sur la viande fraîche et salée, sur le poisson et sur la vente du vin en détail. Cette faveur avait été précédée de la suppression de la taxe foraine et de droits à la sortie sur les blés et les vins, dont la province tenait à s’affranchir, parce que leur existence nuisait à son commerce avec l'étranger[37].

1451.- A l’époque de la soumission de Bordeaux, un traité fait avec les gens des « trois états de la ville et du Bordelais » garantit aux habitants l’immunité de toutes tailles, impositions, gabelles, fouages, équivalent, et de toutes autres subventions, à l’exception seulement des redevances anciennement en usage dans la ville et dans le pays. Les marchandises et les vivres arrivant tant par terre que par eau ne durent payer également que les droits acquis précédemment au souverain ou aux seigneurs. Mais la défection qui remit momentanément la capitale de la Guyenne aux Anglais (1452) fit perdre à la ville et à la province ces conditions favorables. A un droit de coutume que les propriétaires payaient à la vente du vin du crû, le roi substitua un droit perpétuel de vingt-cinq sous tournois pour chaque tonneau de vin chargé sur la Gironde, quelles qu'en fussent la provenance et la destination, et une taxe de quatre deniers en sus par tonneau vendu ou échangé à destination de l’étranger. De plus, les subsides que le roi tirait des autres parties du royaume durent être remplacés à Bordeaux par une taxe de douze deniers pour livre sur les denrées et marchandises arrivant dans la ville, ou en sortant, soit par terre, soit par eau, à la seule exception du poisson frais, de la viande fraîche, des œufs et des menues denrées. A ces fâcheuses conséquences de l’infidélité au souverain se joignit le paiement immédiat d’une somme de trente mille écus, à laquelle Charles VII réduisit l’imposition de cent mille écus qu’il avait d’abord exigée des Bordelais[38].

1458.- Le sort de la Normandie fut bien différent. Dans une assemblée des états qui eut lieu après l’expulsion des Anglais, les trois ordres firent des représentations contre les atteintes portées précédemment aux anciens privilèges de la province, notamment en matière d’impositions, et demandèrent au roi la confirmation et le renouvellement de la charte qui les avait reconnus sous Louis X. Charles VII déclara que, nonobstant une clause qui avait été introduite par Philippe VI, lui ni ses successeurs ne pourraient ni ne devraient rien exiger des biens et des personnes de la Normandie à titre de tailles, impositions, subventions ou exactions quelconques, au-delà des cens, rentes et services ordinaires dus à la couronne, à moins d’une utilité évidente et d’une urgente nécessité, et du consentement d’une assemblée des trois états[39].

De semblables privilèges dont jouissaient les habitants de la Bretagne avaient été pareillement confirmés, à la demande de leur duc (1446)[40].

À l’égard de la Bourgogne, de la Picardie et de l’Artois, le prince qui possédait ces provinces se crut sans doute autorisé par sa puissance autant que par son traité à s’affranchir de la suzeraineté de la France relativement aux impôts. Il n’existe du moins aucune stipulation à cet égard ; mais les Bourguignons conservèrent, sous leurs ducs, l’avantage de n’acquitter que les fouages et les autres subsides qui avaient été accordés par les états de la province. On sait seulement que, sur les observations faites par le duc de Bourgogne, en sa qualité de comte de Flandres, le roi affranchit de l’imposition foraine, ou droit de transit, que l’on percevait à Tournay, les blés, les grains et autres marchandises venant des terres de l’empire, et qui empruntaient le territoire de la France pour aller dans les Pays-Bas[41].

La législation sur les sels, déjà si variée dans les provinces, suivant qu’elles étaient passibles, exemptes ou rédimées de gabelles, éprouva, du temps de Charles VII, une nouvelle modification en Saintonge et dans le Poitou. La gabelle y fut remplacée par un droit de quart, lequel consistait en cinq sous pour livre tournois, payables à chaque vente, revente ou échange de cette denrée[42].

C’est ainsi que le défaut d’une loi unique et uniforme, en maintenant, contre le vœu déjà évident du trône, la diversité des conditions, et la multiplicité des impôts, perpétuait au préjudice des sujets l’inégalité des charges, l’élévation des frais de perception, les concussions que la variété des tributs favorise, et atténuait les ressources que l'état était en droit d’attendre des sacrifices de la nation. Nonobstant ces causes de confusion, et malgré les soins de la guerre, Charles VII s'occupait incessamment de réparer les désordres de l’administration, et d’adoucir les maux inséparables de longues hostilités, dont les intervalles avaient été marqués par des inondations, par la peste et la famine qui désolèrent la France entière[43].

Une suite de règlements prescrivit la recherche et la réunion au domaine des biens qui en avaient été détachés, et le recouvrement des droits, rentes et revenus; révoqua les dons, pensions et offices « que le roi avoit multipliés légèrement, et par importunité de requérant; » garantit le paiement des rentes anciennes; établit des contrôles pour les recettes; détermina le mode d’ordonnancement, d’acquittement et de justification des dépenses; ordonna la tenue des registres d’après lesquels on pût établir et présenter au roi la situation des finances, « quand bon lui sembleront; » fixa la forme et les époques de présentation des comptes à rendre par les dépositaires tant des deniers publics que des fonds affectés aux dépenses du roi et de la famille royale[44]. Les receveurs généraux et les trésoriers étaient tenus de dresser deux comptes : l'un par aperçu, au commencement de l’année; l’autre à la fin; présentant la réalité des opérations. Des ordonnances, qu’il fallut plusieurs fois réitérer, et qui n’eurent que peu d’effet, annoncèrent l’abolition des nombreux péages, passages et autres perceptions, en deniers ou en marchandises, que les seigneurs et les moindres châtelains avaient établis, pendant les troubles; sur les rivières navigables, sur les routes et sur les ponts, au détriment du commerce. Enfin, un édit remarquable par la sagesse de ses dispositions régla la marche à observer dans les procédures de tous les degrés; réprima les « malices et mangeries de la justice », et frappa de réprobation le trafic que des magistrats faisaient des offices de judicature. « Voulons et ordonnons, disait le roi, qu’iceux offices soient donnez et conférez à gens suffisants et idoines, liberalement et de notre grâce, et sans aucune chose en payer, afin que libéralement et sans exaction aucune ils administrent justice à nos subjects. »

Mais de tous les fléaux qui, durant quarante années, avaient désolé la France, les gens de guerre étaient les plus redoutables pour ceux qu’ils auraient dû défendre et protéger. Les armées, composées jusque alors de milices féodales et communales, levées et licenciées suivant la volonté ou les intérêts de leurs chefs et de bandes d’étrangers mercenaires, formaient autant de corps abandonnés au brigandage, à défaut d’une bonne discipline et d’une solde assurée. Non contents de vivre aux dépens des campagnes, les soldats et leurs capitaines se décoraient des noms d'écorcheurs et de retondeurs, pillaient les maisons, détruisaient par le fer et le feu les animaux, les récoltes, les vignes, les arbres fruitiers, et mettaient les habitants à rançon. Le tableau de ces excès fut tracé à Charles VII, dans des remontrances que lui présentèrent les trois états du royaume, réunis en assemblée générale à Orléans, en 1439. Plusieurs ordonnances furent rendues dans la vue d’arrêter ces désordres, et d’en prévenir le retour. Des grands du royaume et des membres des trois ordres concoururent la rédaction de la première. Ces lois réglèrent le mode de nomination des capitaines, la formation et la composition des nouvelles compagnies, leur habillement, leur solde. Elles prononçaient des peines pour les délits commis par les hommes de guerre, obligeaient les capitaines, sous leur responsabilité, de livrer les coupables aux tribunaux, et prescrivaient enfin toutes les mesures propres à introduire une bonne discipline dans l’armée. Le logement. et la nourriture des gens des guerre restèrent toutefois à la charge des habitants, le clergé excepté. A l'égard de leur solde, afin que le paiement n’en éprouvât plus de retard, le roi, réa1isant ce qu’avait entrepris le sage Charles V, et tenté Charles, VI, ordonna que le produit des tailles serait destiné uniquement au paiement de cette dépense. En même temps, défenses furent faites aux seigneurs dans les terres desquels les tailles seraient imposées pour les besoins de l'état d'en empêcher la levée, d'en retenir les deniers, ou de mettre aucune crue à leur profit, comme ils avaient coutume de le faire, et ce, sous peine de confiscation de tous leurs biens[45].

A partir de cette époque la taille, de passagère et de féodale qu’elle, était, devint une imposition royale, publique et permanente, en raison de l’affectation qui lui fut donnée. On peut croire, d’après Philippe de Commines, historien contemporain, que le roi gagna par des pensions les seigneurs opposés à une mesure qui les privait du droit acquis de tailler leurs hommes. Ce qui confirme cette opinion, c’est que l’arrangement commencé en 1439 ne fut consommé qu’en 1445; et les termes de l’ordonnance qui affecte l’impôt, des tailles à la solde des troupes semblent prouver en effet que cette mesure, prise d’après le vœu exprimé dans l’assemblée des trois ordres, ne fut exécutée qu’avec l’assentiment de personnes notables des trois états; Bien que la guerre n’eut pas permis de diminuer les droits d'aides ni de gabelle, et nonobstant l’épuisement des campagnes, la perception de la taille se fit sans opposition de la part des peuples : ils espéraient, en acquittant ce tribut permanent, se voir délivrés du pillage des gens de guerre, et des exactions des seigneurs. Cette attente ne fut pas trompée tant que vécut Charles VII. Il sut maintenir une exacte discipline parmi les troupes, et contenir les prétentions de la noblesse. « Nul seigneur n’eust osé lever argent en sa terre sans sa permission, laquelle il ne donnoit pas legerement. » Ce prince pouvait faire respecter son autorité, parce qu’il possédait dans des troupes réglées, dont les chefs étaient à son choix, les moyens d’assurer l’exécution des lois dictées par l’intérêt commun, qui aurait dû plus tôt et plus constamment unir le tiers-état et la royauté, celui de mettre des bornes à la puissance féodale en matière d’impôt; mais cette union ne devait pas durer.

En même temps que la couronne remportait le double avantage de former une armée indépendantes du caprice ou de la volonté de ses vassaux, et d'enlever aux seigneurs la ressources des tailles, les élus, dont les communautés faisaient choix depuis Saint-Louis pour répartir cette imposition, furent institués en titre d’office à la nomination du roi, « et demeura le nom d’elus jaçoit qu’ils ne feussent plus elus et nommez par le peuple. » Une première atteinte avait été portée à leur existence par le pouvoir accordé aux généraux des finances sous le règne de Charles VI, de destituer et de remplacer ces répartiteurs choisis par les contribuables; mais Charles VII, en détruisant une des plus sages institutions de Saint-Louis, enleva au peuple la satisfaction de voir répartir par des personnes de son choix un impôt dont l’assiette était déjà arbitraire de sa nature. Nonobstant les dispositions des règlements qui bornaient les exemptions aux seuls nobles et poursuivant armes, qui réglaient l’assiette des tailles, le mode de formation des rôles, de recouvrement et de contrainte, cette imposition devint promptement le fléau de l’agriculture, moins à cause de sa progression rapide qu’en raison des abus qui s’introduisirent dans sa répartition dès qu’elle fut remise aux élus royaux. Ces officiers furent aussi chargés de prononcer dans toutes les causes tant civiles que criminelles concernant la taille, les aides, la gabelle; et autres subventions « mises et à mettre pour le faict des guerres, tuition et defense du royaulme et des subjectz; » causes dont la connaissance appartenait précédemment aux juges ordinaires, à l’exception du cas d’appel, qui fut réservé aux généraux conseillers sur le fait des aides. Les élus se trouvèrent ainsi appelés à prononcer, quant aux tailles, sur des opérations qu’ils avaient préparées[46].

Sous ce règne, le montant de la taille n’excéda pas la somme de dix-huit cent mille livres à deux millions qui représentait la solde des corps nouvellement formés : imposition bien forte dans l’état d’épuisement où se trouvaient les provinces qui restaient à la couronne[47].


  1. Ordon. du Louvre, t. 6, p. 48, et préface, p. xij. — Mézerari.- Anquetil.
  2. Chronique de Froissard, t. 2. — Ordon. du Louvre, t. 6, p. xiij.
  3. Ordon. du Louvre, t.6, préface, p. xiv.
  4. Chronique de Froissard t. 2. — Mézerai. — Hist. de France par le comte de Boulainv. — Ordon. du Louvre t. 6, p. 527 et 564.- Le Guydon des finances, édition de 1644, p. 207.
  5. Ordon. du Louvre, t. 6, préface, p. xxj, 519 et 521.
  6. Ordon. du Louvre, t. 6, préface, p. xxij et 603.
  7. Ordon. du Louvre, : t. 6, préface, p.xxij, xxiij, 552, 564, 603, et t. 13, p. lxxxix. - Chronique de Froissard.
  8. Chronique de Froissard, t. 2. - Ordon. du Louvre, t. 5, préface, p. xxiv, 685, et t. 17, p. viij.
  9. Ordon. du Louvre, t. 6, p. xxvij.
  10. Chronique de Froissard, t. 2. - Ordon. du Louvre, préface du t. 6, p. xxx.
  11. Chronique de Froissard, t. 2. - Ordon. du Louvre, préface du t. 6, p. xxix et suiv.
  12. Hist. de France, par le comte de Boulainvilliers. - Chronique de Froissard, t. 2. - Ordon. du Louvre, t. 6, p. xxx.
  13. Chronique de Froissard, t. 2. - Ordon. du Louvre, préface du t. 6, p. xxxj, xxxij, et p. 685.
  14. Chronique de Froissard, t. 2. - OEuvres de Pasquier, t. 2, p. 279, A. — Ordon. du Louvre, t. 6, p. 6, 685 et suiv. - Mézerai, etc.
  15. Chronique de Froissard, t. 2. - Ordon. du Louvre t. 6, préface, p. xxxv, et t. 7, 187.
  16. Ordon. du Louvre, t. 7, p. 4, 28, 51, 148, 457, 753, 756, et t. 13, pl lxxxix. - Œuvres de Pasquier, t. 1, p. 90, Chronique de Froissard, t. 2.
  17. Ordon. du Louvre, t. 7, p. 715 ; t. 8, p. 412, art. 3 et 4 ; t.9, p. 54, 457 et 463.
  18. Ordon. du Louvre, t. 7, p. 752 ; t. 8, p. 184, 315, 394, 631, 632, et t. 9, p. 35 et 60.
  19. Chronique de Froissard, t. 2. - Ordon. du Louvre, t. 7, p. 186, 759 et 768. - Mézerai. - Boulainvilliers, etc.
  20. Ordon. du Louvre, t. 7, p. 131, 133, 760, 525, art. 4 ; t. 8, p. 289, 413, art. 5, 790, et t. 8, p, 290 et suiv.
  21. Chronique de Froissard, t. 2 - Ordon. du Louvre, t. 7, p. 284, 318, et t. 8, p. xiv.
  22. Ordon. du Louvre, t. 7, p. 463 ; t. 8, p. 185, 289 ; t. 9, p. 551.
  23. Ordon. du Louvre, t. 8, p. 70 et 181.
  24. Ordon. du Louvre, t. 8, p. 60 à 64, 67 et 77, art. 1, 2 et 14.
  25. Ordon. du Louvre, t. 8, p. 315, et t. 9, p. 427 et 433.
  26. Ordon. du Louvre, t. 8, 9 et 10.
  27. Ordon. du Louvre, t. 10, p. 70, 140, l4l, 213, 225, 394, et t. 11, p. lij.
  28. Ordon. du Louvre, t. 8, 10 et 11.
  29. Ordon, du Louvre, t. 11, p. lxiij, et p. 8 pour le traité.
  30. Ordon. du Louvre, t. 11, p. 109 et 111. - Mézerai. - Anquetil.
  31. Ordon. du Louvre, t. 11, p. 109 et 118.
  32. Ordon. du Louvre, t. 13, pl xj, xij, 14, 34 et 133.
  33. Ordon. du Louvre, t. 16, p. 55, 99, 139 et 359. - Mémoires de Commines, feuillet xj, édition de 1552.
  34. Ordon. du Louvre, t. 13, p. xx, lxxxij, 23, 211 et suiv., 230 et 232. - Mézerai. - Anquetil.
  35. Ordon. du Louvre, t. 14 ; p. 79, 184, 227, 249, .316, et t. 13, 14, 390, 122, 194.
  36. Ordon. du Louvre, t. 13, p. xxvj, 358, 510, et t. 14, p. 52 et 53. - Œuvres de Pasquier, t. 2, p. 177.
  37. Ordon. du Louvre, t. 13, p.xxxv, 230, 231, 384, 397, et t. 14, p. ix, 387 et suiv.
  38. Ordon. du Louvre, t. 14, p. 7, 8, 143, 270, 271 et 273.
  39. Ordon. du Louvre, t. 14, p. x, 75 et 465.
  40. Ordon. du Louvre, t. 13, p. 468.
  41. Ordon. du Louvre, t. 14, p. xij et 40. - Guy Coquille, ch. 5. V.
  42. Ordonn. du Louvre, t. 14, p. 199.
  43. Ordonn. du Louvre, t. 14, p ; 388 et 390.
  44. Charles VII avait fixé à trois mille six cents francs par an les fonds à verser dans sa cassette, « pour, dit l’ordonnance, faire nos en plaisirs et volontés ». Cette somme représentait une valeur actuelle de cent mille francs. « Mais, est-il ajouté, s’il advenoit qu’il (le trésorier de la cassette) receust une autre somme pour le faict de nosdicts coffres. » D’où l’on peut conclure que la dépense personnelle d’un prince aussi généreux que l’était Charles VII n’était pas toujours renfermée dans la fixation indiquée. (Ord. du 25 sept. 1443, art. 16, t. 13, p. 375.)
  45. Ordon. du Louvre, t. 13, p. xvj, xxviij, lxxxij, 306, 351, 352, et t. 9, p. iv, x et 203.
  46. Ordon. du Louvre, t. 13 et 14. — Guy Coquille, hist. de Nevers.— Mémoires sur les impositions, par Moreau de Beaumont, t. 2, p. 13.
  47. Mém. de Commines. - Moreau de Beaumont. t. 2, p. 7.- Economies royales de Sully, t. 8, p. 455. - Ordon. du Louvre.