Histoire financière de la France/Chapitre XV

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CHAPITRE XV


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Règne de Louis XIV.


DEUXIÈME ÉPOQUE : Administration de Colbert.


1661 - 1683.


SOMMAIRE.


Dilapidations du surintendant Fouquet signalées à Louis XIV par Colbert. — Le roi devient l’ordonnateur unique des dépenses de l'état. - Colbert nommé contrôleur général des finances. - Ses attributions. - Suppression des intendants de finances st autres directeurs intermédiaires. - Conseil de finance. — Liquidation des dettes; vérification des comptes arriérés, et résultats de ces travaux. - Nouvel obstacle au remboursement entier des rentes. - Rétablissement de l’ordre et réforme du abus. — Obligations, règles et contrôles auxquels sont soumis les comptables. - Remise entière des tailles arriérées sur dix années; - Comptabilité centrale des revenus et des dépenses de l’état. - Budget annuel et compte d’exercice. - Traitements de Colbert; personnel et dépenses de ses bureaux. - Rachat de Dunkerque à l’Angleterre. - Réduction des officiers royaux et de leurs gages. - Dégrèvement de vingt millions sur les tailles. - Surveillance exercée sur les détails de la perception. - Suppression d'immunités. - Primes accordées aux comptables qui font le moins de poursuites. - Obstacles apportés à la circulation intérieure et à l’exportation des grains. — Encouragements donnés a l’éducation des bestiaux. - Réduction des droits, modifications introduites et améliorations projetées dans les aides et les gabelles - Restitution aux villes de la moitié de leurs octrois. - Députés du commerce. — Conseil de commerce. - Principes d’un nouveau système de douanes. - Tarif de 1664. — opposition de plusieurs provinces au projet de supprimer les douanes intérieures. - Facilités et encouragements accordés au transit de l’étranger à l’étranger. — Entrepôts généraux établis pour l’étape générale des nations. - Remboursement des droits à la réexportation. - Règlement sur les monnaies, et première refonte opérée aux frais du trésor. — Mesures prises pour établir en France la construction des navires, honorer le commerce maritime, protéger la marine marchande, encourager la pêche, les voyages de long cours, et rendre à Marseille le commerce du Levant. - Nouvelles industries introduites, encouragées, et leur prompt développement. - - Tarif de 1667. — Dommages qu'il cause aux Hollandais; leurs menaces pour en faire modifier les droits, et mesures que Colbert y oppose. - Changements survenus en sept années dans l’état des finances. - Ordonnance sur les eaux et forêts. - Ligue et guerres excitées par la Hollande. - Construction et embellissement des châteaux royaux. - Organisation des postes. - Affaires extraordinaires. - Éloignement de Colbert pour les emprunts en rentes perpétuelles, et ses motifs. — Caisse des emprunts. Statuts donnés aux arts et métiers. — Contrôle des actes d'huissiers, etc. - Discernement apporté dans l’élévation des droits d’aides. - Monopole de la vente des tabacs. - Réduction des droits à l’exportation des marchandises. - Restitution, à la sortie, des droits d’entrée sur les sucres raffinés en France. - Opposition en Bretagne à l’établissement de l’impôt du timbre. - Traité de paix. - Traité de commerce qui rétablit pour la Hollande, et contre l’avis de Colbert, le tarif de 1664. - Inutiles instances du ministre pour obtenir la réduction des dépenses de luxe. - Emprunt à cinq pour cent employé au remboursement des rentes créées pendant la guerre à un intérêt plus élevé. - Condition des peuples et situation des finsnces à la mort de Colbert. — Résultats généraux de son administration. - Preuve de sa constante sollicitude pour les contribuables. - Règlements concernant les épices et vacations des juges.


1661 - Louis XIV, guidé par les conseils de Mazarin mourant, avait pris dans ses mains les rênes du gouvernement. Cette résolution du jeune monarque et la paix dont jouissait la France présentaient une circonstance pour améliorer le sort des contribuables. Fouquet pouvait opérer ce changement; mais il oublia la tâche honorable que lui imposait son devoir envers le roi et l’intérêt de sa patrie. Dominé par l'attrait des plaisirs, au milieu d'une cour magnifique et galante, séduit peut-être par l'exemple de l’impunité du cardinal, il s’abandonna au luxe et à tous les genres de profusions. Ce surintendant avait dépensé dix-sept millions dans son château de Vaux et des sommes énormes dans ses autres maisons. Il prodiguait l'argent à ses maîtresses, donnait des pensions et des gratifications à tous les courtisans et gens en crédit qui pouvaient le servir. Il avait fait fortifier Belle-Isle, qui lui appartenait, et y entretenait une petite garnison; et, pour cacher ses dilapidations à Louis XIV, il le trompait ou lui présentant des états infidèles[1].

L'agrandissement du territoire obtenu par de brillantes conquêtes, l'essor que prirent les lettres et les arts utiles, le commerce maritime et l’industrie, tous les genres d’illustration enfin qui ont signalé à la postérité les belles années du règne de Louis XIV, pouvaient être retardés long-temps encore pour la France, ou remplacés par une longue suite de malheurs sans gloire, si les infidélités du surintendant n’eussent été dévoilées par Colbert, que Mazarin mourant avait indiqué au roi comme digne de sa confiance. Le ministre dissipateur et voluptueux fut puni, et Louis XIV remit la direction des finances entre les mains du sévère et laborieux Colbert.

Ce changement fut accompagné de la résolution bien remarquable dans un roi jeune et environné de courtisans, de veiller par lui-même à l’emploi des revenus publics. La charge de surintendant fut supprimée. Louis XIV en réserva pour lui et ses successeurs la principale fonction et la plus importante, celle de régler et d’autoriser les dépenses, qui, depuis lors, ne furent plus acquittées qu’en vertu d’ordonnances signées ou d’états arrêtés de la main du roi[2].

Colbert, d’abord intendant des finances, eut plus tard le titre de contrôleur général. Les attributions de cette place se bornaient précédemment à la surveillance des opérations de recette et de dépense faites par les trésoriers de l’épargne. On abolit ces charges, devenues si onéreuses à l’état par les malversations de ceux qui les avaient remplies, et les fonctions de contrôleur général embrassèrent depuis cette époque tout ce qui concerne l'administration des finances ; mais le contrôleur général n'était, comme on le voit, ni ordonnateur, ni comptable.

Avant Colbert, chaque branche du service financier était dirigée séparément par des intendants des finances, des directeurs, des contrôleurs, qui tous, affectant l’indépendance, agissaient isolément, de sorte que l’administration, soumise à autant de principes différents qu’elle avait de chefs, manquait d’unité dans ses décisions et de fixité dans sa marche. Le ministre sentit qu’en matière de finances surtout, si l’exécution est divisible, l’administration doit être une, et qu’il ne faut qu’une tête pour ordonner ce que les membres sont chargés d’exécuter ; que tout enfin doit émaner d’un centre commun, et être conduit par le même esprit. Il fit en conséquence prononcer la suppression de ces nombreux administrateurs des finances ; mais, afin que tous les projets, que toutes les questions intéressantes concernant les revenus ou les dépenses de l’état fussent examinés et discutés avec maturité, un conseil royal des finances fut établi, tel que l’avait institué un règlement donné en 1582 par Henri III, qui n’avait eu ni le temps ni la force de le faire exécuter, ou tel encore que l’avait créé Philippe-le-Long, au commencement du XIVe siècle. Fort de l’appui de ce conseil, que la supériorité de ses vues devait guider dans la voie de l’utilité publique, Colbert se voua entièrement au service du roi et de l’état[3].

Si l’on excepte le trop court ministère de Sully, l’administration des finances, qui consiste dans la science de distribuer les tributs de la manière la moins onéreuse pour les peuples, et d’en recueillir avec économie les produits pour les appliquer aux besoins de l’état, était encore dans le chaos. La hommes qui avaient présidé à cette partie essentielle du gouvernement, dépourvus de probité pour la plupart, étrangers à tous principes d’équité, d’ordre et d’économie politique, ne connaissaient d’autres règles que les routines établies. Accumulant d'abord sans discernement les impôts et les taxes, lorsque leur excès avait tari les sources de la fortune publique, ces hommes avaient recours aux affaires extraordinaires : ainsi se nommaient, comme on a eu occasion de le voir, l’engagement ou la vente du domaine royal déclaré inaliénable; l’abandon des branches les plus productives du revenu public, sous la forme d'abonnement ou d’engagement ; l'émission de rentes à gros intérêts, qui se négociaient à vil prix; les emprunts, plus onéreux encore, faits aux détenteurs des revenus de l'état; enfin, la création continuelle d'exemptions d’impôts, de privilèges honorifiques et pécuniaires, de fonctions inutiles, dont le trafic, déguisé sous le titre d'anoblissement, d’offices de survivances et de maîtrises, enrichissait les traitants, préparait de nouvelles exactions, et privait l’agriculture et le commerce de leurs capitaux.

Le génie de Colbert allait ouvrir d’autres voies, par l’application de principes plus conformes aux intérêts des peuples et à ceux de l’état, qui sont- inséparables. Mais venant, comme Sully, à la suite d’une administration désordonnée, trouvant, comme lui, les campagnes ruinées par lexcès des impôts, l’état chargé de dettes et privé de ses revenus; comme Sully, Colbert dut s'occuper d’abord de rétablir l’ordre par la réforme des abus.

La liquidation de la dette publique devait être la première et la plus délicate des opérations du nouveau ministre. La plupart de ceux qui se portaient comme créanciers étaient des fermiers et sous-fermiers des impôts, des manutentionnaires et d'autres entrepreneurs ou traitants, enrichis rapidement dans les affaires, et qui, il la faveur de la confusion des comptes, de doubles emplois, de remboursements supposés, ou de décharges obtenues à prix d’argent, répétaient de fortes sommes. D’un autre côté, les trésoriers, les receveurs généraux et les autres comptables qui se trouvaient reliquataires, présentaient des arrêts de quitus pour leur gestion. Une nouvelle chambre de justice fut instituée : composée de magistrats choisis parmi les membres des cours souveraines ; on l’investit de l’autorité nécessaire pour rechercher et punir, par des amendes, tous les genres de malversations, de péculat, et les autres crimes ou délits commis dans la perception, le recouvrement, la distribution et l’emploi des deniers publics, ordinaires ou extraordinaires, soit par les officiers comptables ou les fermiers, soit par leurs clercs, leurs commis ou leurs complices, à partir de l’année 1635. La vigilante fermeté du ministre assura l’application de ces mesures rigoureuses, mais nécessaires, en écartant la faiblesse et la corruption de ceux qui devaient les exécuter[4].


1662. — En conséquence des arrêts de la chambre de justice. toutes les rentes créées pendant les cinq dernières années du ministère de Mazarin furent supprimées, à charge de remboursement au taux porté dans le contrat des acquéreurs de bonne foi. On devait éteindre ainsi, à très peu de frais, pour huit millions de rentes hypothéquées sur les tailles, ou constituées sur l’hôtel de ville de Paris ; mais le même obstacle qui, dans une circonstance semblable, avait fait échouer le remboursement projeté par Sully, s’opposa cette fois encore à l'entier accomplissement de l’opération préparée par Colbert. D’après les sollicitations instantes des intéressés, représentés par le prévôt des marchands, le remboursement n’eut pas lieu, et, à leur demande, les rentes réduites à trois cents francs pour mille furent assignées sur les fermes[5].

D’autres rentes avaient été créées sans enregistrement; d’autres, rachetées depuis plusieurs années, continuaient d’être payées; des traitants qui étaient tenus, aux termes de leurs marchés, de faire amortir au profit de l'état, soit des rentes, soit des offices, avaient obtenu, pour de modiques sommes, d’être déchargés de leur obligation; quelques uns, plus adroits, avaient satisfait aux conditions du traité, puis s’étaient fait indemniser, par des ordonnances de comptant, d’une fidélité qui n'était qu'apparente. Ces divers engagements furent également annulés, et les porteurs ou débiteurs condamnés à des taxes qui, à raison de deux mille livres d’amende pour mille livres de capital, procurèrent en huit années une rentrée de dix millions[6].

En conséquence des recherches de la chambre, ou de celles qui furent le résultat de ses travaux, la couronne rentra en possession de riches domaines et de droits qui avaient été donnés, engagés ou concédés; d’îles, d’ilots et d’atterrissements que des particuliers avaient usurpés. Les octrois des villes, des taxes sur le papier, les nombreuses additions apportées aux aides, et une foule d’autres revenus aliénés à différents titres, mais toujours à vil prix, rentrèrent au trésor ; et leur produit fournit promptement les moyens de rembourser les concessionnaires[7].

Les malversations des agents de finance n’étaient pas d’un genre moins, grave que celles des traitants. La chambre découvrit, entre autres fraudes, pour trois cent quatre-vingt-quatre millions de fausses ordonnances et de bons du comptant simulés, portant sur six années. Les comptables obtinrent une remise entière de leurs délits, à condition qu’ils paieraient les taxes fixées par le conseil, et dont le trésor retira plus de vingt-cinq millions[8].


1662.-Pendant que la chambre de justice dévoilait les abus et les déprédations, Colbert s’occupait d’en prévenir le retour, en soumettant les dépositaires des deniers publics à des règles qu’ils avaient trop longtemps méconnues. Affranchis de toute surveillance depuis la retraite de Sully, ils s’étaient exemptés de constater leurs opérations dans des écritures et de présenter périodiquement la situation de leur caisse dans le bordereau dont le ministre de Henri IV avait lui-même dressé le modèle. Différant sous divers prétextes la production des comptes d’exercice, ils se procuraient ainsi la jouissance de reliquats considérables; à la faveur du voile qu’émouvrait leur gestion, et alléguant la difficulté des rentrées, ils n’acquittaient les assignations délivrées sur leur caisse que lorsque le besoin arrachait un escompte aux porteurs. Enfin ils avaient obtenu que leurs remises, leurs taxations sur les tailles, fussent élevées à cinq sous pour livre. A ce relâchement et aux déprédations qu’il facilitait se joignait une autre cause de désordre. Les comptables, qui tous, depuis le premier jusqu’au plus mince emploi, étaient en possession d’orifices achetés ou héréditaires, se regardaient nomme indépendants, et ceux qui occupaient les places subordonnées n’obéissaient, pas, ou ne se prêtaient que difficilement aux ordres qu'ils recevaient de leurs supérieurs. En peu de temps, Colbert ramena la subordination parmi les employés; il rétablit l’ordre dans les acomptes, assura la fidélité et l’exactitude de la perception, et en réduisit les frais excessifs. En révoquant l’hérédité et la survivance de tous les offices de finance, qui devenaient ainsi casuels, il en préparait l'extinction. Il exigea des titulaires qu’ils fournissent un cautionnement; et, plus tard, un édit fit revivre les sages dispositions des anciennes lois qui assuraient au souverain un privilège illimité sur les biens meubles et immeubles des comptables. On les assujettit à tenir un journal détaillé de leurs opérations, et d’en présenter les comptes dans l’année qui suivrait l’exercice. La chambre des comptes eut ordre de ne passer en dépenses les remises pour intérêt d’avances, pour frais de recouvrement et de transport des espèces, qu’à raison de neuf deniers pour livre, dont cinq aux receveurs généraux et quatre receveurs des tailles. Les comptables furent tenus en outre de souscrire des obligations pour la rentrée des tailles dans l'espace de dix-huit mois, délai qui fut réduit à quinze mois peu de temps après. Cette disposition avait été précédée de la remise entière aux campagnes des derniers arrérages de la taille, et des impositions accessoires pour les années 1647 à 1656, sur lesquelles vingt millions avaient été abandonnés deux ans auparavant. A la même époque, les gabelles, les traités, les autres droits, dégagés, par l’effet du remboursement, de la plupart des rentes et des gages qui grevaient leurs produits, étaient affermés par adjudication aux enchères publiques, après trois publications, ce qui ne se faisait plus depuis long-temps. Dès lors, la portion des diverses branches des revenus qui devait être versée à l’épargne étant connue, le ministre s’occupa des moyens d’en assurer la rentrée dans les termes fixés par les engagements des receveurs généraux et des fermiers[9].

L’ordre que Colbert établit à cet effet était simple. Au commencement de l’année il remettait au garde ou caissier général du trésor un tableau des sommes que devait payer chaque receveur général, fermier ou autre comptable, avec l’indication des époques de paiement. Les versements devaient s’effectuer exactement aux échéances, sous la seule déduction des fonds dont le ministre avait disposé au moyen d'assignations, pour le paiement desquelles il exigeait la même régularité. Les comptables durent s’abstenir d’émettre aucun billet ou autre effet, à peine de faux. Tous les mois, ils faisaient constater l’accomplissement, de leurs obligations en produisant à un commis du contrôleur général soit les récépissés du garde du trésor royal, soit les assignations acquittées, jusqu'à concurrence de leurs engagements. Lorsqu’un receveur général ou autre comptable était en retard de verser la somme exigible, il recevait par huissier l’injonction de payer sous huitaine pour tout délai; après quoi, il était poursuivi jusqu'au parfait paiement. Le receveur qui s’était exposé deux ou trois fois à de semblables poursuites était regardé comme inhabile, et le ministre l’obligeait à se défaire de son emploi. Les comptables et les contrôleurs de leurs opérations furent tenus de prouver leur résidence par une attestation du bureau des finances de la généralité; et ceux qui s’absentaient sans une autorisation expresse du conseil encouraient la privation des gages, et même la révocation; En maintenant cet ordre et, cette exactitude sévère, Colbert eut promptement de bons comptables; on vit cesser les stagnations et les détournements de fonds, les spéculations usuraires sur les assignations, et toutes les malversations que le désordre, l'inattention et la fausse indulgence, avaient laissé introduire avant ce ministre, et que les mêmes causes ramenèrent après lui.

Le même système d’ordre et d’exactitude fut appliqué à la comptabilité centrale des revenus et des dépenses du royaume. Tous les ans, le ministre présentait à Louis XIV un état de prévoyance des ressources et des besoins du trésor royal pour l’année suivante, et, dans de courtes observations, il appelait l'attention du monarque sur certaines impositions ou sur quelques dépenses qui pouvaient être modifiées, augmentés ou réduites. Un journal et un grand-livre, tenus sous ses yeux, constataient premièrement le montant des soumissions et des baux souscrits par les régisseurs et par les fermiers des impôts, ainsi que les charges assignées sur les produits et le net à rendre à l'épargne; on y portait ensuite, d’après des bordereaux détaillée que remettait, toutes les semaines, le garde du trésor, la somme versée par chacun des comptables. Les mêmes registres indiquaient encore le montant, par chapitre, des ordonnances délivrées par chaque ministre pour le paiement des dépenses de son département, et dont l’expédition se faisait en conseil des finances, sur la signature du roi et d’après le visa et les états de distribution du contrôleur général. Tous les mois, le roi arrêtait la situation des recettes opérées et des dépenses ordonnancées; mais, en fin d’année, le garde du trésor royal remettait au ministre les acquits de paiement. Par cette méthode, et au moyen de la prompte réalisation des revenus recouvrés, la formation de l’état au vrai, ou compte général des recettes et des dépenses, suivait de près l’expiration de l’exercice, dont il devait présenter les opérations. Alors Colbert était promptement instruit de la situation des finances; et, par les rapprochements qu’il faisait des résultats de chaque année, il se rendait compte des causes qui influaient sur l’augmentation ou la diminution que pouvait présenter soit une branche du revenu, soit un article de dépense. Ces observations de l’homme habile étaient la source de nouvelles combinaisons, qui toutes avaient pour but la prospérité de l’état[10].

Sous la direction de Colbert cinq commis suffisaient à l’exécution de tous les travaux du contrôle général. L’un d’eux, chargé de la tenue des registres, recevait douze mille livres d’honoraires, dont deux mille en qualité d’employé au conseil ; onze mille deux cents livres étaient partagées entre les quatre autres. Les sommes que le contrôleur général touchait à divers titres n’excédaient pas cinquante-cinq mille livres par année[11].

Une des réformes les plus utiles de Colbert fut celle qu’il introduisit dans l’emploi des acquits de comptant. On nommait ainsi, comme on l’a vu précédemment, des ordonnances de paiement où ni étaient indiqués ni le nom de la partie prenante, ni l’objet de la dépense. L’usage de ces bons au porteur existait depuis plusieurs siècles ; ils avaient été uniquement destinés, avant le règne de François Ier, au paiement des subsides que la France fournissait des puissances alliées ; et rien, en effet, n’était plus propre que cette forme pour dérober aux trésoriers qui remettaient les fonds et aux magistrats qui jugeaient les comptes, la connaissance d’une dépense qu’il importait au gouvernement de tenir secrète. Dans la temps de désordre, des ministres infidèles ou faciles s’étaient servis des acquits de comptant pour couvrir d’un voile impénétrable les dons, les gratifications, les prêts, les avances, et les autres faveurs de tous genres qui consumaient la fortune publique. Une déclaration, conforme aux vœux plusieurs fois exprimés dans les états-généraux et par le parlement, rendit les acquits de comptant à leur destination première, en ordonnant qu’ils ne serviraient à l’avenir que pour les affaires secrètes et importantes de l’état. Cette mesure mit fin à une foule de dons cachés dont avaient profité les gens en crédit. Mais, toujours dans la vue de détruire jusqu’à la trace des dépenses secrètes du gouvernement, et d'en ôter la connaissance à la chambre des comptes, il fut réglé, conformément à l’usage qui avait été établi par Mazarin, que les ordonnances de comptant seraient brûlées tous les ans en présence du roi, et remplacées, pour le garde du trésor, par un état de certification, ordonnancé pour la totalité des paiements. Ce mode de justification éludait encore la juridiction des magistrats appelés, depuis l’origine de la monarchie, à connaître de l’emploi des revenus publics, et laissait aux ministres une immense et dangereuse faculté. Elle fut sans inconvénient tant que Colbert présida à l’administration des finances; et lorsque, la munificence ou les affections du monarque occasionaient des dépenses que n'exigeaient ni la dignité de la couronne ni la sûreté de l’état, du moins figuraient-elles au nombre des acquit-patents. Mais après Colbert, et sous les successeurs de Louis XIV, l'abus des acquits de comptant fut porté à un excès ruineux[12].


1662. - L’état recueillit promptement les fruits du nouvel ordre de choses ; et l’aisance rétablie dans le trésor procure, sans effusion de sang, l’agrandissement du royaume, par le rachat de Mardick et de Dunkerque, que Louis XIV paya cinq millions à Charles II. Aussitôt trente mille hommes furent employés à creuser un bassin et à fortifier la ville du côté de la terre et de la mer ; et le roi conserva au port de Dunkerque la franchise entière dont il avait joui sous la possession des Anglais. Le duché de Nemours et le comté de Gisors, Rochefort et d’autres terres considérables, également acquises à prix d’argent, agrandirent encore le domaine de la couronne[13].

En même temps qu’il posait les bases d’une bonne administration sur des mesures d’ordre, Colbert travaillait au rétablissement du revenu public, et au soulagement du peuple. Il s’attacha surtout à supprimer les charges et les offices surabondants, qui tous procuraient l’immunité de le taille et de la gabelle. Cette réforme ne pouvait s’effectuer que successivement : elle commença par les triennaux et les quadriennaux ; toutefois, les titulaires conservèrent la jouissance des gages et droits pécuniaires affectés à leur emploi, jusqu’au remboursement de la finance. Il coûta peu au trésor, parce qu’il fut réglé sur le taux de l’achat. On peut juger de l’utilité de cette opération, puisque, après la première réduction, il restait encore dans le royaume quarante-six mille offices jouissant tous de prérogatives honorifiques, de taxations, et coûtant en outre huit millions trois cent cinquante mille livres à titre de gages ou d’intérêt de la finance, dont le capital, au prix courant, s’élevait à quatre cent vingt millions. Persuadé que le bien de l’état doit toujours l’emporter sur l’avantage de quelques particuliers, Colbert fit réduire d’un quart les gages de tous les titulaires d’offices Conservés[14].

La diminution du nombre d’offices, la révocation des exemptions d’impôt pour plusieurs des offices maintenus ; une recherche scrupuleuse des usurpateurs de la noblesse, qui procura plus de deux millions d’amendes ; la révocation des anoblissements vendus à vil prix depuis trente années ; la fixation du nombre de charrues que les ecclésiastiques, les gentilshommes et les autres privilégiés maintenus pourraient faire valoir par eux-mêmes ; enfin la persévérante fermeté avec laquelle le ministre poursuivit les immunités qui ne reposaient sur aucun titre, rendirent à la condition d’imposables beaucoup de terres et une foule de personnes qui, depuis long-temps, ne contribuaient plus à la taille ni à l’impôt des gabelles[15].

La taille dans les pays d’élection avait été portée avant Colbert à plus de cinquante-trois millions ; il ramena d’abord cet impôt à quarante deux, et successivement à trente-trois millions. À ce dernier taux le roi en retirait plus que du temps de Mazarin. Le ministre projetait de réduire les tailles à vingt-cinq millions. Mais le poids de cet impôt, doublement affaibli et par sa diminution et par une répartition plus étendue, devint moins onéreux encore par l’exécution des règlements que le ministre avait fait revivre oui complétés, et qui tous avaient pour but « d’atteindre l’aisance et même la richesse qui s'exemptoient des taxes par crainte ou par crédit[16]. »

Les vues de Colbert s’étendaient plus loin encore sur l'impôt direct. Les pays d’élections, qui comprenaient la majeure partie des provinces septentrionales du royaume, étaient soumis à la taille personnelle. On la nommait ainsi parce qu’elle s’établissait sur tous les roturiers non privilégiés, à proportion des biens-fonds qu’ils possédaient, ou de ceux qu’on leur supposait, et souvent sans autre indication que celle du collecteur; Vainement la solidarité avait été imposée aux habitants pour les obliger à une répartition équitable; nonobstant cette loi rigoureuse, l’arbitraire et l’inégalité n’en existaient pas moins dans la répartition : de là résultaient les surtaxes, les haines, les procès, les contraintes et leurs funestes conséquences. Dans les provinces méridionales, au contraire, où l’impôt était modéré pour les pays d'états qui conservaient le privilège d'en discuter la quotité annuelle, les habitants trouvaient encore dans la taille réelle l'avantage d’une égale distribution des charges. La toutes les possessions nobles ou non nobles, formant le territoire d’une paroisse, étaient portées sur un registre terrier ou cadastre, qui indiquait, pour les biens non nobles, et par conséquent taillables, quel qu’en fût le possesseur, la base de l’imposition établie d’après un alivrement en raison de l’étendue et de la valeur des biens-fonds. L’imposition, réglée d’après cette base, ne pouvait varier que proportionnellement et par l’effet de l’élévation ou de la diminution de l’imposition totale. Les cadastres étaient tenus par les secrétaires des communautés, qui y décrivaient les mutations, et connaissaient ainsi les propriétaires actuels. Il arrivait cependant que la négligence ou la mauvaise foi introduisait sur les registres des erreurs et même des soustractions de propriétés, d’où résultait la nécessité de réformer le cadastre. Cette opération, négligée depuis long-temps, fut entreprise et exécutée en trois années dans la généralité de Montauban, où l’usage de la taille réelle existait, ainsi que dans les élections de la Guyenne; et une commission rédigea un règlement que plusieurs provinces du midi adoptèrent. On ne pouvait, sans porter atteinte au droit de délibération que possédaient les pays d’états, obvier aux inconvénients de la distribution inégale de l’impôt entre provinces. Mais Colbert entrevit la possibilité d’introduire dans les pays d’élections l’égale répartition, entre les habitants, de la somme assignée à chaque province : il annonça en conséquence l’intention d’étendre les bienfaits de la taille réelle à toutes les parties du royaume mais il n'eut pas le temps de réaliser ce projet, qui, repris plusieurs fois après lui, rencontra toujours des obstacles dans son exécution.


1665. - Les détails si intéressants de la perception n'échappaient point aux soins du ministre vigilant, qui savait qu’elle est la source d’un nombre infini de petits abus cachés, dont la multiplicité est un des plus grands fléaux des campagnes. D’après les renseignements que recueillirent des commissaires envoyés dans les provinces, sur l'inexécution des anciens règlements, une loi nouvelle fixa les formes à observer dans la nomination des collecteurs des tailles, rappela leurs obligations, et rendit la servitude de la collecte moins onéreuse, en y soumettant « les riches contribuables qui, par artifice, se soulageaient aux dépens des misérables. » Le mode de présentation et d’instruction des réclamations fut tracé et rendu plus facile. Les poursuites furent assujetties à des règles qui tendaient à en adoucir les rigueurs, à prévenir les concussions, et à éviter de nouveaux frais aux redevables, en les engageant à se libérer après les premières diligences. Les contraintes, remises par les receleurs des tailles aux huissiers ou chefs de garnisons, durent être préalablement visées par les officiers d’élection; on ordonna que la saisie serait précédée de deux commandements; et le redevable ne payait que le prix du papier timbré lorsqu’il se libérait après le premier de ces actes. Les frais d’huissiers, le salaire des sergents durent encore être taxés en présence des receveurs par les élus, d’après un tarif arrêté par l’intendant, et qui devait être affiché à la porte du bureau d’élection; après quoi les receveurs payaient les agents de contrainte, et se faisaient rembourser de cette avance par les collecteurs, qui, à leur tour, recouvraient les taxes sur les contribuables. De plus, il était défendu aux collecteurs, sous peine d’amende, de payer les huissiers ou garnisaires, et à ceux-ci de rien recevoir des collecteurs, et de boire ou manger chez eux ou dans les cabarets à leurs dépens. Colbert savait, comme le prouvent ces détails minutieux en apparence, que toute intimité, toute intelligence entre l’agent des poursuites et celui de la perception, ne s’établit jamais qu’au préjudice du contribuable[17].

Enfin, pour engager, par le mobile puissant de l’intérêt, les receveurs à user modérément des poursuites, une prime, fixée au quart des gages et taxations; fut promise à ceux qui, dans le délai de quinze mois, auraient assuré le recouvrement des tailles, et satisfait à leurs engagements « sans se servir de voie extraordinaire qu’en cas de nécessité. » Colbert fit encore revivre l’édit bienfaisant de Henri IV qui exceptait de la saisie les bestiaux du cultivateur et ses instruments aratoires. Cette exception protectrice s'étendit au lit, aux vêtements et aux outils dont les artisans et les manouvriers se servent dans leurs travaux. Il fut réglé en outre qu’il ne pourrait être saisis plus du cinquième des bestiaux donnés à cheptel. Le roi ordonna encore que tous sujets taillables, mariés avant ou dans la vingtième année de leur âge, demeureraient exempts de toutes contributions aux tailles et autres charges publiques, sans pouvoir y être compris avant l’âge de vingt-cinq ans accomplis; la même exemption fut accordée à tout père de famille qui aurait dix enfants vivants non prêtres ou religieux. « C’était appliquer habilement à la classe laborieuse, et comme moyen d’accroître la population, le funeste système de l'immunité des impôts dont jouissaient exclusivement les classes privilégiées. »

Une seule erreur priva les campagnes d’une partie des avantages que devait leur assurer une protection aussi marquée pour tout ce qui avait rapport à l’impôt. Par un arrêt rendu un mois avant que Colbert ne parvînt au ministère, le parlement avait interdit aux marchands de former aucune société pour le commerce des grains, et d’en faire des approvisionnements[18]. Il autorisait de plus les cours de justice à réserver, pour la consommation de leur juridiction, les blés recueillis dans le territoire. Cette mesure, bien opposée à celles qu’avait adoptées Saint-Louis pour le commerce intérieur, n’était pas moins contraire aux principes professés plus récemment par Sully. A l’occasion d’un juge qui avait arrêté la circulation des grains, le prévoyant ministre écrivait à Henri IV : « Si chaque juge de votre royaume en faisait autant, bientôt, vos sujets seraient sans argent, et par conséquent Votre Majesté... » Ces grandes leçons furent perdues pour Colbert : non seulement il ne répara pas la faute commise par le parlement, mais, par une erreur qui eut sa cause soit dans les fausses idées du siècle sur le commerce des grains, soit dans l’intention de favoriser les manufactures, objet de la prédilection du ministre, le taux élevé du droit mis à la sortie des blés[19] n’en permit pas l’exportation. Ainsi, en même temps que l'on fermait tous les débouchés au principal produit de la terre, tant dans l’intérieur qu’à l’extérieur, on prohibait les réserves nécessaires pour transmettre à une mauvaise année l’excédant d’une bonne récolte. L’effet de ce funeste système fut de faire baisser le prix des grains. Le froment, qui s'était vendu communément de quinze à seize livres le setier, tomba, dans les années qui ne furent pas marquées par la disette, à dix, neuf, huit et sept livres. Le cultivateur, privé du fruit de ses peines par cette baisse inattendue, se livra avec moins de zèle à ses travaux. Dans plusieurs provinces toutefois la dépréciation des céréales dirigea les spéculations vers l’éducation des bestiaux, branche de l’industrie agricole trop souvent négligée en France, et que la misère du temps avait fait abandonner. Le ministre favorisa cette direction en procurant aux communes la rentrée dans les biens dont on les avait dépouillées. Les bestiaux, garantis encore de l’atteinte des agents du fisc par le privilège accordé au cheptel, se multiplièrent promptement, et la France se trouva affranchie de la dépendance où elle avait été à cet égard vis-à-vis de l’étranger. Des négociants anglais s’étant adressés à l’ambassadeur à Londres pour fournir des bestiaux d’Irlande au royaume, et des salaisons à ses colonies, Colbert eut la satisfaction de répondre que depuis plusieurs années la France pouvait en vendre aux étrangers[20]. Cette production, cependant ne pouvait balancer le préjudice que la législation sur les grains portait à l’agriculture. Colbert, instruit de son dépérissement, et de l’état de malaise qui en fut la suite, resta soumis au préjugé qui faisait envisager le libre commerce des grains comme un danger pour l’état; et, sauf quelques exceptions momentanées et particulières à des localités, il laissa à un successeur le mérite de briser, par le rétablissement de la circulation intérieure et de l’exportation, les entraves dans lesquelles l’agriculture languit encore pendant vingt-cinq années.

L'élévation de revenus que le trésor ne pouvait attendre de l’impôt foncier, encore onéreux quoique réduit, Colbert sentit qu’il pourrait la trouver dans les taxes sur les consommations. A une égalité plus grande dans la répartition, ces taxes joignent l’avantage de laisser au consommateur la faculté de limiter ou d’étendre sa contribution en raison de ses besoins ou de sa fortune, lorsqu’elles sont dans une proportion modérée avec la valeur des objets qui les supportent. Mais cette proportion n’avait jamais été connue ni même étudiée.

A ce qui subsistait encore dans plusieurs provinces des premières aides que les états-généraux assemblés sous le règne malheureux du roi Jean avaient accordées aux besoins de l’état, et pour un temps limité, une multitude de nouvelles taxes avaient été ajoutées, tantôt sur divers articles, tantôt sur les mêmes, mais toujours sous des dénominations différentes. De cette diversité de taxes, soumises, pour la plupart, à une forme de perception particulière, résultait une confusion qui multipliait les employés et les bureaux, augmentait les frais de régie, occasionait des discussions fréquentes entre les fermiers et les redevables, quelquefois des exactions de la part des premiers, et toujours des embarras pour le commerce.


1665.- Colbert profita premièrement de la révocation des aliénations que la chambre de justice avait prononcées pour éteindre dix sous pour livre des augmentations apportées depuis quinze années aux aides et à tous les autres droits affermés. Un édit annonça l’abandon entier de l’ancien son pour livre à la vente et revente ou échange des marchandises, denrées et boissons, qui, malgré la suppression annoncée par Louis XI, continuait encore d’être perçu dans quelques parties du royaume. Ce droit ne fut maintenu que pour les vins et les autres boissons, le poisson de mer, le bétail à pied fourché, et le bois. Par une amélioration non moins importante, les taxes établies à différentes époques sur les mêmes objets furent réunies en un seul droit et sous une même dénomination dans chaque généralité. Un même bail, en rassemblant les diverses taxes que différentes aliénations avaient exploitées, rendit inutiles une foule d’agents, et réduisit les frais d’exploitation. Ainsi les charges des consommations étant allégées, la consommation augmenta, les produits s’élevèrent avec rapidité, les contribuables eurent moins à souffrir des exactions, et l’état profita en outre de tout ce que coûtaient les régisseurs supprimés. Plus tard, une législation nouvelle détermina, à l’égard des boissons, les faits qui donnaient lieu au droit, le temps et le mode de la perception, les formalités à observer pour constater les récoltes, recula l’époque du paiement jusqu’au moment de la vente, et affranchit du droit de détail la consommation du propriétaire[21].

Le ministre méditait encore d’introduire dans tout le royaume l’égalité et l’uniformité des droits, qu’il établissait par généralité ; mais des provinces, des villes, des cantons, jouissaient de l’exemption de certaines taxes : ces disparates provenaient, comme on l’a vu, soit de rachat en argent, soit de privilèges concédés, soit d’abonnements remplis au moyen d’impositions locales à la convenance des habitants. Les projets du ministre échouèrent contre ces divers intérêts ; et, par une conséquence fâcheuse des faux systèmes précédemment suivis, une partie du royaume continua de supporter des taxes de consommation dont l’autre était délivrée.

Afin encore d’affranchir les denrées des taxes illicites qui en. élevaient le prix, et de faciliter les transports, plusieurs règlements ordonnèrent la recherche de péages dont étaient couverts les cours des rivières navigables, et la suppression de tous ceux qui existaient sans titre depuis cent ans. Pour ceux même dont l’existence remontait à plus d’un siècle, la loi obligeait les possesseurs à déclarer s’ils voulaient ou y renoncer ou réparer les ponts, les bacs et les chemins, condition qui seule pouvait légitimer la possession du droit. Ces mesures, non moins justes que sages, blessaient trop d’intérêts pour qu’elles pussent s’exécuter complètement. Quelques petits péages furent totalement supprimés, d’autres reparurent bientôt sous de nouveaux prétextes ; mais les plus onéreux subsistèrent ; et de semblables mesures, ordonnées sous les règnes suivants, n’eurent pas des résultats plus avantageux pour le commerce intérieur[22]. Depuis plus de quinze ans, l'état ou ses aliénataires recevaient, avec les aides, le produit des octrois dont l’italien Emery avait dépouillé les villes. Privées par cette violence d’une forte partie de leurs revenus, les communes avaient été réduites soit à vendre ou à engager leurs biens patrimoniaux, soit à ouvrir des emprunts onéreux, soit à établir des impositions extraordinaires. Dans ce dernier cas, des exceptions, établies par les principaux habitants, avaient rejeté le fardeau sur les autres classes, et dans certains lieux le produit des contributions avait été détourné. Colbert ne répara qu’en partie l'injustice commise avant son ministère. Commandé par la nécessité de maintenir les revenus de l’état, au courant des dépenses, il ne restitua aux communes que la moitié du produit des octrois pour subvenir à l’acquittement de leurs charges; l’autre moitié fut réservée au roi à perpétuité. Mais en même temps les communes étaient autorisées à se remettre en possession dans le délai d’un mois, et sans formalités judiciaires, de tous les biens-fonds et des usages dont les seigneurs et les officiers royaux les avaient dépouillées depuis l’année 1620, à la charge seulement de rembourser, en dix années, le prix des aliénations réelles, d’après la liquidation qui devait être établie par les intendants. Afin de prévenir le retour de semblables désordres, Colbert soumit les deniers communaux aux mêmes règles qu’il avait établies pour les finances, en prescrivant la formation d’états annuels de recette et de dépense pour les communes, et en rétablissant l’usage de comptes, que jugeait la chambre des comptes. Il.faisait supprimer tous les officiers qui, sous le titre de contrôleurs, de receveurs et autres, avaient concouru à la dilapidation des revenus : il fut statué que les communes ne pourraient emprunter que dans des cas très rares; et même dans ces cas l’emprunt ne devait avoir lieu qu’après délibération dans une assemblée des habitants et en vertu de l’autorisation royale[23].

L'impôt de gabelle, le plus funeste de tous, si la taille arbitraire n’eût pas existé, était aux yeux de Colbert une source de calamités pour les peuples, et de privations pour l’agriculture. Dans les pays de grandes gabelles, où les droits étaient les plus élevés, il en fit réduire le taux à plusieurs reprises. Une sédition eut lieu dans deux villages de la Marche; deux commis de la ferme en furent victimes. Le ministre eut la preuve, par les résultats de l'enquête qui fut ordonnée à cette occasion, que les assujettissements et les vexations avaient été la cause de ces excès coupables. Peu de temps après, la suppression des greniers à sel et des officiers dans plusieurs provinces y changea le droit de gabelle en vente volontaire à prix fixe; ce qui délivrait les consommateurs des frais de collecte. Les droits manuels des officiers maintenus furent modérés; on réduisit les prélèvements en nature que des seigneurs faisaient pendant le transport des sels sur la Charente, sur la Sèvre-Niortaise, la Boutonne, et sur d’autres rivières. Dans la suite, d’après une révision des ordonnances anciennes, et par la réunion des dispositions éparses dans de nombreux arrêts souvent ignorés, Colbert établit la législation concernant les sels, conformément aux principes particuliers à chacune des quatre formes de régies qui divisaient le royaume en pays de grandes gabelles, en pays de petites gabelles, en pays rédimés, et en pays exempts. Dans la loi nouvelle, le ministre se montrait l'adversaire constant des exemption abusives; il fixait des limites aux prétentions des fermiers, abrégeait les formes de procédure, et diminuait la occlusions de procès; à l’égard des assujettis aux devoirs de gabelle, la loi établit des gênes, et même des rigueurs : elles n'étaient qu’une conséquence inévitable de la nature vicieuse et de l'inégalité de l’impôt entre les provinces et les particuliers, autant que de la nécessité d’assurer la perception du droit établi[24].


1664.- A de faibles exceptions près, les douanes, imaginées, comme on l’a vu, sous le règne de Philippe-le-Bel, avaient été considérées uniquement depuis comme un moyen d’accroître les ressources du fisc, sans égard à leur influence sur la prospérité intérieure du royaume; et l’exportation avait constamment supporté la plus forte partie des taxes. Substituant les hautes spéculations de l’économie publique aux calculs étroits de la fiscalité, inspiré d’ailleurs par la noble ambition d’élever la France au premier rang des nations commerçantes et manufacturières, Colbert vit dans une meilleure combinaison des droits d’entrée et de sortie un moyen d’assurer la réalisation de ce grand projet, vers lequel, depuis trois années, il dirigeait la nation.

Déjà, en effet, la perception du droit de fret sur les bâtiments étrangers, en favorisant la construction de navires nationaux, avait rendu à nos ports la navigation de cabotage, que les Anglais, et les Hollandais surtout, faisaient précédemment; dans la Méditerranée, les galères du roi protégeaient la marine marchande, abandonnée depuis long-temps aux pirateries des Barbaresques; les colonies du Canada, les îles de l’Amérique, dont plusieurs avaient été achetées, étaient mises en état de défense, et les navires étrangers s’en voyaient exclus. Aux compagnies privilégiées pour le commerce maritime, établies depuis le règne de Henri IV, et que les vues étroites du monopole autant qu’une mauvaise administration avaient ruinées, succédaient de nouvelles compagnies, aux actions desquelles étaient appelés les Français et les étrangers de toute condition et qualité, mais qui conservaient le privilège exclusif du commerce dans les deux Indes. La pêche trouvait un encouragement dans la réduction des droits en faveur des bâtiments qui s’y destinaient; et, chaque année, un million était employé à l’encouragement du commerce maritime et des manufactures. Déjà le métier à bas, inventé puis perdu par la France, et enlevé récemment à l’Angleterre, se multipliait par les soins de Colbert; la fabrication des soieries, perfectionnée, étendait ses exportations, et contribuait à propager dans le midi la culture du mûrier et l’éducation des vers à soie. Malgré ces premiers succès, dus à la sollicitude du monarque et aux vues de son ministre, le commerce maritime, et l’industrie qui l’entretient, se trouvaient arrêtés dans leur essor par une multitude de taxes légales ou illicites qui frappaient les productions du sol sur les limites de chaque province. Le ministre fit reconnaître au roi que « tant de levées et d’impositions étoient capables de dégoûter ses sujets de la continuation du commerce. » Telle était en effet la variété des droits, « qu’il étoit difficile d’observer les différences, ni de négocier, soit dans le pays ou dehors, qu’avec beaucoup de peine et de danger d’être surpris..., vu qu’il étoit presque impossible qu’un si grand nombre d’impositions ne causât beaucoup de désordres, et que les marchands pussent en avoir assez de connaissance pour en démêler la confusion, et beaucoup moins leurs facteurs, correspondants ou voituriers, qui étoient toujours obligés de s’en remettre à la bonne foi des commis, qui était souvent fort suspecte. » Pour parvenir au rétablissement de la navigation et du commerce, il était donc nécessaire, avant tout, de faire une révision des taxes, afin de réduire les fixations trop fortes, et d’élever les droits trop faibles; il fallait enfin former un nouveau tarir de douanes, « l’un des plus savants ouvrages que le législateur puisse entreprendre, et, dans lequel la plus légère erreur peut coûter des millions[25]. »

Colbert était trop habile pour ne pas reconnaître qu’il manquait à ses vues le secours de la pratique, et d’un esprit trop supérieur pour craindre de réclamer hautement les conseils que des négociants expérimentés pouvaient seuls lui offrir. Le roi ordonna que, dans chaque port et ville de commerce, les négociants assemblés choisiraient les deux plus éclairés d’entre eux, et les désigneraient à Colbert. Sur le nombre des élus, trois furent appelés auprès du ministre. Ils examinèrent avec lui les réclamations, les plaintes et les propositions; les projets qui sortaient de ces conférences étaient soumis ensuite à la discussion dans une assemblée nouvellement instituée sous le nom de conseil du commerce, et que Louis XIV présidait. Les combinaisons du tarif qui résulta de cet important travail furent dirigées d’après les principes dont Colbert entretenait le monarque :

«Réduire les droits à la sortie sur les denrées et sur les manufactures du royaume;

« Diminuer aux entrées les droits sur tout ce qui sert aux fabriques;

Repousser, par l’élévation des droits, les produits des manufactures étrangères[26]. »

Ces principes, adoptés depuis par tous les gouvernements éclairés, et modifiés seulement en raison des circonstances, ne purent recevoir une entière application, dans un premier tarif qui parut en 1664[27]. A l’époque de sa publication l’état de la marine et de l’industrie ne permettait pas de repousser un grand nombre d’objets qui étaient indispensables à la France, et que les étrangers, surtout les Hollandais, étaient en possession de lui fournir. Ce premier tarif n’eut donc et ne dut avoir pour objet que de faciliter l’exportation de nos denrées, et d’appeler à nous les matières premières qui manquaient à nos fabricants.

Il entrait dans le système du ministre, attentif à ce qui pouvait favoriser l’accomplissement de ses vues, de rétablir la liberté dans les communications de province à province, et de détruire les entraves que le commerce et la circulation éprouvaient par l’existence des traités intérieures, en supprimant ces nombreuses barrières et en reportant tous les bureaux de douanes aux frontières extérieures du royaume. Le tarif avait été préparé dans ce dessein, qui était conforme au vœux exprimés à différentes époques dans les assemblées d’états-généraux. Mais, par une conséquence fâcheuse des ménagements que commandaient les privilèges, dont l’existence privait le souverain de la faculté de faire seul le bien du royaume, ce tarif dut être communiqué aux provinces, en leur laissant l’option entre le régime projeté et celui qui existait. Colbert espérait que toutes apprécieraient les avantages du changement qui leur était proposé ; mais son attente fut trompée. Plusieurs d’entre elles acceptèrent, à la vérité, le tarif ; les autres, habituées depuis des siècles à voir leurs intérêts séparés de ceux du reste de la France, préférèrent leur ancien état à un changement dont elles redoutaient les conséquences, sans pouvoir les apprécier ; d’autres provinces enfin, qui avaient été récemment conquises, firent stipuler dans les traités de réunion qu’elles conserveraient une libre communication et une pleine franchise avec l’étranger. Ainsi, malgré les efforts du ministre pour soumettre le royaume à un régime uniforme dans les douanes, des intérêts ou des préjugés de localité l’emportèrent sur l'intérêt commun; et l’on vit se perpétuer ces différentes législations qui soumettaient à des régimes opposés les parties d’un même état[28].

Les provinces qui avaient adopté le nouveau tarif virent disparaître les droits de rêve, de domaine forain, de haut passage, de traite domaniale, qui furent supprimés ainsi qu’une foule de droits locaux, et remplacés par un droit de sortie unique et uniforme par article. Un seul droit à l’entrée fut pareillement substitué aux taxes qui, à différentes époques, avaient été mises sur les épiceries, les drogueries et les autres denrées ou matières premières. Les provinces désignées sous le nom de provinces des cinq grosses fermes furent séparées, par une enceinte de bureaux, de celles qui s’étaient refusées à l’adoption du tarif, et qui reçurent la dénomination de provinces réputées étrangères. Dans celles-ci, le commerce resta soumis à plusieurs droits locaux, perçus sous les noms de douane de Lyon, de douane de Valence, de comptable de Bordeaux, de coutume de Bayonne, de trépas de Loire, de patente du Languedoc, de traite de Charente, de péage de Péronne, etc. ; etc. Aux gênes que ces barrières intérieures entretenaient elles ajoutaient le double inconvénient de priver la France des bénéfices du transit à l’étranger, et de nuire à ses propres exportations, parce que, avant d’arriver aux frontières, les denrées et les marchandises provenant du dehors ou de l’intérieur se trouvaient grevées de plusieurs perceptions qui en élevaient le prix.

Ces obstacles cédèrent pourtant aux mesures nouvelles adoptées par Colbert. Les productions du sol et de l’industrie du royaume, lorsqu’elles étaient destinées pour l’étranger, jouirent du transit à travers les provinces en franchise de tous droits d’entrée, de sortie, et de péages, passages et autres redevances prétendues par les villes, communautés, seigneurs ou particuliers, et de la faculté d’entrepôt dans onze villes et ports, où des magasins furent établis à cet effet. Les mêmes facilités, appliquées au transit de l’étranger, et quelques encouragements accordés dans l’origine à des entrepreneurs, procurèrent au commerce français le transport des marchandises de la Flandre et des Pays-Bas, qui, précédemment, s’embarquaient à Ostende ou allaient par terre jusqu’en Italie sans traverser le royaume, et celui des vins et des denrées que l’Espagne fournissait à la Flandre. Quelque temps après, les négociants français et étrangers obtinrent la liberté de réexporter, pendant la durée d’un bail des fermes et un an plus tard, sans payer les droits de sortie et avec restitution des droits d’entrée, les marchandises importées dans les ports, lors même qu’elles n’auraient pas été déclarées pour l’entrepôt. En annonçant cette mesure, le roi invitait « les négociants de toutes les nations à se servir de ses ports comme d’une étape générale pour y tenir toutes sortes de marchandises, soit pour les vendre à ses sujets, soit pour les transporter hors du royaume. » Si l'on ne s’était pas départi de ces grands principes, après la mort de Colbert, dit M. de Forbonnais, la France serait depuis longtemps l’entrepôt du commerce de l’Europe. Mais cette vaste et belle conception, et celle du transit qui vivifie les voies intérieures d’un royaume comme les entrepôts animent ses ports, ne devaient survivre que peu d'années à leur auteur, et cela parce que les fermiers qui exploitaient les douanes, plus ignorants encore que cupides, ne trouvaient pas de profit à laisser ouvertes ces sources de prospérité publique[29].

A la nouvelle et grande direction qu’il donnait au système des douanes, aux avantages précieux pour le commerce d’une perception simplifiée partout où elle avait pu l’être, Colbert ajoutait un autre bienfait en rappelant ou en établissant les obligations respectives des négociants et des fermiers. Pénétrant, comme il avait fait pour les tailles et pour les aides, dans les détails d’exécution, il fit établir le régime des entrepôts de manière à garantir les fermiers des pertes, tout en assurant aux négociants la conservation des marchandises; il régla les formalités à observer pour le transit et les peines encourues en cas de fraude, et fixa légalement le prix des acquits de paiement, des acquits-à-caution et des décharges d’acquits-à-caution. Il fut défendu expressément « de lever aucune chose sur les passavants et congés, ni pour le vu et contrôle des acquits de paiement présentés par les marchands et voituriers passant debout par les bureaux, » ce que les fermiers ou leurs commis faisaient précédemment.

On a lieu d’être surpris que l’idée de faire régir et recouvrer les taxes sur les consommations pour le compte et par les préposés directs de l’état ne se soit pas présentée au génie de Colbert : malgré les avantages réels de l’adjudication aux enchères publiques qu’il avait rétablie, comme avait fait Sully, il eût préféré sans doute à la mise en ferme un mode qui offrait le moyen d’accorder en dégrèvement aux peuples les bénéfices que faisaient les fermiers. Colbert cependant était sur la voie de cette amélioration : car la forme des régies intéressées est une de ses conceptions, comme le prouve ce qu’il fit pour l’administration des monnaies.


1666.- Avant Colbert, la fabrication des espèces n’offrait pas toutes les garanties qu’exige l’intérêt public, et le fisc était privé du bénéfice que devait lui procurer le seigneuriage. Cet ancien droit domanial, dans l’abus duquel tant de rois avaient trouvé une ressource facile, mais ruineuse pour les sujets, n’avait plus été, à de rares exceptions près, qu’un bénéfice modéré depuis que la permanence des impôts avait assuré un revenu certain à la couronne : il consistait dans la retenue d’une faible portion des matières qu’on portait aux monnaies, pour payer les frais de conversion en espèces. La fabrication était confiée à des orfèvres, à des banquiers on à d’autres entrepreneurs, tantôt par un bail particulier à chaque hôtel de monnaies, et tantôt par un bail général pour le royaume. Cette ferme avait lieu soit à la condition de donner au trésor un bénéfice convenu sur le nombre de mares qui devait être fabriqué pendant la durée du traité, soit moyennant une somme fixe, indépendante de la quantité des mares fabriqués. Le bail réglait le titre, le poids des espèces et la valeur numéraire pour laquelle elles auraient cours; mais l’imperfection des procédés de fabrication ne permettant pas de l’établir à un titre et à un poids bien précis, l'on accordait des remèdes, c’est-à-dire qu’on permettait de fabriquer les espèces un peu au-dessous du titre et du poids annoncés. Des officiers veillaient, sous l’autorité d’une cour des monnaies, à ce que l’on n’abusât pas de ces termes de tolérance, que l’on nommait remède de loi pour ce qui concerne le titre ou degré de fin, et remède de poids pour ce qui a rapport à la pesanteur des espèces. Ces remèdes, pris en dedans de la valeur des monnaies, formaient un bénéfice qui était réservé d’ordinaire au roi, mais que les fermiers trouvaient le secret de s’approprier, sous différents prétextes. On prit alors le parti de comprendre ce bénéfice dans le prix de la ferme; mais il en résultait un autre inconvénient, parce que les entrepreneurs de la fabrication employaient en entier ou excédaient même le remède, et affaiblissaient ainsi les monnaies. Le bail général, qui existait lorsque Colbert fut appelé au ministère, avait été passé moyennant cent mille livres : par ce traité, le roi s’engageait à n’accorder aucune permission pour la sortie des ouvrages en matière d’or et d’argent et à ne donner cours en aucune façon aux espèces étrangères, avec défense aux affineurs d’en fondre sans la permission du fermier; et celui-ci avait le privilège de prendre par préférence, au prix du tarif, toutes les matières qu’il jugerait à propos. Ces clauses étaient incompatibles avec les vues que le ministre avait pour l’extension du commerce et pour l’établissement des fabriques en dorure et en bijouterie. Mais l’ancienneté de leur usage en avait fait une espèce de droit; et Colbert éprouva tant de difficultés à renouveler le bail des monnaies à des conditions moins gênantes, qu’il adopta pour la fabrication des espèces une nouvelle forme d'administration qui participait de la régie et de l’entreprise. Chaque directeur acheta, fabriqua et vendit, avec les fonds et pour le compte de l’état, moyennant un prix fixe par marc qui fut alloué conformément aux règles établies, et sous la surveillance d’officiers nommés par le roi, et qu'un directeur général des monnaies chargé de rendre compte au conseil de la fabrication et des frais. Depuis ce changement un directeur des monnaies est tout à la fois régisseur ou chef d’une manufacture pour le compte de l'état, et entrepreneur des frais de fabrication. Cette forme d’administration est encore la même de nos jours; elle n'a subi de changement que dans les moyens de la surveillance, qui s’exerce maintenant d’une manière plus certaine dans les intérêts du public et dans ceux du trésor, par l’effet des immenses progrès de la chimie, de la gravure et de la mécanique, qui ont porté tous le détails de la fabrication des monnaies au plus haut degré de perfection[30].

A ces changements dans l’administration des monnaies, Colbert ajouta une opération qui est regardée, avec raison, comme la plus habile en ce genre. Il existait dans la circulation une assez, grande quantité de pistoles d’Espagne et d’écus légers : ces espèces furent décriées ainsi que toutes les monnaies étrangères. On ordonna de les porter aux monnaies, où elles furent converties en pièces d’or et d’argent, aux frais du trésor, c’est-à-dire qu’on n’exerça aucune déduction ni pour droit de seigneuriage ni pour fabrication; de sorte que les propriétaires reçurent en poids et en titre une valeur égale à celle qu’ils avaient apportée. L'effet de cette libéralité fut d'attirer abondamment en France l'or et l’argent des pays voisins, et de multiplier les moyens d’échange. La mesure fut complétée par la liberté accordée aux négociants et banquiers de trafiquer des matières d’or et d’argent en barres, lingots ou monnaies étrangères, et de les transporter dans toutes les parties du royaume, ce qui jusque alors avait été interdit par les ordonnances[31].

Les obstacles qui s’opposaient à l'introduction de l’uniformité dans le régime des douanes n'arrêtèrent point l’exécution du plan que Colbert avait conçu pour affranchir le royaume des tributs qu’il payait à l’étranger. Depuis que les nouveaux règlements de douanes avaient ouvert aux Français la voie de la navigation, tous les soins du ministre tendaient à l'agrandir. « Dans l'intention d’effacer les restes d'une opinion universellement répandue que le commerce maritime est incompatible avec la noblesse, » à plusieurs époques le roi accorda aux gentilshommes et gens de robe la permission de prendre part à ce commerce, soit par eux-mêmes, soit comme intéressés. Pour diriger les entreprises vers les voyages de long cours, tout négociant qui achetait de l’étranger un vaisseau au-dessus de cent tonneaux recevait une prime de quatre livres par tonneau; la prime allait à cinq livres lorsque le bâtiment était construit dans les ports français, et jusqu’à six livres s’il dépassait deux cents tonneaux. L’armateur de tout navire expédié pour la Baltique avait droit, par tonneau et pour chaque voyage, à quarante sous lorsqu’il faisait son retour dans un port de France avec un chargement de bois et de marchandises propres à la construction et à l’armement des vaisseaux. Ceux qui transportaient des passagers au Canada, à Terre-Neuve et dans les autres colonies françaises, recevaient cinq livres par homme et trois livres pour chaque femme. La navigation s’agrandit encore du côté de l’Amérique par l’impuissance où se trouva la compagnie des Indes-Orientales de soutenir son privilège exclusif. Le ministre observateur reconnut les inconvénients de ces compagnies marchandes, dont le moindre défaut est d’écarter la concurrence et l’émulation qui en résultent : en conséquence, le commerce d"Amérique fut permis à tous les Français. Des escadres créées dans nos ports escortaient et faisaient respecter les convois, tandis que des croisières écartaient les navires interlopes qui fréquentaient nos colonies, malgré le renouvellement des défenses portées contre eux.

Du côté du Levant le commerce sortit de l’état déplorable où l’avaient réduit les agents des consulats. Ces places, érigées, comme tous les emplois publics, en charges vénales et héréditaires, étaient abandonnées à des commis ou à des fermiers qui abusaient de leur position éloignée pour exercer des monopoles ou pour lever des taxes sur les marchands, qu’ils exposaient souvent à des avanies par leur mauvaise conduite. A Marseille, des droits de dix espèces différentes, indépendamment de ceux qui se payaient à la douane, éloignaient les négociants étrangers; et les nationaux, sans vues, sans capitaux et sans émulation, voyaient passer aux ports voisins de l’étranger un commerce lucratif qu’ils ne savaient plus exploiter par eux-mêmes. Colbert entreprit de rouvrir à la navigation française la carrière du Levant. Les consulats cessèrent d’être une propriété; les consuls furent tenus de résider, et leur autorité fut renfermée dans de justes limites. Des privilèges et d’autres avantages offerts aux négociants étrangers en déterminèrent un grand nombre à venir s’établir à Marseille, qu’ils enrichirent de leurs capitaux et de leur activité. Le commerce se vit délivré des perceptions locales, à l’exception du droit de poids et casse, espèce de droit de pesage obligé, qui s’est maintenu jusqu’à nous au, profit d’une corporation de peseurs privilégiés, et d’une légère taxe dont le produit était destiné à l’entretien de jeunes Français élevés à Constantinople. Peu de temps après, accordant à Marseille l’avantage dont jouissaient déjà Dunkerque et Baïonne, le port de cette ville fut déclaré franc et libre à tous marchands et négociants, et pour toutes sortes de marchandises. Toutefois, afin de protéger le commerce français autant que pour intéresser Marseille aux armements pour les ports du Levant, toutes les marchandises qui n’arrivaient pas directement des Echelles, même par navire français, ou qui étaient apportées par des vaisseaux étrangers, devaient payer vingt pour cent de la valeur. Ces divers moyens remplirent l’attente du ministre qui les avait conçus : en peu de temps le pavillon français se multiplia dans tout le Levant; les manufactures du Midi, favorisées par ce nouveau débouché, acquirent un plus grand degré de prospérité, et des nations étrangères vinrent à Marseille s'approvisionner des denrées de l’Archipel[32].


1667.- Les arts industriels cependant, favorisés par l’exportation, continuaient de vivifier le royaume. Des manufacturiers, appelés de tous côtés par des récompenses, avaient introduit la fabrication des toiles, des serges et des draps fins, que nous recevions précédemment de la Hollande. La France enlevait à Gênes son point et ses velours; en même temps, par l’étab1issement des fonderies, des fabriques de cables, de cordages, de toiles à voiles, elle se mettait en possession de tous les objets propres au service de la marine. Ces conquêtes rapides sur l’industrie étrangère rendaient moins nécessaire à la France le secours dispendieux de ses voisins. Colbert alors compléta son système des douanes par un deuxième tarif. Celui-ci, rectifiant pour l’intérieur ce que le premier avait de préjudiciable à certaines contrées, affranchissait le Berri et le Bourbonnais des droits que payaient les vins à leur sortie de ces provinces, et l’Auvergne et la Marche d’abord, puis tous les autres pays sujets ou non sujets aux aides, des droits d’entrée et de sortie sur les bestiaux de toute espèce. A l’égard des articles qu’il ne convenait plus de tirer du dehors, le nouveau tarif élevait les droits, et les portait au double sur certains objets, tels, que la draperie, la bonneterie, les tapis, les cuirs préparés, les glaces et le fer-blanc[33].

Ce tarif ni le précédent ne prononçaient de prohibitions absolues : l’esprit de méditation qui caractérisait Colbert lui avait enseigné que, s’il est moins aisé pour un ministre, il est bien plus avantageux pour une nation, d’exciter en elle l’activité et l'industrie, que de triompher de la rivalité et de la concurrence de l’étranger en repoussant ses produits par, une prohibition plus facile à prononcer qu’à faire respecter. Colbert était persuadé sans doute que la défense d’importer est suffisamment représentée par des droits, lorsqu’ils sont élevés à un certain taux. Alors en effet, si l’industrie nationale ne sait ou ne veut pas, avec la forte prime que lui accorde le tarif, satisfaire au goût des consommateurs, ceux-ci ont encore le choix des fabrications étrangles, en payant un tribut volontaire dont l’état profite, au refus des industriels. Cette liberté restreinte éveille entre les différents peuples une émulation d’industrie que le monopole national étouffa au contraire. A ces avantages, les droits de douane, lorsqu’ils sont sagement calculés, en réunissent un plus grand encore, celui de prévenir l’existence et les conséquences funestes de la contrebande, également préjudiciable à l'état et aux producteurs nationaux, et qui toujours, par adresse ou par corruption, l’emporte sur les obstacles que le système prohibitif ne lui oppose qu'à grands frais. S’il n’admettait pas les prohibitions absolues, le ministre ne négligeait aucun des moyens propres à prévenir la fraude des droits et les dommages plus grands que la contrebande cause aux producteurs de bonne foi. Dans cette vue, les objets d’un petit volume; tels que les bas, les rubans et les autres étoles de soie qui venaient alors de l'Angleterre, les dentelles de la Flandre, de Venise, de Gênes, et le point anglais; durent être marqués, aux bureaux d’entrée, d’un plomb aux armes du roi, apposé sans frais par les commis du fermier; et celui-ci fût autorisé faire rechercher et saisir dans les magasins des marchands ces mêmes objets qui ne seraient pu revêtus de la marque. On soumit à une formalité semblable, sur le métier de nos tisserands, dans les villages de la frontière, la toile et les autres tissus, afin de prévenir l'introduction d’objets similaires fabriqués à l’étranger. Par ces moyens, les droits du trésor étaient garantis, les fabriques françaises recevaient une protection réelle, et le consommateur ne pouvait être trompé[34].

Le tarif tel que l'avait conçu Colbert, et les mesures qui excluaient les navires étrangers de nos colonies, nuisaient surtout à la navigation des Hollandais, en repoussant leurs importations. Ils tentèrent d’abord de faire modifier le tarif, en annonçant l’intention de porter des droits élevés sur les produits des fabriques et du sol de la France, notamment sur ses vins et ses eaux de«vie. En suite du refus qu’ils éprouvèrent, ils se déterminèrent, après plusieurs années, à défendre l'entrée dans leurs ports à ces mêmes productions, qui étaient pour eux l’objet d’un riche commerce d'échange avec les états du nord; mais des mesures plus hardies rendirent cette prohibition fatale à ceux qui l’avaient portée. Sur le rapport de Colbert, le roi fit défense de laisser charger des eaux-de-vie sur les bâtiments hollandais, et un droit très élevé arrête l’importation des harengs, que la Hollande était en possession de fournir au royaume. Les armateurs français, que déjà les primes précédemment établies avaient dirigés vers la Baltique, continuèrent à expédier directement les productions de notre sol dans ces contrées, qui leur offraient, en retour, des bois, des chanvres et du fer. Les Hollandais, alarmés de se voir attaqués dans la source même de leurs richesses, préparèrent contre Louis XIV, avec l’Espagne et l’empereur, une ligne dont les résultats devaient être glorieux pour les armes de la France, et fâcheux pour sa navigation[35].


1667.- La paix, si nécessaire au maintien de l’ordre dans les finances, ne favorisa que pendant six années les opérations de Colbert. Dans ce court espace de temps, nonobstant la restitution d’une moitié des octrois aux communes, un dégrèvement de vingt millions sur les tailles, la réduction des droits sur le sel et la suppression des dix sous additionnels sur les aides, l’état avait obtenu dans ses revenus une amélioration annuelle de onze millions, qui, joints à vingt millions épargnés par la réduction des rentes et gages assignés sur les produits, portaient à trente et un millions l’augmentation de ressources que recevait le trésor. Les avances des traitants et les assignations anticipées avaient disparu[36]. Colbert s’efforçait de prolonger ce temps de calme et de tranquillité, dont la durée pouvait lui permettre de conduire à leur perfection les plans dont il était occupé. Mais les projets conçus par Louis XIV pour l’agrandissement de la monarchie, et les conseils de Louvois, devaient l’emporter sur les vœux du ministre économe; et ses travaux n’eurent que trop souvent pour objet de fournir à l’entretien des armées.

Quelques hostilités sans but comme sans résultat qui avaient eu lieu entre la France et l’Angleterre ne furent que le prélude des deux guerres dont le trésor eut à supporter les frais pendant ce ministère.


1668.- La première, déjà excitée par le mécontentement de la Hollande, fut déterminée par l’intention qu’annonçait Louis XIV de réunir à la couronne, à titre d’héritage du chef de Marie-Thérèse, sa femme, une partie des possessions de la monarchie espagnole contiguës à la France. Deux campagnes aussi rapides que brillantes terminèrent cette guerre, où l'habileté de Condé et de Turenne fut puissamment secondée par la prévoyance de Louvois pour les approvisionnements, et par les ressources que multipliait Colbert. Cette guerre n’influa pas d’une manière sensible sur l’état des finances : car, à l’aide de plusieurs millions que procurèrent encore les taxes prononcées par la chambre de justice, on n'interrompit pas même le remboursement des offices, des aliénations et des gages supprimés; et le traité d’Aix-la-Chapelle; en reculant les frontières du côté de la Flandre et de l’Artois, offrit une compensation suffisante des sacrifices que la France avait faits. Après le court intervalle de deux années, une seconde guerre fut encore suscitée par la jalousie que les États-Unis de Hollande portaient à la prospérité naissante de notre commerce. Du côté de Louis XIV elle avait ses motifs dans le ressentiment des offenses qu’il avait reçues de la république, et plus encore dans les obstacles qu’elle avait apportés, pendant les négociations d’Aix-la-Chapelle, aux concessions de territoire que le roi demandait. Dans cette nouvelle guerre; la France, d’abord alliée à l’Angleterre, mais bientôt abandonnée d’elle, eut seule à soutenir pendant sept années sur terre et sur mer les efforts des autres puissances de l’Europe[37].


1669.- Avant le renouvellement des hostilités, une loi, dont les principales dispositions sont encore respectées de nos jours, avait assuré la conservation des bois. Du moment où il fut appelé à la direction des finances, Colbert résolut d’arrêter les désordres invétérés qui ruinaient cette partie autrefois si considérable du domaine de la couronne, et dont tout le prix était connu au ministre qui, dès lors, dirigeait ses vues vers la création d’une marine marchande et militaire. Des commissaires, choisis parmi les hommes les plus capables de découvrir les abus existants, furent envoyés dans les provinces. Sur leur rapport, le roi révoqua les officiers dont l’incurie ou l’infidélité avait favorisé les désordres ; le nombre des officiers fut réduit, les titulaires obligés à la résidence ; et l’on arrêta la dégradation des bois royaux en infligeant de fortes amendes aux individus qui y commettaient des délits. Empruntant ensuite aux anciennes ordonnances les dispositions les plus sages, complétant ces règlements par les dispositions dont l’expérience indiquait la nécessité, Colbert forma un code complet pour l’aménagement et la conservation des bois, la police, le flottage, la navigation et la pêche des grandes rivières. Ce travail, et les règlements dont il fut suivi, eurent pour résultat immédiat de déterminer, en les limitant, les fonctions des agents forestiers ; de supprimer les usages en bois de construction, et de réduire les usages en bois de chauffage, moyennant une indemnité à ceux qui justifièrent d’une possession légitime ; de restreindre les droits de pâturage ; d’arrêter le dépérissement des forêts, en fixant, pour les coupes ordinaires, des époques qui différaient suivant que les bois appartenaient aux particuliers, à des communautés ou à l’état, mais qui, pour ces derniers, furent réglées à raison de l’essence du bois et de la nature du terrain ; enfin, d’assurer à la marine royale le choix des arbres propres à la construction ou à la mâture, dans toutes les propriétés, et sous condition des paiement. Pour l’avenir la législation nouvelle ménageait des ressources à l’état et au public dans la disposition qui ordonnait que le quart des bois appartenant au clergé séculier ou régulier, ainsi qu’aux communautés d’habitants, serait mis en réserve pour des cas imprévus.


1672. — La guerre avait commencé par la campagne que rendit célèbre alors le passage du Rhin et l’invasion de la Hollande ; toutefois, ni la création et l’entretien d’une armée qui fut portée à cent mille hommes, ni l’activité des arsenaux de la marine, ne suspendirent la construction des nombreux édifices que la magnificence autant que le goût des arts avait fait entreprendre à Louis XIV dans Versailles, à Saint-Germain, à Marly et dans la capitale. Entraîné par la nécessité de fournir à tant de dépenses extraordinaires, si Colbert dut s’écarter parfois des principes sur lesquels il avait établi son administration, le premier moyen qu’il adopta procura au trésor une branche de revenu nouvelle dans le produit de la taxe des lettres. Les postes, que Louis XI avait imaginées pour être plus tôt et plus sûrement instruit de tout ce qui se passait dans son royaume et dans les états voisins, étaient devenues par la suite un établissement utile à la société, et depuis long-temps il existait un service organisé pour le transport des correspondances publiques et particulières. Mais, par l’effet d’une mauvaise régie, les intendants, les receveurs et les commis s'enrichissaient par des exactions arbitraires, dont l’excès avait plusieurs fois excité les plaintes du commerce, et l’état ne retirait des postes de France que cent mille livres, qui faisaient partie du bail des aides. Louis XIV avait abandonné le produit des lettres de l’étranger à Louvois, à titre de gratification : il le lui retira. Colbert alors put donner aux postes une organisation complète; et, réunissant à cette exploitation celle des voitures publiques ou messageries qui appartenaient au roi, à des seigneurs ou à l’université, il en forma une ferme particulière, dont le premier bail eut lieu pour cinq ans, à raison de neuf cent mille livres par année. Depuis cette époque, le transport des lettres, si digne des soins du gouvernement comme objet d’une utilité générale, a été assujetti à une police régulière, et les élévations apportées successivement à la taxe des correspondances particulières en ont fait dans la suite l’objet d’un revenu important[38].

Les emprunts de diverses, natures, les augmentations ou les créations d’impôts, et les aliénations, abandonnés depuis dix années, étaient les seuls moyens dont Colbert eut le choix pour élever les recettes, et assurer le paiement exact des dépenses. Il usa de tous successivement, mais avec des ménagements qui les rendirent, rendirent moins onéreux à l’état qu’ils n’avaient été pendant les guerres précédentes, «et se montra surtout avare des privilégie portant immunité d’impôts.

Le renouvellement de l'annuel pour trois années, et par conséquent de la survivance en faveur des officiers de justice et de finance, sauf toutefois les trésoriers de France et les employés des greniers à sel, dont Colbert méditait la suppression; des taxes additionnelles à la finance des secrétaires du roi, des trésoriers de France, des notaires, des procureurs, fournirent les fonds de la première campagne. Vint ensuite la création de nouveaux offices de judicature, de greffiers, de courtiers-jaugeurs, de vendeurs de poisson, de vendeurs de veaux, de mesureurs de grains, de mouleurs de bois, et les augmentations de gages. Ces créations se négocièrent à raison de quatre-vingt-quatre pour cent[39]. Mais les traitants jouissaient encore d’un ou deux sous pour livre, à payer par les titulaires, suivant que l'achat était volontaire, ou que l'acheteur avait été désigné par le conseil; ce qui portait les bénéfices de négociation à vingt-trois pour cent. Le ministre, toutefois, préférait les emprunts de cette nature à la création des rentes perpétuelle : = non qu’il méconnût les avantages qu'un état peut retirer, dans une circonstance impérieuse, des constitutions de rentes, lorsque, par la confiance, la négociation en est assurée à un taux modéré; mais de puissants motifs l’éloignaient de ce mode d’emprunt. Frappé de l’opposition qu'avait éprouvée le remboursement des anciennes rentes sur les tailles, et toujours occupé, lors même qu’il empruntait, de l’extinction de la dette publique, il devait préférer les offices et les gages, dont la suppression avait lieu sans difficulté aussitôt que le trésor pouvait en rembourser la finance. Connaissant, d’ailleurs, les projets de guerre et de conquête présentés par Louvois, le goût de Louis XIV pour tous les genres de dépenses, et redoutant de familiariser le monarque avec un moyen trop facile de préparer de nouvelles charges pour les peuples en augmentant la dette perpétuelle, il manifesta un éloignement constant pour la création des rentes; sa résistance ne céda qu’à la volonté du roi; et Louis XIV lui-même ne se détermina qu'après avoir fait intervenir dans la discussion M. de Lamoignon, premier président du parlement. Ce magistrat, distingué par son mérite et par sa probité, mais déjà prévenu par Louvois en faveur des rentes, fut de l’avis des emprunts, et les fit prévaloir. En sortant de cette conférence, Colbert lui dit : « Vous triomphez; mais croyez-vous vous avoir fait l’action d’un homme de bien ? Croyez-vous que je ne susse pas comme vous qu’on pouvoit trouver de l’argent à emprunter ? mais counoissez-vous, comme moi, l’homme auquel nous avons affaire, sa passion pour la représentation, pour les grandes entreprises, pour tout genre de dépenses ? Voilà donc la carrière ouverte aux emprunts, par conséquent à des dépenses et à des impôts illimités ! Vous en répondez à la nation et à la postérité[40]. »


1674. — On créa donc des rentes qui furent divisées sur les aides, sur les gabelles, sur les postes, sur le domaine, sur les états de Languedoc. L'intérêt de l’argent, réduit pendant l’administration de Sully au denier seize, et sous le règne de Louis XIII au denier dix-huit, avait été borné, par les soins de Colbert, au denier vingt. Cette dernière fixation était observée dans les contrats entre particuliers : elle ne put servir de règle pour les emprunts publics ; et, nonobstant une déclaration qui rétablit le taux des intérêts pour les opérations faites par le trésor au denier dix-huit, des rentes furent constituées au denier seize, et même au denier quatorze ; mais elles ne purent être placées qu’à raison de soixante-quinze et soixante-dix pour cent. Cependant l'émission annuelle excéda rarement un million. Cette négociation, onéreuse eu égard à la situation des finances, résultait uniquement des prétentions des traitants, qui, réunissant dans leurs mains tous les capitaux, voulaient s’assurer sur les rentes des bénéfices au moins équivalents à ceux que procuraient les autres affaires extraordinaires. Colbert appela d’abords les capitaux étrangers dans les emprunts ; mais la guerre, qui séparait la France des autres états de l’Europe, priva pour cette fois le ministre de ce moyen de concurrence : il entreprit alors de soustraire l’état à l’avidité des traitants en appelant directement au trésor l’argent des capitalistes, dont les financiers n’étaient souvent que les entremetteurs dispendieux. Dans cette vue, un édit établit d’abord une caisse d’emprunt où les particuliers pouvaient placer leurs fonds à l’intérêt de cinq pour cent, avec la faculté de les retirer à volonté. Le succès de cet établissement répondit à l’attente de son inventeur : la caisse aida aux opérations, et fournit un témoignage de la confiance qu’inspirait l’administration, puisque, dans le cours même de la guerre, l’excédant libre des fonds déposés fut habituellement de quatorze à quinze millions, et qu’il s’éleva plus tard jusqu’à vingt-neuf[41].

Les mêmes ménagements qui présidaient aux emprunts dirigèrent les aliénations ; elles portèrent principalement sur les droits ide greffe, et sur un grand nombre de petites propriétés dépendantes du domaine, dont l’exploitation était très coûteuse, et qui, par leur nature, devaient être plus aisément mises en valeur par l’industrie particulière. Afin de rendre plus productive l’adjudication de ces biens, ont les déclara affranchis du principe de l’inaliénabilité ; et la vente, faite par des commissaires aux enchères publiques, eut lieu, au choix des acquéreurs, ou en censive, ou à perpétuité, à titre d’inféodation incommutable. Les intérêts des communes ne furent pas ménagés avec la même attention : en payant au trésor des taxes modiques, les détenteurs des biens communaux qui avaient été usurpés ou concédés à vil prix, et dont le rachat n’était point encore consommé, obtinrent d’être confirmés dans leur possession.

Toujours par suite des besoins que causaient la guerre et les dépenses d’embellissement, les arts et métiers furent l’objet d’une mesure dans laquelle il est difficile de reconnaître la sollicitude de Colbert pour ce qui intéressait l’industrie, et l’attention qu’il avait eue, à plusieurs égards, de réformer la législation financière conformément aux vœux exprimés sous le précédent règne dans les dernières assemblées des états généraux et des notables. On obligea les artisans et les marchands qui n'étaient point en corps de communauté de se réunir, afin qu’il fût accordé des statuts qu’il fallait payer. Ces statuts, imaginés dans des vues moins désintéressées que les règlements par lesquels Saint-Louis avait ranimé l’industrie, portent l’empreinte de l’esprit de fiscalité qui présidait à leur rédaction. S'ils annoncent l’intention bien louable de conserver aux produits des fabriques françaises la supériorité dans les marchés étrangers, en écartant les inconvénients d’une cupidité aveugle qui spécule sur l’ignorance ou la bonne foi du consommateur, par d’autres dispositions dont l’effet devait être plus certain, ils ferment au talent pauvre la carrière de l'industrie, condamnent à l’oisiveté une partie laborieuse de la population, et rétrécissent la sphère des arts et du commerce en soumettant chaque profession à des exclusions et à des gênes qui sont contraires à tout perfectionnement. Ainsi, d’après ces statuts, le manufacturier n’est pas le maître de teindre ses étoffes; un teinturier en fil ne peut étendre son industrie à la teinture en laine ou en soie; il est défendu au chapelier de faire le commerce de la bonneterie et de fabriquer des demi-castors; un apprenti n’est pas reçu avant fige de quinze ans dans une fabrique d’étoffes de soie; l’étranger est exclus de cet apprentissage, et, fût-il un habile ouvrier; l’achat d’une maîtrise ne lui est permis qu'après avoir travaillé pendant cinq années; enfin, les femmes n’ont pas la permission de travailler sur les métiers. Colbert, qui fit approuver ces règlements, profita encore des bénéfices du droit domanial, que Henri II avait attaché à l'exercice des professions utiles, pour assujettir les communautés qui étaient déjà instituées à prendre des lettres de confirmation moyennant finance. Il créa à plusieurs reprises des places de maître dans chaque communauté. Mais, les maîtres établis ayant intérêt à écarter de nouveaux concurrents, pour se maintenir en possession du monopole de l’industrie, les communautés se voyaient forcées d'acheter les nouvelles lettres de création qu’elles annulaient. On leur permit à cet effet d’ouvrir des emprunts et de lever, par des taxes sur les récipiendaires et sur les marchandises, les sommes nécessaires pour en payer les intérêts. Ces rentes, grossies dans la suite par de semblables motifs, par des frais de procédure entre les maîtres ou entre les jurandes, et par d'autres besoins réels ou supposés, formèrent dans toutes les communautés du royaume la source d'une imposition cachée sur le public et sur la consommation, en même temps qu’elles devinrent l’occasion d’une foule d’abus[42].

Lorsqu’aux ressources que procuraient ces différents moyens le ministre fut obligé d’ajouter l’élévation ou la création de certaines taxes, dans cette circonstance comme dans beaucoup d’autres il se montra supérieur aux idées d’une étroite fiscalité qui avaient dirigé ses prédécesseurs. Il abandonna l’expédient trop facile des sous additionnels, qui, ajoutant une même somme indistinctement à des impôts déjà inégalement distribués, devenaient par cela seul un impôt injuste et d’un produit moins certain.

Le tabac s’offrit d’abord comme un objet susceptible de supporter une augmentation d’impôt. Jusque alors l’importation de cette plante était soumise à des droits qui avaient plusieurs fois varié, mais qui différaient toujours suivant que cette production était tirée de l’étranger ou des colonies. Elle donnait ainsi un revenu à l’état, sans cesser d’être pour le royaume l’objet d’un commerce et d’une culture libres qui en propageaient l’usage et fournissaient encore à une exportation lucrative. Colbert agit contre ses propres idées en réservant au roi le droit de vente exclusive du tabac. Ce nouveau monopole fut affermé moyennant cinq cent mille livres pour les deux premières années, avec un droit de marque sur la vaisselle d’étain. A la sollicitation des fermiers, la plantation, libre jusque alors, fut restreinte à certains lieux fixés dans le Languedoc, la Guyenne, et dans les environs de Mont-Dragon, de Saint-Mexant, de Léry et de Metz. La confiscation et des amendes furent les peines portées contre les réfracteurs. Au retour de la paix, cependant, le ministre ne cessa d’insister pour la suppression de la ferme du tabac, qu’il regardait comme préjudiciable au commerce. Mais le monopole était devenu trop profitable au fisc pour que cette opinion prévalût; et, vingt ans après le premier bail, la ferme du tabac fut portée à seize cent mille livres par an. La défense de planter devint alors plus rigoureuse. Le fermier obtint l’autorisation de faire arracher le tabac dans tous les lieux où la culture n’en était pas permise; on lui accorda encore le droit de faire des perquisitions dans les jardins, les parcs et les vergers. La contrebande, conséquence funeste dut monopole et des prohibitions, fut punie pour la première fois par la confiscation accompagnée d’une amende de mille livres, et, au cas de récidive, perle peine du carcan[43].

De tous les objets atteints par l’impôt, le tabac est le seul pour lequel la consommation, favorisée par la mode d’abord, et par l’habitude ensuite, se soit constamment prêtée aux vues de la fiscalité. L’usage de cette production semble s’être étendu en sens contraire des mesures qui devaient le restreindre ou l'anéantir. C’est donc avec raison que l’état trouve dans le tabac une branche considérable de revenu, tribut bien libre, sans doute, puisqu’il résulte d’une consommation qui tient moins de la nécessité que de l’agrément. Mais ne doit-on pas regretter, avec Colbert, que les prohibitions, inséparables du monopole, aient détruit dans le royaume la libre culture d’une plante que le sol de la France avait adoptée, et dont profitait son commerce ?


1674.- En même temps que Colbert assurait l’exécution des édits rendus et abandonnés sous le ministère de Mazarin pour l’établissement du droit d'échange, du contrôle des actes sujets à signification, du droit de formule sur les papiers et parchemins timbres, il faisait ordonner la perception du droit de franc-fief; il complétait le système hypothécaire; il élevait les droits sur les sucres rafinés à l'étranger, sur la marque d’or et d’argent, sur les sels et sur les denrées à l’entrée des villes. Nonobstant l’opposition des ecclésiastiques, il soumettait aux taxes d’entrée et d’octroi les vins et les vendanges provenant de leurs bénéfices, et les denrées destinées destinées à leur usage; il étendait le droit de gros sur les vins à des villes, là des bourgs et à des paroisses qui jusque alors avaient joui d’exemptions; il doublait la taxe de consommation sur les eaux-de-vie. Mais, pour compenser, autant qu’il était possible, le dommage résultant du défaut d’exportation des denrées, plus onéreux que tous les impôts, les vins et les eaux-de-vie obtenaient une modération des droits à la sortie; ces mêmes droits étaient remis entièrement pour toutes les marchandises chargées dans les ports du royaume sur des navires français à destination des colonies d’Amérique ou d’Afrique; une réduction des trois quarts des droits portés par le tarif sur les céréales permit aux habitants as la Champagne et de la Picardie d’en fournir aux Pays-Bas que les armées de Louis XIV occupaient; le Languedoc et le Dauphiné eurent la faculté d’exporter toutes sortes de graines en payant les droits en totalité ; et une modération du droit de sortie sur les fèves exportées pour l’Espagne procura au commerce une spéculation que les Hollandais avaient jusque alors exploitée avec bénéfice. Au milieu des hostilités, nos ports s’ouvrirent aux navires des puissances ennemies qui voulurent y prendre un chargement, moyennant le paiement des droits de tonnage et la délivrance d’un passeport ; enfin, les négociants exportaient des sucres rafinés en France jouirent pour la première fois de la restitution des droits d’entrée. Par ces modifications aux ordonnances récemment publiées, le ministre enseignait qu’il n’est point de système absolu en matière de douanes ; que leur législation, mobile comme les événements, doit adopter toutes les combinaisons que commandent les grands intérêts du commerce, et qu’elle appelle par conséquent les méditations constantes de l’homme d’état.

1675 - 1676. — L’impôt foncier sur les provinces taillables avait été porté de trente-trois à quarante millions ; le clergé et les pays d’état contribuaient aux frais de la guerre par des dons gratuits extraordinaires. Jaloux de la prérogative qui lui appartenait de n’être imposée que du consentement de ses états assemblés, la Bretagne vit dans l’impôt du timbre une violation du droit que lui garantissait son traité de réunion. Le parlement de la province s’opposa d’abord à l’exécution des ordres du roi en dirigeant contre le fermier des procédures qui furent suivies d’une résistance ouverte : dans Rennes, le peuple mutiné pilla des bureaux et déchira le papier timbré. Un corps de cinq mille hommes étouffa la sédition. La ville fut punie par une taxe de trois cents mille livres, payable dans le terme de vingt-quatre heures, par l’exil d’une partie de sa population et par des supplices qui se prolongèrent pendant un mois. Le parlement fut transféré à Vannes ; et la province n’obtint son pardon qu’en payant trois millions que ses états accordèrent[44],le parlement de Paris, devenu circonspect, ne s’opposait plus à l’enregistrement des lois depuis que Louis XIV tenait les rênes du gouvernement ; mais plusieurs fois les cours souveraines avaient voulu introduire dans les édits ou règlements concernant les impôts, et même dans les tarifs de douanes, des modifications qui toutes n’étaient pas désintéressées ou éclairées. Chaque fois, une jussion avait fait justice de cette vaine tentative d’opposition à la volonté royale. Mais, afin de prévenir la lenteur et les retards que les remontrances apportaient dans l’exécution des mesures arrêtées, une déclaration qui fut lue en lit de justice régla que toutes ordonnances, édits, ou lettres patentes expédiées pour affaires de justice ou de finance, qui émaneraient de la seule autorité et du propre mouvement du roi, seraient enregistrés purement et simplement par les cours, sans aucune modification, restriction, ni, autres clauses qui en puissent surseoir ou empêcher la pleine et entière exécution, sauf, dans le cas où les cours jugeraient nécessaire de faire leurs remontrances, à les présenter dans, la huitaine après l’enregistrement[45]. Ainsi, tandis que d’étonnants succès obtenus sur terre et sur mer montraient à l’Europe un conquérant dans Louis XIV, la France apprit qu’elle était soumise sans réserve aux volontés de la couronne en matière d’impôts, et que désormais le « sort des contribuables dépendait uniquement de la bonne onde la mauvaise administration des finances.

1678. — Enfin, après sept années de guerre, où la marine française, créée par Colbert, et dirigée par Duquesne, rivalisa de gloire et de succès avec les armées que commandaient Condé, Luxembourg et Turenne, la paix conclue à Nimègue réunit à la France la Franche-Comté, la Lorraine et les parties de 1°Artois et de la Flandre qui étaient restées à l’Espagne après le traité d’Aix-la-Chapelle. Mais, malgré l’avantage que donnaient à Louis XIV ses conquêtes, malgré les dangers que les Hollandais avaient courus après le passage du Rhin, et les restitutions qu’ils obtenaient du roi, ce peuple marchand ne consentit au traité qui agrandissait le royaume aux dépens de l’Espagne et de l’Empire que sous la condition qu’il lui serait fait remise des augmentations de droits à l’entrée et à la sortie que le tarif de 1667 avait établies, ce qui rétablissait pour les Hollandais seuls le tarif de 1664. Cette concession fut garantie par un traité particulier de commerce, navigation et marine, que Louis XIV exécuta fidèlement. Elle porta une atteinte sensible à l’industrie du royaume, en rendant aux Hollandais toute leur supériorité sur le commerce maritime et sur les manufactures de la France. Colbert vit avec regret les intérêts commerciaux de la France sacrifiés à ceux de la politique, et il ne cessa de conseiller au roi le rétablissement d’un tarif basé sur les principes de celui qui était abandonné, comme un moyen de prospérité[46].

Nonobstant l’ordre et l’économie que le ministre avait maintenus dans toutes les dépenses par l’adjudication publique des entreprises et des fournitures, autant que par l’exactitude dans les paiements ; nonobstant une augmentation de dix-huit millions dont profitait l’épargne, sur vingt millions que les impôts avaient ajoutés depuis dix ans au revenu de l’état, les finances se trouvaient, à la conclusion de la paix, dans la position où devait les placer une insuffisance annuelle de plus de trente millions à laquelle il n’avait été pourvu qu’à l’aide des affaires extraordinaires. Cette ressource coûteuse n’excluait pas celle des anticipations sur les revenus il venir : elles dépassaient trente millions. Cette dette et les charges dont plusieurs branches de revenu se trouvaient grevées n’étaient plus cette fois le résultat de l’ignorance ou d’une connivence coupable entre un ministre et des spéculateurs également avides : elles étaient la conséquence inévitable et vraie des frais causés par une longue guerre, par le faste de la représentation royale et par d’immenses travaux, qui, dans l’espace de onze années, avaient porté la dépense de soixante à cent onze millions[47].

Le retour de la paix ne ramena pas les dépenses dans les bornes où elles étaient renfermées avant le commencement de la guerre, parce que Louis XIV conserve sur pied ses armées. Enivré de louanges, seul arbitre de l’emploi des revenus publics, et méditant avec Louvois les projets de nouvelles conquêtes, le roi fut sourd à la voix du ministre qui ne cessait de lui indiquer la réduction momentanée des dépenses de luxe comme une source de biens et d’avantages incalculables pour les peuples et pour l’état, en raison de la facilité qu’elle donnerait pour la prompte extinction de la dette et la réduction des impôts.

Déjà, dans un mémoire présenté à Louis XIV en 1666, Colbert, obéissant à l’ordre que le roi lui avait donné de l’avertir quand il irait trop vite, avait fait des représentations sur l’augmentation de la dépense des écuries, du jeu, des fêtes, de l’ameublement, de la maison militaire et des pensions inutiles ; il ajoutait : « Votre Majesté a tellement mêlé ses divertissements avec la guerre de terre, qu’il est bien difficile de les diviser ; et si Votre Majesté veut bien examiner en détail combien de dépenses inutiles elle a faites, elle verra bien que, si elles étoient toutes retranchées, elle ne seroit point réduite à la nécessité où elle est. »

En présentant au roi le projet de dépenses pour l’année 1681, le ministre accompagnait son travail des observations suivantes :

« Il seroit nécessaire de réduire les dépenses à soixante-huit millions, et même d’en retrancher encore deux vers le milieu de l’année ; »

Et plus loin :

« Ce qu’il y a de plus important et sur quoi il y a plus de réflexions à faire, c’est la misère très grande des peuples. Toutes les lettres qui viennent des provinces en parlent, soit des intendants, soit des receveurs généraux, ou autres personnes, même des évêques. »

« Si le roi réduisoit les dépenses à soíxante millions, on pourroit encore donner cinq à six millions de diminution aux peuples sur les tailles de 1682 et de 1685. »

Il terminait en disant :

« Je puis espérer que, si le rois veut réduire les dépenses sur le pied que je lui propose, sans plus, en deux ou trois années, ses finances se rétabliraient et seroient en meilleur pied qu’elles aient jamais été. »

Plus tard, dans un mémoire qui avait pour but de rendre compte au roi de l’état de ses finances, le ministre répétait :

« Si Sa Majesté se résolvoit à diminuer ses dépenses, et qu’elle demandât sur quoi elle pourroit accorder du soulagement à ses peuples, mon sentiment seroit

« De diminuer les tailles, et les mettre en trois ou quatre années à vingt-cinq millions ;

« De diminuer d’un écu le minot de sel ;

« De rétablir, s’il étoit possible, le tarif de 1667 ;

« De diminuer les droits d’aides, et de les rendre partout égaux et uniformes, en révoquant tous les privilèges ;

« D’abolir la ferme du tabac et celle du papier timbré, qui sont préjudiciables au, commerce du royaume ;

« De diminuer le nombre des officiers tout autant qu’il sera possible, parce qu’ils sont à charge aux finances, au peuple et à l’état, en les réduisant tous insensiblement, par suppression et par remboursement, au nombre qu’ils étaient en 1600.

Le bien et l’avantage qui en reviendront au peuple et à l’état serait difficile à exprimer[48]. »

Nonobstant ces sages avis, qui nous révèlent et les vues de Colbert, et sa sollicitude pour le bonheur de la patrie, ales seules réformes obtenues furent la conséquence inévitable de la cessation des hostilités, et ne produisirent qu’une diminution de quinze à vingt millions sur les cinquante-deux qui avaient été ajoutés aux dépenses annuelles du trésor. Le ministre toutefois ne différa pas le soulagement des peuples, premier et constant objet de ses soins, comme unique source de la fortune publique. Huit millions diminués sur les tailles les ramenèrent au taux de trente-trois millions ; le roi révoqua l’augmentation que la taxe sur les sels avait subie, et supprima les droits de courtiers-jaugeurs. En même temps, les puissantes ressources de l’économie, et de sages combinaisons, procuraient au ministre les moyens de pourvoir au rachat des aliénations, à l’extinction d’un grand nombre d’offices et au remboursement successif de plusieurs millions de rentes. La marche que Colbert suivit dans cette dernière opération est remarquable. Un emprunt d’un million de rentes au denier vingt fut ouvert et aussitôt rempli à ce taux. Ce placement avantageux des effets publics, preuve incontestable du crédit, était encore l’heureux résultat de l’admission des étrangers dans les emprunts publics. Tandis que les fonds arrivaient, une déclaration annonça que le trésor rembourserait les anciennes rentes à bureau ouvert, en échange des titres, sur le taux de la création des emprunts faits pendant la guerre, et au denier quinze pour les emprunts d’une époque antérieure. Mais le peu d’empressement que mirent les rentiers à profiter de la faculté qui leur était donnée nécessita l’emploi d’un autre moyen. Il consistait à déterminer les parties de rentes qui seraient remboursées chaque année, en commençant par les constitutions les plus anciennes, et à prononcer la déchéance pour les rentiers qui if auraient pas produit leurs titres au 31 décembre 1683, « sans qu’il puisse être prétendu à l’avenir aucun remboursement des capitaux et des arrérages par qui que ce soit. » La même mesure fut prise à l’égard des propriétaires d’augmentations de gages, autre espèce de rentes dont le rachat libre avait été vainement ordonné ; et plusieurs emprunts d’un million de rentes chacun, qui furent successivement ouverts et réalisés au denier vingt, servirent à éteindre les engagements consentis à un taux plus onéreux. De cette manière, cinq ans après la paix de Nimègue, les rentes se trouvaient ramenées à moins de huit millions, point où Colbert les avait déjà réduites avant la guerre ; des anticipations il ne restait plus qu’une somme de sept millions, reçue des fermiers sur les revenus de l’année suivante ; et l’excédant des recettes de la caisse des emprunts ne montait qu’à vingt-neuf millions. Les opérations de cet établissement furent bornées, pour cette même année, à vingt millions. On doit Voir dans cette première réduction l’intention d’arriver par degrés à la clôture de la caisse, afin de rendre à la circulation les capitaux dont la confiance publique avait aidé le trésor dans les moments difficiles de la guerre[49].

1685. — L’état touchait au moment d’être, une seconde fois, libéré par l’habileté de Colbert, lorsqu’une réprimande injuste, priva la France de ce grand homme. Lorsque Colbert rendit compte à Louis XIV de ce qu’avait coûté la grille qui ferme la grande cour de Versailles, le roi trouva cette dépense beaucoup trop chère, et, après plusieurs choses désagréables, dit : « Il y a de la friponnerie. — Sire, répondit Colbert, je a me flatte au moins que ce mot ne s’étend pas jusqu’à moi. — Non, lui dit le roi ; mais il falloit y avoir plus d’attention. » Et il ajouta : « Si vous voulez savoir ce que c’est que l’économie, allez en Flandre : vous verrez combien les fortifications des places conquises ont peu coûté. » Les travaux des places fortes étaient dans le département du ministre Louvois, ennemi de Colbert. Le mot du roi, la comparaison qu’il avait établie, portèrent un coup mortel à ce dernier : il tomba malade ; et ses dernières paroles furent, en parlant de Louis XIV : « Si j’avois fait pour Dieu ce que j’ai fait pour cet homme-là, je serois sauvé deux fois ; et je ne sais pas ce que je vais devenir[50]. »

Quoiqu’il ne lui eût pas été possible d’atteindre le but qu’il s’était proposé, il laissa les finances dans le plus bel état où elles se fussent trouvées depuis Sully. À la fin de son ministère le produit des impôts présentait une augmentation de vingt-huit millions ; et, par l’effet d’une réduction de trente millions sur les rentes et les gages, les revenus du trésor avaient reçu une amélioration de cinquante-sept millions, qui les portait à quatre-vingt-neuf millions[51].

Nonobstant ces changements remarquables apportés dans la fortune de l’état, la condition des peuples était de beaucoup préférable à ce qu’elle avait été précédemment ; et, par l’heureux effet. des bons principes introduits dans l’administration des finances, les contribuables jouissaient d’un soulagement réel. Une meilleure distribution des tributs avait, en les divisant, porté sur les consommations un quart de l’impôt arbitraire supporté par les taillables, que dégrevait encore la suppression des immunités abusives. La réunion des taxes analogues, dans un même tarif, en rendait la connaissance plus facile aux redevables. Par la suppression d’un grand nombre de régisseurs, et par la publicité des enchères, le produit des fermes était porté à tout ce que le trésor pouvait en espérer. Les concussions, les rigueurs avaient disparu de la perception ; l’exactitude à laquelle étaient soumis les comptables et le prompt apurement de leur gestion assuraient la réalisation immédiate des recettes, et prévenaient les malversations. Dans toutes les parties enfin l’ordre et l’économie avaient su recueillir et faire tourner à l’avantage des peuples et du gouvernement ce que procuraient raient des consommations devenues plus abondantes, en raison de l’aisance et de l’activité que répandait l’impulsion donnée par l’élévation des vues et par la sagesse des combinaisons au commerce et aux manufactures. Si, par une erreur que ne devait pas partager un ministre supérieur même à son siècle, la gêne dans le commerce des grains prive le cultivateur de participer entièrement à la prospérité commune, il fut du moins délivre de la misère et des vexations cet il trouva dans les encouragements accordés à l’éducation des bestiaux, véritable source de la fécondité des terres, une nouvelle branche d’industrie à exploiter.

Une telle situation, si différente à tous égards de celle où Colbert avait trouvé les peuples et les finances, paraît plus surprenante encore si l’on se retrace tout ce qui fut fait d’utile et de grand dans le cours d’une administration de vingt-deux ans, qui fut troublée par dix années de guerre.

Dans cette période remarquable, l’établissement de l’académie des inscriptions et belles-lettres, de l’académie des sciences, de l’académie d’architecture et de celle de peinture, fixa en France le goût des recherches instructives et des beaux-arts ; et l’école fondée à Rome pour les jeunes artistes donna naissance aux chefs-d’œuvre qui bientôt vinrent orner nos édifices. Les savants de l’Europe et les hommes de lettres dont s’honore la France recevaient des pensions de Louis XIV. Les tapis de la Flandre et de la Turquie se fabriquèrent dans les manufactures créées à Beauvais et aux Gobelins. Paris vit construire un observatoire et tous les instruments que comporte l’étude de l’astronomie ; la colonnade du Louvre s’éleva sur les dessins de Perrault ; un vaste hôtel s’ouvrait pour les guerriers blessés au service de la patrie ; une machine énorme, établie à grands frais à Marly, transporta sur le sol aride de Versailles les eaux qui devaient vivifier les jardins plantés par Le Nôtre, et rendre habitables les immenses bâtiments où la magnificence de Louis XIV rassembla tout ce que le luxe et les arts produisaient alors de plus précieux. Par une meilleure application des revenus de l’état, cent vingt millions avaient été employés au rachat des aliénations de tout genre ; cent vaisseaux de ligne, des frégates, des galères, construites et armées dans nos chantiers, étaient montés de soixante mille matelots ; de vastes arsenaux pour la marine royale avaient été créés à Brest, à Toulon, et dans les marais de Rochefort. La marine marchande et la pêche, encouragées dans leurs expéditions, se trouvaient protégées sur l’océan et dans la Méditerranée. Dunkerque, racheté des Anglais, était devenu un vaste port et une place formidable. Sur les nouvelles frontières de la Flandre, des trois évêchés, de l’Alsace, dans la Franche-Comté, sur les Alpes et dans les Pyrénées, Vauban élevait de nombreuses forteresses, qui, sous le même règne, devaient contribuer au salut de l’état ; De tous côtés, le transport des marchandises, multiplié par les encouragements accordés au transit, par les entrepôts ouverts dans nos ports comme étape générale des nations, facilité par l’ouverture de grandes routes et par l’entretien des anciennes, était assuré au moyen d’une police sévère contre les malfaiteurs. Enfin un projet magnifique conçu dès le règne de François Ier, et qui avait occupé la pensée de Henri IV et de son ministre, celui de joindre l’océan à la Méditerranée par le canal du Languedoc. s’exécutant sur un plan d’une grande étendue, devait bientôt favoriser la circulation des denrées dans une longueur de soixante lieues.

Tant de prodiges, si rapidement opérés parle secours des finances, et en grande partie d’après les conseils et sous la direction de Colbert[52], renferment dans la durée de l’administration de ce grand homme l’époque glorieuse et brillante dont l’éclat rejaillit encore de nos jours sur les malheurs des dernières années du règne de Louis XIV.

Moins heureux que Sully, qui avait trouvé la récompense de ses travaux dans l’amitié de Henri IV, l’auteur de ces merveilles, le fondateur de la puissance maritime, commerciale et industrielle de la France, le restaurateur, du crédit public, celui que la postérité devait reconnaître pour un grand homme, ne fut pas apprécié par le roi qu’il avait servi avec toute l’activité de son génie; et ses restes furent insultés par le peuple, objet constant de sa sollicitude jusque dans les derniers moments de sa vie. Un arrêt du conseil rendu peu de mois après la mort de Colbert[53], mais dont lui-même avait préparé les dispositions, réduisit les remises des receveurs genéraux à neuf deniers pour livre, dont quatre devaient être alloués aux receveurs des tailles, « afin de donner lieu à ceux-ci de faire leur recouvrement avec moins de frais. » L’esprit d’observation qui présidait aux mesures adoptées par Colbert lui avait enseigné que les poursuites en matière d'impôts, et les frais qui en résultent, sont la source des abus les plus onéreux pour les contribuables.

La dernière année de ce ministère avait encore été marquée par un autre règlement dont les dispositions prouvaient que, nonobstant les lois portées sous les règnes précédents, et même sous celui de Louis XIV, les épices, les droits et les vacations étaient devenus pour les plaideurs une charge énorme, que l’arbitraire et les vexations aggravaient encore. Ces taxes composaient en presque-totalité le traitement des magistrats et des juges tant royaux que seigneuriaux, des greffiers, des procureurs-généraux, des procureurs du roi et de leurs substituts : car les gages payés par le trésor aux membres de l'ordre judiciaire n’étaient que l’intérêt modique de la finance des charges. A moins d’élever de beaucoup les dépenses du trésor, il était impossible de détruire un mal qui prenait sa source dans le funeste système de la vénalité des emplois publics. Il entrait pourtant dans les vues de Colbert de faire supporter par le gouvernement les frais de la justice qui est administrée en son nom. Mais ses projets d’économie n’ayant pas été adoptés, il avait essayé du moins de réduire les abus, « en attendant, porte le premier édit, que le roi se trouve en état d’augmenter les gages des officiers de judicature pour leur donner moyen déprendre la justice gratuitement. » Ses premiers soins furent sans résultats pour les justiciables. Le nouveau règlement déclara aboli l’usage introduit dans les tribunaux d’exiger, avant le jugement, soit la consignation des épices, soit la souscription d’une obligation pour le montant des droits et des vacations. Il défendit aux juges et à leurs clercs de rien recevoir à ce titre. Les greffiers seuls étaient autorisés à faire le recouvrement des épices et la répartition de leur produit entre les officiers des siéges. On ne permit pas aux plaideurs de réclamer l’expédition d’un jugement avant le paiement des épices et des vacations ; mais avant de se libérer ils pouvaient en prendre communication, et défenses furent faites aux greffiers de la refuser, sous peine d’amende. On prononça que les juges ne pourraient, à peine de concussion, décerner en leur nom, ni faire décerner au nom de leurs greffiers, aucun acte exécutoire pour le recouvrement des épices, qui conservèrent cependant le privilège de la contrainte par corps. De plus, les cours supérieures durent. en prononcent sur l’appel d’une sentence des premiers juges ; vérifier la taxe des épices, et, si elle était excessive, ordonner la restitution du trop perçu, et même, suivant les circonstances, condamner les concussionnaires à une plus grande peine[54]


  1. Particularités sur les ministres des finances, par M. de Menthion. - Siècle de Louis XIV.
  2. Déclaration du 5 septembre 1661.- Rapport de M. Desmaretz au régent, en 1716.-Comptes de Mallet, p. 403 et 404. - Forbonnais, année 1661.
  3. Déclaration du 15 septembre 1661, et préambule de l’Edit de flîdit de novembre suivant. — Forbonnais, année 1661.
  4. Edit de novembre 1661 ; Commission du 15 de ce mois ; Déclarations du 10 septembre, du 4 décembre, et Règlement du 5 décembre 1664. — Comptes de Mallet. — Forbonnais, année 1661.
  5. Edit de décembre 1663 ; Arrêts des 22 mai et juin 1664; Déclarations du 9 décembre suivant et du 30 janvier 1665. — Forbonnais, année 1661.
  6. Préambule de la Déclaration du 15 septembre 1662; Arrêt du conseil du dernier décembre 1664.- États au vrai manuscrits des années 1665 à 1673.
  7. Arrêts du conseil des 12 mars 1663, 6 novembre 1664, 31 octobre et décembre 1665.
  8. Edit de juillet 1665 ; Arrêts du conseil du 25 octobre suivant, du 15 février 1666 ; Edit d’août 1669.- Extrait des États au vrai manuscrits de 1665 à 1672.
  9. Edit de mai et Arrêt du conseil du 16 août 1661.- Edit du 13 août 1669.- Arrêt du 4 février 1664, renouvelé plusieurs fois, et notamment le 18 septembre 1683. - Déclarations des 6 mai et 22 septembre 1662; Arrêt du 8 novembre 1663, et Règlement d’août 1669. — Comptes de Mallet. — Forbonnais.
  10. Comptes de Mallet.
  11. Extrait de l’État au vrai manuscrit de l’année 1672.
  12. Remontrances inédites de la chambre des comptes, et États au vrai manuscrits.
  13. État au vrai manuscrit de 1662.
  14. Plusieurs édits du roi, et arrêts du conseil des années 1661 à 1669.- Forbonnais.
  15. Plusieurs édits, déclarations, arrêts et règlements, des années 1661 à 1673.
  16. Préambules des édits d’avril et de septembre 1664.
  17. Huit déclarations, arrêts et règlements, des années 1663 à 1678.
  18. Arrêt du mois d’août 1661.- Forbonnais, année 1661.
  19. Par le tarif de 1664, le blé est taxé, à la sortie, à 22 livres le muid.
  20. Edit d’avril 1667, et Arrêt du conseil du 14 mai 1678. - Forbonnais, 1663. - Siècle. de Louis XIV.
  21. Arrêts du conseil des 16 septembre et 8 novembre 1663, et de décembre 1664, etc., etc.
  22. Préambule de l’Edit de sept. 1664, p. 5, et Arrêt du 5 mars 1665.
  23. Edit de décembre 1663 ; préambule de l’Edit de 1664, p. 5; Edit d’avril 1667, et Arrêt du conseil du 31 octobre 1669.
  24. Arrêt du conseil du 17 février 1668, et procès-verbaux et édits de septembre 1668; préambules de l’Edit de septembre 1664, p. 5, et de l’Edit de novembre 1668, p. 2.
  25. Déclaration de janvier 1663.- Edit d’avril 1664. - Préambule de l’Edit de septembre suivant.- Forbonnais.- Déclaration de janvier 1665.
  26. Mémoire de Colbert au roi, publié par Forbonnais.
  27. Tarif et Edit du mois de septembre 1664.
  28. Mémoire sur les impositions par Moreau de Beaumont, t. 3, p. 363 et 367. - Forbonnais.- Comptes de Mallet.
  29. Edit de septembre 1664.— Arrêts du conseil du 5 août 1669 et du 5 avril 1670.— Déclaration du 10 février 1670. - Forbonnais.
  30. Traité des monnaies, par Abot de Bazinghen.- Forbonnais.
  31. Arrêts du conseil du 10 septembre 1663 et du 15 août 1670.- Traité des monnaies.— Forbonnais.
  32. Mémoires sur les impositions, par Moreau de Beaumont, t. 3.- Arrêt du conseil du 9 août 1670.
  33. Déclaration et Tarif du 18 avril 1667. -Arrêts du conseil du 27 septembre 1669 et du 3 août 1671.— Moreau de Beaumont et suiv. - Forbonnais.
  34. Tarif de 1664, et Bail du 22 octobre, art. 11, 15 et 16.
  35. Arrêt du conseil du 7 janvier 1771.- Particularités sur les ministres des finances, par M. de Monthion.- Forbonnais.
  36. PRODUIT DES IMPÔTS
    perçus au nom du roi.
    RENTES et GAGES
    à déduire
    REVENU du TRÉSOR
    Année 1661 84,200,000 l. 52,000,400 l. 31,800,000 l.
    Année 1667 95,600,000 l. 32,500,000 l. 63,100,000 l.
    Augmentat. des produits 11,400,000 l.
    Réduction des charges 19,900,000 l.
    Différence au profit de l’état 31,309,000 l. 31,300,000 l.

    M. de Forbonnais, habituellement d’accord avec les Comptes de Mallet, en diffère de 2,500,000 l. en plus sur l’évaluation des revenus ordinaires de l’année 1667. Quelque confiance que méritent les tableaux dressés par le premier commis du ministre Desmaretz, d’après les États de prévoyance que Colbert faisait former au commencement de chaque année, on doit adopter cette fois les chiffres de l’auteur des Considérations sur les finances : leur exactitude est justifiée, quant aux recettes du trésor sur les revenus ordinaires, par les résultats de l’État au vrai, ou compte rendu de l’année 1667, qui existe à la Bibliothèque du Roi.

  37. Anquetil, Histoire de France. — Moreau de Beaumont, t. 4.- Forbonnais.- Siècle de Louis XIV. Arrêt du conseil du 18 septembre 1671, et États au vrai manuscrits des années 1667 et 1668.
  38. Forbonnais. - Mémoires de Boulainvilliers, t. 2. Bail du 25 septembre 1663, art. 145; Règlement du 3 décembre 1673, et Tarif du 11 avril 1676.
  39. États au vrai manuscrits des années 1672, 1673 et suiv.- Rapport de M. Desmaretz au régent. - Comptes de Mallet, p. 412.
  40. Particularités sur les ministres des finances, par M. de Monthion.- Forbonnais. - Comptes de Mallet.
  41. États au vrai manuscrits des années 1674, 1675, 1676, 1677 et 1679. — Édits et déclarations de 1672, 1673 et 1674.
  42. États au vrai manuscrits de 1674 et de 1677. — Edits de mars et d’avril 1673, etc. etc.
  43. Déclaration du 9 février 1674.- États au vrai manuscrits du 1674 et 1675.
  44. Arrêts du conseil des 9 mars 1675 et 7 mars 1676. Lettres de madame de Sévigné, nos 350, 352, 357, 358, 360, 363, 364, 366.
  45. Jussions du 25 août 1663, de septembre 1664, du 29 décembre suivant, du 31 mars 1667. — Déclaration du 14 février 1673.
  46. Arrêt du conseil du 30 août 1678.
  47. États au vrai manuscrits des années 1666, 1677 et 1679. — Comptes de Mallet. — Forbonnais.
  48. Particularités sur les ministres des finances, par M., de Monthion, p. 73 et 74. — Forbonnais, années 1681 et 1683.
  49. États au vrai manuscrits des années 1680 et 1581. — Forbonnais. — Comptes de Mallet, P. 286, 358 et 413. — Rapport du ministre Deemaretz au régent. — Plusieurs édits, arrêts et déclarations.
  50. Particularités sur les ministres des finances, par M. de Monthion.
  51. PRODUIT
    des impositions.
    RENTES
    et gages à déduire.
    REVENUS
    du Trésor.
    DÉPENSES
    ordinaires du Trésor.
    Résultat de l'administration de Colbert :
    Impôts en 1661 84,200,000 l. 52,400,000 l. 31,800,000 l. 60,000,000 l.
    En 1683 (déduction faite d'une remise de 4,000,000 l. sur les tailles) 112,000,000 23,200,000 88,800,000 95,000,000
    Augmentation survenues :
    1° Dans le produit des impositions 27,800,000 l. 57,000,000 l.
    2° Dans les revenus du trésor
    3° Dans les dépenses 35,000,000 l.
    Réduction des gages et des rentes 29,200,000 l.
    (Comptes de Mallet, et Forbonnais, année 1683.)
  52. Monthion, p.63
  53. Arrêt du conseil du 18 septembre 1683, rendu sur la proposition de Colbert.
  54. Édit d’août 1669 et Déclaration du 16 février 1683.