Histoire générale des marionnettes/03
DES MARIONNETTES.
J’ai déjà beaucoup parlé des marionnettes, et je n’ai pourtant rien dit encore du sens ni de l’origine de leur. nom. C’est que ce mot, étant tout-à-fait propre à la France, et différant absolument des dénominations données par les autres peuples aux comédiens de bois[2], j’ai cru devoir ajourner toute explication sur ce point jusqu’au moment où je traiterais de cette branche du théâtre en France. Il y a d’ailleurs tant de connexité entre le mot et la chose, que, quand nous aurons étudié l’un avec soin, nous aurons fait un très grand pas dans la connaissance de l’autre.
On pourrait croire, au premier coup d’œil, que le nom de marionnettes nous est venu des Maries de bois, Marie di legno, que nous avons vues à Venise remplacer, au XIVe siècle, les jeunes filles qui avaient fait jusque-là l’ornement de la fête annuelle delle Marie. Il y a en effet entre ces deux locutions une évidente analogie de formation ; mais il n’y a eu entre elles aucune filiation étymologique. Comme du nom latin Maria le moyen-âge avait formé Mariola, diminutif qui des jeunes filles passa aux petites figures de la Vierge exposées à la vénération publique dans les églises et dans les carrefours, de même à la naissance de notre langue nos pères ont dérivé du nom de Marie plusieurs gracieux diminutifs, Marote, Mariotte, Mariole, Mariette, Marion, puis Marionnette[3]. Tous ces noms affectueux et caressans furent appliqués d’abord à de jeunes filles, comme on le voit dans nos anciennes poésies, notamment dans le Jeu de Robin et Marion, où abondent ces dénominations mignardes. Nous trouvons au XIIIe siècle, dans une des pastourelles qui font partie de ce qu’on peut appeler le cycle de Robin et Marion, le joli nom de Marionnette donné à la jeune et gentille Marion :
Hé ! Marionnette, tant aimée t’ai[4] !
Ces douces et tendres dénominations ne tardèrent pas à être appliquées aux petites statues de la Vierge, que l’on offrait, bien attifées et richement parées, à la dévotion de la foule, témoin ces vers d’un vieux poème :
Devant ne sai quel Mariole,
Ki tient un, enfant et accole,
Toute jour s’aloit attroupant[5].
Plusieurs rues du vieux Paris, dans lesquelles on vendait ou dans lesquelles étaient exposées de ces petites images de la Vierge et des saints, furent appelées, les unes rues des marmouzets, les autres rues des mariettes, et un peu plus tard rues des marionnettes.
Cependant, comme l’ironie se glisse partout, on ne tarda pas à détourner le sens aimable ou religieux des mots Marote, Mariotte et Marionnette, pour leur donner un sens profane ou railleur. On fredonnait dans les rues et dans les tavernes, au XVe siècle, un certain chant Marionnette, qui semble n’avoir été guère plus chaste que la chanson Ouvrez votre huys, Guillaurnette[6]. On appela et on appelle encore marotte le sceptre des fous à titre d’office, « à cause, dit Ménage, de la tête de marionnette, c’est-à-dire de petite fille, » qui le surmonte ; enfin les bateleurs forains nommèrent irrévérencieusement leurs acteurs et leurs actrices de bois marmouzets et mariottes. Je lis dans la jolie pièce intitulée Ballade par laquelle Villon crye mercy à chascun :
..........
À fillettes monstrans tétins
Pour avoir plus largement hostes,
À ribleurs, meneurs de hutins,
A basteleurs traynans marmottes,
A folz et folles, sotz et sottes
Qui s’en vont sifflant cinq et six,
A marmouzets et mariottes,
Je crye à toutes gens merciz[7].
À la fin du XVIe siècle et au commencement du XVIIe, plusieurs écrivains de croyance protestante ou d’humeur sceptique se plurent à confondre dans une intention moqueuse le sens religieux et le sens profane des mots marmouzets et marionnettes. Henry Estienne, s’élevant dans l’Apologie pour Hérodote, contre les châtimens infligés aux calvinistes pour la mutilation des madones et des figures de saints, s’écrie : « Jamais les Égyptiens n’ont fiait si cruelle vengeance du meurtre commis en leurs chats, qu’on a veu faire de nostre temps de ceux qui avoient mutilé quelques marmouzet et quelque marionnette[8]. »
Je dois mentionner ici, pour mémoire, une triste et singulière acception du mot marionnette, acception bien certaine, quoiqu’elle ne soit consignée dans aucun dictionnaire de la langue. Non-seulement on a nommé marionnettes, au XVIe siècle, toutes sortes de statuettes à ressorts, sacrées ou profanes ; mais, par une bizarre extension, on a donné ce nom aux poupées soi-disant surnaturelles et aux bestioles supposées malfaisantes, qu’on accusait les prétendus sorciers de nourrir et d’entretenir auprès d’eux comme démons familiers ou comme idoles. Dans un incroyable volume imprimé à Paris en 1622, Pierre de l’Ancre, conseiller du roi en son conseil[9], a rassemblé et commenté les extraits de dix à douze procédures criminelles, dirigées de 1603 à 1615 contre divers pauvres idiots accusés de magie, et à qui l’on imputait « d’avoir tenu à l’estroit et gouverné en leur maison des marionnettes (qui sont de petits diablotaux, ayant d’ordinaire forme de crapaud, aucunes fois de guenons, tousjours très hideuses…), qu’ils nourrissent d’une bouillie composée de laict et de farine, leur donnant par révérence le premier morceau, les consultant sur toutes leurs affaires ; voyages et négoces, disant qu’il y a pour eux plus d’acquet en telles bestes qu’en Dieu ; qu’ils ne gagnent rien à regarder Dieu, et que leurs marionnettes leur rapportent tousjours quelque chose, etc… » Ce qu’il y a de profondément triste au milieu de ces bouffonneries judiciaires, c’est que ces odieux et inconcevables procès étaient toujours accompagnés de la question, et se terminaient d’ordinaire par cette sinistre formule : « Condamnez par sentence à estre pendus et brûlez. » Hâtons-nous de clore cette lugubre digression, et de revenir à nos bonnes et innocentes marioles ou marionnettes.
Les prestiges de la sculpture mobile, destinés à accroître sur les fidèles l’impression salutaire des cérémonies du culte, n’ont guère été moins usités dans les églises de France que dans celles d’Espagne et d’Italie. En quelques lieux même, l’emploi religieux de la statuaire à ressorts s’est prolongé bien au-delà du moyen-âge et n’a tout-à-fait disparu que dans les temps modernes. Je vais citer un échantillon de cette curieuse persistance. À Dieppe, comme partout où domine une population de marins, la Vierge est l’objet d’un culte passionné. La retraite des Anglais obligés de lever le siège de cette ville en 1443, la veille de l’Assomption, augmenta encore cette disposition pieuse. En mémoire de ce succès, le dauphin, depuis Louis XI, offrit à l’église Saint Jacques une statue de la Vierge en pur argent. Les Dieppois, de leur côté, instituèrent une confrérie, et le clergé dans l’intérieur de Saint-Jacques, redoubla l’éclat dramatique des offices de l’Assomption, qu’on appelait, dans la langue du pays, les mitouries de la mi-août[10]. Ces jeux consistaient en une pantomime ou pageant, dont les acteurs étaient quelques prêtres et plusieurs laïques des deux sexes, aidés de diverses figures mises en mouvement par des fils ou des ressorts. Je lis dans un historien de Dieppe que l’on élevait chaque année dans Saint-Jacques, au-dessus de la contre-table du chœur, une tribune dont le haut touchait à la voûte de l’église, laquelle était parsemée d’étoiles sur un fond d’azur. Au sommet de cette espèce de théâtre, assis sur un nuage, apparaissait le Père éternel sous les traits d’un vieillard. Autour de lui voltigeaient des ancres, allant, venant, prenant ses ordres, agitant leurs ailes ; d’autres embouchaient la trompette avec tant d’à-propos, pendant certains jeux d’orgue, que les sons semblaient sortir de leurs instrumens. Ces anges-marionnettes, dit un plus récent historien, faisaient de vrais prodiges[11]. Cependant la Vierge reposait au niveau du sol, étendue sur son lit mortuaire, entourée d’arbustes et de fleurs dans une sorte de vallée de Gethsemani. Deux anges, sur un signe du Père éternel, venaient la prendre au commencement de la messe, et la portaient au ciel assez lentement pour qu’elle n’arrivât dans le giron de Dieu qu’au moment de l’adoration. Pendant son assomption, la statue de Marie levait les bras et la tête, de temps à autre, pour témoigner son désir d’arriver au ciel. Quand l’office était achevé et qu’on voulait éteindre les cierges, deux anges qui les avaient allumés semblaient s’y opposer en voltigeant, et il fallait beaucoup d’adroite précision pour parvenir à éteindre surtout ceux qu’ils portaient. On entretenait un machiniste pour conduire et soigner les ressorts de toutes ces figures. C’était une des merveilles de ce temps, et la curiosité d’en voir l’effet attirait chaque année une grande affluence d’étrangers à Dieppe[12].
Le mystère de Noël et celui de l’Annonciation étaient aussi célébrés dans l’église de Saint-Jacques et toujours au moyen de figures à ressorts ou mues par des fils. Il est dit, dans une chronique manuscrite citée par M. Vitet, que plusieurs de ces statues mécaniques, étaient placées, dans des piliers creux et travaillées avec assez d’art pour qu’on ne pût apercevoir les contre-poids qui les faisaient agir. Au moment même où j’écris, M. Mérimée veut bien m’apprendre qu’un de ces piliers creux s’est affaibli par le vice de sa construction, et qu’on est obligé de le reconstruire. Ces jeux ecclésiastiques se prolongèrent jusqu’en 1647. Alors Louis XIV et la régente, sa mère, ayant passé par Dieppe la veille de l’Assomption, assistèrent aux mitouries, dont ils furent assez mal édifiés. Ordre fut donné de les supprimer, et il ne subsista plus que la grande montre ou procession de la confrérie et la représentation plus développée du mystère de l’Assomption joué devant l’hôtel-de-ville, sur la place du marché, et suivie le jour d’après d’une moralité. Ces dernières cérémonies furent elles-mêmes interdites en 1684 par un mandement de l’autorité ecclésiastique, confirmé par un arrêt du parlement de Rouen. Tel était, d’ailleurs, l’amour des Dieppois pour ces représentations, qu’ils en conservèrent les machines en magasin jusqu’au bombardement de 1694, qui en occasionna l’incendie.
Expulsées presque partout des églises, les marionnettes religieuses continuèrent de se montrer au dehors. Les vies des saintes et des martyrs, les plus belles histoires de la Bible, et, par-dessus tout, les deux grands mystères du Nouveau Testament, la pastorale de Bethléem et la tragédie du Calvaire, ne cessèrent d’être représentés par des figurines de bois ou de carton, et cela non-seulement dans les campagnes et les bourgades qui n’avaient pas, comme les grandes villes, de solennelles représentation par personnages[13], mais dans les principales cités du royaume et à Paris même, devant la porte des couvens et dans les parvis des églises. Elles ont survécu aux mystères ; protestans et frondeurs ont eu beau se moquer de cet usage, ils n’ont pu le détruire, et leurs railleries mêmes le constatent. On lit dans une Mazarinade de 1639, intitulée Passeport de Mazarin :
Adieu, père aux marionnettes,
Adieu, l’auteur des Théatins !
Ces religieux, installés à Paris par le cardinal Mazarin, se servaient, en effet, de petites figures à ressorts pour donner au peuple le spectacle de la crèche, non pas, comme l’a dit Dulaure, dans leur église ou en chaire[14], mais à la porte de leur couvent. On lit dans une autre mazarinade, intitulée Lettre au cardinal burlesque :
Et votre troupe théatine,
Ne voyant pas de sûreté
En notre ville et vicomté,
A fait Flandre, et dans ses cachettes
A serré les marionnettes,
Qu’elle faisoit voir ci-devant
Dans les derniers jours de l’Avent.
Ces représentations pieuses, passées aux mains des laïques, n’ont pas cessé d’édifier et d’amuser le peuple dans les environs des églises. À Paris même, en plein XVIIIe siècle, on voyait des figures de cire mouvantes représenter la Passion et la Crèche sur le Petit Pont de l’Hôtel-Dieu. Tous les ans, les affiches de Paris annonçaient ces spectacles au moment de la fermeture de tous les autres. Voici une de ces annonces que je transcris comme échantillon : « Messieurs et dames, la passion de notre Seigneur Jésus-Christ en figures de cire mouvantes comme le naturel se représente depuis le dimanche de la Passion, et continue jusqu’au jour de Quasimodo inclusivement. Ce spectacle est digne de l’admiration du public, tant par les changemens de ses décorations que par le digne sujet qu’il représente. C’est toujours sur le pont de l’Hôtel-Dieu, rue de la Bûcherie, où de tous temps s’est représentée la Crèche[15]. »
En 1777, quelques mois avant l’arrivée triomphale de Voltaire à Paris, on annonçait dans un quartier populeux ce spectacle biblique « L’origine du monde et la chute du premier homme, spectacle de peinture, de mécanique et de musique, en cinq actes, tiré du Paradis perdu de Milton, composé et exécuté, par le sieur Josse, rue Greneta » Il.en était de même dans les provinces. Je possède un programme daté de Reims, 15 avril 1775 ; il est ainsi conçu : « Explication du Jugement universel, tragédie, par le sieur Ardax du mont Liban. Cette pièce sera composée de trois mille cinq cents figures en bas-relief que l’on fera changer et marcher selon l’ordre qu’on leur imposera L’auteur, qui n’a d’autre but que d’édifier le public en le récréant, a suivi les livres saints. » Puis vient l’analyse circonstanciée de chacun des cinq actes. « Le premier montrera la vallée de Josaphat à la dernière heure du monde ; le second représentera la résurrection des morts au son de la trompette et des paroles redoutables : Surgite, mortui, venite ad judicium. Au troisième, on verra non seulement la terre et les tombeaux, mais encore la mer rendre les morts qu’elle a engloutis ; au quatrième, le souverain juge viendra séparer les réprouvés et les élus ; au cinquième, apparaîtront le monde retombé dans son premier chaos, puis l’enfer et enfin la cour céleste, récompense des bienheureux. » Ce spectacle était pantomime et accompagné d’une explication orale, comme celles que nous avons vues dans les bas siècles de l’antiquité et au moyen-âge. L’auteur a soin d’annoncer qu’il y aura un orateur chargé de citer les passages de l’Écriture sainte et de prévenir l’assemblée respectable des différens sujets qui rempliront les actes.
Dans presque toutes les provinces de France, de pareilles représentations demi-religieuses et demi-populaires ont continué et continuent encore d’instruire et d’amuser la foule. Il n’y a personne qui n’ait vu, quelque part en France, les Mystères de la Passion ou de la Nativité, joués par les marionnettes, à côté de Paul et Virginie et d’Atala Aujourd’hui même, les Crèches de Marseille sont célèbres dans tout le midi de la France[16].
Ces représentations ne sont pas toujours aussi édifiantes. Il y a peu d’années, d’agiles marionnettes jouaient dans les provinces et notablement dans le pays chartrain, le dirai-je ? la Tentation de saint Antoine. On chantait, en guise de canticum explicatif, la célèbre chanson de Sedaine, composée, comme on sait, pour la fête d’une Toinette. Il y avait autant de tableaux dans le drame que de couplets dans la chanson :
Ciel ! l’univers va-t-il donc se dissoudre ?
Quel bruit, quels cris !… je vois la foudre
Devant moi tomber en éclat.
Tout est en poudre
Sur mon grabat !…
…Par ta grace,
Fais que je chasse
L’enfer de ces lieux !
On vit sortir d’une grotte profonde
Mille démons…
De tous les cantons…
De la ville et de la campagne,
De la Cochinchine et d’Espagne,
De bruns, de blonds et de châtains…
Quelques-uns prirent le cochon.
De ce bon saint Antoine,
Et, lui mettant un capuchon,
Ils en firent un moine…
Sur un sofa,
Une diablesse en falbala,
Aux regards fripons, etc.
Le diable dit - Garçons !…
Prenez le patron
Tirez-le par son cordon ;
Bon !
- Messieurs les démons,
Laissez-moi donc !
- Non !
Tu chanteras,
Tu sauteras,
Tu danseras !…
Notre saint prit son goupillon…
Tel qu’un voleur sitôt qu’il voit main forte,
Tel qu’un soldat à l’aspect des prévôts,
On vit s’enfuir l’infernale cohorte,
Et s’abîmer dans ses affreux cachots.
J’ai voulu surtout, par cette citation, faire comprendre ce qu’étaient les cantica dans l’antiquité et pendant le moyen-âge.
Pouvons-nous dire avec une certaine précision à quelle époque le nom de marionnettes a commencé de s’appliquer aux poupées théâtrales, en échange de leur ancien nom de marmouzets, de mariettes et de marioles ? La première mention que j’aie rencontrée jusqu’à présent du mot marionnette, pris dans l’acception d’un jeu scénique et populaire, se trouve dans les Sérées de Guillaume Bouchet, sieur de Brocourt. Ce livre est un recueil d’historiettes facétieuses, dont la première partie parut en 1584 et les deux dernières en 1608, environ deux ans après la mort de l’auteur. Je lis dans la XVIIIe sérée, qui traite des boiteux, boiteuses et aveugles : « Et luy vont dire qu’on trouvoit aux badineries, bastelleries et marionnettes, Tabary, Jehan des Vignes et Franc-à-Tripe, toujours boiteux, et le badin ès-farces de France, bossu ; faisant tous ces contrefaicts quelques tours de champicerie sur les théâtres. » Ainsi, entre 1590 et 1600, il y avait en France des théâtres de marionnettes établis et portant ce nom ; seulement il ne paraît pas qu’on y vît alors les personnages et les caractères qu’on y a vus depuis, et qu’on y voit encore. En effet, les marionnettes des XVe et XVIe siècles ont dû, suivant la loi constante de leur nature, emprunter les noms, les caractères et les costumes des comiques nationaux les plus en vogue. À la fin du XVe siècle, elles durent revêtir l’accoutrement de Jehan des Vignes et de Tabary, qu’il ne faut pas confondre avec Tabarin, quoiqu’il soit peut-être un peu son aïeul. Jehan des Vignes, à en juger par la manière dont a parlé de lui Bonaventure des Périers[17], devait être le roi des tréteaux d’alors, et méritait à ce titre d’être le héros des marionnettes. Son nom même légèrement altéré et devenu Jean de la Ville, est encore aujourd’hui celui d’un bonhomme de bois, haut de trois ou quatre pouces, composé de plusieurs morceaux qui s’emboîtent et se démontent., et que nos joueurs de gobelets escamotent très aisément[18]. Quoi qu’il en soit, les petits acteurs de bois n’ont abandonné les noms et les vêtemens de nos comiques nationaux, pour prendre ceux d’Arlequin, de Pantalon et de Polichinelle, qu’à une époque un peu plus récente, et seulement après que les comédiens d’Italie, fixés en France sous Henri IV, eurent naturalisé chez nous ces types étrangers. Quand je dis étrangers, je fais une réserve expresse pour le seigneur Polichinelle et pour dame Gigogne, deux caractères que je maintiens aussi français que ceux de Gilles, de Paillasse et de Pierrot. J’ai déjà effleuré ce point d’histoire à l’occasion du Maccus antique, c’est ici le moment de traiter ce sujet à fond. Parlons donc une bonne fois de Polichinelle, comme Montesquieu d’Alexandre, tout à notre aise.
On a dit souvent et j’ai répété, après beaucoup d’autres[19], que Polichinelle descend en ligne droite de Maccus, personnage grotesque des Atellanes, natif d’Acerra, sur le territoire osque, dont le nom ancien signifie, comme celui du Calabrais Pulcinella, son héritier, un poussin, un cochet, quoiqu’à vrai dire les figurines antiques qui nous ont transmis les traits du Maccus de Campanie annoncent beaucoup moins un cochet qu’un vrai coq, et même un coq d’un âge très mûr. Voici, je crois, ce qu’il y a d’admissible dans cette descendance : le Pulcinella de Naples, grand garçon aussi droit qu’un autre, bruyant, alerte, sensuel, au long nez crochu, au demi-masque noir, au bonnet gris et pyramidal, à la camisole blanche, sans fraise, au large pantalon blanc plissé et serré à la ceinture par une cordelière à laquelle pend une clochette, Pulcinella, dis-je, peut bien, à la rigueur, rappeler le Mimus Albus et de très loin le Maccus antique[20] ; mais il n’a, sauf son nez en bec et son nom d’oiseau, aucune parenté ni ressemblance avec notre Polichinelle. Pour un trait de ressemblance, on signalerait dix contrastes. Polichinelle, tel que nous l’avons fait ou refait, présente au plus haut degré l’humeur et la physionomie gauloises. Je dirai même, pour ne rien cacher de ma pensée, que, sous l’exagération obligée d’une loyale caricature, Polichinelle laisse percer le type populaire, je n’ose dire d’Henri IV, mais tout au moins de l’officier gascon imitant les allures du maître dans la salle des gardes du château de Saint-Germain ou du vieux Louvre. Quant à la bosse, Guillaume Bouchet vient de nous apprendre qu’elle a été de temps immémorial l’apanage du badin ès-farces de France. On appelait, au XIIIe siècle, Adam de la Halle le bossu d’Arras ; non pas qu’il fût bossu, mais à cause de sa verve railleuse :
- On m’appelle bochu, mais je ne le suis mie[21].
Et, quant à la seconde bosse, qui brille de surcroît sous le clinquant de son pourpoint à paillettes, elle rappelle la cuirasse luisante et bombée des gens de guerre et les ventres à la poulaine alors à la mode, et qui imitaient la courbure de la cuirasse[22]. Le chapeau même de Polichinelle (je ne parle pas de son tricorne moderne, mais du feutre à bords retroussés qu’il portait encore au XVIIe siècle), était la coiffure des cavaliers du temps, le chapeau à la Henri IV. Enfin il n’y a pas jusqu’à certains traits caractéristiques du visage, jusqu’à l’humeur hardie, joviale, amoureuse du bon drille, qui ne rappellent, en charge ; les qualités avantageuses et les défauts du Béarnais. Bref, malgré son nom napolitain, Polichinelle me paraît un type entièrement national et une des créations les plus spontanées et les plus vivaces de la fantaisie française.
Mais Polichinelle acteur vivant n’est pas encore Polichinelle-marionnette. À quelle époque a-t-il passé des tréteaux dans les troupes des comédiens de bois ? Tout me porte à croire que cet événement a eu lieu vers 1630, et un document que M. Moreau, l’exact et ingénieux éditeur des Mazarinades, a bien voulu me signaler, donne une grande vraisemblance à cette conjecture. Parmi les nombreuses satires politiques qui inondèrent Paris en 1649, il en est une fort peu remarquée, intitulée Lettre de Polichinelle à Jules Mazarin. Cette lettre, quoiqu’en prose, se termine par les trois vers suivans en guise de signature « Pour vous servir, si l’occasion s’en présente,
Je suis Polichinelle,
Qui fait la sentinelle
A la porte de Nesle. »
Quel que soit le pamphlétaire caché sous ce nom fantastique, il demeure certain qu’en 1649 Polichinelle avait son théâtre établi sur la rive gauche de la Seine, vis-à-vis le Louvre, à la porte de Nesle, ce qui s’accorde exactement, ainsi que nous le verrons tout à l’heure, avec l’adresse du fameux joueur de marionnettes, Jean Brioché ou Briocci[23], comme quelques-uns l’appellent.
Le peu que nous savons de l’ancien répertoire de Polichinelle confirme toute cette chronologie. Une tradition qui subsiste encore, et que se transmettent tous les vrais enfans de Paris, de Chartres et d’Orléans, a conservé l’air et quelques couplets de la fameuse chanson à Polichinelle : Je suis le fameux Mignolet, général des Espagnolets, dont les Guignol d’il y a vingt ans nous donnaient encore le régal dans les bons jours. Cette chanson rattache avec certitude Polichinelle au règne d’Henri IV et à nos longs démêlés avec l’Espagne. Une petite marionnette galonnée sur toutes les coutures, quelquefois Polichinelle lui-même parodiant Mignolet, entonnait la chanson suivante, qui était aussi populaire à la fin du XVIe siècle que la chanson de Marlborough à la fin du XVIIe. Elle est pourtant inédite, et je n’en puis donner ici que quelques strophes dont la rime et la mesure boitent un peu, mais dont le jet et le tour ne manquent pas d’un certain élan original :
Je suis le fameux Mignolet,
Général des Espagnolets ;
Quand je marche, la terre tremble ;
C’est moi qui conduis le soleil,
Et je ne crois pas qu’en ce monde
On puisse trouver mon pareil.
Les murailles de mes palais
Sont bâties des os des Anglais ;
Toutes mes salles sont dallées
De têtes de sergens d’armées
Que dans les combats j’ai tués (bis).
Je veux avant qu’il soit minuit
A moi tout seul prendre Paris ;
Par-dessus les tours Notre-Dame
La Seine je ferai passer ;
Des langues des filles, des femmes,
Saint-Omer je ferai paver…
Comment se fait-il que le dernier ami de Polichinelle, le philologue enthousiaste des moindres brimborions du XVIe siècle, Charles Nodier, n’ait pas recueilli cette pièce et ne l’ait pas fait graver sur vélin et en lettres d’or ? O tiédeur de l’amitié !
L’air de ces couplets n’est pas moins remarquable que les paroles. Un très bon juge en ces matières et en beaucoup d’autres, M. Édouard Fournier[24], m’assure que c’est l’air très connu : Monsieur le prévôt des marchands, vous vous moquez pas mal des gens[25], qui n’est autre que celui de l’Échelle du Temple, sur lequel, suivant Mersevein, on chanta la plupart des mazarinades, et qui lui-même était renouvelé de l’air des Rochelois, composé, dit-on, pour le cardinal de Richelieu. On voit que cela nous conduit bien près de l’époque à laquelle je crois pouvoir reporter notre chanson, c’est-à-dire un peu avant ou un peu après le traité de Vervins.
Voici encore un fragment que la tradition a conservé du vieux répertoire de Polichinelle : Un mendiant se présente à sa porte ; il va l’éconduire ; le mendiant se dit aveugle ; Polichinelle est touché ; le mendiant demande l’aumône au nom de Dieu. Ici vient un blasphème dans le goût de celui du don Juan de Molière ; puis, élevant la voix, il s’écrie : « Jacqueline, voici de pauvres aveugles ; vite ! — la clé de mon coffre fort, que je leur donne un patard ! » Je ne puis affirmer que dès cette époque Polichinelle eût déjà la mauvaise habitude de jouer du bâton et d’assommer gaiement tout le monde, femme, enfant, voisin, archers, commissaire ; je ne sais s’il avait dès-lors le talent d’attacher le bourreau à sa potence et d’enferrer le diable avec sa fourche ; je le crois pourtant, car pendre le bourreau et tuer le diable, c’est là tout Polichinelle, le grand burlador, non pas seulement de Séville, fi donc ! mais du monde entier.
Nous ne possédons malheureusement pas le texte authentique du fameux drame de Polichinelle. Ce n’est qu’en 1838 qu’on a essayé de fixer par l’impression cette œuvre essentiellement traditionnelle. L’idée était bonne ; mais l’exécution est demeurée imparfaite. Le texte que nous a donné M. Jules Rémond n’est qu’un canevas dépourvu de tous les développemens drolatiques qui ont élevé si haut la gloire de cette polémique et folle production[26].
Vous croyez, peut-être, vous qui me lisez en courant, qu’il n’y a rien de plus facile que de vous dire l’âge et l’origine de dame Gigogne, cette sœur roturière de Grandgousier et de Gargamelle : je ne puis vous laisser dans cette erreur. Ce n’est pas sans beaucoup de temps perdu que j’ai recueilli la mince pacotille de renseignemens que je vais vous présenter. Dame Gigogne est, je crois, contemporaine de Polichinelle, ou de bien peu d’années sa cadette ; elle a commencé, comme lui, à s’ébattre, en personne naturelle, sur les théâtres et même à la cour de France : on l’a vue aux Halles, au Louvre, au Marais et à l’hôtel de Bourgogne, avant de l’applaudir dans la troupe des acteurs de bois. Je lis dans le journal manuscrit du Théâtre-Français, à la date de 1602 « Les enfans-sans-souci, qui tentoient l’impossible pour se soutenir au théâtre des Halles, imaginèrent un nouveau caractère pour rendre leurs farces plus plaisantes. L’un d’eux se travestit en femme et parut sous le nom de Mme Gigogne ; ce personnage plut extrêmement, et, depuis ce jour, il a toujours été rendu par des hommes[27]. » Les frères Parfait confirment cette indication[28].
Dame Gigogne ne tarda pas à se montrer sur un plus grand théâtre. L’abbé de Marolles nous l’apprend, mais dans le style obscur et entortillé qui lui est propre : « Entre les Français, dit-il, jouèrent la comédie le capitaine Matamore, le docteur Boniface, Jodelet, Bruscambille et dame Gigogne, depuis la mort de Perrine, qui, de son temps, sous Valéran et La Porte, fut un personnage, incomparable[29]. » Je pense (quoique cela ne ressorte pas nettement du texte de Marolles) que ce fut à l’hôtel d’Argent que dame Gigogne succéda à l’excellent comique qui, sous le nom de Perrine, avait créé un caractère de femme, dont le type nous est malheureusement inconnu. Dame Gigogne passa ensuite à l’hôtel de Bourgogne, où elle eut moins de succès. Robinet y a signalé avec quelque surprise sa présence en 1667, et sa retraite en 1669[30] ; mais ni Robinet, ni Marolles, ne nous apprennent rien de plus que l’existence et le nom de ce personnage, et, si ce type ne nous était bien connu d’ailleurs, nous n’en saurions pas plus sur dame Gigogne que nous n’en savons sur dame Perrine. Heureusement, personne n’ignore que, comme son nom l’indique, dame Gigogne est le type de la fécondité roturière, la femme comme la souhaitait Napoléon, habile à donner à l’état les plus belles couvées d’enfans : cette généreuse nature de femme pouvait bien n’être pas non plus désagréable à Henri IV et.à Sully après la dépopulation produite en France par les guerres de la ligue. Au reste, après avoir vu dans Marolles et dans Robinet le nom seul de dame Gigogne, nous allons voir, dans un ballet de la même époque, le type sans le nom ; l’un de ces doc mens complétera l’autre. Voici d’abord ce que Malherbe écrivait à Peiresc le 8 février 1607 : «… Il se fait ici force ballets ; nous en avons un pour mardi prochain de la façon de M. le Prince, qui sera l’accouchement de la foire Saint-Germain. Elle y sera représentée comme une grande femme qui accouche de seize enfans, qui seront de quatre métiers, astrologues, charlatans, peintres, coupeurs-de-bourses…[31]. » Malherbe était bien informé ; la relation imprimée à l’avance, ou, comme on dirait aujourd’hui, le programme de ce ballet dansé au Louvre devant la reine Marie de Médicis, introduit d’abord un petit garçon (je copie le livret) qui prononça, en guise de prologue, les vers suivans :
Je suis l’oracle
Du miracle
De la foire Saint-Germain ;
C’est une homasse
Qui surpasse
Les efforts du genre humain ;
Plus admirable
Que la fable
Du puissant cheval de bois :
Car, différente,
Elle enfante
Mille plaisirs à la fois.
Coupeurs de bourse,
Sans ressource,
Peintres et métiers divers,
Vendeurs de drogues,
Astrologues,
De ce monstre sont couverts.
A la cadence
De la dance,
Sans peine elle enfantera ;
De sa crotesque
Boufonesque
Tout le monde se rira.
« Après ce récit (continue le livret, dont je conserve le style et l’orthographe), entra un habillé en sage-femme, qui, sur un air de ballet assez propre, fit un tour de la salle ; incontinent parut une grande et grosse femme, richement habillée, farcie de toutes sortes de babioles ; comme miroirs, pignes, tabourins, moulinets et autres choses semblables. De ce colosse, la sage-femme tira quatre astrologues, avec des sphères et compas à la main, qui dancèrent entre eux un ballet et donnèrent aux dames un almanach qui prédit tout et davantage, puis se retirèrent. Et d’elle sortirent encore quatre peintres, qui dancèrent un autre ballet, et chacun en cadence faisait semblant de peindre, ayant en la main baguette, palette et pinceaux. Et, comme ils se retiroient, sortirent de cette grande femme quatre opérateurs, ayant une petite bale au col, comme celle que portent ordinairement les petits merciers, au milieu de laquelle il y avoit une cassolette et le reste garni de petites phioles pleines d’eau de senteur, qu’en dançant ils donnoient aux dames, avec quelques certaines recettes imprimées pour toutes sortes de maladies. Sur la fin du ballet, sortit de ce monstre quatre couppeurs de bourses, qui se firent arracher les dents, et au même instant leur coupoient la bourse. Comme ils eurent dancé quelques pas ensemble, les opérateurs se retirèrent et les couppeurs de bourses continuèrent à dancer fort dispostement un ballet qui finissoit à gourmades. Après qu’ils furent sortis de la compagnie et que chacun eut donné ses vers, entra un Mercure, richement habillé, avec un luth à la main, qui récita le sujet de la grande mascarade…[32]. »
C’est bien là assurément dame Gigogne en personne ; mais à quelle époque ce caractère a-t-il passé de la Comédie-Française et des ballets du Louvre dans les boutiques de marionnettes ? Il est probable que ce fut au moment où ce personnage jouissait de la plus grande vogue et avant sa retraite de l’hôtel de Bourgogne[33]. Ce fut donc un peu avant 1669 que dame Gigogne a dû commencer à partager avec Polichinelle la royauté des marionnettes.
Les plus anciens maîtres de marionnettes dont le nom soit resté dans la mémoire des amateurs sont les deux Brioché. Suivant une tradition recueillie par Brossette, Jean Brioché exerçait, dès le commencement du règne de Louis XIV, la double profession d’arracheur de dents et de joueur de marionnettes, au bas du Pont-Neuf, en compagnie de son illustre singe Fagotin. Je m’applaudis de pouvoir augmenter la biographie de cet Eschyle burlesque de plusieurs détails inédits ou peu connus. D’abord, la mazarinade, dont j’ai parlé jette quelque jour sur les débuts de sa carrière. En effet, le Polichinelle signataire supposé de la Lettre à Jules Mazarin est bien probablement le pantin que Jean Brioché faisait manœuvrer au bas du Pont-Neuf, ou, ce qui revient au même, près la Porte de Nesle, laquelle était encore debout en 1649. Je suis loin d’accuser Jean Brioché ou Briocci, qui était peut-être le compatriote et l’obligé de Mazarin, d’avoir écrit ce libelle en vue d’abriter sa popularité menacée. Je crois et je veux croire, pour l’honneur des marionnettes, qu’un frondeur anonyme a fait parler le Polichinelle de la porte de Nesle, comme d’autres la Samaritaine, le Cheval de bronze, etc., etc. Dans tous les cas, les discours prêtés au petit Ésope du Pont-Neuf prouvent que son maître et lui étaient déjà fort considérés et aimés dans Paris, et que Brioché venait d’être admis aux privilèges de la bourgeoisie parisienne et reçu même dans les rangs de la garde urbaine. « Je puis, dit-il, me vanter sans vanité, messire Jules, que j’ai esté toujours mieux venu que vous du peuple et plus considéré de lui, puisque je lui ai tant de lois ouy dire de mes propres oreilles : « Allons voir Polichinelle ! » et personne ne lui a jamais ouy dire : « Allons voir Mazarin… » C’est ce qui fait que l’on m’a reçu comme un noble bourgeois dans Paris, et vous, au contraire, on vous a chassé comme un p…x d’église. » Je préviens une fois pour toutes les personnes délicates qui veulent bien me lire qu’il faut pardonner quelques licences au jargon de Polichinelle.
Vers cette époque, le lunatique Cyrano de Bergerac, ayant pris Fagotin pour un laquais qui lui faisait la grimace, le tua d’un coup d’épée, ce qui donna lieu à une facétie intitulée : Combat de Cirano (sic) de Bergerac contre le singe de Brioché. Cet opuscule, précédé d’une dédicace en vers à feu Cyrano, a dû être imprimé peu de temps après sa mort, arrivée en 1655[34]. Cet opuscule, à vrai dire, et l’anecdote elle-même pourraient bien n’être qu’un badinage destiné à railler l’humeur querelleuse de Cyrano, grand ferrailleur, à ce qu’assurent tous les contemporains. « -Son nez, qu’il avait tout défiguré, lui a fait tuer plus de dix personnes. Il ne pouvait souffrir qu’on le regardât, et le cas échéant, il fallait aussitôt mettre l’épée à la main[35]. » La méprise de Cyrano paraîtra pourtant un peu moins incroyable quand on connaîtra le signalement et le costume du fameux singe. « Il étoit grand comme un petit homme et bouffon en diable, dit l’auteur du Combat de Cirano ; son maître l’avoit coiffé d’un vieux vigogne dont un plumet cachoit les fissures et la colle ; il luy avoit ceint le cou d’une fraise à la Scaramouche ; il luy faisoit porter un pourpoint à six basques mouvantes, garni de passemens et d’aiguillettes, vêtement qui sentoit le laquéisme ; il lui avoit concédé un baudrier d’où pendoit une lame sans pointe[36]. » C’est cette lame que la pauvre bête eût le malheur de dégaîner devant cet enragé de Cyrano. Quoi qu’il en soit si Fagotin a succombé dans ce duel inégal, son nom et son emploi lui ont survécu ; Fagotin a été, jusqu’aux dernières années du XVIIe siècle, le compagnon obligé de tout bon joueur de marionnettes. Loret, décrivant toutes les merveilles de la foire Saint-Germain de l’année 1664, n’oublie pas de citer
Entre cent et cent batelages,
Les fagotins et les guenons.
Mais qu’ai-je besoin d’alléguer Loret et sa Gazette en vers ? La Fontaine a loué les tours de Fagotin dans sa fable de la Cour du Lion, et la railleuse Dorine promet à l’heureuse femme de Tartufe qu’elle pourra avoir au carnaval
Le bal et la gran’branle, à savoir deux musettes,
Et parfois Fagotin et les marionnettes.
Le singe de Brioché a eu, comme nous verrons plus tard, un successeur illustre dans le singe de Nicolet.
Cette année 1669 (l’année du Tartufe), Brioché fut appelé à l’honneur d’amuser à Saint-Germain-en-Laye le dauphin et sa petite cour. La mention d’une somme assez ronde payée à Brioché, le bateleur populaire pour cet office aristocratique, se trouve dans les registres du trésor royal, année 1669, au folio 44 : « A Brioché, joueur de marionnettes, pour le séjour qu’il a fait à Saint-Germain-en-Laye pendant les mois de septembre, octobre et novembre 1669, pour divertir les enfans de France, 1,365 livres, » et au folio 47 on lit une seconde mention de même nature, qui s’applique à un autre joueur de marionnettes, François Daitelin, dont nous ne savions rien jusqu’ici, si ce n’est qu’il avait obtenu ; en 1657, une permission du Lieutenant civil pour montrer des marionnettes à la foire Saint-Germain. Voici ce qui le concerne : « A Francis Daitelin, joueur de marionnettes, pour le paiement de cinquante-six journées qu’il est demeuré à Saint-Germain-en-Laye pour divertir monseigneur le dauphin, à raison de 20 livres par jour, depuis le 17 juillet jusqu’au 15 août 1669, et de 15 livres par jour pendant les derniers jours dudit mois, 820 livres[37]. » Il ressort deux choses de ces documens : d’abord, que le jeune prince, alors âgé de neuf ans ; avait un goût vraiment excessif pour Polichinelle, ensuite que le répertoire des marionnettes de Daitelin et de Brioché devait être extrêmement varié, pour avoir pu amuser le dauphin et sa jeune cour pendant six mois presque consécutifs. On peut douter que Bossuet, nommé l’année suivante (1670) précepteur du royal héritier, ait permis à son auguste élève de cultiver aussi assidûment ce genre de récréation. À ce propos, je dois dire, à mon grand regret, que Bossuet traitait nos petits comédiens de bois aussi durement que les comédiens vivans ; Polichinelle lui était aussi antipathique que Molière. Il existe de cette disposition un peu atrabilaire du grand prélat une preuve irrécusable dans sa correspondance. Le 18 novembre 1686, l’année même de la révocation de l’édit de Nantes, qui allait susciter bien d’autres affaires, Bossuet déférait les marionnettes de son diocèse aux rigueurs de M. de Vernon, procureur du roi au présidial de Meaux : « Il n’y a rien, monsieur, de plus important, lui arrivait-il, que d’empêcher les assemblées et de châtier ceux qui excitent les autres » (Il s’agissait des protestans et surtout des ministres, qui commençaient à s’agiter.) Puis il ajoute : « Pendant que vous prenez tant de soin à réprimer les mal-convertis, je vous prie de veiller aussi à l’édification des catholiques, et d’empêcher les marionnettes, où les représentations honteuses, les discours impurs et l’heure même des assemblées porte au mal. Il m’est bien fâcheux, pendant que je tâche à instruire le peuple le mieux que je puis, qu’on m’amène de tels ouvriers, qui en détruisent plus en un moment que je n’en puis édifier par un long travail[38]. »
Que reprochait donc l’illustre évêque à ces pauvres petites marionnettes ? Tout au plus quelques drôleries sans conséquence, quelques retours à la verve gauloise, quelques traits dans le goût des franches repues de Villon. Un véritable modèle d’élégance fine et correcte, le comte Ant. Hamilton, dans une lettre mêlée de vers et de prose, adressée à la jeune finesse d’Angleterre, fille de Jacques II, nous donne la mesure de ces peccadilles que Bossuet traite si sévèrement. Hamilton décrit la fête patronale de Saint-Germain-en-Laye. « Ayant, dit=il ; suivi la route jusqu’à cet espace qui sépare les deux châteaux, j’y trouvai la ville et les faubourgs, c’est-à-dire tous les habitans de Saint-Germain et du Pec ; toute cette population sortoit du spectacle :
Or blanchisseuses et soubrettes,
Du dimanche dans leurs habits,
Avec les laquais, leurs amis
(Car blanchisseuses sont coquettes),
Venoient de voir, à juste prix,
La troupe des marionnettes.
Pour trois sols et quelques deniers,
On leur fit voir, non sans machine,
L’enlèvement de Proserpine,
Que l’on représente au grenier.
Là le fameux Polichinelle,
Qui du théâtre est le héros,
Quoiqu’un peu libre en ses propos,
Ne fait point rougir la donzelle
Qu’il divertit par ses bons mots[39].
Cependant, pour ne rien cacher, je dois dire que Leduchat, commentant un passage de Rabelais, nous apprend que l’antiquaille, que Panurge veut sonner à sa dame, était une ancienne danse fort gaillarde, « comme la housarde, ajoute-t-il, que, depuis peu d’années, on fait danser aux marionnettes françoises[40]. » Il ne nous est resté de cette saltation soldatesque que la scène du housard qui danse en se dédoublant, etc. Ces gaillardises n’empêchaient pas les plus honnêtes gens d’avouer hautement leur goût pour les marionnettes ; un des membres les plus spirituels de l’ancienne Académie française, Charles Perrault, n’a-t-il pas dit :
Pour moi, j’ose poser en fait
Qu’en de certains momens l’esprit le plus parfait
Peut aimer sans rougir jusqu’aux marionnettes,
Et qu’il est des temps et des lieux
Où le grave et le sérieux
Ne valent pas d’agréables sornettes[41] ?
Les plaisanteries que Brioché prêtait à ses petits acteurs étaient fort goûtées des Parisiens. Un Anglais, de passage à Paris, avait trouvé le moyen de faire mouvoir les marionnettes par des ressorts et sans cordes ; « mais, dit Brossette, on leur préférait celles de Brioché, à cause des plaisanteries qu’il leur faisoit dire[42]. »
De toute la troupe de Brioché ; nous ne connaissons encore que Polichinelle et dame Gigogne, et de tant de pièces jouées devant le dauphin, nous ne pouvons citer avec assurance un seul titre. Polichinelle avait-il déjà pour compagnons et pour partenaires sa femme Jacqueline, le chien Gobe-mouche, le commissaire, l’archer, l’apothicaire, le bourreau, le diable enfin ? J’ai dit déjà que je le pensais, et une anecdote consignée dans plusieurs ouvrages, mais racontée d’original, je crois, dans le Combat de Cirano, m’affermit dans cette opinion. L’auteur de ce facétieux opuscule, pour glorifier ce qu’il appelle « les machines briochines, que certains prenoient pour personnes vivantes, » rapporte, dans le style extravagant du Voyage dans la lune, une aventure arrivée à Brioché :
« Il se mit, dit-il, un jour en tête de se promener au loin, avec son petit Ésope de bois remuant, tournant, virant, dansant, riant, parlant, etc. Cet hétéroclite marmouzet, disons mieux, ce drolifique bossu, s’appeloit Polichinelle. Son camaradé se nommoit Voisin. N’était-ce pas plutôt le voisin, le compère de Polichinelle ?) Après qu’il se fut présenté en divers bourgs et bourgades, il piétina en Suisse, dans un canton, où l’on connoissoit les Marions et point les marionnettes. Polichinelle ayant montré son minois, aussi bien que sa séquelle, en présence d’un peuple brûle-sorcier, on dénonça Brioché au magistrat. Des témoins attestoient avoir ouy jargonner, parlementer, deviser de petites figures qui ne pouvoient entre que des diables. On décrète contre le maistre de cette troupe de bois animée par des ressorts. Sans la rhétorique d’un homme d’esprit, on auroit condamné Brioché à la grillade dans la grève de ce pays-là, s’il y en a une. On se contenta de dépouiller les marionnettes, qui montrèrent leur nudité[43]. O poverette ! »
On n’était pas bien loin de cette excessive naïveté à Paris même en 1666, si nous en croyons l’auteur du Roman bourgeois :
« Le laquais, dit-il, s’en retourna sans réponse. Son maître lui demanda où il s’étoit amusé si long temps : — Je me suis arrêté à voir de petites demoiselles pas plus hautes que cela, dit le laquais en montrant la hauteur de son coude, que tout le monde regardoit au bout du Pont-Neuf, et qui se battoient. — Or, ce beau spectacle qu’il avoit veu estoit la montre des marionnettes, qu’ilcroyoit ingénument entre de chair et d’os[44]… »
On ne sait pas précisément en quelle année Jean Brioché abdiqua la direction de ses tréteaux en faveur de son fils François, ou, comme l’appelait familièrement le peuple de Paris, Fanchon. Quoi qu’il en soit, le fils, suivant Brossette, surpassa encore le père dans le noble métier de faire agir et parler agréablement ses marionnettes. Boileau, dans sa VIIe épître adressée à Racine en 1677, a immortalisé le second Brioché :
Et non loin de la place où Brioché préside…
Cette place était située à l’extrémité nord de la rue Guénégaud, alors nouvellement construite ; « les marionnettes de Fanchon, dit Brossette, jouoient sur cette place, dans un endroit nommé le Château-Gaillard. » Cependant François Brioché paraît avoir été, vers cette époque, un peu troublé dans son domicile. Sans quitter les environs du Pont-Neuf, il semble avoir voulu émigrer sur l’autre rive. Une lettre inédite de Colbert au lieutenant-général de police, datée du 16 octobre 1676, contient, ce qui suit : « Le nommé Brioché s’est plaint au roy des deffenses qui lui ont esté faites par le commissaire du quartier Saint-Germain-l’Auxerrois d’y jouer des marionnettes, sa majesté m’a ordonné de vous dire qu’elle veut bien lui permettre cet exercice, et que, pour cet effet, vous ayez à lui assigner le lieu que vous jugerez le plus à propos[45]. » On voit que Brioché avait conservé de puissans amis en cour.
Nous trouvons François encore établi près du Pont Neuf en 1695. Après le brillant succès du Joueur, le poète sans fard, Gascon, adressa à Regnard une épître demi-louangeuse et demi-satirique, où il l’engage à rompre tout commerce avec ses collaborateurs forains, et renvoie ceux-ci à Brioché et aux marionnettes :
Que je vous plains Dancourt, De Brie et Dufréni !
Portant à Brioché vos pointes à la glace,
Allez sur le Pont-Neuf charmer la populace[46].
Ce pauvre Brioché était, comme on voit, le point de mire de tous les beaux-esprits caustiques. La célébrité de son nom fit de ses marionnettes un lieu commun satirique. Le poète Lainez, annonçant dans une épigramme, d’ailleurs assez froide, qu’il renonce aux muses sévères et qu’il enferme sous quatre clés Horace. Boileau et le bon goût, pour chercher des succès faciles, ajoutait ironiquement que
Brioché, Linière et Dancourt
Lui montroient le grand art de plaire[47],
grand art en effet, quand on l’atteint, fût-ce en compagnie de Brioché ! Au reste, faciles ou non, les succès des deux Brioché ont été éclatans, soutenus, fructueux, et leur ont suscité de nombreuses et redoutables concurrences. Je vais faire connaître les plus célèbres de leurs rivaux.
Outre Daitelin et le mécanicien anglais mentionné par Brossette, il s’éleva dans Paris divers concurrens aux bonnes marionnettes du Pont-Neuf. En 1668, Archambault, Jérôme, Arthur et Nicolas Féron, danseurs de corde associés et directeurs de marionnettes, obtiennent du lieutenant de police l’autorisation de construire une loge au jeu de paume du nommé Cercilly, à l’enseigne de la Fleur de lys. On cite encore un privilège semblable accordé à François Bodinière[48].
Vers le même temps, un sieur Benoît, surnommé du Cercle, fit une fortune considérable en montrant des figures de cire qui offraient des portraits de souverains et de personnes célèbres. Je ne parle de ces figures que parce que La Bruyère, dans le court passage qu’il leur consacre, leur a donné le nom de marionnettes[49]. Elles ont été, pour Mme de Sévigné, l’occasion d’un mot charmant : « Si, par miracle, dit-elle à sa fille, vous étiez hors de ma pensée, je serois vide de tout, comme une figure de Benoît[50]. »
En 1676, un nommé La Grille tenta une plus ambitieuse concurrence contre les marionnettes de Brioché, ou plutôt contre le privilège de l’Opéra ; je veux parler du théâtre des Pygmées, qui devint, l’année d’après, le théâtre des Bamboches. Aucun des historiens de notre scène n’a connu le théâtre des Pygmées, et ceux qui ont parlé de celui des Bamboches se sont étrangement fourvoyés. L’abbé Du Bos a été la première cause de ces erreurs en signalant de mémoire l’établissement à Paris, en 1674, d’un nouveau spectacle d’origine italienne, dirigé par le sieur La Grille, et qui, sous le nom de Théâtre des Bamboches, eut un assez beau, succès pendant deux hivers. « C’étoit, ajoutait-il, et cela seul était exact, un opéra ordinaire, avec la différence que la partie de l’action s’exécutoit par de grandes marionnettes, qui faisoient sur le théâtre les gestes convenables au récit que chantoient les musiciens, dont la voix sortit par une ouverture ménagée dans le plancher de la scène[51]. » L’auteur du Journal manuscrit de la Comédie-Française, compilation presque toujours dénuée de critique, mentionne, à l’année 1676, le succès d’une tragi-comédie représentée par la Troupe royale de l’hôtel de Bourgogne ; sans se douter qu’il s’agissait d’une troupe de marionnettes[52]. De Visé n’a parlé dans le Mercure de 1674 et 1675 ni des Pygmées ni des Bamboches, par l’excellente raison qu’ils n’existaient point ; mais il ne parle pas, en 1676, du théâtre des Pygmées qui existait. Ce n’est que dans le premier trimestre de 1677 qu’il annonce le succès des Bamboches au Marais, comme une nouveauté. Les termes singulièrement énigmatiques dont il se sert en cette occasion ont fait croire au chevalier de Mouhy que ces petits comédiens étaient, non pas des marionnettes, mais de jeunes acteurs vivans[53]. Voici le passage de De Visé : »
« Il ne nous reste plus qu’à parler du théâtre qu’on a nouvellement ouvert au Marais, dont les acteurs sont appelés Bamboches (sic). Ce mot est dans la bouche de bien des gens, qui n’en savent pas l’origine. Bamboche est le nom (il devait dire le surnom) d’un fameux peintre qui ne faisoit que de petites figures que les curieux appeloient des bamboches[54]. Je n’ai encore rien à vous dire de celles du Marais ; mais peut-être que si on les laissoit croître, elles feroient parler d’elles. Elles se sont déjà perfectionnées ; elles ne dançent pas mal, mais elles chantent trop haut pour pouvoir chanter bien long-temps, et, si on devient considérable quand on commence à se faire craindre, il faut qu’elles aient plus de mérite que le peuple de Paris ne leur en a cru ; mais tout fait ombrage à qui veut régner seul. Cependant il est très certain que, lorsqu’on travaille trop ouvertement à détruire de méchantes choses, on les fait toujours réussir[55]. »
Cet amphigouri et surtout la phrase, « ces petites figures chantent trop haut pour pouvoir chanter bien long-temps, » pourraient faire supposer que les bamboches du Marais visaient à la critique des hommes haut placés et à la satire des affaires de l’état. Il n’en était rien ; en relisant ce passage avec attention, on voit qu’il ne s’agit, dans ces remarques entortillées, que de la jalousie maladroite de l’Opéra, qui prenait ombrage des moindres choses, et se croyait menacé même par des pantins chantans et dansans. Voici d’ailleurs toute la vérité sur ce spectacle : en 1676, un théâtre de marionnettes hautes de quatre pieds s’ouvrit au Marais, sous le nom de Théâtre des Pygmées, par une pièce en cinq actes, intitulée aussi les Pygmées. Je transcris exactement le titre du programme : « Les Pygmées, tragi-comédie en cinq actes (le directeur se garde bien d’employer le mot opéra), ornée de musique, de machines, de changemens de théâtre, représentée en leur hôtel royal (l’hôtel royal des Pygmées !) au marais du Temple ; in-4o avec cette épigraphe :
Cunctorum est novitas gratissima rerum[56].
Le directeur de ces marionnettes, nouvelles en France, s’appelait La Grille. Le programme se termine ainsi :
« Ce qu’on n’a point vu jusqu’ici, des figures humaines de quatre pieds de haut, richement habillées, et en très grand nombre, représenter sur un vaste et superbe théâtre, des pièces en cinq actes, ornées de musique, de ballets, de machines volantes, de changemens de décorations, réciter, marcher, actionner, comme des personnes vivantes, sans qu’on les tienne suspendues : c’est ce qu’on verra désormais… »
La seconde pièce jouée sur ce théâtre fut un opéra féerique intitulé les Amours de Microton, ou les Charmes d’Orcan, tragédie enjouée. Cette dénomination absurde est changée à la main, dans l’exemplaire que j’ai sous les yeux, en celle de pastorale enjouée. L’année suivante (1677), le théâtre des Pygmées prit le nom de Théâtre des Bamboches ; mais ces ambitieuses marionnettes ne tardèrent pas à succomber sous les réclamations de l’Opéra, confirmant la prophétie du Mercure : « Elles chantent trop haut pour chanter long-temps.— » Nous verrons plus tard d’autres pygmées et d’autres bamboches.
Ce sont surtout les foires Saint-Germain et Saint-Laurent qui ont été le berceau, et, à partir de 1697, la vraie patrie des marionnettes. L’origine de ces deux célèbres enceintes, lieux de franchise ouverts au commerce et à l’industrie, se perd dans la nuit des temps. La foire Saint-Germain, qui, aux XVIIe siècle, commençait à la Purification et durait jusqu’au dimanche des Rameaux, occupait l’emplacement où se trouve le marché actuel. La foire Saint-Laurent, qui s’ouvrait la veille de la fête de saint Laurent, et se terminait à la Saint-Michel, le 29 septembre[57], se tint d’abord entre Paris et le Bourget, puis, à parti de 1662 entre les rues du Faubourg-Saint-Denis et du Faubourg-Saint-Martin. Il était naturel que les marchands, intéressés à attirer la foule, aient de bonne heure appelé près d’eux des saltimbanques. On ne trouve pourtant aucun indice de jeux de théâtres à la foire Saint-Germain avant l’année 1595. Une sentence, rendue le 5 février par le lieutenant civil, sur la plainte des maîtres de la Passion, permit à une troupe de comédiens de province de continuer leurs représentations dans le préau de la foire où ils s’étaient établis, à charge de payer auxdits maîtres deux écus par an[58]. Les frères Parfait pensent, avec beaucoup de vraisemblance, que les marionnettes ont précédé dans les deux foires tous les autres spectacles[59] ; mais ils n’ont point apporté de preuves à l’appui de cette assertion.
Dans un mémoire publié par le lieutenant de police, M. de la Reynie, contre le seigneur-abbé de Saint-Germain-des-Prés, à l’occasion de la juridiction de cette foire, il est établi qu’en 1646 le lieutenant civil Aubray accorda à des danseurs de corde et maîtres de marionnettes l’autorisation de jouer à la foire Saint-Germain. Il est possible en effet que le lieutenant, civil ne soit intervenu qu’à partir de cette époque dans la police de la foire ; mais il est certain que des autorisations antérieures ont dû être données à des joueurs de marionnettes par les seigneurs-abbés. Ainsi, Scarron, qui, en 1643, c’est-à-dire entre la mort du cardinal de Richelieu et celle de Louis XIII, adressa à Gaston des stances où sont décrits avec agrément les divers spectacles de cette foire, fait une mention expresse des marionnettes :
Le bruit des pénétrans sifflets,
Des flûtes et des flageolets,
Des cornets, hautbois et musettes,
Des vendeurs et des acheteurs,
Se mêle à celui des sauteurs
Et des tambourins à sonnettes,
Aux joueurs de marionnettes
Que le peuple croit enchanteurs…[60].
Devons-nous voir dans ce dernier vers une allusion à l’aventure de Brioché en Suisse ? On le pourrait croire. Les frères Parfait et plusieurs autres critiques pensent que Brioché avait la coutume de transporter ses marionnettes du Pont-Neuf, à la foire Saint-Germain[61]. La tradition en est établie ; le poète Lemière a dit dans le moins imparfait de ses ouvrages :
Où court donc tout ce peuple au bruit de ces fanfares ?
Viens, ma muse ! suivons ces juges en simarre[62]
Ils ouvrent dans Paris un enclos fréquenté,
Asile de passage au marchand présenté
Pour fixer en ce lieu la foule vagabonde,
Qui s’écoule sans cesse et qui sans cesse abonde,
Vingt théâtres dressés dans des réduits étroits,
Entre des ais mal joints, sont ouverts à la fois.
Il en est un surtout, à ridicule scène,
Fondé par Brioché, haut de trois pieds à peine ;
Pour trente magotins, constans dans leurs emplois,
Petits acteurs charmans que l’on taille en plein bois,
Trottant, gesticulant, le tout par artifices,
Tirant leur jeu d’un fil et leur vois des coulisses,
Point soufflés, point sifflés, de douces mœurs ; entr’eux
Aucune jalousie, aucun débat fâcheux.
Cinq ou six fois par jour, ils sortent de leur niche,
Ouvrent leur jeu : jamais de rhumes sur l’affiche.
Grand concours ; on s’y presse, et ces petits acteurs,
Fêtés, courus, claqués par petits spectateurs,
Ont pour premier soutien de leurs scènes bouffonnes
Le suffrage éclatant des enfans et des bonnes[63].
Ce trait et celui qu’y a ajouté M. Arnault dans sa jolie fable, le Secret de Polichinelle,
Les Roussel passeront, les Janots sont passés,
Lui seul, toujours de mode, à Paris comme à Rome,
Peut se prodiguer sans s’user ;
Lui seul, toujours sûr d’amuser,
Pour les petits enfans est toujours un grand homme[64].
Ces traits, dis-je, qui portaient juste en 1777 et en 1812, quand écrivaient Lemière et Arnault, n’auraient pas eu la même vérité au XVIIe siècle, ni surtout pendant les trente premières années du XVIIIe, où les marionnettes furent un instrument de fine critique littéraire et quelquefois d’opposition politique. Le 7 février 1686, le procureur général au parlement de Paris, Achille de Harlay, adressa au lieutenant de police, M. de la Reynie, le billet suivant que le hasard m’a fait rencontrer dans des papiers relatifs à la révocation de l’édit de Nantes :
« A monsieur de la Reynie, conseiller du roy en son conseil, etc. — On dit ce matin au Palais que les marionnettes que l’on fait jouer à la foire Saint-Germain y représentent la déconfiture des huguenots, et comme vous trouverez apparemment cette matière bien sérieuse pour les marionnettes, j’ai cru, monsieur, que je devois vous donner cet avis pour en faire l’usage que vous trouverez à propos dans votre prudence[65]. »
Vers cette époque, un nommé Alexandre Bertrand, maître doreur et faiseur de marionnettes si habile en son métier, que presque tous les joueurs se fournissaient près de lui, résolut de conduire et de faire parler lui-même ses petites figures ; il loua donc, de moitié avec son frère, une loge dans l’impasse de la rue des Quatre-Vents[66]. En 1690, s’étant établi dans le préau de la foire Saint-Germain, il voulut joindre a ses acteurs de bois une troupe d’enfans des deux sexes : nous verrons que telle a été constamment en France la manie et l’idée fixe de tous les directeurs de marionnettes. Les comédiens français se plaignirent de cette atteinte portée à leurs privilèges, et une sentence ordonna la démolition de la nouvelle loge. L’arrêt fut exécuté le jour même.
Réduit à ses danseurs de corde et à ses bonnes marionnettes, Bertrand se transporta à la foire Saint-Laurent et y donna des représentations, chaque année, jusqu’en 1697, où il conçut, comme tous ses confrères, de plus hautes prétentions. Cette date, en effet, est mémorable dans l’histoire des spectacles forains ; tous prirent ou essayèrent de prendre un grand essor, par suite de la suppression de la Comédie-Italienne ; dont ils se regardèrent comme les héritiers légitimes. Bertrand eut même l’outrecuidance de s’établir dans le local qu’elle abandonnait, et qui n’était rien moins que la scène de Corneille et de Racine, l’ancien hôtel de Bourgogne ; mais, au bout de quelques jours à peine, un ordre du roi lui enjoignit d’en sortir.
Ce fut cette même année qu’aux petites loges des foires on substitua des salles construites sur le modèle des vrais théâtres, avec parquets, galeries, etc. ; enfin, cette mémorable année vit commencer une guerre qui dura plus que celle de trente ans, entre le grand Opéra, les comédiens français et les Italiens ressuscités, d’une part, et de l’autre part, tous les entrepreneurs de théâtres forains, qui n’avaient d’autorisation que pour les danses de corde et le jeu des marionnettes et dont l’incessante prétention, toujours repoussée par les théâtres privilégiés, était de remplacer peu à peu leurs acteurs mécaniques par des acteurs réels, parlans et chantans : ils avaient contre eux les magistrats, qui répugnaient à augmenter dans Paris le nombre des spectacles, et pour soutiens ardens la cour et la ville, dont ils promettaient de varier et de multiplier les plaisirs ; mais les nombreuses péripéties et les étranges épisodes de cette longue guerre me conduiraient beaucoup trop loin, si je voulais la raconter dans son ensemble et ses détails. Je ne toucherai donc que ce qui a rapport aux marionnettes ; la matière est encore assez riche.
On est en droit de s’étonner qu’aucun des historiens de nos grands ou de nos petits théâtres ne se soit appliqué à reconstruire le répertoire des marionnettes. M. de Soleinne lui-même, qui possédait un assez grand nombre de pièces faites pour elles, imprimées et manuscrites, et qui avait eu l’excellente idée de recomposer le répertoire de la plupart de nos théâtres secondaires, a négligé, je ne sais pourquoi, de refaire celui des marionnettes ; il a laissé toutes les pièces de ce genre qu’il possédait confondues dans l’immense suite du théâtre de la foire. Il est de notre devoir de faire cette séparation et de réunir pour la première fois l’ensemble de ce répertoire, qui, pendant plus de quarante ans, s’est constamment associé par la parodie à l’histoire de l’Opéra, de la Comédie-Française, des Italiens et de l’Opéra-Comique.
À la foire Saint-Laurent de 1701, Bertrand, dont la loge était sur la chaussée, en face de la rue de Paradis, fit représenter par ses marionnettes le premier ouvrage dramatique de Fuzelier, Thésée ou la défaite des Amazones, pièce en trois actes, avec un égal nombre d’intermèdes, qui composaient eux-mêmes une pièce épisodique ; les Amours de Tremblotin et de Marinette. Ces trois intermèdes étaient joués (bien qu’en aient dit quelques compilateurs) par des acteurs vivans, puisque ce fut Tamponnet qui créa le rôle de Tremblotin.
En 1705, Fuzelier fit jouer à la foire Saint-Germain son second ouvrage, le Ravissement d’Hélène, ou le Siége et l’embrasement de Troie, grande pièce en trois actes (je transcris l’affiche), qui sera représentée avec tous ses agrémens au jeu des Victoires, par les marionnettes du sieur Alexandre Bertrand, dans le préau de la foire Saint-Germain[67]. » Cette pièce était accompagnée de trois intermèdes qui furent, je crois, comme ceux de la pièce précédente, joués par de vrais acteurs.
Vers cette époque parurent deux nouveaux joueurs de marionnettes, Tiquet et Gillot ; mais je présume qu’ils n’eurent pour répertoire que les petites pièces de marionnettes anonymes qui étaient dans le domaine public, et que l’on jouait dans toutes les foires urbaines et rurales. Je trouve dans les portefeuilles manuscrits de M. de Soleinne un cahier mutilé, qui avait contenu la copie de huit de ces pièces. Les quatre premières, les seules qui restent, sont pleines des fautes les plus grossières, et paraissent n’avoir pu servir qu’à des joueurs de marionnettes et à des joueurs du plus bas étage. Ce cahier est intitulé : Répertoire des petites pièces de Polichinelle, avec dates de 1695 à 1712. Voici les titres de ces huit pièces 1° l’Enlèvement de Proserpine par Pluton, roi des enfers (annoncée en vers, mais en prose mêlée de consonances ; c’est probablement la pièce dont il est parlé dans l’épître d’Antoine Hamilton à la princesse d’Angleterre) ; 2°- Polichinelle Grand-Turc ; 3° le Marchand ridicule ; 4° Polichinelle colin-maillard ; 5° la Noce de Polichinelle et l’accouchement de sa femme ; 6° Polichinelle magicien ; 7° les Cousins de la Cousine ; 8° les Amours de Polichinelle[68]. Les historiens du théâtre n’ont connu que deux de ces petites farces, Polichinelle colin-maillard et le Marchand ridicule. Le Dictionnaire des Théâtres de Paris a publié la dernière in extenso, comme plus décente et plus réservée dans ses plaisanteries que les pièces du même genre : nous sommes obligé de confesser que cet échantillon de décence ne donne pas une opinion fort avantageuse de mesdames les marionnettes vers la fin du règne de Louis XIV ; elle préludaient à la régence.
Il ressort de deux procès-verbaux dressés, l’un le 30 août 1707, l’autre le 3 août de l’année suivante, que tous les essais de comédies et d’opéras-comiques, que s’efforçaient de faire représenter à chaque foire Allard, Maurice, De Selles, Michu de Rochefort, Octave et autres, étaient toujours précédés, pour la forme, d’un jeu de marionnettes qui constituait, avec les danses de corde, l’objet principal ou plutôt le seul de leur privilège ; mais ils employaient tous leurs efforts pour faire de l’accessoire le principal. Un arrêt du parlement du 2 janvier 1709, qui venait après plusieurs autres ; enjoignit à Dolet, La Place et Bertrand de ne faire servir dorénavant leur loge qu’aux exercices de leur profession, la danse de corde et les marionnettes.
C’est alors que s’établit l’usage des pièces à la muette, mêlées de jargon, et celui des pièces à écriteaux. Le jargon consistait en mots vides de sens que les forains introduisaient dans leurs farces, surtout dans les parodies des pièces de la Comédie-Française ; ils déclamaient ces mots en parodiant l’emphase et le son de voix des Romains (c’était le nom qu’ils donnaient aux comédiens français). Quant aux écriteaux, on les vit commencer à la foire Saint-Germain de 1710 : c’étaient des couplets écrits sur une pancarte de carton, que chaque acteur, au moment venu, déroulait aux yeux du public. L’orchestre jouait l’air, et des gagistes, placés au parquet et à l’amphithéâtre, les chantaient, engageant ainsi toute la salle à les imiter. Deux ans plus tard, on fit descendre les écriteaux du cintre, afin de rendre aux acteurs la liberté d’exprimer par leurs gestes le sens des couplets.
En 1715, Carolet, qui devait bientôt se montrer le plus fécond des auteurs forains, débuta par une pièce bien téméraire, qu’il donna aux marionnettes de Bertrand, le Médecin malgré lui, parodie en trois actes et en vaudeville de la comédie de Molière. À la foire Saint-Germain de 1717, Carolet confia à la même troupe une petite pièce en un acte, la Noce interrompue. On vit surgir la même année un nom destiné à devenir célèbre parmi les directeurs de marionnettes. Bienfait, gendre et successeur de Bertrand, représenta à la foire Saint-Germain une petite comédie fort libre de Carolet, intitulée la Cendre chaude, un acte en prose, avec des divertissemens et des couplets[69]. Il s’agissait d’un prétendu mort qui se permettait, dans son mausolée, d’assez égrillardes fantaisies. Pendant année 1719, tous les théâtres forains furent supprimés ; il n’y eut d’exception que pour les danseurs de corde et les marionnettes. Celles-ci, n’ayant à craindre aucune concurrence, se reposèrent sur leur vieux répertoire. Aux foires de 1720, il intervint une transaction entre les petits et les grands théâtres : on permit aux forains de jouer des pièces avec quelques paroles entremêlées de chant et de jargon ; les marionnettes seules restèrent, comme toujours, maîtresses de tout dire, de tout chanter et de tout se permettre. Elles profitèrent de la liberté, et se montrèrent, cette année surtout, outrageusement satiriques. Le Journal ale Paris de Mathieu Marais nous apprend qu’elles brocardèrent sur un ridicule épisode du système, l’affaire du duc de La Force, décrété par le parlement pour être ouï au sujet de la conversion qu’il avait faite de ses billets en marchandises de droguerie et d’épicerie, ce qu’on trouvait messéant à sa dignité de duc et pair. Polichinelle s’égaya aussi à propos d’une aventure assez lugubre ; je veux parler du feu qui prit, à l’issue d’un petit souper, aux paniers de Mme de Saint-Sulpice, jeune et jolie veuve de la société intime de Mme de Prie, du duc de Bourbon, du prince de Conti et du comté de Charolais, accident dont elle faillit mourir, et sur lequel il courut dans Paris une version burlesque et peu charitable. Mathieu Marais, qui tient note de ces bruits et qui semble y croire (17 février 1721), écrit quinze jours après : « J’ai appris que Polichinelle joue cette dame à la foire, et dit à son compère qu’il est venu des grenadiers voir sa femme, et lui ont mis un pétard sous sa jupe et l’ont brûlée. Il a dit aussi : Compère, je suis en décret, et cela me fâche beaucoup. — Tu es en décret ? Il n’y a qu’à te purger, dit le compère.- Oh ! s’il ne tient qu’à me purger, répond Polichinelle, j’ai chez moi bien de la casse et du séné, et je me purgerai tant que je me guérirai du décret. — Ainsi les marionnettes, remarque Mathieu Marais, ont joué les princes, le duc de La Force et cette dame, dont l’aventure triste a été tournée en ridicule[70]. » Étonnez-vous donc du succès de Polichinelle !
En 1722, Francisque, qui, depuis quelque temps, avait obtenu par tolérance de joindre à ses pantins et à ses danseurs une troupe d’acteurs parlans et chantons ; avait espéré obtenir pour lui et ses trois principaux auteurs, Fuzelier, Lesage et d’Orneval, le privilège de l’Opéra-Comique, genre nouveau, que ces spirituels écrivains avaient en quelque sorte créé ; mais il échoua dans son espoir, et le triumvirat, irrité de tous les obstacles que les théâtres privilégiés lui suscitaient, refusa de se plier aux entraves du monologue dont l’Opéra, les comédiens français et les Italiens coalisés venaient d’obtenir le maintien[71]. Plutôt que de se résoudre à ne faire parler et chanter qu’un seul personnage, nos trois poètes aimèrent mieux n’avoir que des marionnettes pour interprètes. Eux-mêmes nous apprennent leur résolution désespérée dans un court avertissement qu’ils placèrent au-devant de leur coup d’essai en ce genre, l’Ombre du cocher poète « Plus animés, disent-ils, par la vengeance que par l’intérêt, les auteurs de l’Opéra-Comique (c’est ainsi qu’ils se qualifient) s’avisèrent d’acheter une douzaine de marionnettes et de louer une loge, où, comme des assiégés dans leurs derniers retranchemens, ils rendirent encore leurs armes redoutables. Leurs ennemis (les trois grands théâtres), poussés d’une nouvelle fureur, firent de nouveaux efforts contre Polichinelle chantant ; mais ils n’en sortirent pas à leur honneur ([72]. » En effet, ayant pris à l’ouverture de la foire Saint-Germain des arrangemens avec La Place, directeur des Marionnettes étrangères, ils firent jouer sur cette petite scène trois pièces à ariettes qu’ils avaient destinées à l’Opéra-Comique de Francisque, et qui attirèrent tout Paris chez La Place[73]. Ces trois ouvrages étaient l’Ombre du cocher poète, qui servait de prologue, le Rémouleur d’amour, en un acte et en vers, et Pierrot-Romulus ou le Ravisseur poli, parodie en vers du Romulus de La Motte. Je lis dans une lettre inédite de l’abbé Chérier, écrite en 1731, à l’occasion d’un autre succès de marionnettes « Le Pierrot-Romulus fit une fortune immense ; on le jouait depuis dix heures du matin jusqu’à deux heures après minuit[74]. » Le régent voulut s’en donner le plaisir, et se fit représenter ce spectacle passé deux heures du matin. Mathieu Marais raconte dans son Journal (16 février 1722) que les comédiens français, blessés de cette critique, voulurent faire taire Polichinelle. Baron, qui, malgré son âge, était fort applaudi dans le rôle de Romulus, fit une noble harangue à M. de la Vrillière. Le compère de Polichinelle, qui avait été appelé, s’en tira, comme toujours, par une polissonnerie : « Il n’avait point, disait-il, l’éloquence nécessaire pour répondre à un aussi beau discours, et il ne dirait que deux mots : depuis plus de cinq cents ans (il faisait ainsi remonter le théâtre des marionnettes au XIIIe siècle), Polichinelle était en possession de parler et de p…r ; il demandait d’être conservé dans ce double privilège, ce qui fut reconnu de toute justice ; les comédiens et Baron lui-même ne purent que rire de ce burlesque plaidoyer avec le reste de l’auditoire[75]. »
Cependant le privilège des marionnettes était soumis, à de très gênantes restrictions, comme nous l’apprend l’abbé Chérier dans la lettre que nous venons de citer « Il n’est, dit-il, permis a Polichinelle de jouer des comédies qu’à la charge de les représenter dans son idiome, lui est celui du sifflet-pratique… Il faut encore qu’il se renferme dans son institution., qui est d’avoir sur son théâtre un voisin ou confrère qui l’interroge par demandes, et à qui Polichinelle répond avec sa précision polissonique ordinaire[76]. »
Nos trois spirituels entrepreneurs de marionnettes avaient fait peindre au bas du rideau de leur théâtre un polichinelle en pied[77], avec cette devise un peu bien fière : « J’en valons bien d’autres. » Dans un vaudeville joué au commencement de ce siècle, on a mis dans la bouche de Lesage cet éloge des troupes de marionnettes :
Les acteurs y sont de niveau,
Aucun d’eux ne s’en fait accroire ;
Les mâles au porte-manteau,
Et les femelles dans l’armoire.
Isabelle, sous les verrous,
Laisse Colombine tranquille,
Et Polichinelle à son clou
Ne cabale pas contre Gille[78].
Cependant Francisque, abandonné à l’improviste par ses trois auteurs, eut la bonne fortune de recruter Piron. Celui-ci, dans une pièce en monologue intitulée Arlequin-Deucalion ; railla assez finement ses confrères passés joueurs de marionnettes. Obligé, par l’arrêt de la cour, à ne faire parler qu’un seul acteur, il éluda cette incommode obligation par plusieurs heureux subterfuges. Voici un des meilleurs Arlequin-Deucalion, cherchant dans tous les coins du Parnasse des matériaux pour créer des hommes, met la main sur un polichinelle de bois, qui parle aussitôt son baragouin par l’organe du compère placé sous la scène. Grand émoi de Deucalion, qui craint un procès des grands théâtres ; mais, comme ce genre de dialogue n’avait pas été prévu dans la requête des comédiens à privilèges, et que l’arrêt n’avait pas compris le jargon de Polichinelle parmi les voix proscrites, le commissaire, qui assistait au spectacle, ne se crut pas en droit de verbaliser. Cependant, comme de pareils tours d’esprit ne peuvent pas se multiplier indéfiniment, Piron se découragea, et Francisque, faute de monologues, fut obligé de revenir aux marionnettes. Il s’avisa alors d’en faire fabriquer de grandeur presque naturelle, et Piron, qui venait de railler ses confrères, consentit à laisser jouer par celles-ci, à la foire Saint-Laurent suivante, un opéra-comique en trois actes et en prose, la Vengeance de Tirésias ou le Mariage de Momus[79]. Heureusement la dernière semaine du carême étant venue, et la clôture des grands théâtres suspendant de fait leurs privilèges, Tirésias put être joué par la troupe vivante de Francisque, avec un autre opéra-comique de Piron, l’Antre de Trophonius.
La Place, associé à Bolet, reprit à cette foire Pierrot-Romulus ; mais l’ouvrage eut beaucoup moins de succès qu’au commencement de l’année, parce que, dit-on (et cela mérite qu’on le remarque), les auteurs avaient cessé de prêter la main à l’exécution de la pièce. La Place et Dolet eurent donc recours à des nouveautés : Carolet, le plus inépuisable fournisseur, vint à leur aide ; ils purent monter successivement, dans cette seule foire, trois pièces de cet auteur : la Course galante ou l’Ouvrage d’une minute, parodie du Galant coureur ou l’Ouvrage d’un moment de Legrand, et Tirésias aux Quinze-Vingts, précédé d’un prologue intitulé Brioché vainqueur de Tirésias. Ces deux pièces étaient destinées à faire concurrence au Tirésias de Piron. Les marionnettes de Bienfait donnèrent aussi à cette foire une bluette de Carolet, l’Entêtement des spectacles.
En 1723, Piron, sous le nom emprunté de La Maison-Neuve, fit jouer encore par les marionnettes de Francisque une pièce en trois actes et en prose mêlée de vaudevilles, Colombine Nitétis, parodie de Nitétis, tragédie de Danchet[80].
Ces deux années 1722 et 1723 ont été, comme on voit, l’époque la plus brillante, et, si l’on peut ainsi parler, la plus littéraire du théâtre des marionnettes en France. Pendant ces deux années, Lesage, Piron, Fuzelier, d’Orneval, ont lutté à l’envi, sur cette petite scène, de verve, de malice et de gaieté.
En 1724, les marionnettes de Bienfait représentèrent à la foire Saint-Germain les Eaux de Passy, un acte de Carolet, et à la foire Saint-Laurent deux pièces du même auteur : la première, l’Anti-Claperman ou le somnifère des maris, critique du Claperman de Piron[81], la seconde, Inès et Mariamne aux Champs-Élysées, qui n’était rien moins que la parodie en un acte et avec prologue de deux tragédies nouvelles et bien reçues du public, l’Inès de La Motte et la Mariamne, de Voltaire.
Un Anglais, John Riner, ayant fait bâtir, une salle pour des danseurs de corde dans le jeu de paume de la rue des Fossés-Monsieur-le-Prince, ajouta des marionnettes à ce spectacle. Il fit représenter par elles, le 10 mars 1726, la Grand’Mère amoureuse, parodie en trois actes de l’opéra d’Atis. Cette pièce de Fuzelier, Lesage et d’Orneval[82] fut précédée d’une harangue de Polichinelle au public, critique assez plaisante des complimens d’ouverture et de clôture en usage sur les deux théâtres français et italien. Une copie entière de cette harangue, qui n’a été qu’incomplètement publiée, se trouve dans les portefeuilles de M. de Soleinne. Je me hasarde à la transcrire, malgré quelques licences de style qui sont malheureusement le fond de la langue de Polichinelle. Après avoir fait, chapeau bas, les trois saluts d’usage, Polichinelle s’avance au bord du théâtre et dit :
« Monseigneur le public puisque les comédiens de France : et d’Italie, masculins, féminins et neutres, se sont mis sur le pied de vous haranguer, ne trouvez pas mauvais que Polichinelle, à l’exemple des grands chiens vienne pis..r contre les murs de vos attentions et les inonder des torrens de son éloquence. Si je me présente devant vous en qualité d’orateur des marionnettes, c’est pour vous dire que vous devez nous pardonner de vous étaler dans notre petite boutique une seconde parodie d’Atis[83]. En voici la raison : les beaux esprits se rencontrent ; érgo, l’auteur de la Comédie-Italienne et celui des marionnettes doivent se rencontrer. Au reste, monseigneur le public, ne comptez pas de trouver ici l’exécution gracieuse de notre ami Arlequin ; vous compteriez sans votre hôte. Songez que nos acteurs n’ont pas les membres fort souples, et que souvent on croiroit qu’ils sont de bois. Songez aussi que nous sommes les plus anciens polissons[84], les polissons privilégiés, les polissons les plus polissons de la foire ; songez enfin que nous sommes en droit, dans nos pièces, de n’avoir pas le sens commun, de les farcir de billevesées, de rogatons, de fariboles. Vous allez voir dans un moment avec quelle exactitude nous soutenons nos droits :
Ici la licence
Conduit nos sujets,
Et l’extravagance
En fournit les traits ;
Si quelqu’un nous tance,
J’avons bientôt répondu
Lanturlu.
« Bonsoir, monseigneur le public ; vous auriez eu une plus belle harangue, si j’étois mieux en fonds. Quand vous m’aurez rendu plus riche, je ferai travailler pour moi le faiseur de harangues de ma très honorée voisine, la Cormédie-Française, et je viendrai vous débiter ma rhétorique empruntée avec le ton de Cinna et un justaucorps galonné comme un trompette. Venez donc en foule ! je vous ouvrirai nos portes, si vous m’ouvrez vos poches.
Ah ! messieurs, je vous vois, je vous aime ;
Ah ! messieurs, je vous aimerai tant,
Si vous m’apportez votre argent !
Je vous vois ; je vous veux, je vous aime,
Je vous aimerai, etc.
DIXI[85]. »
Riner fit encore jouer en 1726 une pièce de Fuzelier et de d’Orneval, les Stratagèmes de l’amour, parodie du ballet de ce nom, que Fuzelier avait déjà parodié à la Comédie-Italienne. Je trouve, parmi les pièces manuscrites de Carolet qu’a réunies M. de Soleinne, le Divertissement comique, représenté par les marionnettes de Bienfait à la foire de 1727. Il n’y eut en 1728 d’autres spectacles forains que ceux des danseurs de corde et des marionnettes, lesquels ne se mirent pas en frais de nouveautés.
Carolet, à la foire Saint-Germain de 1731, fit jouer le Cocher maladroit ou Polichinelle Phaéton, parodie en trois actes et en vaudevilles de l’opéra de Phaéton. À la foire Saint-Laurent, Bienfait fit représenter par ses comédiens de bois trois pièces du même auteur, Polichinelle Cupidon ou l’Amour contrefait, l’Impromptu de Polichinelle, en prose, et le Palais de l’ennui ou le Triomphe de Polichinelle[86], critique en un acte et en vaudevilles de l’opéra d’Endymion. Les marionnettes jouèrent encore à cette foire Polichinelle roi des sylphes et Polichinelle à la guinguette de Vaugirard[87]. Cette année, l’Opéra-Comique, dont Pontau avait obtenu le privilège, fut obligé de se restreindre aux pièces à la muette et en écriteaux. Il n’obtint grace que pour quelques enfans auxquels il fit jouer une pièce de sa façon intitulée les Petits comédiens. Au lever du rideau, il s’avançait au bord de la rampe et sollicitait l’indulgence pour cette troupe enfantine ; en chantant le couplet suivant :
S’ils n’ont pas l’honneur de vous plaire,
Épargnez-les : c’est moi, messieurs,
Qui dois porter votre colère :
J’ai fait la pièce et les acteurs.
Peu de personnes savent que Favart a débuté par le théâtre des marionnettes. Sa première pièce, composée en société de Largillière fils, est une parodie du Glorieux de Destouches, Polichinelle comte de Paon-fier[88], jouée à la foire Saint-Germain de 1732 au jeu de Bienfait : Celui-ci, qui était devenu, grace surtout à Carolet, l’Atlas des théâtres de marionnettes, représenta encore à cette foire Polichinelle Amadis, parodie en vers de l’Amadis de Quinault[89]. L’année d’après, il donna deux pièces de Carolet à la foire Saint-Germain, Polichinelle Alcide ou le Héros en quenouille, parodie de l’opéra d’Omphale, et Polichinelle Apollon ou le Parnasse moderne, un acte en vaudevilles[90]. À la même foire, les marionnettes jouèrent une parodie de l’Isis de La Motte, intitulée A Fourbe fourbe et demi ou le Trompeur trompé[91]. Cette même année (1733), les marionnettes de Bienfait donnèrent à la foire Saint-Laurent un acte en vaudevilles d’un nouvel auteur, Valois d’Orville, intitulé la Pièce manquée[92]. Je trouve dans les portefeuilles manuscrits de M. de Soleinne le Retour imprévu ou Arlequin faux magicien, canevas avec couplets daté de 1733, Apollon Polichinelle, parodie d’Issée en trois actes, représentée à la foire Saint-Germain de 1734, dans, laquelle dame Gigogne, qui était revenue cette année fort à la mode, jouait le rôle de Doris[93], et un vaudeville de circonstance, la Prise de Philisbourg, par Carolet, donné par les marionnettes de la foire Saint-Laurent[94].
En 1735, Valois d’Orville fit représenter au jeu de Bienfait un nouvel acte en vers, l’Impromptu de Polichinelle[95]. L’arrivée à Paris d’un géant qui se montrait à la foire fut, pour les marionnettes de Bienfait, l’occasion d’une farce en un acte, l’île des Fées ou le Géant aux Marionnettes ; dame Gigogne jouait le personnage de la fée. À la foire Saint-Laurent, les marionnettes donnèrent le Songe agréable ou le Réveil de l’Amour. En 1736, on parodia au jeu de Bienfait l’opéra de Thétis et Pelée, sous le titre des Amans peureux ou Polichinelle et dame Gigogne, en trois actes. Alzire, applaudie pour la première fois sur la scène française, le 17 février 1736, n’échappa point aux parodistes de Bienfait. J’ai sous les yeux le très insignifiant canevas de ce petit acte anonyme et misérable, intitulé la Fille obéissante[96]. Dame Gigogne, ô profanation ! faisait le rôle d’ Alzire ! À cette même foire, Bienfait fit jouer par ses marionnettes Polichinelle-Atis, trois actes de Carolet, parodie de l’opéra d’Atis[97]. Les portefeuilles de M. de Soleinne renferment le canevas d’une petite pièce, jouée le 23 juin de cette année par les marionnettes, intitulée les Aventures de la foire Saint-Laurent. Bienfait fit jouer à la foire Saint-Laurent suivante (1737) Polichinelle-Persée, parodie de l’opéra de Persée ; trois actes en vers[98], avec un prologue de Carolet, intitulé la Noce interrompue, dans lequel le diable avait un rôle, ainsi que dame Gigogne et Ragonde, une de ses filles[99]. En 1740, Bienfait offrit au public de la foire Saint Laurent une parodie très froide d’opéra de Pyrame, intitulée le Quiproquo ou Polichinelle-Pyrame[100], et, à la même foire, un acte en vaudevilles intitulé les Métamorphoses d’Arlequin[101]. L’idée de cette bluette était assez piquante. Il s’agissait de la querelle des marionnettes et de l’Arlequin de la Comédie-Italienne, Constantini. Celui-ci avait pris, dans un de ses rôles, l’habit de Polichinelle. Le Polichinelle de Bienfait essayait, à son tour, d’imiter l’allure et de prendre le costume d’Arlequin, ce qui ne lui était pas très facile. À la foire Saint-Laurent, les mêmes marionnettes jouèrent la Descente d’Enée aux enfers, parodie par Fuzelier et Valois d’Orville de la Didon de Lefranc de Pompignan, représentée pour la première fois le 21 juin 1734 et reprise cette année, 1740, avec plus de succès que dans la nouveauté. La copie, qui se trouve dans les portefeuilles de M. de Soleinne, indique qu’Enée aux enfers était précédé d’une harangue de Polichinelle[102]. Je ne l’ai pu découvrir. Le même portefeuille contient un petit acte intitulé Critique de la tragédie de Didon pour les marionnettes. La scène se passe chez Éliante ; c’est une conversation dans le genre (au mérite près) de la Critique de l’École des Femmes. Cette critique ne peut guère avoir été jouée qu’en société, car on jouait alors assez souvent les marionnettes en société, comme nous le verrons bientôt.
Vers cette époque, deux anciens joueurs de marionnettes commencèrent à sortir de leur obscurité : Fourré, habitué des foires Saint-Germain, Saint-Laurent et Saint-Ovide, et Nicolet, dont nous verrons bientôt le fils faire passer au boulevard du Temple une partie de la vogue dont jouissaient les foires temporaires. En 1741, Nicolet fit jouer à la foire Saint-Germain, par ses marionnettes, une pièce qui se trouve manuscrite dans les portefeuilles de M. de Soleinne, et dont le titre a l’air d’une nouvelle de gazette : la Prise d’une troupe de comédiens par un corsaire de Tunis ; au mois de septembre 1740. La pièce est datée de 1741, et le permis de représenter porte, avec la date du 28 février 1742, la signature de Crébillon Cette pièce est-elle restée un an à l’examen de la censure ? je ne sais ; toujours est-il prouvé, par ce permis de représenter, que l’on avait, depuis quelque temps, astreint les canevas de marionnettes à la censure, ce qui peut expliquer la décadence que nous allons avoir à constater dans les productions de ce théâtre, jusque-là si spirituel et si prospère. Il semble aussi que Nicolet avait eu la pensée de porter quelque innovation dans ce genre de spectacle et de s’affranchir de quelques-unes des lois qui étaient sa condition d’existence, car l’autorisation de M. de Sartine, libellée par l’auteur de Rhadamiste, porte : « Permis de représenter, à la charge de ne parler qu’avec le sifflet de la pratique[103]. »
On a vu jusqu’ici que les parodies abondent dans le répertoire des marionnettes ; mais, à la foire Saint-Germain de 1741, Valois d’Orville fit, à propos de la Chercheuse d’esprit de Favart, une chose nouvelle et qui a eu beaucoup d’imitateurs : il donna sur le théâtre de Bienfait Polichinelle distributeur d’esprit, petite pièce qui n’offrait pas seulement, comme de coutume, la critique d’un ouvrage unique, mais une sorte de revue piquante des divers ouvrages joués dans la saison. Il serait curieux que les marionnettes eussent créé un genre, les pièces-revues.
À la foire Saint-Germain de 1742, Nicolet fit jouer par ses marionnettes un acte de Valois d’Orville, l’Une pour l’Autre, parodie d’Amour pour Amour, et un nouvel entrepreneur de marionnettes, Boursault, représenta une petite pièce du même auteur, Orphée et Eurydice.
Sous la date de 1743, les portefeuilles de M. de Soleinne contiennent Don Quichotte-Polichinelle, parodie en trois actes du ballet de Don Quichotte, encore par Valois d’Orville, mais qui peut-être n’a pas été représentée. Je voudrais pouvoir en dire autant de Javotte, parodie de Mérope, que le même auteur eut l’irrévérence de faire jouer par les marionnettes de la foire Saint Germain de cette année[104]. Je ne sais si c’est dans ce petit acte que Polichinelle, toujours frondeur, se moqua effrontément de la manie qui commençait à s’emparer du parterre d’appeler l’auteur des tragédies nouvelles et de le faire paraître en personne, honneur assez équivoque que l’on venait d’infliger Voltaire lui-même le jour de la première représentation de Mérope. Le compère pressait Polichinelle de lui faire entendre une de ses œuvres, et, après avoir reçu une réponse fort incongrue, le compère s’empressait de demander l’auteur ! l’auteur ! satisfaction que s’empressait de lui donner Polichinelle, aux grands éclats de rire de l’assemblée.
À la foire Saint-Germain de 1744, les marionnettes de Bienfait représentèrent Polichinelle maître-maçon[105] et Polichinelle Gros-Jean parodie en un acte et en vers de l’opéra de Roland. Les portefeuilles de M. de Soleinne contiennent à cette date deux pièces de Fuzelier, le vieil athlète des théâtres forains, jouées à la foire Saint-Laurent par les comédiens de bois (c’était le nom des marionnettes de Nicolet) l’une est intitulée la Ligue des Opéras, farce en un acte ; l’autre, Polichinelle maître d’école, parodie du ballet de l’École des Amans[106].
Il s’opéra, vers cette époque, un grand changeaient dans le répertoire des marionnettes : nous allons voir l’esprit, l’invention, la malice, diminuer chaque jour, et la recherche des effets et des surprises de la mécanique augmenter dans une proportion correspondante. Les affiches de Paris nous prouvent que ce n’est plus désormais que sur des pièces à grand spectacle que Bienfait et ses rivaux fondaient l’espoir d’attirer la foule. Une annonce du 4 juillet 1746 est ainsi conçue : « Le Bombardement de la ville d’Anvers sera représenté sur le théâtre du sieur Bienfait, seul joueur de marionnettes de monseigneur le dauphin ; c’est à la foire Saint-Laurent, dans le petit préau, au grand théâtre[107]. » Ces mots pompeux sont les avant-coureurs de la décadente, et Bienfait ne change pas seulement de genre, il change le nom de son spectacle et lui en cherche un plus ambitieux. Voici l’affiche du 14 août 1746, répétée tous les jours suivans : « Les comédiens praticiens français du sieur Bienfait donneront Arlequin vainqueur de la femme diablesse (je lis ailleurs vainqueur de la femme de son maître), pièce en vaudevilles, ornée d’un magnifique spectacle, suivie de la Prise de Charleroy ; le tout précédé des bonnes marionnettes et des Amusemens comiques de Polichinelle, qui mettra tout en œuvre pour mériter les bonnes graces du public. »
Ce nouveau nom de comédiens praticiens donné aux marionnettes tirait son origine de la pratique. C’était pour Bienfait un moyen de rehausser ses acteurs de bois, dont la vogue était un peu en baisse, et de les distinguer de la troupe d’enfans qui jouait concurremment sur son théâtre, sous le nom de petits comédiens pantomimes[108]. Il faisait, en 1747, représenter tous les jours la Descente d’Énée aux enfers. Je ne crois pas que cette pièce fût celle où Fuzelier et Valois d’Orville avaient récemment parodié la Didon de Lefranc : ce devait être plutôt une pièce à machines, dans le genre de celles que Servandoni avait mises à la mode Une annonce de l’année suivante déclare même cette prétention : « Dix-neuf février 1748, Assaut général de Berg-op-Zoom, et vue du pillage du dedans, spectacle brillant, dans le goût de celui de Servandoni, qui sera représenté sur le théâtre du sieur Bienfait, seul joueur de marionnettes des menus plaisirs de monseigneur le dauphin. » Alors en effet, commençait l’engouement pour les spectacles qui ne s’adressent qu’aux yeux : c’était le triomphe de la mécanique. On imitait, sous toutes les formes, les automates de Vaucanson, le flûteur, le canard, etc. ; on courait au joueur d’échecs de Kempel. Un Polonais, nommé Toscani, ouvrait, à la foire Saint-Germain de 1744, un théâtre pittoresque et automatique, qui semblé avoir servi de prélude au fameux spectacle de Pierre : « On y voit, disent les affiches, des montagnes, des châteaux, des marines… Il y paraît aussi des figures qui imitent parfaitement tous les mouvemens naturels, sans qu’on aperçoive qu’elles soient tirées par aucun fil… et, ce qu’il y a de plus surprenant, on y voit une tempête, la pluie, le tonnerre, des vaisseaux qui périssent, des matelots qui nagent, etc., etc. » On annonçait de tous côtés de pareilles merveilles, et aussi (on rougit de le dire) des combats d’animaux féroces. Ce goût ignoble a été, si l’on en croit la multiplicité des affiches, long-temps plus répandu chez nous et plus vif qu’on ne le croit généralement. Je transcris, entre un très grand nombre de semblables annonces, celle que voici, datée du 7 avril 1748 ; on ne la lira pas sans surprise :
« À mort le beau, furieux, méchant et nouveau taureau… Au faubourg Saint-Germain, rue et barrière de Sèvres… L’on ne peut assez exprimer la force de ce jeune taureau sauvage et intrépide pour la méchanceté ; ne connoissant personne, depuis près de trois mois qu’il est au combat. On ne peut non plus dire avec quelle intrépidité il défendra sa vie contre les dogues qui le réduiront mort sur la place, quoique ce soit un des meilleurs combattans qu’il y ait eu depuis plusieurs années. Ce combat sera terminé par celui des dogues, des ours et le nouveau et bon loup, qui tient collet contre les dogues… Le sieur Martin avertit le public qu’il a de l’huile d’ours pure, etc…[109]. »
L’année 1749 amena plusieurs nouvelles concurrences aux marionnettes de Bienfait. Les affiches du 18 février annoncent l’ouverture de la nouvelle troupe de comédiens praticiens de Levasseur, à la foire Saint-Germain, et la première représentation des Réjouissances publiques ou le Retour de la paix, en vaudevilles, avec Arlequin courrier. Nous voyons, un peu plus tard, les marionnettes de Levasseur jouer à la même foire une pièce pantomime intitulée les Fleurs.
Le 13 février 1749, la nouvelle troupe de marionnettes de Prévost débuta par la Revue générale des Houllans, commandés par M. Le maréchal de Saxe, représentée devant leurs majestés, monseigneur le dauphin, etc., le tout en figures mouvantes par chaque escadron qui caracolent, suivi des Amusemens comiques de Polichinelle. Ce nouveau théâtre, situé rue de la Lingerie, ne tarda pas à se réunir à celui de Bienfait. Dès le 1er mai, les affiches annoncent la Revue des Houllans au théâtre des petits comédiens du Marais, rue Xaintonge, près le boulevard ; c’était la nouvelle adresse et le nouveau nom des marionnettes de Bienfait, dont les affaires, malgré tous ces mouvemens, et peut-être à cause de tous ces mouvemens, semblaient décliner. Nous trouvons, en effet, en 1750, cette triste annonce dans les affiches de Paris : « On fait savoir qu’en vertu d’une sentence du Châtelet du 14 novembre, il sera procédé à la vente et adjudication d’une loge construite dans la foire Saint-Laurent, avec ses appartenances et dépendances, saisie sur le sieur Bienfait. » Nous le retrouvons pourtant, lui ou les siens, dans les années suivantes, entre autres en 1752, faisant jouer par ses marionnettes une pièce anonyme, Arlequin au sabbat ou l’Ane d’or d’Apulée[110]. Son fils avait encore un théâtre de marionnettes en 1767, et même en 1773, à la foire Saint-Germain[111].
Il s’établit à Passy en 1760, sous le nom de Théâtre des Comédiens artificiels de Passy, un spectacle de marionnettes, dont le directeur, M. Cadet de Beaupré, eut la malheureuse idée de se faire le pourvoyeur littéraire. Il fit jouer par Polichinelle et dame Gigogne, et imprimer ensuite, un acte en vers intitulé les Philosophes de bois. C’était une parodie ou une contre-partie très effacée de la fameuse comédie de Palissot. L’auteur avoue dans une courte préface que sa pièce n’a eu aucun succès à la représentation, ce qui l’engage à en appeler à la lecture. Cet ouvrage est, je crois, tout ce.qui reste, si cela peut s’appeler rester, du répertoire des comédiens artificiels de Passy.
Le rempart du Marais assaini dès 1737 par l’établissement du grand égout, un peu abaissé et planté, en 1768, de cinq rangées d’arbres, était devenu, sous le nom de boulevard du. Temple, une promenade aimée des habitans du quartier Saint-Antoine, de Popincourt et de la Grande-Pinte. Peu à peu, il s’éleva sur ce terrain fangeux des baraques où les bateleurs habitués des foires Saint-Germain ; Saint-Laurent et Saint-Ovide furent autorisés à établir une sorte de foire permanente, à la charge toutefois de se réinstaller, pendant la durée des foires périodiques, aux places qu’ils y occupaient précédemment, obligation à laquelle ils furent tenus de se soumettre jusqu’à la loi du 13 janvier 1791, qui proclama la liberté des spectacles[112].
Fourré fils, qui faisait danser, comme son père, des marionnettes aux diverses foires de Paris, fit, vers 1756, bâtir par Servandoni, dont il était élève, un petit théâtre sur le boulevard, où, indépendamment de ses marionnettes, il exploita le genre des pièces à machines, que son maître avait mises à la mode, et qui attiraient la foule dans la salle des Tuileries.
J’ai sous les yeux le programme d’une de ces pièces, daté de la fin de juin 1759 : « Junon aux enfers, spectacle mécanique, comme ceux des anciens Romains, sur le grand théâtre de la barrière du Temple… » Suit l’analyse des deux actes, qui contiennent l’histoire d’Athamas, d’après le récit d’Ovide. Le programme se termine ainsi : « Pièce composée par le sieur Fourré, ancien décorateur de M. le comte de Clermont, ancien entrepreneur des nouveaux bâtimens du Temple, sous les ordres de monseigneur le rince de Conti. »
En 1760, Fourré céda sa loge à Nicolet cadet, joueur de marionnettes comme son père. Parmi les pièces de son répertoire, nous citerons Arlequin Amant et Valet, en trois actes et en prose. Après avoir occupé, pendant quatre ans, la loge de Fourré, il en loua une autre sur un terrain attenant, qu’il acheta en 1767, et où il fit bâtir un assez beau théâtre, malgré les difficultés que lui opposaient le mauvais état du sol et le voisinage de l’ancien rempart, dont ses constructions ne pouvaient dépasser la hauteur. Il ouvrit cette nouvelle salle en 1769. Dès son arrivée sur le boulevard, Nicolet avait joint à ses acteurs de bois des acteurs vivans de toutes sortes : à la porte, Paillasse, avec ses parades ; au dedans, outre ses danseurs de corde, les refrains de Taconnet ; de plus, quelques animaux savans, et surtout un singe égal en gentillesse à celui de Brioché. M. de Boufflers a composé sur ce singe une assez jolie chanson. La devise de Nicolet était, comme on sait, de plus fort en plus fort, et il y a été fidèle. En 1772, sa troupe d’équilibristes, appelée à Choisy, où était la cour, fut si agréable à Louis XV et à Mme Du Barry, qu’il obtint pour sa troupe le titre de grands danseurs du roi[113], ce qui ne l’affranchit pas cependant de l’obligation de garder ses marionnettes et de jouer aux foires, double chaîne qu’il porta jusqu’à la loi de 1791. Affranchi alors, le théâtre de Nicolet prit, le 22 septembre 1791, le nom de Théâtre de la Gaieté, qu’il a gardé jusqu’à ce jour, en dépit des glapissemens du mélodrame.
L’ancienne salle de Fourré, que Nicolet avait quittée en 1664, fut, quelques années plus tard reconstruite et occupée par un autre joueur de marionnettes qui aspirait, comme Nicolet et ses confrères, à de plus hautes destinées. Audinot, auteur et chanteur de l’Opéra-Comique et de la Comédie-Italienne réunis, où il jouait avec talent les rôles à tablier, se brouilla avec cette troupe et la quitta à la clôture de 1767. Après s’être montré, l’année suivante, sur le théâtre de Versailles, il revint à Paris en 1769, et loua à la foire Saint-Germain une loge où il montra de grandes marionnettes qui attirèrent la foule par une innovation qui parut piquante. Ses bamboches ou comédiens debois, comme il les appelait, étaient des portraits fort ressemblans de ses anciens camarades de l’Opéra-Comique, Laruette, Claire al, Mme Bérard et lui-même. Polichinelle, sous les traits d’un gentilhomme de la chambre en exercice, fut reçu avec presque autant de faveur que le fut depuis Cassandrino à Rome. Après la clôture de cette foire, Audinot s’installa dans la salle de Fourré, qu’il avait fait rebâtir. Il continua d’y faire jouer et chanter ses comédiens de bois pour lesquels J.-B. Nougaret écrivit plusieurs pièces[114] ; il y joignit quelques ballets d’action, un nain fort agréable dans le vole d’Arlequin, et quelques scènes épisodiques, telles que le Testament de Polichinelle. Pour exprimer cette variété d’amusemens qu’il offrait au public, il donna à son théâtre, dès 1770 ; le nom d’Ambigu-Comique. Cependant il remplaça peu à peu ses marionnettes par des enfans qui jouèrent d’abord des pantomimes, puis des pièces accompagnées de quelques paroles auxquelles on donna le titre assez bizarre de pantomimes dialoguées. Les gravelures dont ses auteurs attitrés, Plainchesne et Moline, n’étaient point avares, attirèrent la bonne et la mauvaise compagnie. Dès 1771, ce petit théâtre était suivant Bachaumont, plus fréquenté non pas que l’Opéra (c’eût été trop peu dire), mais que celui de Nicolet du temps de son singe. Les grands théâtres eurent beau réclamer pour le maintien de leurs privilèges : la cour et la ville intervinrent ; les enfans d’Audinot continuèrent à babiller, danser et chanter, et l’autorité eut l’air de ne pas entendre[115]. C’est ce qu’avait demandé assez plaisamment le facétieux directeur dans un double calembour latin inscrit, en manière de devise, sur le rideau de son théâtre : Sicut infantes audi nos. On sent, à cette tolérance que la loi du 13 janvier 1791 approchait.
D’ailleurs, plus la foire permanente établie sur le boulevard du Temple prenait de vie, de mouvement et d’éclat, et plus décroissait l’importance des foires temporaires. En 1773, il y eut suppression de tous les spectacles à la foire Saint-Laurent, et pendant trois années on n’y vit que quelques marchands de mousseline et de colifichets, un billard et une buvette. Elle fut rouverte cependant en 1777, sous les auspices de M Lenoir[116] ; mais ce ne fut qu’un mouvement de reprise factice : la vie se retirait et se portait ailleurs. Quelques autres foires locales essayèrent, sans grand succès, de profiter de cette suppression. En 1773, la foire Saint-Clair, qui se tenait, pendant les dernières semaines de juillet, le long de la rue Saint-Victor, réunit plusieurs théâtres de marionnettes. La même année, la foire Saint-Ovide, qui avait eu lieu jusque-là sur la place Vendôme, entre la mi-août et la mi-septembre, fut transférée sur la place Louis XV. Nicolet cadet et ses confrères y donnèrent des jeux de marionnettes. En 1776, cette foire eut beaucoup d’éclat et fut prorogée jusqu’au 9 octobre. Il y eut plusieurs théâtres de marionnettes, entre autres ceux des fantoccini italiens et des fantoccini français ; mais je ne sais rien des pièces qui y furent représentées. L’année suivante, les fantoccini français prirent un nom assez étrange. Je lis cette annonce dans l’Almanach des Spectacles de la Foire. Le sieur Second déclaré qu’il offre cette année (1777) une nouvelle troupe de porenquins ou de fantoccini français[117]. Le nom singulier de porenquins n’a pas fait fortune. Je n’en connais ni le sens ni l’origine. Une chose seulement me parait évidente, c’est que les joueurs de marionnettes cherchaient de plus en plus à déguiser sous des périphrases et à rajeunir de leur mieux leur profession en décadence. C’est ainsi qu’il s’établit en 1793, sous le titre de Théâtre des Pantagoniens, un spectacle de grandes marionnettes très habiles à se transformer. On cite, parmi ces transformations, celle d’un procureur dont les membres s’animaient pour former autant de cliens. Les Pantagôniens jouèrent deux pantomimes, les Métamorphoses d’Arlequin et les Métamorphoses de Marlborough, sur le Théâtre de la République, à la foire Saint-Germain de 1793[118], puis ils allèrent se loger sur le boulevard du Temple.
Un nouveau lieu de plaisir, une nouvelle foire perpétuelle, plus élégante, plus choisie, plus aristocratique que celle des boulevards, avait commencé vers 1784, à déployer toutes les splendeurs de l’industrie et des arts, pour attirer la foule parisienne, et l’on peut dire européenne. Je veux parler des galeries nouvellement construites du Palais-Royal. Les marionnettes ne manquèrent pas à ce rendez vous de la mode. Dès le 28 octobre 1784, les petits comédiens de M; le comte de Beaujolais (c’étaient de grandes marionnettes) ouvrirent leur spectacle, sous la direction de Garder et de Homel, par trois petites pièces : Momus directeur de spectacle, prologue, — Il y a commencement à tout, proverbe en vaudeville, et Prométhée, pièce ornée de chants et de danses, musique de M. Froment. Ces mêmes petits comédiens représentèrent assez long-temps avec succès Figaro directeur de marionnettes. En 1786, ces pantins furent remplacés par des enfans, qui faisaient les gestes sur le théâtre, tandis que de grandes personnes parlaient et chantaient pour eux dans la coulisse[119]. On joua de la sorte plusieurs opéras-comiques, composés par des musiciens distingués. Pour achever ce qui a rapport aux comédiens de bois de M. le comte de Beaujolais, je dois dire qu’ils furent tirés un moment de leur oubli en 1810. Cette résurrection éphémère a été racontée par un spirituel contemporaine : « A la fin de 1810, dit M. Dumersan, Mme Montansier fit débuter au Palais-Royal une troupe de danseurs de corde, puis les Puppi napolitani ou marionnettes napolitaines. Il y avait un directeur italien, qui s’étonnait de n’attirer que des enfans, tandis qu’en Italie les spectacles de marionnettes sont suivis par des hommes de tous rangs et de tout âge… On admirait pourtant Pulcinella que le directeur dirigeait lui-même et qui avait l’air d’un personnage vivant. Ce théâtre prit un peu après (le 20 octobre ; 1810), le titre de Théâtre des jeux forains. L’ouverture se fit par un prologue de Martainville intitulé la Résurrection de Brioché : Cette pièce fut jouée par les ci-devant comédiens de bois du comte de Beaujolais, qui dormaient dans les greniers du théâtre depuis vingt ans. Ces automates, grands comme des enfans de huit ans et habillés à la Pompadour, eurent peu de succès[120]… »
Le 1er janvier 1785, les fantoccini de M. Caron, qui, pendant quelques mois, s’étaient montrés sur le boulevard du Temple, s’établirent dans une salle au Palais-Royal, sous le nom renouvelé de Théâtre des Pygmées. Les deux pièces d’ouverture, d’aune teinte trop uniformément mythologique, furent le Nouveau Prométhée, compliment ou prologue en un acte avec couplets, et Arlequin protégé par Momus, vaudeville en trois actes[121]. Caron conduisais lui-même ses marionnettes, parlait pour elles et composait presque toutes les pièces. Ces nouveaux fantoccini ne ressemblaient nullement à ceux qu’on avait si bien accueillis à la foire Saint-Ovide de 1776, et qui avaient au moins deux pieds de haut ; ceux-ci, au contraire, étaient d’une petitesse extrême[122]. Ils ne paraissent pas avoir brillé long-temps ; le genre s’épuisait : il fallait, pour le ranimer, une innovation profonde et complète ; ce rajeunissement s’opéra par l’importation des ombres chinoises.
Ce divertissement dont on rapporte généralement l’origine aux Chinois et aux Javanais, est du moins, sans aucun doute, un des spectacles favoris des Orientaus. Il est, depuis assez long-temps connu en Italie et en Allemagne. Le baron de Grimm, qui, dans sa Correspondance de 1770, 1ui a consacré une page ironique, nous apprend pourtant, l’ingrat ! que, sous le nom de Schattenspiel, ce jeu avait singulièrement amusé et émerveillé son enfance. Le procédé mécanique est bien simple : on met, à la place du rideau d’un petit théâtre, une toile blanche ou un papier huilé bien tendu. À sept ou huit pieds derrière cette tenture, on pose des lumières. Si l’on fait glisser alors, entre la lumière et la toile tendue, des figures mobiles et plates, taillées dans des feuilles de carton ou de cuir, l’ombre de ces découpures se projette sur la toile ou le transparent de papier et apparaît aux spectateurs. Une main cachée dirige ces petits acteurs au moyen de tiges légères, et fait mouvoir à volonté leurs membres par des fils disposés comme ceux de nos pantins de carte. Ce n’est pas, comme on voit, de la sculpture, mais de la peinture mobile.
« Après l’Opéra français, dit le baron Grimm avec persiflage, je ne connais pas de spectacle plus intéressant pour les enfans ; il se prête aux enchantemens, au merveilleux et aux catastrophes les plus terribles. Si vous voulez, par exemple, que le diable emporte quelqu’un, l’acteur qui fait en arrière, et, sur la toile, il aura l’air de s’envoler avec lui par les airs. Ce beau genre vient d’être inventé en France ; où l’on en a fait un amusement de société aussi spirituel que noble ; mais je crains qu’il ne soit étouffé dans sa naissance par la fureur de jouée des proverbes. On vient d’imprimer l’Heureuse pêche pour les ombres à scènes changeantes. Le titre nous apprend que cette pièce a été représentée en société, vers la fin de l’année 1767… il faut espérer que nous aurons bientôt un théâtre complet de pareilles pièces[123]. » Eh ! pourquoi pas ? le dédaigneux aristarque ne croyait peut-être pas prédire si juste. Dès 1775, un nommé Ambroise ouvrait un spectacle de ce genre, sous le titre de Théâtre des récréations de la Chine. « On y voyait, suivant l’annonce, la voûte azurée et l’aurore s’annoncer par l’épanouissement des rayons d’un soleil levant… » La figure d’un magicien (c’était déjà sans doute Rotomago) amusait beaucoup les spectateurs par des métamorphoses singulières. Enfin, le programme finissait par une remarque : « Les ecclésiastiques peuvent assister à mon spectacle sans aucun scrupule[124]. »
Au moins de juin de l’année suivante. (1776), le même artiste alla montrer à Londres ses ombres mouvantes et ses machines. Le détail nous en a été conservé. On voyait, entre deux tableaux, 1° une tempête, le tonnerre, la grêle assaillant la mer, plusieurs vaisseaux faisant naufrage… 2° un pont dont une arche est démolie et des ouvriers qui la réparent : un voyageur leur demande si la rivière est guéable ; les ouvriers se moquent de lui et répondent par le fameux couplet, les canards l’ont bien passée[125] ; le voyageur découvre un petit bateau, passe la rivière et châtie les ouvriers : c’est, comme on voit, la première mise en scène du fameux Pont cassé, la pièce classique des Ombres chinoises, vieux fabliau qui se rétrouve en germe dans une ancienne facétie, le Dict de l’herberie, qu’on peut lire à la suite des poésies de Rutebœuf[126], et que Cyrano de Bergerac n’a pas dédaigné d’insérer à peu près textuellement dans sa comédie du Pédant joué[127] ; 3° un canal sur lequel on aperçoit une troupe de canards : quelques chasseurs dans un bateau les tirent à coups de fusil (était-ce déjà la pièce de Guillemain devenue si célèbre, la Chasse aux canards ?) ; 4° un magicien qui, d’un coup de baguette, fait subir à des hommes, à des animaux et à des arbres diverses métamorphoses. Le dialogue et les couplets de toutes ces pièces étaient en français ; le spectacle se terminait par des danses de corde et, comme toujours, par des marionnettes[128]. De retour à Paris, l’année d’après, Ambroise montra sous un autre nom à peu près les mêmes pièces de mécanique maritime : la mer agitée, des vaisseaux en marche, des côtes variées, des oiseaux de mer, des pêcheurs et un jeune homme se balançant à une branché d’arbre au bord de la mer[129].
Enfin parut Dominique Séraphin, le vrai fondateur en France des ombres chinoises perfectionnées. Cet ingénieux artiste, après divers voyages dans les provinces, vint s’établir à Versailles. Admis plusieurs fois à divertir la famille royale, il obtint pour son théâtre, le 22 avril 1784, le titre de Spectacle des Enfans de France. Cette même année, il transporta son établissement sous les galeries du Palais-Royal, dans le local que ses héritiers occupent encore aujourd’hui. Séraphin ouvrit cette salle le 8 septembre. J’ai sous les yeux une de ses affiches du 19 août 1785 : il y annonce, entre autres scènes nouvelles, le Tableau du Palais-Royal et les Chaires parlantes, ainsi que plusieurs métamorphoses. Il termine par cet avis, qui rappelle son scrupuleux prédécesseur. Ambroise : « Ce divertissement est fort honnête, et MM. les ecclésiastiques peuvent se le permettre. » J’ai sous les yeux une autre affiche du théâtre de Séraphin sans date, mais que je crois de 1792. Elle est vraiment originale c’est toute une scène entre le directeur des Ombres chinoises et un passant. Je vais la transcrire. D’abord, on aperçoit tout au haut la silhouette de Séraphin à mi-corps, qui se détache en noir sur le fond blanc de l’affiche, comme une de ses découpures. De son index allongé, il fait signe à un passant, puis un dialogue s’établit entre eux : « Un moment ! Arrêtez-vous ! Lisez-moi ! — SÉRAPHIN, aux lecteurs : Des changemens, des décorations d’un joli goût embellissent mes Ombres chinoises… J’ai des marionnettes, mais des marionnettes qu’on prendrait aisément pour de charmans petits enfans ; il faut les voir, ainsi que la scène comique de Gobe-Mouche. — UN LECTEUR : mais où est donc la salle de vos Ombres chinoises, Séraphin ? Toutes les ombres de Paris se disent Ombres de Séraphin, qu’on disait depuis long-temps voyageant chez les ombres. — Je n’ai, monsieur, pas encore été tenté de faire ce voyage. Je suis toujours le seul Séraphin. Pour me voir, n’allez ni à Tivoli ni à Idalie ; n’allez ni aux Capucins ni aux boulevards, encore moins à la Veillée, mais venez au Palais-Égalité, galerie de pierre ; no 121, où je suis fixé invariablement depuis dix-sept ans. Voulez-vous vous délasser ? venez voir mes Ombres chinoises. Toujours jaloux de mériter votre approbation, chaque jour nous changeons de pièces… » En effet, rien de plus varié que le répertoire de Séraphin, et c’est à ce mérite que ce théâtre a dû de vivre aussi long-temps. Depuis son établissement, plusieurs écrivains de quelque valeur ont travaillé pour cette petite scène. Je puis citer Dorvigny, Gabiot de Salins, Maillé de Marencourt. Entre les années 1783 et 1790, Dorvigny y a fait jouer le Bois dangereux ou les Deux voleurs, scène à la silhouette, en vers ; les Caquets du matin, en prose ; le Cabriolet renversé, scène de la halle[130] ; Arlequin corsaire, scène en prose et à la silhouette, qui devint l’année d’après, en 1789, Arlequin corsaire patriote[131]. Maillé de Marenvourt donna, vers le même temps, le Matelot, scène épisodique en prose le Petit Pouces et Cendrillon, pièces-féeries, chacune en trois actes. Plus récemment, vers 1807, le même auteur a donné l’Enlèvement de Proserpine, féerie mythologique, et le Triomphe d’Arlequin. En 1799, Gabiot écrivit pour Séraphin le Malade et le Bûcheron, scène à la silhouette ; mais, dans les dernières années du siècle, ce fut Guillemain qui fut le fournisseur le plus actif de ce théâtre et de plusieurs autres. « Il faisait le matin pour les Ombres chinoises, dit M. Dumersan, de petites pièces dans lesquelles il y avait toujours une idée comique, qu’on lui payait 12 francs, qu’on cinq cents fois, et qu’on joue encore. Le soir, il en composait pour les Jeunes-Artistes, le Vaudeville, les Variétés amusantes, etc. ; elles étaient plus littéraires, et cependant elles ne l’ont pas immortalisé comme sa Chasse aux -Canards[132]. » Parmi les scènes à la silhouette de Guillemain, on remarque l’Entrepreneur de spectacle, la Mort tragique de Mardi-Gras, en vers ; le Gagne-Petit, et enfin l’Ecrivain public, qui, pendant la révolution, devint l’Ecrivain public patriote. J’ai bien peur qu’au milieu du vertige de ces années sinistres, nos petits comédiens de bois n’aient participé plus que de raison à la fébrile effervescence de ces temps de trouble. Je ne veux pas trop insister sur cette phase délicate de leur histoire. Je transcrirai seulement quelques lignes significatives de Camille Desmoulins. Indigné de l’apathique indifférence des badauds de Paris en présence des hécatombes de chaque jour, le Vieux Cordelier s’écrie : « Cette multitude égoïste est faite pour suivre aveuglément l’impulsion des plus forts. On se battait au Carrousel et au Champ-de-Mars ; et le-Palais-Royal étalait ses bergères et son Arcadie ! A côté du tranchant de la guillotine, sous lequel tombaient les têtes couronnées, et sur la même place, et dans le même temps, on guillotinait aussi Polichinelle, qui partageait l’attention de cette foule, avide surtout de voir ces pièces qui ne pouvaient avoir qu’une seule représentation[133]. » Ainsi le bourreau, qui, pendant deux cents ans, avait bien voulu se laisser bafouer et pendre par Polichinelle, prenait alors sa revanche. Il est probable que Polichinelle n’est rentré en possession de ses avantages qu’après le 10 thermidor ; mais passons vite : je citerai en raison de leur inoffensive singularité, les titres de deux pièces de ces temps néfastes. En 1790, les ombres de Séraphin jouèrent la Démonseigneurisation, et, en 1793, la Fédération nationale. Il faut avouer que ces deux sujets prêtaient peu à la silhouette, et durent divertir médiocrement le jeune et riant auditoire de Séraphin.
Sous le consulat, quand l’esprit et la gaieté eurent peu à peu recouvré leurs droits, un savant bibliothécaire et un excellent homme. M. Capperonnier, fit jouer, nous assure-t-on, quelques scènes à la silhouette. Des indiscrets lui attribuent, entre autres, l’Ile des Perroquets, ou Il ne faut pas se fier à la parole. Ces petites distractions d’un homme grave devaient être des réminiscences des gaietés littéraires auxquelles il s’était trouvé mêlé avant 1789, dans la société des Lauraguais, des Paulmy et des La Vallière.
Le théâtre de Séraphin a fait avec le consentement des intéressés, d’heureux et assez fréquens emprunts aux autres scènes. Ainsi le Filleul de la fée, conte bleu en deux actes, représenté en 1832 sur le théâtre du Palais-Royal, est devenu l’Enchanteur Parafaragaramus, féerie en trois actes, au théâtre de Séraphin. On cite plusieurs auteurs contemporains qui n’ont pas dédaigné cette petite scène, entre autres M. Édouard Plouvier, qui a été moins heureux au Théâtre-Francais. Je nommerai encore une personne de la famille du fondateur, Mlle Pauline. Séraphin, qui a écrit un assez grand nombre de petites pièces-féeries et de scènes à la silhouette, le Talisman aux enfers, la Perruque de Cassandre, Gilles et son Parrain, le Génie de la Sagesse, la Jument grise, et le Pécheur de Bagdad. En résumé, les théâtres de marionnettes et d’ombres chinoises ont dans notre pays un grand avantage sur presque tous les autres spectacles : ce sont presque les seuls où nous n’apportions aucun esprit de contention et de critique, et où nous allions avec la seule envie de nous amuser. Il serait bien à souhaiter qu’un homme de talent profitât de cette rare et bienveillante disposition du public, et prit là ses coudées franches ; comme on les lui laisse.
Il me reste, pour compléter l’histoire des marionnettes en France, à dire un mot de l’accueil qui leur a été fait dans la bonne compagnie et chez les grands seigneurs des XVIIe et XVIIIe siècles.
Nous avons vu, sous Louis XIV, les relations très suivies du jeune dauphin et de Brioché. Les marionnettes étaient alors un plaisir royal, que recherchaient aussi la noblesse et la bourgeoisie. La Fontaine, dans sa fable de la Cour du Lion, ne nous a-t-il pas montré sa majesté lionne convoquant tous ses vassaux à une cour plénière,
..... dont l’ouverture
Devait être un très grand festin,
Suivi des tours de Fagotin ?
Vers la fin du grand siècle, dans une lettre en vers que le petit prince de Dombes est supposé écrire à sa jeune cousine, Mlle d’Enghien (qu’il appelait ordinairement sa femme) ; pour l’engager à venir à Versailles auprès de Mme la duchesse du Maine, qui gardait le lit pendant une grossesse, il lui fait entrevoir bien des plaisirs, et quels plaisirs !
Pour prit d’une action si belle,
Je vous promets Polichinelle[134] !…
Le rédacteur de cet attrayant billet était Malézieu, le chancelier de la petite principauté ou plutôt du petit prince de Dombes. À ce titre, Malézieu joignait ceux de membre de l’Académie française, de surintendant du duc du Maine, et surtout d’ordonnateur de toutes les fêtes de la duchesse. Il était l’ame de ces fameux divertissemens de Sceaux qui ont fourni deux volumes pleins de stances ; de madrigaux, d’épîtres, de pastorales et de comédies, fêtes de jour et de nuit, qui occupaient ou qui trompaient, dans cette poétique retraite, la mobile imagination et les ambitieuses insomnies de la duchesse ; mais dans ces deux volumes, remplis de babioles, il n’est rien dit d’un genre d’amusement qui a pourtant tenu une grande place, dans les plaisirs de Sceaux : je veux parler des marionnettes. On les faisait, en effet venir de temps à autre, et l’on composait même exprès pour elles de petits dialogues où l’esprit et la malice ne manquaient pas. Un de ces badinages, attribué à Malézieu, souleva, en 1705, une véritable tempête. Je trouve dans le recueil manuscrit des chansons et vers satiriques formé par le comte de Maurepas tous les bulletins de cette petite guerre littéraire. Une note du manuscrit nous apprend à quelle occasion tout ce bruit eut lieu. La duchesse du Maine ayant voulu, pendant l’hiver de 1705, avoir chez elle les marionnettes, on composa une petite scène ad hoc, qui tournait un peu en ridicule MM. de l’Académie française. Ceux-ci l’attribuèrent, avec assez de vraisemblance, à Malézieu et au duc de Bourbon, qui paraît y avoir en badinant fourré quelques moqueries. Aussitôt les épigrammes de p leuuvoir sur le prince et sur l’académicien faux frère. Elles remplissentn avec les répliques, plus de vingt pages in-folio du recueil de Maurepas. Le corps du délit lui-même, un petit dialogue intitulé Scène de. Polichinelle et du Voisin, y est aussi copié[135]. Cette parade est écrite avec toutes les libertés que le genre autorise ; quoique composée de compte à demi par un académicien et un prince du sang, et représentée dans le salon de la duchesse du Maine, il nous serait, tant les mœurs changent ! bien difficile d’en citer deux phrases. Le fond de cette bluette est la prétention hautement déclarée par Polichinelle d’entrer à l’Académie. Il prône la légitimité de ses droits au fauteuil par une foule de coq-à-l’âne amusans ; puis, il donne un échantillon burlesque de sa future harangue de réception ; enfin, il énumère certaines difficultés de langage sur lesquelles il sent quelque crapule (c’est-à-dire scrupule). Ce sont certaines locutions équivoques sur lesquelles il désire connaître l’avis de MM. les quarante, et qui n’ont pu, dit-il, échapper à des nez tels que les leurs. Une de ces expressions dont il voudrait purifier le dictionnaire qu’élabore la docte compagnie est celle-ci : « Entre eux selles le cul à terre. » Il propose entre deux siéges comme beaucoup moins incongru, et il pénètre très à fond dans la matière ; tout le reste est à l’avenant. On peut inférer d’une des épigrammes décochées contre Malézieu qu’il fut obligé de se tenir quelque temps éloigné des réunions de l’Académie. Il y reparut cependant à la réception de M. l’évêque de Soissons. Une autre pièce nous apprend qu’on priva Malézieu, tant que dura la brouille, du don que les quarante étaient dans l’usage de se faire mutuellement de leurs ouvrages. Cette singulière punition appelait bien naturellement la raillerie ; on ne s’en fit pas faute.
Les marionnettes de Malézieu jouèrent encore cette même année (1705) à l’hôtel de Trèmes, devant le duc de Bourbon. Elles représentèrent une petite pièce où le président de Mesmes, confrère de Malézieu à l’Académie française, fut quelque peu maltraité, ce qui donna lieu de nouvelles épigrammes. Dans toutes, le nom de Brioché était la grosse injure que l’on jetait à la tête du chancelier de Dombes.
Puisque j’ai commencé de parler des rapports de Polichinelle et de l’Académie ; je dois signaler une autre pièce de vers placée dans le recueil de Maurepas sous la date de 1732. Elle est intitulée Requeste du sieur Polichinelle à nosseigneurs de l’Académie françoise établie a u Louvre[136]. Ce que Polichinelle demande dans cette requête, ce n’est pas, comme en 1705, un fauteuil d’académicien ; il ne réclame que le droit d’assister aux séances, comme on venait de l’accorder aux acteurs de la Comédie-Française. Il faut convenir que notre ami Polichinelle est ici tout-à-fait dans son tort, et que ses railleries portent sur un acte qui n’avait rien que d’honorable. Le 3 mai 1732, quatre jours avant la représentation de l’Éryphile de Voltaire, des députés de la Comédie-Française allèrent offrir aux membres de l’Académie l’entrée de leur théâtre, ce qui fut accepté avec l’approbation du roi. L’Académie, en retour de cette politesse, octroya aux comédiens français le droit d’assister à ses réunions. C’est à propos de cet échange de bons procédés, dont les effets subsistent encore aujourd’hui, que Polichinelle se mit à gloser fort à contre-temps, et, qui pis est, sans beaucoup d’esprit ; mais les comédiens français et les acteurs des scènes secondaires se faisaient alors, comme nous l’avons vu, une guerre acharnée que le moindre incident ravivait.
Le goût des marionnettes persista long-temps dans la cour spirituelle de Sceaux. Quelques vers de Voltaire nous apprennent qu’en 1746 le comte d’Eu, grand-maître de l’artillerie, les y fit venir un soir et les dirigea lui-même avec succès. Voltaire, qui assistait à ce divertissement, prit à son tour la direction des pantins et improvisa ce compliment pour le comte d’Eu, au nom de Polichinelle :
Polichinelle, de grand cœur,
Prince, vous remercie.
En me faisant beaucoup d’honneur,
Vous faites mon envie.
Vous possédez tous les talens ;
Je n’ai qu’un caractère :
J’amuse pour quelques momens ;
Vous savez toujours plaire.
On sait que vous faites mouvoir
De plus belles machines ;
Vous fîtes sentir leur pouvoir
A Bruxelles, à Malines,
Les Anglais s’y virent traiter
En vrais polichinelles,
Et vous avez de quoi dompter
Les remparts et les belles[137]
La mode des marionnettes de société devint si générale au milieu du XVIIIe siècle, que nous voyons Bienfait annoncer dans les affiches de Paris « qu’il va en ville, en l’avertissant un jour devant[138]. » Alors Mlle Péticier, célèbre actrice de l’Opéra, faisait une pension à un directeur de marionnettes pour lui jouer deux parades par jour ; ses camarades la raillaient de cette fantaisie et l’accusaient de vouloir se donner par là des airs de duchesse[139]. Je trouve, à la fin de la copie de Polichinelle à la guinguette de Vaugirard, cette apostille que je crois de Pont-de-Vesle : « Bon à jouer en société de marionnettes, et y ajouter de nouvelles scènes[140]. » Les scènes ajoutées par de tels amateurs ne devaient pas être les moins égrillardes, à en juger par le canevas d’une de ces pièces destinées au huis-clos, le Songe de Pierrot, que possédait M. de Soleinne[141]. Je vois dans la même collection le titre, mais le titre seulement, d’une pièce de marionnettes que je suppose avoir eu la même destination, Polichinelle recruteur d’amour ou la milice de Cythère[142]. François Nau, le chansonnier, a publié en 1758 un intermède de marionnettes (sans nom d’auteur) que je soupçonne avoir été composé pour une de ces réunions joyeuses[143].
Enfin nous allons rencontrer les marionnettes dans un lieu où vous serez surpris, comme nous, de les voir admises, à Cirey ; oui, au château de Cirey, devant la sérieuse Mme Du Châtelet et devant Voltaire, dans le temps même où la marquise commentait Leibnitz et où Vo ! taire mettait la dernière main à Mérope. C’est à une personne spirituelle, à Mme de Graffigny, alors momentanément abritée à Cirey, que nous devons la connaissance de ces détails intimes, dont elle faisait part à un de ses amis d’enfance, à M. Devaux, lecteur du roi Stanislas.
« Voltaire, lui mande-t-elle (11 décembre 1738), a bu à ta santé… Après le souper, il nous donna la lanterne magique avec des propos à mourir de rire. Il y a fourré la coterie de M. le duc de Richelieu, l’histoire de l’abbé Desfontaines et toutes sortes de contes, toujours sur le ton savoyard. Il n’y avait rien de si drôle ; mais à force de tripoter le goupillon de sa lanterne, qui était remplie d’esprit-de-vin, il le renversa sur sa main ; le feu y prit, et le voilà enflammé. Cela troubla un peu le divertissement, qu’il recommença un moment après. » Et en post-scriptum elle ajoute : « On nous promet les marionnettes. Il y en a ici près de très bonne, qu’on a tant qu’on veut. » - « Je sors des marionnettes, qui m’ont beaucoup divertie (écrit-elle le 16 décembre) ; elles sont très bonnes. On a joué la pièce où la femme de Polichinelle croit faire mourir son mari en chantant fagnana ! fagnana ! C’était un plaisir ravissant que d’entendre Voltaire dire sérieusement que la pièce est très bonne ; il est vrai qu’elle l’est autant qu’elle peut l’être pour de telles gens. Cela est fou de rire de pareilles fadaises, n’est-ce pas ? Et bien ! j’ai ri… Le théâtre est fort joli, mais la salle est petite. Un théâtre et une salle de marionnettes à Cirey ! Oh ! c’est drôle ! Mais qu’y a-t-il d’étonnant ? Voltaire est aussi aimable enfant que sage philosophe. Le fond de la salle n’est qu’une loge peinte, garnie comme un sofa, et le bord sur lequel on s’appuie est garni aussi. Les décorations sont en colonnades, avec des pots d’orangers entre les colonnes… »
Enfin Mme de Graffigny écrit le lendemain (huit heures du soir) : « Aujourd’hui comme hier, je sors des marionnettes, qui m’ont fait mourir de rire. On a joué l’Enfant prodigue. Voltaire disait qu’il en était jaloux. Le crois-tu ? Je trouve qu’il y a bien de l’esprit à Voltaire de rire de cela et de le trouver bon. J’étais auprès de lui aujourd’hui. Que cette place est délicieuse ! Nous en avons raisonné un peu philosophiquement, et nous nous sommes prouvé qu’il était très raisonnable d’en rire. Il faut avouer que tout devient bon avec les gens aimables. »
Presque à la même date, je trouve quelques lignes qui me frappent dans un post-scriptum ajoute par Mme Du Châtelet à une lettre de Voltaire adressée à d’Argental. Elle lui parle de tous les travaux entrepris par Voltaire, puis elle ajoute : « Sa santé demande peu de travail, et je fais mon possible pour l’empêcher de s’appliquer. » Cela ne nous donne-t-il pas l’explication du goût subit de Mme Du Châtelet pour la lanterne magique et les marionnettes ?
Quant au XIXe siècle, si sérieux et si raisonnable, comme on sait, il ne faut pas y chercher d’aussi frivoles amusemens. S’il arrive aujourd’hui par hasard que Polichinelle soit mandé dans un riche hôtel, ce n’est que pour une matinée où une soirée d’enfans ; mais des marionnettes comme celles de Mme la duchesse du Maine, de la Pélicier ou de Cirey, il n’y en plus d’exemples. On cite bien, sous l’empire quelques hauts fonctionnaires qui ont aimé ce divertissement, mais en plein air et de cet excellent chef d’administration, dont la bienveillance littéraire, approuvée de l’empereur, avait réservé quelques emplois dans ses bureaux aux débutans de la littérature et de la poésie. Ayant adressé un jour un avis cordial à un de ses plus inexacts protégés, le jeune homme avoua à l’indulgent administrateur que s’il s’attardait tous les matins, c’est qu’il était obligé de passer devant Polichinelle, et que le charme l’arrêtait. « Eh ! comment cela se fait-il ? s’écrie le directeur étonné, je ne vous y ai jamais rencontre. » Mais Français de Nantes (car c’est à lui qu’on attribue l’anecdote) a-t-il jamais songé à faire venir chez lui Polichinelle ? J’en doute. Autre temps, autres plaisirs. Il y aurait, d’ailleurs, inconvénient à inviter, par ce temps-ci, nos financiers, nos représentans du peuple, nos grands hommes de lettres, nos diplomates, à une soirée de marionnettes ; cela risquerait trop de ressembler à une épigramme.
CHARLES MAGNIN.
- ↑ Voyez les livraisons du 15 juin et du 1er août.
- ↑ Les Allemands ont reçu le mot marionnette et ses composés Marionettentheater, etc. ; mais le véritable mot germain est Puppe, d’où Puppenspiel, Puppenspieler, etc.
- ↑ C’est aussi l’avis de Gilles Ménage. Voy. Dictionnaire étymologique de la langue françoise, au mot Marionnettes. Ménage ajoute avec raison : « Bochard a mal rencontré en dérivant marionnette du mot latin morio. »
- ↑ Voyez la sixième des pastourelles publiées par M. Francisque Michel, à la suite du Jeu de Robin et Marion, dans le Théâtre français au moyen-âge, p. 35.
- ↑ Du Cange, Glossar. mediœ et infim. Latinit., voce Mariola.
- ↑ Voyez dans les Œuvres de maistre François Villon, le Grand testament, CLIVd huitain, p. 235, édit. Prompsault.
- ↑ Œuvres de Villon, ballade XV, p. 246. Du temps de Ménage, on nommait en Languedoc, et on y nomme peut-être encore nos marionnettes, mariottes. Voy. Dictionnaire étymologique, etc., au mot Marote.
- ↑ Apologie pour Hérodote, discours préliminaire, t. I, p. XVI, édit. de Leduchat.
- ↑ L’incrédulité et mescréance du sortilège pleinement convaincues ; Paris, 1622, in-4o, p. 617, 791, 801, 803.
- ↑ Ce nom n’est-il pas une corruption du mot mysteries employé par les Anglo-Normands ?
- ↑ M. L. Vitet, dans son Histoire de Dieppe, a consacré un chapitre à ces jeux singuliers, p. 35-47, édit. Gosselin.
- ↑ Voyez M. Desmarquets, Mémoire chronologique pour servir à l’histoire de Dieppe, tome 1er, p. 68-85.
- ↑ Je suis même tenté de croire qu’on disait, aux XV et XVIe siècles, mystères par personnages, par opposition aux mystères représentés au moyen de figurines de cire ou de bois.
- ↑ Histoire de Paris, t. V, p. 164, et suiv., 6e édit.
- ↑ Affiches de Boudet, 4 avril et 29 décembre 1746. Ces annonces se répétaient deux fois tous les ans, à Noël et à Pâques.
- ↑ M. Hone, dans son savant ouvrage sur les Anciens Mystères, s’est trompé, en attribuant à un théâtre de marionnettes une représentation grossière de la naissance de Jésus-Christ, donnée sur le port de Dieppe, en 1822. Cette représentation, dont le récit a été l’occasion d’un procès contre le Miroir, était exécutée par des acteurs ambulans. Il aurait été facile à l’habile critique de citer d’autres exemples.
- ↑ Voyez Discours non moins mélancoliques que divers, chap. XI.
- ↑ Cette marionnette et la manière de s’en servir sont décrites dans Decramps, Testament de Jérôme Scharp, p. 246. On appelle encore ce pantin Godenot, comme on peut voir dans le premier factum de Furetière. M. Francisque Michel, qui va publier un savant ouvrage sur l’argot, couronné par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, m’apprend que, dans ce langage cyniquement métaphorique, on nomme un crucifix un Jean de la Vigne, probablement par une vague et sacrilège réminiscence des anciennes marionnettes religieuses et des crucifix mobiles. On appelle par la même raison, dans la langue picaresque, un pistolet un crucifix à ressorts.
- ↑ Origines du théâtre moderne ; introduct., p. 47 et 48.
- ↑ C’était l’avis de son plus spirituel généalogiste, le petit abbé Galiani, et aussi de M. Arnault. Voyez Souvenirs d’un Sexagénaire, p. 195 et 397.
- ↑ Voyez la Chanson du roi de Sicile, vers 69, dans la Collection des chroniques nationales de M. Buchon, t. VIII, p. 25.
- ↑ Notez que les bosses de Polichinelle étaient bien moins proéminentes qu’aujourd’hui, comme le prouve la gravure du tome V du Théâtre de la foire, p. 47, qui date de 1722.
- ↑ Entre autres, Krunitz, Encyclopédie, au mot Schauspiel.
- ↑ M. Édouard Fournier, à l’érudition duquel je dois plusieurs autres obligeantes et utiles communications, prépare une histoire des airs et des chansons historiques.
- ↑ Cet air est noté dans la Clé du Careau ; Paris, 1816, no 763.
- ↑ voyez Polichinelle, farce en trois actes, pour amuser les grands et les petits enfans, publiée par Jules Rémond, illustrée de vignettes par Matthieu Gringoire (George Cruikshank) ; Paris, 1838, in-16.
- ↑ Tome 4, p. ?, tome III, P. 582. Mus.de la Bibliothèque nationale.
- ↑ Histoire du Théâtre-François, tome III, p. 582.
- ↑ Mémoires de l’abbé de Marolles, Dénombrement des auteurs ; t. III, p. 290.
- ↑ Voyez Gazette en vers, lettres des 20 août 1667 et 30 novembre 1669.
- ↑ Lettres de Malherbe, p. 21 ; Paris, Blaise, 1822.
- ↑ Recueil des plus excellens ballets de ce temps, p. 55-58 ; Paris, 1812, in-8o.
- ↑ Dame Gigogne s’est montrée encore quelquefois sur les grands théâtres de Paris, notamment en 1710 à l’Opéra, dans le ballet des Fêtes vénitiennes, entre ses deux compagnons Polichinelle et Arlequin. Nous l’avons vue encore en 1843, dan un vaudeville parade de MM. Carmouche et Brisebarre, intitulé la Mère Gigogne.
- ↑ Ce petit livre est rare, quoiqu’il ait eu plusieurs éditions. J’ignore la date de la première ; il a été réimprimé de nos jours sur celle de 1704 ; on en cite une autre de 1707.
- ↑ Ménagiana, t. III, p. 240.
- ↑ Voyez Combat, etc., p. 10.
- ↑ Je dois la communication de ces deux pièces à M. Floquet, qui les a glanées dans les riches cartons de Colbert.
- ↑ Bossuet, Oeuvres complètes, tome XLII, p. 578, édition Lebel.
- ↑ Oeuvres d’Antoine Hamilton, tome Ier, page 382. Paris, 1825.
- ↑ Oeuvres de Rabelais, liv. II, chap. 21. Edit. varior., tome III, page 481, n. 7.
- ↑ Conte de Peau-d’Ane.
- ↑ Commentaire sur la VIIe épître de Boileau.
- ↑ L’abbé d’Artigny raconte aussi cette aventure, dont il place la scène à Soleure. Ce fut, suivant lui, à M. Dumon, capitaine au régiment des Suisses, alors en tournée de recrutement, que Brioché dut sa liberté, Voyez Nouveaux Mémoires d’histoire, de politique et de littérature, t. V, p. 123 et suiv.
- ↑ Furetière, le Roman bourgeois, Cl. Barbin, 1666, p. 188 et suiv.
- ↑ Cette lettre se trouvera dans le tome second de la Correspondance administrative sous Louis XIV dont M. Depping a déjà publié le premier volume dans la Collection des documens historiques. Le second est sous presse.
- ↑ Voyez les Poésies du poète sans fard, à Libreville, chez Paul Disant-Vray, à l’antique miroir qui ne flatte point ; 1698. Épître XII, v. 15 et suiv.
- ↑ Poésies de Lainez, épigramme 23e ; La Haye, 1753. Ce poète mourut en 1710.
- ↑ Mémoire pour servir à l’histoire de la Foire (par les frères Parfait), Int. p. XLVI.
- ↑ Voyez les Caractères de La Bruyère ; Des Jugements § 21, t. II, p. 457, édition de M. Walckenaer.
- ↑ Lettre du 11 avril 1671.
- ↑ Réflexions sur la Poésie et la Peinture, t. III, p. 244.
- ↑ Quelques personnes attribuent cette compilation indigeste aux frères Parfait, à tort, je crois. Elle est cependant précieuse pour tout ce qui est extrait des registres de la Comédie-Française.
- ↑ Tablettes dramatiques, p. XX ; Paris, 1757, in-8o.
- ↑ Pierre de Laer, peintre hollandais, mort en 1675.
- ↑ Le Nouveau Mercure galant, contenant tout ce qui s’est passé de curieux depuis le 1er janvier jusqu’au dernier mars 1677.
- ↑ Beauchamp a inséré le titre de cet opéra fait pour les marionnettes dans la liste des tragi-comédies jouées par les comédiens du Marais, et cette lourde bévue a été naturellement répétée par tous ses successeurs.
- ↑ La durée des deux foires a beaucoup varié ; il faut voir l’histoire de ces changemens dans les Antiquités de Paris, par Sauval.
- ↑ Voyez De la Mare, Traité de la Police, tome I, p. 440.
- ↑ Mémoires pour servir et l’histoire des spectacles de la foire, tome I, Introd., p. XI.
- ↑ Stances à son Altesse royale. Il y en a de touchantes sur l’exil de son père et sur la paralysie dont il commençait d’être atteint.
- ↑ Mémoires pour servir à l’histoire des spectacles de la foire, tome I, Introd., p. XI.
- ↑ Les magistrats faisaient en grande pompe l’ouverture des deux foires.
- ↑ Les Fastes, poème, livre III.
- ↑ Fables, Paris, 1819, liv. I, fable 7, p. 11.
- ↑ Papiers relatifs aux protestans ; manuscrits de la Bibliothèque nationale.
- ↑ Voyez Mémoires pour servir, etc., t. I, p. 90.
- ↑ Imprimée à Paris, chez Chrétien, 1705, in-12.
- ↑ Théâtre inédit de la foire, collection de M. de Soleinne, no 3399 du catalogue imprimé. Il n’existe que les titres des quatre dernières pièces ; les feuilles qui contenaient le texte ont été arrachées du cahier.
- ↑ Théâtre inédit de Carolet, Soleinne, no 3407.
- ↑ Journal de Paris, dans la 2e série de la Revue Rétrospective, tome VII, p. 355 et 369.
- ↑ Ce genre de pièces datait de 1707. Un arrêt du 22 février 1707 ayant défendu aux forains de jouer des comédies, colloques ni dialogues, ils en conclurent qu’ils pouvaient jouer des monologues, ce qui fut toléré.
- ↑ Théâtre de la foire, tome V, p. 47.
- ↑ Quand Lesage se vouait ainsi aux marionnettes, il avait déjà, depuis onze ans, donné, Turcaret à la Comédie-Française, et publié, depuis sept ans, les deux premiers volumes de Gil Blas. Il avait sur le métier le tome troisième, le plus distingué de tous, qui parut en 1724.
- ↑ Voyez Théâtre inédit de la foire, Soleinne, no 3399. Cette lettre est placée à la suite de la petite pièce intitulée Polichinelle à la guinguette de Vaugirard.
- ↑ Revue Rétrospective, 2e série, tome VIII, p. 162 et 163.
- ↑ Théâtre inédit de la foire, Soleinne, no 3399.
- ↑ Ce polichinelle gravé dans le Théâtre de la foire (tome V, p. 47) est curieux en ce qu’il donne le costume exact du personnage en 1722.
- ↑ Lesage à la foire ou les Écriteaux, par MM. Barré, Radet et Desfontaines.
- ↑ Cette pièce porte pour titre dans les œuvres de Piron : le. Mariage de Momus ou la Gigantomachie, t. V, p. 1-62.
- ↑ Rigoley de Juvigny (Oeuvres de Piron, t. V, p. 63) donne à cette pièce la date de 1722, évidemment fautive. Il suffit de rappeler que la tragédie de Danchet ne parut sur la scène française que le 11 février 1723.
- ↑ Opéra-comique représenté l’année précédente au jeu de Restier, Dolet et La Place, avec le consentement des comédiens français et de l’Opéra. :
- ↑ J’ajoute le nom de Lesage d’après une note manuscrite que je trouve dans le Théâtre inédit de Fuzelier, Soleinne, no 3405, 2.
- ↑ La première, jouée à la Comédie-Italienne, était des mêmes auteurs que celle des marionnettes.
- ↑ On voit qu’il était dès-lors généralement admis que les marionnettes étaient le plus ancien spectacle des foires Saint-Germain et Saint-Laurent.
- ↑ Théâtre inédit de Fuzelier, Soleinne, no 3405.
- ↑ Ces quatre pièces se trouvent dans le Théâtre inédit de Carolet, Soleinne, no 3407.
- ↑ Théâtre inédit de la foire, Soleinne, n°3399.
- ↑ Théâtre inédit de Favart, Soleinne, u° 3419.
- ↑ Théâtre inédit de la foire, Soleinne, no 3399.
- ↑ Voyez ces deux pièces dans le Théâtre inédit de Carolet, Soleinne, no 3407.
- ↑ Théâtre inédit de la foire, Soleinne, no 3400.
- ↑ Théâtre inédit de Valois d’Orville, Soleinne, no 3412, avec la date de 1735.
- ↑ Ces deux pièces dans le Théâtre inédit de la foire, Soleinne, no 3400.
- ↑ Théâtre inédit de Carolet, Soleinne, no 3407.
- ↑ Théâtre inédit de Valois d’Orville, Soleinne, no 3412.
- ↑ Pour ces quatre pièces, voyez le Théâtre inédit de la foire, Soleinne, no 3400.
- ↑ Théâtre inédit de Carolet, Soleinne, no 3407. La copie de M. de Soleinne est intitulée Atis travesti.
- ↑ Voyez, ces deux pièces dans le Théâtre inédit de la foire, Soleinne, no 3400.
- ↑ Théâtre inédit de la foire, Soleinne, no 3400. Le Dictionnaire des Théâtres de Paris indique, sous l’année 1734, la Noce interrompue, parodie de l’opéra de Pirithoüs, dans laquelle Pirithoüs et Hippodamie étaient représentés par Polichinelle et Mme Gigogne.
- ↑ Théâtre inédit de la foire, Soleinne, no 3400
- ↑ La copie de M. de Soleinne (ibid) est intitulée les Métamorphoses de Polichinelle.
- ↑ Théâtre inédit de Fuzelier, Soleinne, no 34°5, 2.
- ↑ Théâtre inédit de la foire, Soleinne, no 3400.
- ↑ Voyez ces cinq pièces de Valois d’Orville dans son Théâtre inédit, Soleinne, no 3412.
- ↑ Théâtre inédit de la foire, Soleinne, no 3400. Dans ce petit canevas d’une page, Polichinelle a pour femme Mme Catin.
- ↑ Théâtre inédit de Fuzelier, Soleinne, no 3405, 2.
- ↑ Affiches de Boudet.
- ↑ Mêmes Affiches, 27 juillet 1747, 20 et 27 février 1749.
- ↑ Affiches de Boudet.
- ↑ Je ne saurais dire si cette pièce était la même que l’opéra-comique composé par Piron sous le titre de l’Ane d’or d’Apulée pour la foire Saint-Laurent de 1721.
- ↑ Almanach forain, 1773 ; in-18.
- ↑ La foire Saint-Germain s’est ouverte jusqu’en 1793, comme on peut s’en assurer par les Affiches de Paris de mars 1793
- ↑ Nicolet, dans son ambitieuse impatience, avait pris plusieurs fois ce titre de sa propre autorité, ce qui avait failli lui faire de très mauvaises affaires avec la police. Voy. les Mémoires secrets de Bachaumout, année 1769.
- ↑ Voyez les Spectacles des foires et des boulevards de Paris,1777, p. 162 J.-B. Nougaret avait composé en 1767 le Retour du Printemps ou le Triomphe de Flore, un acte mêlé de vaudevilles, pour les marionnettes de Chassinet. Ibid.
- ↑ Mémoires secrets de Bachaumont, 11 octobre et 17 décembre 1771.
- ↑ Almanach forain, 1773, et les Petits Spectacles de Paris, 1786, p. 159.
- ↑ Spectacles de la foire, etc., VIe partie, 1778, p. 2.
- ↑ Annonces et Affiches mars 1793.
- ↑ Petits spectacles de Paris,1789, p. 13.
- ↑ Mémoires de Mlle Flore, t. I, p.127 et suiv. Voyez encore le Mercure de novembre 1810, p. 35.
- ↑ Journal de Paris, 2 juillet 1785.
- ↑ Petits Spectacles de Paris 1786, p, 191-192. Les amateurs de curiosités ont recueilli quelques-unes de ces anciennes marionnettes des foires Saint-Germain et Saint-Laureut ; M. Dumersan, entre autres, possédait un vieux polichinelle que l’on a gravé dans le Ma gasin pittoresque de 1834, p. 117, en lui attribuant, à tort, la date de 1722. Le costume de ce pantin est celui du règne de Louis XVI. On m’assure que M. Taylor, membre d’un comité de secours pour les artistes dramatiques, s’est trouvé en rapport avec le dernier directeur des marionnettes de la foire Saint-Laurent, qui conservait précieusement sa troupe de bois dans des coffres qu’il consentit à ouvrir à l’ancien directeur de la Comédie-Française ; mais ce brave homme, malgré sa détresse, refusa de vendre à aucun prix ses anciens et chers compagnons.
- ↑ Correspondance littéraire, etc., 15 août 1770, t VII, p. 49.
- ↑ Les Spectacles des foires et des boulevards de Paris, année 1776, p. 117.
- ↑ On trouve ce couplet dans une très ancienne chanson intitulée Dialogue du Prince et du Berger.
LE PRINCE. Passe-t-on la rivière à gué ?
LE BERGER. Les canards l’ont bien passé.
O lirenda, lirondé !
Voy. Cahier de chansons ; veuve Oudot, 1718. - ↑ Oeuvres complètes de Rutebœuf, trouvère du XIIIe siècle, t. I, p. 473-474.
- ↑ Ces emprunts, faits par Cyrano à nos anciens auteurs, expliquent en quel sens Molière a dit, à propos de quelques traits : qu’on l’accusait d’avoir tirés de cet auteur : « Je reprends mon bien où je le trouve. »
- ↑ Voyez les Spectacles des foires et des boulevards de Paris, 1778, p. 186-189. L’auteur avertit que le mécanicien Ambroise qui montra ce spectacle à Londres était un autre que l’Ambroise qui avait donné à Paris un spectacle tout semblable l’année d’avant. Je crois que c’est une erreur peut-être officieuse ; je crains bien que ce pauvre et habile mécanicien ne fût obligé de cacher son nom pour échapper à ses créanciers.
- ↑ Les Spectacles des foires et des boulevards de Paris, année 1778, p. 12.
- ↑ imprimé dans le Théâtre de Séraphin, t. I, p. 25-35.
- ↑ Affiche du 25 décembre 1790.
- ↑ Mémoires de Mlle Flore, t. I, p. 42 et 43. Guillemain est mort en 1799.
- ↑ Le Vieux cordelier, réimpression de 1834, p. 64.
- ↑ Voyez les Divertissemens de Sceaux, t. Ier, p. 163
- ↑ Voyez Recueil de chansons et de vers satiriques, tome X, p. 349 et suiv. Cette scène est, dit-on, imprimée dans un livre intitulé Pièces échappées du feu, Parme, 1717, avec quelques-unes des épigrammes en réponse. Je ne connais que la copie du recueil de Maurepas.
- ↑ Recueil de chansons et de vers satiriques, t. XVIII, p. 151.
- ↑ Oeuvres de Voltaire, t. XIV, p. 393 et 394, édit, de M. Beuchot.
- ↑ Affiches de Boudet, 20 février 1749.
- ↑ Le Colporteur, p. 140.
- ↑ Portefeuilles manuscrits de M. de Soleinne, no 3399.
- ↑ Portefreuilles de M. de Soleinne, no 3400. Le Dictionnaire des Théâtres de Paris annonce à tort cette pièce comme représentée en public par les marionnettes.
- ↑ Ibid., no 3407.
- ↑ Par compensation, on a publié, dans notre siècle, des pièces de marionnettes pour l’éducation de la jeunesse. Je ne citerai en ce genre que le Théâtre des marionnettes de Mme Laure Bernard, 1 vol. in-12, 1837. L’auteur y a réduit à la taille de ses comédiens et de ses spectateurs la belle légende du Roi Lear.