Histoire naturelle (trad. Littré)/II/Bilingue/106

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Traduction par Émile Littré.
Dubochet, Le Chevalier et Cie (p. 144-146).
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Livre II — § 106 (bilingue)

CVI.

1(CIII.) Ce qu’il y a de plus singulier dans la salure de la mer, c’est que, sur le bord, des eaux douces jaillissent comme par des tuyaux. Au reste, l’eau est un élément qui ne cesse de présenter des merveilles. Les eaux douces surnagent celles de la mer, en raison de leur plus grande légèreté sans aucun doute. Aussi les eaux marines, dont la nature est plus pesante, soutiennent mieux les corps qui y sont plongés. Il y a même des eaux douces qui se surnagent l’une l’autre, 2comme, dans le lac Fucin, la rivière (XXXI, 24) qui le traverse ; dans le lac de Laris, l’Adda ; dans celui de Verbanum, le Tésin ; dans le Bénac, le Mincio ; dans le lac Sevin, l’Ollius ; dans le lac Léman le Rhône (celui-ci est au delà des Alpes, les autres sont en Italie). Tous ces fleuves, recevant pour ainsi dire, l’hospitalité dans un trajet de plusieurs milles, n’emmènent que leurs eaux, et ne sortent pas plus gros qu’ils ne sont entrés. On rapporte le même fait de l’Oronte (V, 18), rivière de Syrie, et de plusieurs autres (VI, 31).

3 Quelques cours d’eau, par antipathie pour la mer, en gagnent le fond : telle est l’Aréthuse, source de Syracuse, où se retrouvent les choses jetées dans l’Alphée, qui, traversant Olympie, a son embouchure sur le rivage du Péloponnèse. Il y a des fleuves qui deviennent souterrains, puis reparaissent à la lumière : le Lycus en Asie, l’Érasinus dans l’Argolide, le Tigre dans la Mésopotamie (VI, 31). Les choses jetées dans la fontaine d’Esculape, à Athènes, reparaissent dans la fontaine de Phalère. Dans le territoire d’Atinum un fleuve s’engloutit, et reparaît au bout de vingt mille pas (kil. 29,45) ; le Timave en fait autant dans le territoire d’Aquilée.

4 En Judée, le lac Asphaltite, qui produit le bitume, ne laisse rien s’enfoncer (V, 15); il en est de même du lac Aréthuse dans la grande Arménie (VI, 31) : celui-ci, bien que nitreux, nourrit des poissons. Dans le territoire de Salente, auprès de la ville de Mandurie, se trouve un lac plein jusqu’aux bords ; le niveau n’en diminue pas quand de l’eau en est tirée ; il n’augmente pas quand de l’eau y est versée. 5Dans le fleuve des Ciconiens (IV, 18) et dans le lac Vélin du Picenum (III, 18), un morceau de bois qu’on y jette se recouvre d’une couche pierreuse. Dans le Surius (VI, 4), fleuve de Colchide, la pétrification s’empare du cœur du bois, tout en laissant subsister l’écorce. Dans le Silare (III, 9), au delà de Surrente, non seulement les branches, mais encore les feuilles qui y sont jetées, se pétrifient : du reste, les eaux en sont bonnes à boire. À l’issue du marais de Réate (III, 17 ; XXXI, 8), la roche croît en volume, et dans la mer Rouge il naît des oliviers et des arbrisseaux verdoyants (XIII, 48).

6 Plusieurs sources présentent le phénomène singulier d’une grande chaleur, et cela même sur les sommets des Alpes, même au milieu de la mer, entre l’Italie et Ænaria, comme aussi dans le golfe de Baïes, dans le fleuve de Liris, et en beaucoup d’autres points. Quant à l’eau douce, il y en a des jets en plusieurs endroits de la mer, aux îles Chélidoniennes (V, 35 ; IX, 85), à Aradus (V, 17), et dans l’Océan de Cadix. 7Dans les eaux chaudes de Pavie on trouve des herbes verdoyantes ; dans celles de Pise, des grenouilles ; des poissons, à Vétulonium, en Étrurie, non loin de la mer. Dans le territoire de Casinum, une rivière appelée Scatebra est, en été, froide et plus abondante ; on y trouve, comme dans le lac Stymphalis de l’Arcadie, des rats d’eau (XXXI, 10). À Dodone, la source de Jupiter, qui est glaciale et qui éteint les torches qu’on y plonge, les rallume si on les en approche éteintes ; cette même source tarit toujours à midi, ce qui l’a fait appeler Άναπαυόμενον, intermittente ; puis elle croît et arrive à déborder vers le milieu de la nuit ; à partir de ce moment, elle recommence à décroître peu à peu. 8Dans l’Illyrie, des étoffes étendues au-dessus d’une fontaine qui est froide prennent feu. L’étang de Jupiter Hammon, froid pendant le jour, s’échauffe pendant la nuit. Chez les Troglodytes (V, 5 et 8) il y a une source appelée source du Soleil ; elle est douce et très froide vers midi, puis elle tiédit peu à peu ; vers le milieu de la nuit elle prend beaucoup de chaleur et un goût amer.

9 La source du Pô est toujours à sec dans le milieu des jours d’été, par une sorte d’intermittence. Dans l’île de Ténédos (V, 39), une source déborde toujours au solstice d’été, depuis 3 jusqu’à 6 heures de nuit. Dans l’île de Délos, la source Inopus décroît et augmente de la même façon que le Nil, et dans le même temps. En face de l’embouchure du Timave est une petite île avec des sources chaudes qui croissent et diminuent avec la marée. Dans le territoire de Pitinum, au delà de l’Apennin, le fleuve Novanus (52) devient torrentueux au solstice d’été, et tarit au solstice d’hiver.

10 À Falisque (III, 8), toutes les eaux blanchissent le poil des bœufs qui en boivent. Dans la Béotie, le Mélas rend les brebis noires. Le Céphise, qui provient du même lac, les rend blanches ; le Pénée (IV, 15), comme le Mélas, les rend noires ; le Xanthe, près d’Ilion, fauves, d’où vient le nom du fleuve. Dans le Pont, le fleuve Astaces (53) arrose des campagnes où les juments donnent un lait noir, servant de nourriture à la population. Au territoire de Réate (II, 96 ; III, 17), une source, appelé Neminia, change de lieu d’origine, et annonce par là les variations de la récolte. Dans le port de Brindes, une source fournit aux navigateurs des eaux excellentes. 11Auprès de la ville de Lyncus (IV, 17), une eau dite acidule enivre comme le vin (XXXI, 13) ; des sources semblables se trouvent dans la Paphlagonie et dans le territoire de Calenum. Mucianus, trois fois consul, croit que dans l’île d’Andros (IV, 23 ; XXXI, 13) le temple de Bacchus a une source qui, aux nones de janvier (le 5 janvier), ne manque jamais à couler avec le goût de vin : on l’appelle Don de Jupiter. Auprès de Nonacris (XXXI, 19), en Arcadie, le Styx, dont l’eau ne présente rien de remarquable ni pour l’odeur ni pour la couleur, tue immédiatement ceux qui en boivent : de même, à Librosus (54), colline de la Tauride (IV, 26), se trouvent trois sources causant la mort sans remède, sans douleur. Dans le territoire de Carrinum, en Espagne, deux sources sont voisines, dont l’une repousse tout, et l’autre absorbe tout. Dans le même pays, une autre source montre tous les poissons avec une couleur d’or : quand on les retire de cette eau, ils ne diffèrent en rien des autres. 12Dans le pays de Come, près du lac Larius, une source abondante se gonfle et décroît régulièrement toutes les heures. Dans l’île de Cydonée (V, 39), en avant de Lesbos, une source chaude ne coule qu’au printemps. Le lac Sinnaüs, en Asie, a un goût amer, à cause de l’absinthe qui croît autour. À Colophon, dans la caverne d’Apollon Clarien, est une flaque d’eau qui fait rendre à ceux qui en boivent des oracles merveilleux ; mais elle abrège leur vie. Des fleuves ont remonté vers leur source ; cela s’est vu même de nos jours, dans les dernières année du règne de Néron, ainsi que nous l’avons rapporté dans son histoire.

13 Qui ne sait aussi que toutes les sources sont plus froides en été qu’en hiver ? Qui ne sait (merveilles de la nature) que le cuivre et le plomb en masse s’enfoncent, en feuilles surnagent ; que parmi des corps de même pesanteur, les uns s’enfoncent, les autres se soutiennent : que les fardeaux se meuvent plus facilement dans l’eau ; que la pierre de Scyros (XXXVI, 26) surnage sous un grand volume, et qu’elle s’enfonce quand elle est réduite en fragments ; que les cadavres récents vont au fond, qu’ils viennent à la surface lorsqu’ils se gonflent ; 14 que les vases plongés dans l’eau ne sont pas plus faciles à en retirer vides que pleins, que les eaux de pluie sont plus utiles dans le traitement des salines que les autres (XXXI, 39), et qu’il ne se fait du sel que par le mélange des eaux douces ; que les eaux de mer se congèlent plus lentement, et prennent feu plus rapidement (55) ; que la mer est plus chaude en hiver, plus salée en automne ; que toute mer est apaisée par de l’huile ; que pour cette raison les plongeurs en mettent dans leur bouche pour la répandre, parce que cette substance est un calmant pour l’orageux élément, et y apporte de la transparence ; que la neige ne tombe pas en haute mer ; 15que, malgré la tendance de toute eau à se porter en bas, les sources jaillissent de la terre, et qu’il en sort même au pied de l’Etna, siège d’un incendie assez vaste pour lancer, avec des globes de flamme (56), une pluie de sable sur un espace de plus de cent cinquante mille pas ?

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