Histoire générale du féminisme (Abensour)/1848

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1848


Clubs et journaux féministes. — La campagne électorale de Jeanne Deroin. — Louise Otto et l’émancipation du travail féminin. — Narcyza Zmichowska et les enthousiastes polonaises. — Le manifeste inaugural du féminisme américain.

Clubs et journaux féministes. — Pendant la Restauration et le règne de Louis-Philippe, on avait, comme au dix-huitième siècle, prêché. Comme la grande Révolution de 1789, la petite révolution de 1848 fut une occasion d’agir… Et des descendantes spirituelles d’Olympe de Gouges, de Claire Lacombe et d’Etta d’Œlders tentèrent d’obtenir à leur tour, de la deuxième république, le complet affranchissement féminin.

Alors, comme soixante ans auparavant, une vague d’espoirs illimités soulève tous ceux qui se croient victimes de l’ordre social. Et tous les groupements féminins : saint-simoniennes, féministes chrétiennes, bourgeoises, unissent leurs efforts pour emporter d’assaut la vieille forteresse masculine debout encore malgré la chute des trônes.

Comme en 1789, les clubs féminins ressuscitent ; mais, cette fois, les sentiments des clubistes sont bien changés. Alors qu’en 1793, Claire Lacombe et ses citoyennes révolutionnaires étaient, ainsi que leurs innombrables émules provinciales, avant tout préoccupées de faire triompher la Révolution des menées aristocrates et de défendre la patrie contre les tyrans étrangers, les clubistes de 1848, laissant les hommes se débrouiller seuls pour affermir les conquêtes de leur liberté et pratiquant l’égoïsme sacré, sont, elles, résolument, exclusivement féministes. Le Club des femmes, fondé au début de la Révolution par Eugénie Niboyet, déjà leader de l’affranchissement depuis de longues années, le Comité des droits de la femme, le Club d’Émancipation des femmes furent de caractère nettement politique : la conquête du droit de suffrage pour les femmes, tel est leur but essentiel.

À côté de ces organisations en apparaissent d’autres, plus curieuses encore peut-être parce que tout à fait inconnues de la première révolution, et promises à un grand avenir : l’Association fraternelle des instituteurs et institutrices socialistes ; l’Association des femmes à gages ; le Club-Association des lingères ; l’Union des travailleuses, destinées à défendre, dans la dure lutte économique, les intérêts de la femme et ébauche des organisations syndicalistes féminines.

Et voici, qui distingue encore le mouvement féministe de 1848, une autre nouveauté : tandis qu’on discute dans les clubs, tandis qu’une société de femmes « adepte de la communauté absolue », les Vésuviennes, « pourvues au fond du cœur d’un volcan d’ardeurs révolutionnaires », manifestant sur la place Vendôme et à l’Hôtel de ville, se livrent aux ébats d’une chorégraphie faite pour scandaliser les bourgeois, Eugénie Niboyet, Jeanne Deroin et d’autres songent à agir sur l’opinion d’une plus persuasive manière : pour la première fois, le féminisme a ses journaux, ses journaux quotidiens, et que leur prix modique rend accessibles non aux bourgeoises seulement, comme la Gazette des Femmes, mais à la masse féminine et masculine.

Avec la Voix des Femmes, la Politique des Femmes, l’Opinion des Femmes, sans compter des feuilles mort-nées, telles l’Enfer et le Paradis du Peuple ou la République des Femmes, journal des Cotillons, les idées féministes commencent d’être connues du peuple, et non seulement du peuple parisien, mais de la province, mais de l’étranger. Les clubs féminins qui, en 1848 comme en 1789, se sont ouverts dans les départements y font insérer leurs adresses ; des Anglais, telle la quakeresse Jeanne Knight et Robert Owen, y publient leur profession de foi.

Pourvues de moyens d’action plus puissants que leurs devancières, les féministes de la deuxième république semblent en outre avoir poursuivi avec plus de méthode que les fidèles d’Olympe et de Lacombe, et avec une bien moindre dispersion d’efforts, quelques buts très précis.

Le sort des ouvrières, d’abord, les préoccupe. En 1848, il n’est pas rare de voir une ouvrière, qu’elle travaille chez elle ou en atelier, toucher un salaire variant entre cinquante centimes et un franc ; la journée de douze à quatorze heures est courante. Naturellement nos féministes réclament pour les ouvrières de meilleures conditions de travail : augmentation du salaire, diminution de la journée ; et le gouvernement, étant alors décidé à faire tous ses efforts pour l’organisation du travail, accorde aux blanchisseuses la journée de douze heures et la suppression du travail dans les ateliers et les prisons, dont la concurrence avilit la main-d’œuvre féminine.

Mieux, les ouvrières ayant demandé d’être appelées à défendre, auprès des pouvoirs publics, leurs intérêts professionnels, le gouvernement provisoire décide (4 avril 1848) d’admettre auprès de la Commission de Travail des déléguées ouvrières qui collaboreront avec elle pour organiser sur des bases plus justes le travail féminin.

Eût-elle duré, leur collaboration pouvait être féconde. Que d’idées neuves, chez les féministes, touchant le travail de leurs sœurs !

Office de placement national, coopératives de production supprimant les intermédiaires qui prélèvent 75 p. 100 de bénéfice, création dans chaque établissement industriel de restaurants nationaux, de buanderies et de lingeries nationales, où le peuple trouverait à bon marché des soins d’ordre et de propreté qu’il ne peut se procurer dans l’isolement, mais que des femmes, réunies en association, peuvent facilement organiser ; obligation à tout établissement industriel d’installer une crèche où la jeune mère puisse placer son enfant, organisation, à côté des restaurants populaires, de salles de conférence, de salles de réunion et de bibliothèques ; voilà quelques-unes des idées lancées par les féministes de 1848 ; elles parurent utopiques alors, pour ne pas dire ridicules. Elles n’étaient qu’anticipations cependant, et si l’on avait vraiment et autrement qu’en paroles organisé le travail, si les femmes avaient eu voix au chapitre pour l’organisation du travail féminin, on n’eût pas attendu soixante-dix ans encore et la guerre mondiale pour les réaliser. Mais les journées de juin devaient emporter dans la tourmente tout espoir de renaissance ouvrière.

Le décret du 4 mars 1848 établissant le suffrage universel justifiait, comme la Déclaration des droits de l’homme, toutes les revendications politiques des femmes, autorisait toutes leurs campagnes pour la conquête du bulletin de vote. C’est ce que déclare nettement l’adresse du 23 mars 1848 adressée, par le groupe de la Voix des Femmes, au gouvernement provisoire.

« Si la révolution, disent les suffragistes, s’est faite pour tous… nous devons avoir part à ses bienfaits. Si, comme vous le dites, le peuple est souverain, le peuple étant constitué par l’union de l’homme et de la femme, vous devez établir, à côté du peuple-roi, le peuple-reine et ne plus permettre aux hommes de dire : l’humanité c’est nous ! Si enfin les femmes payent les impôts et obéissent aux lois de l’État, qu’elles participent aux bénéfices et aux privilèges assurés par l’État aux autres citoyens : Pas de devoirs sans droits. »

Donc, pour la femme, l’électoral et l’éligibilité. Mais nos féministes qui, sous des allures exaltées, dissimulent assez de sens pratique, se rendent compte qu’il n’y a pour le moment nulle chance d’obtenir le suffrage universel féminin, que l’opinion est hostile, qu’il faut faire progressivement son éducation. Et, réclamant tout en théorie, elles se seraient contentées en pratique, soit de l’élection par les hommes de quelques femmes choisies dans l’élite intellectuelle, soit de l’attribution du droit de vote aux filles majeures et aux veuves.

Jeanne Deroin candidate. — L’année 1848 ayant vu la faillite des espoirs féministes, comme de tant d’autres espoirs, et la Constitution nouvelle condamnant définitivement l’affranchissement féminin, une féministe, en 1849, se résolut à essayer de l’action directe.

Pour la première fois, une femme va conduire une véritable campagne électorale.

Jeanne Deroin, qui, avec le plus complet mépris du ridicule, réalisa ce coup d’audace, était une ancienne institutrice, petite de taille, très brune, aux grands yeux illuminés d’un feu sombre. Corps faible, mais volonté de fer, mystique volontiers et dévouée à tous les opprimés, elle espérait de la société nouvelle l’affranchissement des femmes et celui des travailleurs ; trop intelligente pour escompter la réussite, elle voulut du moins, par une manifestation éclatante, attirer l’attention sur l’idée féministe qui, la période de réaction commençant, sombrait déjà dans l’indifférence générale.

En avril 1849, les élections pour la Législative approchant, elle lance une proclamation aux électeurs de la Seine et, dans une adresse au comité électoral démocratique socialiste, demande « de n’être point écartée de la liste électorale au nom d’un privilège de sexe ».

Le 10 avril 1849, elle se présente à la mairie du IVe arrondissement et sollicite du président de la réunion l’autorisation de demander aux candidats s’ils acceptent et s’ils réclameront à l’Assemblée législative le droit des femmes à l’égalité politique. Assez libéral sans doute, le président l’y autorise et lui permet, en outre, de s’inscrire pour porter sa candidature à l’Assemblée… Début encourageant, mais dont la suite de la campagne ne devait pas tenir les promesses. Huit jours après, la candidate qui veut exposer son programme est arrêtée net par le président ; elle s’obstine et fait appel « à la justice et à la conscience des citoyens contre l’opposition du bureau ». La justice et la conscience des citoyens ne leur inspirent que des huées. Et pourtant, sans trembler devant la grossièreté, sans pleurer devant la moquerie, Jeanne Deroin, fortifiée par le sentiment d’un apostolat, alors presque martyre, reste à la tribune ; sa passion ardente et son courage imposent à la foule ; elle peut parler enfin et flageller de son ironie ces socialistes qui, portant à leur programme la libération des opprimés, veulent, comme les bourgeois, tenir la femme enchaînée… Satisfaction toute platonique et qui n’empêche le rejet de sa candidature… Cinq jours de suite encore, elle renouvelle devant divers comités les mêmes démarches ; jusqu’à ce qu’enfin, le 21 avril, elle obtienne du Comité démocratique socialiste son inscription sur un registre de candidats où déjà figure — porté par quelques hommes — le nom de George Sand. Elle obtint, lors des élections, une quinzaine de voix.

De telles manifestations furent alors absolument stériles. Néanmoins, elles eurent, comme de nos jours celles des suffragettes, leur utilité : elles firent connaître à la masse, qui les ignorait, les revendications féministes. La masse, d’ailleurs, et l’élite même furent indifférentes ou hostiles ; les hommes politiques, les écrivains s’indignèrent ; la foule s’amusa. Malgré toutes les belles espérances de rénovation du genre humain qui alors, comme en 1789, fleurirent, la réalisation des théories féministes n’avait aucune chance de succès ; la crise terrible des journées de Juin consacrait la faillite de toutes les aspirations vers un mieux-être social et, comme l’établissement du premier empire, la résurrection des aigles ramenait encore une fois, par l’alliance du trône et de l’autel, l’ordre moral, mortel à toute tentative d’émancipation féminine.

La renaissance du féminisme en Allemagne : Louise Otto. — Ce n’est pas seulement dans les fastes du féminisme français, mais dans ceux du féminisme allemand, anglais, danois, polonais, américain que les années qui correspondent à notre deuxième république inscrivent des dates significatives. Car presque partout dans le monde ces années voient éclore, chez les individus et chez les peuples, d’ardentes aspirations à la liberté, et, soit qu’elles aient voulu aider de toutes leurs forces les hommes à briser le joug étranger, soit qu’elles aient désiré seulement vivre leur vie, des femmes de tous pays participent à l’universelle inquiétude et à l’universel espoir…

En Allemagne, le plaidoyer féministe de Hippel avait eu d’abord quelque retentissement. Ses échos s’étaient éteints bientôt dans le fracas des chevauchées napoléoniennes ; et celles des femmes qui aspiraient plus haut que la traditionnelle vie familiale avaient vécu, auprès des poètes de la renaissance allemande, une vie romantique, traversée de crises d’âme et parfois de drames passionnels ou s’étaient, muses de la résurrection germanique, lancées côte à côte avec les hommes, à la tête du mouvement national.

À l’exemple de la reine Louise, grandes dames, femmes de lettres, étoiles des salons berlinois, jeunes émancipées de la brillante et généreuse aristocratie juive avaient de toutes leurs forces, de tout leur cœur, contribué à façonner l’Allemagne de la revanche.

Ensuite, c’est surtout dans le domaine sentimental que se manifestent chez les femmes allemandes, comme chez nos saint-simoniennes et George Sand elle-même, les tentatives d’émancipation. « L’affranchissement du cœur », tel est pour les historiennes allemandes le chapitre II de l’histoire du féminisme en leur pays. Mais en 1848 apparaît la première des féministes allemandes, Louise Otto.

À cette jeune Saxonne de vingt-cinq ans, une question qu’elle trouve posée dans un journal libéral : « Quelle doit être la participation des femmes aux intérêts de l’État ? » révèle sa vocation. Elle envoie une réponse enflammée : « La participation des femmes aux intérêts de l’État n’est pas, dit-elle, un droit, mais un devoir… Car, comme les hommes, les femmes ont une mission : porter, dans les myrtes, l’épée avec laquelle on combattra le bon combat. » Autrement dit, être les muses de la liberté. À ce rôle, Louise Otto s’essaya elle-même avec succès. Elle prit part au grand mouvement libéral et patriotique à la fois qui, dès cette époque, préparait la transformation de l’Allemagne. Dans ses discours, dans ses poésies, elle montre, et ceci est à noter, que le féminisme allemand doit être avant tout national et viser, par l’aide des femmes, à donner de nouvelles forces au pays. Ce trait se retrouvera, pendant la guerre de 1914 en particulier, chez les femmes allemandes…

En même temps Louise Otto joue dans son pays natal, la Saxe, un rôle politique assez important. Comme à la même date les féministes françaises, elle s’efforce d’améliorer le sort des ouvrières ; en mai 1848, elle envoie au ministère saxon une adresse tendant à l’organisation du travail féminin. En 1851, elle formule tout un programme de reconstruction sociale… Puis c’est, en Allemagne comme en France, la réaction et avec elle l’éclipse momentanée du mouvement féminin. Mais, pour la première fois, le programme féministe a été nettement formulé, et son auteur, qui bientôt reparaîtra, lui trouvera par la suite de nombreuses adhérentes.

Les Enthousiastes polonaises. — À la même époque, la Pologne connaît le mouvement des Enthousiastes (mieux des Exaltées) qui, préparé depuis la révolte de 1831, groupe en 1848 l’élite des femmes polonaises.

Pour celles-là, la grande affaire est la résurrection du pays, et bien plus encore que pour les femmes allemandes qui élèvent déjà des revendications personnelles, l’émancipation féminine est seulement l’une des conditions, mais nécessaire, de l’affranchissement du pays. Quel est, dans les circonstances tragiques que traverse la Pologne, le devoir des femmes ? Double devoir, répond le leader des Exaltées, Narcyza Zmichowska. D’abord, soulever ces tentures de soie et de velours qui tiennent, dans son salon comme dans un harem, la femme séparée du monde ; descendre au forum et là s’emparer, comme d’un domaine vraiment féminin, des questions sociales que, sans l’aide de la femme, l’homme ne peut résoudre. Ensuite aider, et de toutes ses forces, les hommes qui palpitent, souffrent, combattent et meurent pour la liberté.

Quelques-unes des exaltées voulurent en effet réaliser ce programme. À tous les mouvements qui alors agitent la Pologne, des femmes prennent part. Martyre de sa foi féministe et patriotique, Narcyza Zmichowska languit deux ans dans la citadelle de Lublin… Et la même pierre tombale étouffe les espérances des femmes et celles de la Pologne…

Tandis que Jeanne Deroin forçait la porte des réunions électorales, que Louise Otto et Narcyza Zmichowska élaboraient un programme d’action féministe, une jeune Danoise de dix-neuf ans publie (1849) les Lettres de Clara Raphaël, première manifestation en Danemark du féminisme ; et les Hongroises qui s’agitent pour leur émancipation politique savent, dans les légions de Kossuth, mourir pour la liberté !

Le manifeste du féminisme américain. — Est-ce la vague d’enthousiasme et d’espoir soulevant l’Europe vers la liberté qui alors se propage vers l’Amérique ? est-ce plutôt, c’est probable, l’effet d’une pure coïncidence ? 1848 est une date décisive dans l’histoire du mouvement féministe américain. Au début du dix-neuvième siècle, nombreuses sont celles qui ont pris en main la cause des femmes. Elles n’obtiennent rien d’abord, et les leaders décident d’adopter une tactique à la fois généreuse et habile : avant de réclamer leur propre affranchissement, combattre pour la libération des victimes de la plus grande injustice, après celle qui les accable elles-mêmes : les Noirs.

C’est en 1851 que Mme  Beecher-Stowe écrit la Case de Ponde Tom, qui aura sur l’opinion publique une si grande influence. Mais vingt années auparavant, une quakeresse, Lucretia Mott, douce, bonne et d’une charité sans bornes, a entrepris une campagne en faveur des nègres. Et voilà les femmes qui tiennent des meetings, publient des tracts, écrivent dans les journaux politiques. Tout en poursuivant, sans y mêler aucune revendication personnelle, ce seul but : la libération des esclaves, elles obtiennent déjà ce résultat d’une importance capitale : montrer au public que les femmes savent traiter avec méthode et zèle de grandes questions d’intérêt public.

Mais les apôtres de la liberté des noirs se trompent si elles s’imaginent que les hommes accepteront d’elles-mêmes cette aide, désintéressée ; elles apprennent bientôt qu’ils se réservent même le monopole du libéralisme et de la générosité.

En 1840, un Congrès anti-esclavagiste se tient à Londres. Lucretia Mott et ses compagnes s’y présentent. On leur ferme la porte. Et, d’indignation, elles fondQ, nt une association féministe. Sans cesser d’ailleurs de prêcher l’émancipation des esclaves, Lucretia Mott, Lucy Stanton, Florence Whright prêchent également la libération des femmes. Leurs campagnes en faveur des nègres leur ont appris à s’organiser, à frapper l’opinion. Le 19 juillet 1848, une « Convention » réunit à Seneca-Falls (État de New-York) des déléguées de toute l’Union américaine. Et de la petite chapelle wesléienne, où un quaker a officié, s’échappe le manifeste qui sera pour les femmes américaines ce que, trois quarts de siècle plus tôt, fut, pour les concitoyens de Washington, la Déclaration des droits. Comme celle-ci, elle a une valeur humaine, mais une forme très américaine. Et l’esprit quaker y règne. Prêtons l’oreille à son enseignement : « L’homme et la femme ont été créés égaux, pourvus par le Créateur d’inaliénables droits… Le gouvernement n’est fait que pour sauvegarder ces droits… et s’il manque à ce devoir essentiel, les gouvernés peuvent légitimement se soustraire à son allégeance. Or, l’homme impose à la femme des lois à la rédaction desquelles elle ne participe pas. L’homme monopolise tous les emplois lucratifs et ferme à sa compagne toutes les avenues de la distinction et de l’honneur ; il l’écarte des affaires de l’Église ; il crée un faux sentiment, une fausse opinion publique qui décrètent qu’il y a pour les deux sexes, deux morales… il fait de la femme mariée une morte civique… Ainsi il usurpe les prérogatives de Jéhovah qui seul peut assigner aux hommes leur sphère d’action… » Donc le devoir de la femme est de repousser la loi de l’homme pour obtenir la justice. Prêche sans doute, et bien différent du positivisme d’Olympe de Gouges, autant d’ailleurs que du mysticisme saint-simonien ! C’est ce prêche qui donnera pour ainsi dire le la à tout le féminisme américain. En lui le souvenir des paroles de Jefferson et l’écho des cantiques. Désir de participer aux affaires de l’Église, qui n’effleure même pas la femme catholique, mais doit venir à l’adepte d’une religion comme le protestantisme, où tout être raisonnable est son propre prêtre ; souci de la morale unique, c’est-à-dire non de la liberté de la femme, mais de la contrainte pour l’homme, affirmation que la femme vaut socialement autant et plus que l’homme et doit, pour elle, pour lui, participer aux affaires de l’État, c’est bien là tout l’esprit du féminisme américain. Et résignées à se voir persécutées, ridiculisées, ses adeptes sont décidées à employer tous les moyens en leur pouvoir pour atteindre l’opinion. Meetings, tracts, brochures, journaux, tout leur sera bon.

Sans dévier d’une ligne et par delà la victoire, les féministes des États-Unis ont suivi les principes posés à Seneca-Falls.