Histoire naturelle des cétacées/La Baleinoptère gibbar

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LA BALEINOPTÈRE GIBBAR[1].



Le gibbar habite dans l’Océan glacial arctique, particulièrement auprès du Groenland. On le trouve aussi dans l’Océan atlantique septentrional. Il s’avance même vers la ligne, dans cet Océan atlantique, au moins jusque près du trentième degré, puisque le gibbar est peut-être ce physétère des anciens, dont Pline parle dans le chapitre 6 de son neuvième livre, et dont il dit qu’il pénètre dans la Méditerranée, et puisque Martens l’a réellement vu dans le détroit de Gibraltar en 1673. L’auteur de l’Histoire des pêches des Hollandois dit aussi que le gibbar entre dans la mer Méditerranée. Mais il paroît que dans le grand Océan, moins effrayé par les navigateurs et moins tourmenté par les pêcheurs, il vogue jusque dans la zone torride. On peut croire, en effet, qu’on doit rapporter au gibbar la baleine finback ou à nageoire sur le dos, que le capitaine Colnett a vue non seulement auprès des côtes de Californie, mais encore auprès du golfe de Panama, et par conséquent de l’équateur. Ce fait s’accorderoit d’ailleurs très-bien avec ce que nous avons dit de relatif à l’habitation des très-grands cétacées, en traitant de la baleine franche, et avec ce que des auteurs ont écrit du séjour du gibbar dans les mers qui baignent les côtes de l’Inde.

Le gibbar peut égaler la baleine franche par sa longueur, mais non pas par sa grosseur. Son volume et sa masse sont très-inférieurs à ceux du plus grand des cétacées.

D’ailleurs, M. Olafsen, et M. Povelsen, premier médecin d’Islande, disent que le gibbar a quatre-vingts aunes danoises, ou plus de cinquante mètres, de longueur ; mais que la baleine franche est longue de plus de cent aunes danoises, ou de plus de soixante-trois mètres[2].

Le dessous de sa tête est d’un blanc éclatant ; sa poitrine et son ventre présentent la même couleur ; le reste de sa surface est d’un brun que le poli et le luisant de la peau rendent assez brillant.

L’ensemble de la tête représente une sorte de cône dont la longueur égale le tiers de la longueur totale. La nuque est marquée par une dépression bien moins sensible que dans la baleine franche ; la langue n’a pas une très-grande étendue ; l’œil est situé très-près de l’angle formé par la réunion des deux mâchoires. Chaque pectorale est ovale, attachée assez près de l’œil, et aussi longue quelquefois que le huitième ou le neuvième de la longueur du cétacée.

Les fanons sont si courts, que souvent leur longueur ne surpasse pas leur hauteur. Les crins qui les terminent sont longs, et comme tordus les uns autour des autres. On a écrit, avec raison, que ces fanons sont bleuâtres ; mais on auroit dû ajouter, avec l’auteur de l’Histoire des pêches des Hollandois, que leur couleur change avec l’âge, et qu’ils deviennent bruns et bordés de jaune.

Vers l’extrémité postérieure du dos s’élève cette nageoire que l’on retrouve sur toutes les baleinoptères, et qui rapproche la nature des cétacées, de celle des poissons dont ils partagent le séjour. Cette nageoire dorsale doit être particulièrement remarquée sur le gibbar : elle est triangulaire, courbée en arrière à son sommet, et haute du quinzième ou environ de la longueur totale.

Le gibbar se nourrit de poissons assez grands, surtout de ceux qui vivent en troupes très-nombreuses. Il préfère les gades, les scombres, les salmones, les clupées, et particulièrement les maquereaux, les salmones arctiques et les harengs.

Il les atteint, les agite, les trouble, et les engloutit doutant plus aisément, que, plus mince et plus délié que la baleine franche, il est plus agile et nage avec une rapidité plus grande. Il lance aussi avec plus de violence, et élève à une plus grande hauteur, l’eau qu’il rejette par ses évents, et qui, retombant de plus haut, est entendue de plus loin.

Ces mouvemens plus fréquens, plus prompts et plus animés, paroissent influer sur ses affections habituelles, en rendant ses sensations plus variées, plus nombreuses et plus vives. Il semble que, dans cette espèce, la femelle chérit davantage son petit, le soigne plus attentivement, le soutient plus constamment avec ses bras, le protége, pour ainsi dire, et contre ses ennemis et contre les flots avec plus de sollicitude, le défend avec plus de courage.

Ces différences dans la forme, dans les attributs, dans la nourriture, montrent pourquoi le gibbar ne paroît pas toujours dans les mêmes parages, aux mêmes époques que la baleine franche.

Elles peuvent aussi faire soupçonner pourquoi ce cétacée a un lard moins épais, une graisse moins abondante.

C’est cette petite quantité de substance huileuse qui fait que les pêcheurs ne cherchent pas beaucoup à prendre le gibbar. Sa très-grande vîtesse le rend d’ailleurs très-difficile à atteindre. Il est même plus dangereux de l’attaquer, que de combattre la baleine franche : il s’irrite davantage ; les coups qu’il donne alors avec ses nageoires et sa queue, sont terribles. Avant que les Basques, redoutant la masse du plus grand des cétacées, osassent affronter la baleine franche, ils s’attachoient à la pêche du gibbar : mais l’expérience leur apprit qu’il étoit et plus difficile de poursuivre et plus hasardeux de harponner ce cétacée que la première des baleines. Martens rapporte que des matelots d’une chaloupe pêcheuse ayant lancé leur harpon sur un gibbar, l’animal, fuyant avec une vélocité extrême, les surprit, les troubla, les effraya au point de les empêcher de songer à couper la corde fatale qui attachoit la nacelle au harpon, et les entraîna sous un vaste banc de glaçons entassés, où ils perdirent la vie.

Cependant on assure que la chair du gibbar a le goût de celle de l’acipensère esturgeon ; et dans quelques contrées, comme dans le Groenland, on fait servir à plusieurs usages domestiques les nageoires, la peau, les tendons et les os de ce cétacée.


  1. Balænoptera gibbar.
    Baleine américaine.
    Finnfisch, par les Allemands.
    Vinvisch, par les Hollandois.
    Finnfisk, par les Suédois.
    Reider, en Laponie.
    Ror-hual, en Norvége.
    Finne-fisk, ibid.
    Tue qual, ibid.
    Stor-hval, ibid.
    Hunfubaks, en Islande.
    Hunfubaks, ibid. (par opposition avec le nom de slettbakr, donné à la baleine franche, qui n’a pas de nageoire sur le dos).
    Skidis fiskar, nom donné en Islande aux cétacées qui ont des fanons, et le ventre sans plis.
    Tunomlik, en Groenland.
    Kepolak, ibid.
    Kepokarsoac, ibid.
    Fin-fish, par les Anglois.
    Balæna physalus. Linné, édition de Gmelin.
    Baleine gibbar. Bonnaterre, planches de L’Encyclopédie méthodique.
    id. Édition de Bloch, publiée par R. R. Castel.
    Balæna fistulâ duplici in medio anteriore capite, dorso extremo pinnâ adiposâ. Faun. Suecic.50.
    Balæna, fislulâ in medio capite, tubero pinniformi in extremo dorso. Artedi, gen. 77, syn. 107.
    Balaena edentula, corpore strictiore, dorso pinnato. Raj. p. 9.
    Vraie baleine, gibbar. Rondelet, Histoire des poissons, première partie, livre 16, chapitre 8, édition de Lyon, 1558.
    Balæna tripinnis, ventre lævi. Brisson, Regn. anim. p. 352, n. 5.
    Klein, Miss. pisc. 2, p. 13.
    Sibb. Scot. an. p. 23.
    Oth. Fabric. Faun. Groenland, p. 35.
  2. Voyage en Islande, par MM. Olafsen et Povelsen, rédigé par ordre du roi de Danemarck, sous la direction de l’académie des sciences de Copenhague, et traduit par Gauthier de la Peyronie ; tome III, page 230.