Histoire naturelle de la religion/1

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Histoire naturelle de la religion
Traduction par Anonyme.
(Œuvres philosophiques. Tome 3p. 1-6).

À MONSIEUR
HUME,
Auteur de la Tragédie de Douglas[1]


Mon cher ami,

Il étoit d’usage chez les anciens de ne dédier ses livres qu’à ses amis & à ses égaux. Les dédicaces n’étoient pas alors des monumens de basse flatterie, mais d’estime & d’affection. Dans ces jours de liberté & de candeur, les écrivains savoient honorer leurs patrons sans s’avilir eux-mêmes. Si quelquefois il s’y glissoit un peu de partialité ; elle étoit telle que l’amitié pouvoit lui servir d’excuse.

Une autre espece de liberté dont l’antiquité seule nous fournit l’exemple, c’est la liberté de penser. La diversité des opinions n’empêchoit pas les gens de lettres de s’estimer & de s’aimer : ayant les mêmes inclinations, & les mêmes mœurs, ils ne se querelloient pas pour des principes : les sciences furent souvent pour eux des sujets de discussion ; jamais des sujets d’animosité. Cicéron, qui étoit de l’Académie, adresse ses traités philosophiques, tantôt au stoïcien Brutus, tantôt à l’épicurien Atticus.

Je me suis senti, mon cher ami, une forte envie de faire revivre ces louables coutumes en vous dédiant ces dissertations. Je vous appelle mon ami, je vous prendrai toujours pour tel ; & la différence de nos sentimens sur plusieurs points de spéculation ne m’empêchera jamais de vous donner ce nom. J’ai remarqué que cette différence ne faisoit qu’animer nos conversations ; tandis que notre amour commun pour les sciences & les lettres cimentoit notre amitié. J’admirai votre génie lors même que je crus que le préjugé vous dominoit : & vous m’avez dit quelquefois que vous excusiez mes erreurs, en faveur de ma franchise, & de ma sincérité.

Mais, pour dire vrai, l’admiration que m’inspire la beauté de votre génie n’est pas le principal motif qui m’engage à vous dédier ce livre ; c’est le cas que je fais de votre caractere, & l’affection personnelle que j’ai pour vous ; c’est cet esprit généreux qui vous suit par-tout ; ce sont ces sentimens nobles d’honneur & d’intégrité qui depuis long-tems m’attachent si fortement à vos intérêts, & qui m’ont fait desirer qu’il existât un monument public de notre amitié, & que ce monument pût passer à la postérité.

J’avouerai encore que j’ai eu l’ambition d’être le premier admirateur public de votre excellente Tragédie de Douglas, une des pièces les plus intéressantes & les plus pathétiques qui aient jamais paru sur le Théâtre. Si je la préférois à la Mérope de Maffei, & à celle de Voltaire, à qui elle ressemble par le sujet ; si je disois qu’elle a plus de feu & d’esprit que la premiere, plus de tendresse & de simplicité que la seconde ; on pourroit me taxer de partialité : & comment me disculperois-je entiérement de ce reproche, après les protestations d’amitié que je viens de vous faire ? Mais les larmes véritables qui coulerent de tous les yeux, pendant les nombreuses représentations que l’on en fit sur notre théâtre ; cet empire que l’on vous vit exercer sur le cœur humain, voilà ce qui prouve incontestablement que vous possédez le vrai génie dramatique de Shakespear & d’Otway, dégagé de la barbarie de l’un & de la licence de l’autre.

Mes ennemis, vous le savez, & quelquefois même mes amis m’ont reproché d’aimer les paradoxes, & les opinions singulieres : je m’attends que l’idée que je donne ici de votre Douglas m’attirera de nouveau ce reproche : on me dira sans doute que j’ai su adroitement me prévaloir du seul tems où des louanges données à cette piece pouvoient passer pour paradoxes, je veux dire d’un tems antérieur à sa publication. Mais, je me consolerai aisément de ces plaisanteries, si vous recevez avec bonté ce témoignage de mon estime, & si vous croyez que je suis très-sincérement,


MON CHER AMI,

À Edimbourg,

ce 3 janvier

1757.


Votre très-affectionné ami

& très-humble serviteur


DAVID HUME.

  1. Ce M. Hume est un Ecclésiastique Écossois, parent de notre Auteur. Après la Tragédie de Douglas, il donna celle d’Agis : elles sont toutes deux fort estimées des connoisseurs.