Histoire politique des États-Unis/Tome 1/Leçon 16

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Charpentier (1p. 413-441).
SEIZIÈME LEÇON.
colonies du sud.
1. les deux carolines (suite) ; réflexions sur l’esclavage. 2. la géorgie.
Messieurs,

Pendant que Locke élaborait son œuvre impossible, les planteurs du comté d’Albemarle, noyau de la Caroline du nord, se donnaient, de l’aveu de Berkeley, la seule constitution qui pût leur convenir. Un gouverneur, un conseil de douze personnes, six nommées par les propriétaires et six par l’assemblée, une assemblée composée du gouverneur, du conseil et de douze délégués des colons, telle était la seule constitution qui pût vivre, la seule qui eût la confiance du peuple. On n’attendait rien du dehors ; les concessions de terre avaient été confirmées par les propriétaires aux conditions faites par les colons, et on avait accordé aux planteurs la liberté religieuse, et le droit de ne payer d’autre impôt que celui qu’ils voteraient. Que leur fallait-il de plus pour prospérer ? N’était-ce pas la pleine liberté ? Cette poignée d’hommes, car en 1677 il n’y avait encore que quatre mille personnes dans la colonie[1], n’avait-elle point des droits plus étendus, plus complets que ceux que nous refusons à l’Algérie après vingt ans de conquête, et quand la population s’élève à cent mille habitants ?

Lorsque le grand modèle fut apporté à Albemarle, le gouverneur se trouva fort empêché : ce peuple que Locke voulait organiser à sa fantaisie, résistait à l’introduction d’un système où il n’y avait pour lui qu’une place d’esclave tandis que dans les colonies voisines il était souverain. La promulgation de la constitution ne fit que favoriser l’anarchie, en invalidant le système en vigueur sans pouvoir le remplacer. Les propriétaires, malgré leurs promesses, renversaient le gouvernement qu’ils avaient accordé ; les planteurs rejetaient résolument une charte qui installait le privilège sur une terre où ils étaient venus pour chercher la liberté.

Et ces planteurs, c’étaient des émigrants de la Nouvelle-Angleterre, ou des fugitifs qui avaient quitté la Virginie, après la grande rébellion du colonel Bacon ; en d’autres termes, c’étaient des gens déterminés, intraitables, et qui, dès le premier jour, mirent en prison les agents des propriétaires et se gouvernèrent par eux-mêmes ; singulier peuple, agité dès qu’on veut lui imposer une volonté étrangère, calme et docile devant les lois faites par ses représentants !

Les propriétaires ne pouvaient songer à une expédition armée contre ces sujets révoltés ; c’eût été la plus coûteuse et la plus folle des entreprises. Il fallut donc essayer d’une transaction. La situation de la colonie du sud, où tout s’était passé comme dans le nord, car les besoins et les désirs étaient les mêmes, pressa aussi de son côté une pareille détermination.

Les propriétaires, qui tenaient toujours à leur noblesse héréditaire, et à ces privilèges des personnes et des terres, auxquels la colonie n’entendait rien, offrirent quelques modifications qu’on repoussa comme insuffisantes. La question des quitrent amena des difficultés nouvelles, les émigrants n’entendant nullement payer de redevance sur ces terres qu’ils avaient arrachées au désert, et fécondées de leurs sueurs. Ce qu’ils consentaient à payer devait servir à défrayer les salaires des magistrats coloniaux, et les dépenses publiques. Enfin, en 1693, et de guerre lasse, les propriétaires renoncèrent à cette constitution, aussi gênante pour eux que pour la colonie.

« Le peuple ayant signifié qu’il aimait mieux être gouverné par les pouvoirs que concède la charte, sans égard à la constitution fondamentale, il est bon, pour son repos et la protection des gens bien disposés, d’accorder cette requête[2]. »

Avec cette déclaration disparut la législation factice de Locke et de Shaftesbury. Dans le préambule on lui promettait l’immortalité, et elle n’avait pu vivre un jour. Les palatins, les landgraves, les caciques, toute cette noblesse qui n’avait existé que sur le papier s’évanouit sans laisser de traces dans l’histoire. Rien ne resta du grand modèle, sinon le mal qu’il avait fait, et une leçon qui ne devrait pas être perdue : c’est que toutes les constitutions de papier sont mortes-nées ; comme tous les monstres, elles ne sont pas viables.

Sortie de ces difficultés, la Caroline trouva, dans les querelles religieuses, un obstacle nouveau qui gêna longtemps son développement. Après la révolution de 1688, l’Église anglicane, en minorité dans une province qui avait été peuplée par des dissidents de toute nation, voulut cependant imposer son autorité. Secondée par lord Granville, qui à cette époque était lord palatin, elle parvint à faire nommer une assemblée toute à sa dévotion, en établissant que désormais les députés prêteraient le serment d’adhésion à l’Église établie. C’était exclure de la représentation la majorité même de la colonie.

Les dissidents, repoussés par les propriétaires, trouvèrent un défenseur dans lord Somers, qui porta leurs plaintes à la chambre des lords. En vain les propriétaires réclamèrent ; la chambre déclara que les actes dont se plaignaient les colons n’étaient point autorisés par la charte. Sur l’adresse qu’on lui présenta, la reine Anne, qui cependant n’avait point de veto sur les lords de la colonie, proclama, de l’avis des avocats de la couronne, que ces actes étaient nuls, et même qu’il fallait examiner si les propriétaires n’avaient pas forfait leurs droits (1707).

De son côté, l’assemblée coloniale annula ces actes malencontreux, et rétablit la tolérance, tout en maintenant la supériorité et les avantages de l’Église établie ; mais il n’en resta pas moins dans la plantation un levain d’irritation qui allait bientôt fermenter.

De là des dissentiments sans nombre, une agitation toujours croissante, et enfin une révolte de la colonie, mais une révolte d’un caractère tout particulier, et qui montre chez ce peuple, vraiment né pour se gouverner lui-même, ce bon sens, cette modération, cet esprit d’ordre qui sont les conditions premières de la liberté.

En 1719, le district du Sud, lassé de l’autorité des propriétaires, résolut de s’en délivrer. Il y avait alors pour gouverneur un homme de mérite et justement populaire, Robert Johnson. L’assemblée, se formant en convention, rejeta un gouvernement oppressif et arbitraire, et déclara que la charte était forfaite ; mais aussitôt on témoigna à Johnson le désir qu’on avait de le conserver pour gouverneur, s’il voulait ne reconnaître d’autre supérieur que le roi.

Johnson refusa, et fut remplacé par un gouverneur que nomma l’assemblée. En même temps on dépêcha des agents en Angleterre pour soutenir, auprès du roi, les droits du peuple. La colonie trouva dans le ministère les dispositions les plus favorables. Depuis que la maison de Hanovre était montée sur le trône, et que la suprématie du parlement n’était plus contestée, il y avait à Londres un désir constant de détruire ces chartes coloniales qui gênaient le plein exercice de l’autorité métropolitaine. Les discordes survenues entre les propriétaires et les planteurs de la Caroline étaient une excellente occasion pour se mêler des affaires de la province, aussi les prétentions des colons furent-elles accueillies avec une faveur qu’elles n’eussent pas rencontrée en d’autres moments. Dès l’année 1721 on envoya au nom du roi un gouverneur, qui fut reçu dans la colonie avec les plus vives acclamations.

Sans autorité dans leur domaine, et abandonnés par la jalousie du gouvernement, sept des concessionnaires vendirent à la couronne tous leurs droits pour la somme de 17 500 livres sterling, et 5 000 livres en sus pour les quirent échus ; un seul, lord Garteret, en cédant ses droits de souverain, se réserva sa part de propriété qui lui fut assignée dans le nord de la Caroline. C’est ainsi que la patente fut abrogée en 4728, et le gouvernement conféré, aux acclamations de la colonie, à Robert Johnson, qui s’était montré si loyalement dévoué à la cause des propriétaires, et qui fut reçu, dit un contemporain, comme Cicéron au retour de son exil. La Caroline devint province royale, et, en 1 732, fut officiellement partagée en deux États pour la commodité du gouverneur et des habitants.

Ce changement d’administration fut des plus favorables à la colonie, dont les progrès avaient été retardés par toutes ces querelles politiques et religieuses. Sous le règne des propriétaires, on n’y comptait que quatorze mille âmes, quoiqu’il y fût venu d’Europe un nombre d’émigrants bien plus considérable. De 1728 à 1790, le nombre s’accrut jusqu’à six cent quarante mille habitants.

Vous connaissez le régime d’une province royale. Un gouverneur, un conseil, nommés tous deux par la couronne, et une assemblée choisie par les planteurs, telles étaient les trois branches dont se composait la législature. Le gouverneur convoquait, prorogeait, dissolvait l’assemblée, avait un veto sur les lois, et exerçait le pouvoir exécutif avec l’assistance du conseil. Il avait aussi une part de l’autorité judiciaire, et nommait les magistrats et les officiers des milices. Toutes les lois étaient soumises à l’approbation du roi, mais elles restaient en vigueur jusqu’à ce qu’il en eût ordonné la révocation. C’était en somme un régime semblable à celui de la métropole[3].

Mais ce qui ne fut point emprunté de l’Angleterre, et ce qui est resté dans la Caroline, et surtout dans la Caroline du Sud, comme une tache ineffaçable, c’est l’esclavage et sa triste législation.

Dès le début de l’entreprise sir John Yeamans, qui fut le premier planteur et le premier gouverneur du district de Clarendon, noyau de la Caroline du Sud, arriva des Barbades avec ses noirs. Ainsi l’institution de l’esclavage est de même date que le premier établissement. Des treize colonies, la Caroline du Sud est la seule qui, dans l’origine, ait été fondée par la culture servile. Dans le Maryland, dans la Virginie, l’usage d’employer des engagés prévalut longtemps, et la classe des travailleurs blancs y fut toujours nombreuse, car nul climat n’est plus favorable à l’ouvrier anglo-saxon que celui de ces beaux pays.

Tout au contraire on remarqua de bonne heure que l’air chaud et humide de la Caroline du Sud convenait au nègre, qu’il y vivait bien et s’y multipliait rapidement, tandis que la fièvre emportait l’ouvrier blanc ; aussi dès le premier jour ce fut l’ambition de l’émigrant d’acheter des noirs, sans lesquels, dit un contemporain, un planteur ne peut rien faire. On essaya de l’Indien et du nègre ; mais on reconnut bientôt que le premier était indomptable, tandis que le second se pliait à la servitude. Il y avait entre eux, remarquait-on, la même différence qu’entre les animaux sauvages et les animaux domestiques, dont les uns acceptent sans répugnance la domination de l’homme, tandis que les autres meurent en captivité.

Ce qui contribua surtout à augmenter le nombre de ces misérables, fut l’introduction du riz dans la colonie. Un sac de riz apporté par hasard, en 1698, par un vaisseau de Madagascar, distribué aux planteurs, et cultivé par curiosité plus que par utilité, devint bientôt, avec l’indigo, la culture principale de la Caroline[4]. Cette culture inondée, qui demande à la fois l’humidité et la chaleur, est de toutes la plus malsaine, et cependant, de l’aveu général, la santé des nègres n’en est point altérée.

Nous retrouvons ici cette influence du climat qui joue un si grand rôle dans la question de l’esclavage. À l’origine, toutes les colonies de l’Amérique recevaient des esclaves ; c’est de nos jours, c’est en 1826, que les derniers ont été affranchis à New-York. Rien donc n’eût gêné la servitude dans le nord, si le travailleur blanc ne l’emportait de beaucoup sur le nègre, quand le climat ne combat pas contre lui.

Mais tandis qu’à New-York le nègre n’était que le plus coûteux et le plus mauvais des ouvriers, au Sud on croyait impossible de se passer de lui. Aussi la race noire s’y accrut-elle si vite par l’importation, qu’en peu d’années les esclaves furent deux fois plus nombreux que les blancs, proportion qu’au nord des Antilles on n’eût trouvée nulle autre part.

En un temps où les idées de fraternité, qui nous sont aujourd’hui familières, n’étaient pas très-répandues, où le nom d’humanité était un mot inconnu, où la traite des noirs était considérée comme une œuvre pieuse, parce qu’elle enlevait des malheureux à l’idolâtrie pour les baptiser, on comprend que la Caroline ne se soit pas montrée plus scrupuleuse que les autres colonies. Aussi eut-elle son Code noir, arsenal de lois cruelles qui subsiste encore aujourd’hui. C’est là, n’en déplaise à tous les sophismes, la plus sanglante condamnation de l’esclavage. Si le nègre est un être inférieur, une espèce d’animal domestique pour qui la servitude est un bienfait, pourquoi faut-il tout cet attirail de supplices, afin de le maintenir dans un état qui, dit-on, lui est favorable ? Si c’est un homme fait à l’image de Dieu, comment des lois sacrilèges osent-elles déclarer qu’il n’est qu’une chose, et comment d’un être immortel ose-t-on faire le jouet et l’instrument d’autrui ?

La cruauté des lois qui régissent l’esclavage étonne souvent ceux même que ne révolte pas la servitude, et qui n’y voient que la tutelle d’une race éternellement mineure. On ne comprend pas qu’un fait de cette espèce, un fait contre nature, porte le trouble dans tous les rapports humains. Déclarer que l’homme est un animal ou un outil, c’est s’engager dans un système qui ramène forcément les horreurs de la loi romaine. Sans doute l’application est moins rigoureuse, parce que les Américains, éclairés par le christianisme, n’ont ni la férocité, ni la corruption des Romains ; mais le principe est le même. Une bête de somme appartient à son maître et ne peut rien posséder ; elle n’a ni famille, ni femme, ni enfants ; son travail n’est pas à elle non plus que sa personne ; la battre, la tuer, c’est un droit, et si la loi américaine recule aujourd’hui devant cette dernière atrocité, c’est par une heureuse inconséquence. Mais que de fois la loi reste désarmée devant la cruauté et même devant le crime du maître ; et que de fois aussi le juge est aveugle et complice ! L’esclave d’ailleurs n’a pas d’action pour demander justice, et l’homme libre a peu de pitié pour des maux qu’il ne connaît ni ne redoute !

Est-il nécessaire d’énumérer les lois qui réglaient l’esclavage dans la Caroline ? Ces lois sont partout et forcément les mêmes. En même temps qu’elles traitent l’esclave comme une brute, elles ne peuvent pas oublier qu’il y a en lui un esprit qui pourrait s’éveiller, une âme qui pourrait aspirer à la liberté ; aussi ne se contentent-elles pas de châtier le nègre, elles s’en défient comme d’un ennemi, et avant tout elles cherchent à étouffer en lui l’intelligence, et à en faire un animal craintif et obéissant.

Trouvait-on un esclave hors de la plantation sans une passe donnée par le maître, c’était un devoir de l’arrêter, et de le châtier sur place ; s’il résistait, il était permis de le tuer. La loi est la même aujourd’hui, et la raison de cette rigueur est toute simple ; le nègre marron est l’ennemi commun[5].

Au reçu de toute plainte portée contre un esclave, depuis le vol d’un poulet jusqu’à la révolte et au meurtre, tout juge de paix avait droit d’arrêter aussitôt l’accusé, et de le traduire devant un jury composé de quelques propriétaires du voisinage. C’est à ce tribunal, composé d’ennemis naturels, que la loi remettait la vie de l’esclave, et il suffisait de la simple majorité pour prononcer la peine de mort. Toute punition moindre était laissée à l’arbitraire du jury ; à lui d’en fixer la forme et la durée. C’est également ce tribunal qui, en cas de mort, déterminait le genre du supplice et faisait aussitôt procéder à l’exécution, à la seule condition d’indemniser le propriétaire aux dépens du public.

Telle est la procédure sommaire qui encore aujourd’hui met l’esclave entre les mains de ses bourreaux. C’est ainsi que ces républicains, si jaloux de leur liberté et si fiers de leur jury, protègent la vie d’un homme et d’un chrétien, coupable, il est vrai, de la couleur de sa peau.

Après avoir puni la révolte, il fallait aussi prévenir et frapper le plus étrange des crimes, la fuite, c’est-à-dire le vol que l’esclave fait de sa propre personne, en reprenant cette liberté que Dieu lui a donnée, et que les hommes lui ont ravie. La mort pour l’esclave qui cherche à quitter la province ; la même peine pour le nègre complice du fugitif, ou qui l’a assisté dans sa fuite.

Tout esclave qui avait disparu pendant vingt jours était, pour la première fois, publiquement et sévèrement fouetté. Si le maître négligeait d’infliger cette punition, tout juge avait droit de faire punir l’esclave par le constable et aux frais du maître.

En cas de récidive, le fugitif devait être marqué sur la joue droite de la lettre R[6] ; sinon le maître encourait l’amende de dix livres sterling, et tout juge de paix avait droit d’ordonner la marque.

À la troisième offense l’esclave avait l’oreille coupée ; il était châtré à la quatrième, et tout maître qui passait plus de vingt jours sans exercer cette cruelle répression, perdait la propriété de l’esclave, acquis à quiconque le dénonçait dans les six mois.

Sur la simple indication de la retraite d’un nègre marron, tout officier de la force publique devait aussitôt poursuivre le misérable, et le saisir mort ou vif, avec une récompense de deux ou quatre livres. Toute personne blessée dans une de ces expéditions recevait une indemnité publique. Le fugitif était une bête sauvage dont il fallait à tout prix délivrer la communauté.

Alors même qu’elle ne craint pas la résistance ou la fuite de l’esclave, la loi est obligée de prendre des précautions contre tout ce qui pourrait éveiller des sentiments humains dans le cœur de ce malheureux. Plus cruelle que le droit romain, la loi de la Caroline n’accorde pas de pécule à l’esclave. Il lui est défendu de planter pour lui du blé, des pois, du riz, ou de posséder des porcs, du bétail ou des chevaux ; c’est lui donner l’idée de la propriété, et le pousser au vol, deux dangers dont le second n’est pas le plus grand.

Plus dur encore, un acte de 1740, destiné, est-il dit, à maintenir les esclaves dans une juste obéissance et à empêcher les maîtres d’exercer une trop grande rigueur, déclarait que les esclaves et leurs descendants seraient en servitude à toujours[7]. En d’autres termes, non-seulement on ôtait tout espoir au nègre, mais on privait le maître du droit d’affranchir même les enfants qu’il aurait eus d’une esclave, et cette disposition fut, plus tard, adoptée par la loi de Géorgie[8]. Aujourd’hui encore il y faut l’autorisation publique. En outre, et comme, suivant la loi même de l’esclavage, le croît de ce bétail humain appartient au propriétaire de la mère, on en arrive à ce résultat que peu à peu, et par l’union des blancs et des mulâtresses, on a des esclaves dont le sang n’est guère moins pur que celui de leurs maîtres. Quel plus triste spectacle que la vente publique de femmes, aussi blanches que les créoles, esclaves cependant, et servant à la débauche du maître, dans un pays qui se dit chrétien et civilisé !

Que dis-je ? chrétien. Les planteurs de la Caroline furent tourmentés de la crainte que le baptême n’affranchît l’esclave, et, par conséquent, ils furent partagés entre leur avarice et leur scrupule religieux. Un acte législatif de 1712 calma leur inquiétude ; voici la conclusion hypocrite de cette loi, où la religion n’est que dans les mots :

« Comme la charité et la religion chrétienne que nous professons (il serait difficile de le croire en lisant cet acte, car les mahométans sont bien autrement doux pour leurs esclaves que n’étaient ces pieux Américains) nous oblige à désirer le bien des âmes humaines, et afin que la religion ne serve pas de prétexte pour attaquer le droit et la propriété de personne, et en même temps pour que personne ne néglige de baptiser ses nègres ou ses esclaves, dans la crainte que ce baptême n’emporte affranchissement et liberté, il est dès à présent déclaré licite à tout nègre ou esclave de recevoir et de professer la foi chrétienne, et d’être baptisé ; mais le baptême et la profession de foi chrétienne ne feront point que l’esclave soit affranchi ou mis en liberté.[9] »

Il y a loin de cette doctrine à la doctrine chrétienne, si nettement formulée par saint Paul :

« Il n’y a ni Juifs, ni Gentils, ni esclave, ni libre, ni homme, ni femme, mais vous n’êtes tous qu’un en Jésus-Christ. »

Sans doute saint Paul, venu au milieu d’une société remplie d’esclaves, n’appelait point ces malheureux à l’insurrection, et lui-même renvoyait à Philémon un esclave fugitif[10], en lui recommandant de recevoir Onésime comme un frère bien-aimé ; mais on peut dire que, dans ces paroles mêmes, il y avait le germe de l’affranchissement.

C’est ainsi du moins que l’entendait l’Église, et dès le premier jour elle fut la patronne et la protectrice des esclaves. Ouvrez le code Théodosien, vous y trouverez toute une législation favorable due à Constantin, et la première conquête de l’Église reconnue par l’empereur fut le droit d’affranchir les esclaves dans son sein, le dimanche en assemblée publique, comme une œuvre pieuse et sainte.

Cet adoucissement commencé par saint Paul ne s’est arrêté qu’à la transformation de la servitude en servage ; l’esclave est devenu un colon, un laboureur, attaché à la terre, il est vrai, mais par un lien plus réel que personnel. Il a fallu sans doute de longs siècles pour amener ce résultat ; mais dès le premier jour la réforme a été en germe dans le respect de l’Église pour la personne humaine, temple de Jésus-Christ. L’esclave a été pour l’Eglise un chrétien, un homme, un époux, un père, et non point une bête de somme, un outil, un capital dont on abuse à volonté.

En Amérique, au contraire, la condition de nègre ne s’est en rien améliorée. Vous avez vu tout à l’heure la dureté de ces lois, faites cependant à une époque où l’Angleterre se glorifiait de sa civilisation, où Voltaire et Montesquieu la présentaient à la France comme modèle d’un gouvernement et d’une société libre. Depuis lors l’Angleterre a marché. Grâce à Romilly, grâce à Wilberforce, grâce à Clarkson, elle a pris l’initiative de l’émancipation et a sacrifié des millions à cette œuvre sainte. L’Amérique n’a rien fait. Elle n’a pas aboli l’esclavage ; elle ne l’a pas transformé en servage. Ses lois sont aussi dures que le premier jour. Entre cette assemblée coloniale, qui déclarait, en 1712, qu’il n’était ni juste ni convenable de mettre les nègres en liberté, et les lois et les idées d’aujourd’hui, rien n’a changé, sinon peut-être que l’opposition des abolitionnistes a donné plus d’audace et de vivacité à la défense de l’esclavage. C’est au nom de la Bible et par l’exemple des patriarches, qu’on justifie un système qui foule aux pieds les droits du père et du mari, qui se joue de la pudeur des femmes, qui condamne des millions d’hommes à la misère et à l’ignorance. La loi défend de les instruire, car, dit naïvement le préambule : « Montrer aux esclaves à lire et à écrire, ne sert qu’à exciter le mécontentement dans leur cœur, et à produire l’esprit de rébellion. » Pour que le maître soit tranquille, il faut étouffer dans l’esclave le cœur et l’âme, tout ce qui n’est pas de l’animal. La paix de la Caroline est à ce prix.

On s’imagine souvent qu’on pourrait adoucir cette triste condition ; mais c’est une erreur. C’est la nature des choses qui fait la cruauté de l’esclavage. On peut sans doute remplacer la servitude par le servage, c’est-à-dire par une situation où l’ouvrier attaché au sol est, du reste, traité comme un homme ; mais l’esclavage, qui fait du nègre un animal domestique, n’admet ni plus ni moins. Reconnaître un seul droit à l’esclave, c’est en faire une personne, et, par conséquent, c’est d’un seul coup lui reconnaître tous les droits de l’individu. Respecte-t-on le mariage, il faut respecter le droit du père et nourrir les enfants ; mais alors le maître a tout intérêt à faire du nègre un ouvrier ou un métayer. La condition du sol change avec la condition des personnes. Est-ce le travail qu’on respecte, mais aussitôt le nègre a un pécule, et on ne peut lui refuser de se racheter. C’est ainsi que dans les choses humaines et par une génération fatale, le bien enfante le bien, le mal enfante le mal. C’est surtout dans l’esclavage que cette terrible fécondité du crime est visible.

Dans une moitié des États-Unis, il y a deux sociétés établies sur le même sol ; l’une toute puissante, active, unie, vigilante, l’autre faible, désunie, indifférente, exploitée comme un bétail ; et cependant, ce troupeau méprisé est pour l’Amérique une menace éternelle. Si jamais une guerre étrangère apprenait aux noirs à se compter, et tournait contre l’oppresseur cette force endormie, le Sud deviendrait un théâtre de désastres plus effrayant que Saint-Domingue.

Sans prévoir des malheurs que le temps rendra inévitables, il n’en est pas moins vrai qu’aujourd’hui l’esclavage est le ver rongeur des institutions américaines, un démenti donné aux fondateurs de l’indépendance[11]. La tache qui souille cette grande société la met au-dessous de l’Europe. Nous sommes sans doute moins avancés que les États-Unis dans la pratique de la liberté ; mais nous n’avons pas d’esclaves, et notre civilisation plus humaine est par cela même infiniment plus grande et plus relevée[12].

3. la géorgie.

Jusqu’à présent, en parlant de la fondation des colonies, il a été question de compagnies ou de lords propriétaires. L’État n’a paru nulle part au début ; il n’est intervenu que plus tard entre les compagnies et les planteurs, comme en Virginie, ou entre les propriétaires et les habitants, comme dans la Nouvelle-Jersey ou la Caroline. Établir une colonie par les ressources directes de l’État n’était rien moins qu’une idée favorite au xviie siècle ; on n’y songeait même pas ; la Géorgie est, dans l’Amérique du Nord, le premier et le seul exemple d’une plantation faite avec le concours de l’État, mais aussi est-elle de date récente. C’est en 1732 qu’on a colonisé la Géorgie, et pour faire une œuvre de bienfaisance, ce qui la distingue tout à fait des plantations du xviie siècle et la rapproche des entreprises de notre temps.

Un homme de bien, un philanthrope, comme on dirait aujourd’hui, James Edouard Oglethorpe, officier de l’armée, membre du parlement, et d’une famille dévouée à la monarchie, eut l’idée de fonder une colonie où l’on recueillerait les prisonniers pour dettes, les pauvres, et enfin (ce qui rattache la Géorgie aux autres colonies) les protestants à qui l’Église anglicane refusait la liberté religieuse, ou qui étaient persécutés dans le reste de l’Europe. Dans un siècle où régnaient les idées de Locke, où la propriété était le premier des droits, l’emprisonnement pour dettes était perpétuel, et vous avez vu, dans le joli roman du Vicaire de Wakefield, ce qu’était cette prison, où l’honnête homme malheureux était confondu avec le malfaiteur. Ainsi la charité et la tolérance, tels étaient les mobiles d’Oglethorpe ; il n’y avait qu’une exception, toujours la même, au dernier siècle : les papistes étaient exclus de cet asile ouvert à toutes les communions et à toutes les misères.

Il ne fut pas difficile à Oglethorpe de trouver des associés pour cette œuvre de bienfaisance. Sur le rapport favorable du Bureau du commerce, une charte de Georges II, du 9 juin 1732, érigea en province le pays situé entre la Savannah et l’Alabama, et lui donna le nom de Géorgie. Ce fut une commission de personnes riches et bienfaisantes qu’on chargea de gouverner la plantation pendant vingt-un ans. Le sceau de la corporation, qui portait pour emblème un groupe de vers à soie filant, avec la devise : Non sibi sed aliis, exprimait le désintéressement des patrons de la colonie ; et en effet un article inséré à leur demande leur refusait toute concession de terre ou tout autre avantage dans la plantation.

C’est à cette corporation qu’on remettait la souveraineté législative ; mais les lois ne devaient être en vigueur qu’après avoir été approuvées par le roi en son conseil. Quant au pouvoir exécutif, il était exercé par un conseil de trente-quatre personnes, dont quinze étaient nommées dans la charte et devaient conserver leur place quoad se bene gesserint, c’est-à-dire à vie ; quant aux autres, on en laissait la nomination aux commissaires, qui devaient élire à toutes les vacances.

C’était le conseil qui faisait les concessions de terre ; cinquante acres étaient données à tout émigrant, moyennant une quitrent de dix schillings ; mais il était défendu d’accorder plus de cinq cents acres à la fois. On voulait éviter les grands domaines et ces accaparements de territoire qui, en Virginie et en Caroline, avaient donné lieu à des abus sérieux et à de justes plaintes. En d’autres termes, on voulait faire une colonie modèle, qui fût tout ensemble une œuvre de bienfaisance et de politique, et en même temps on repoussait le monopole des compagnies et des propriétaires.

La charte accordée, les souscriptions affluèrent. Le clergé y mit une chaleur extrême ; le parlement donna dix mille livres sterling. On attendait des merveilles de cette fondation. On voyait déjà la prison pour dettes abolie, la taxe des pauvres réduite. Ces malheureux sauvés d’une longue servitude, transportés gratuitement dans un pays de liberté et d’abondance, fournis aux frais de la société de tous les moyens d’améliorer leur condition, allaient oublier leurs chagrins sous un ciel meilleur. En outre, la charte porterait avec elle sa récompense : l’Angleterre devait gagner plus d’un million sterling annuellement, rien qu’en soie brute, et Madère était dépassée dans la production du vin.

Oglethorpe se mit à la tête de la première expédition qui fonda la ville de Savannah. Il fut suivi par une colonie de moraves, que conduisit l’excellent et pieux Zinzendorf, et par une émigration protestante qui abandonna le pays de Salzbourg pour fonder en Géorgie la communauté évangélique d’Ebenezer. Le calcul était sage, les intentions parfaites, le zèle sincère, et cependant l’entreprise échoua complétement.

L’organisation de la Géorgie reposait sur des bases toutes différentes de celles des autres colonies. Il y avait surtout trois dispositions très-raisonnables en apparence, et inspirées par d’excellents sentiments, qui gênèrent la vie de la plantation, et ne tinrent point devant l’expérience[13].

En fondant la Géorgie, on avait songe au voisinage des Espagnols, maîtres des Florides ; et il avait paru sage d’interposer une colonie militaire entre les possessions espagnoles et la Caroline, pays d’esclaves et par conséquent de peu de défense.

On avait donc décidé que dans la Géorgie les terres seraient partagées entre les habitants mâles seulement, et à charge de service militaire. Les filles n’avaient aucun droit à l’héritage, car ces domaines étaient des fiefs. Le besoin de la défense ramenait au xviiie siècle les lois du moyen âge.

On avait aussi défendu l’introduction des esclaves : « L’esclavage, disait-on, le malheur sinon le déshonneur des autres plantations, est absolument proscrit. Que l’avarice le défende comme elle l’entendra, il y a dans le cœur humain une honnête résistance à l’idée de vendre et d’acheter nos semblables, et de les considérer comme notre richesse et notre propriété[14].

« L’esclavage, ajoutait Oglethorpe, est contraire à l’Évangile aussi bien qu’aux lois fondamentales de l’Angleterre. Nous avons refusé de faire une loi qui permît un crime si horrible. »

À ce motif pieux s’en joignait un autre tout politique. Les Espagnols appelaient à eux les nègres de la Caroline et en faisaient des soldats contre leurs anciens maîtres, dépeuplant et ruinant ainsi doublement le pays. On ne voulait point, suivant l’expression des commissaires, posséder une province vide de blancs, pleine de nègres, propriété précaire d’un petit nombre, exposée tout à la fois à la trahison intérieure et à l’invasion étrangère.

Ainsi on repoussait l’esclavage, non-seulement comme injuste et cruel (car c’est ainsi qu’on commençait à le considérer), mais comme fatal aux intérêts des pauvres émigrants en vue de qui on établissait la colonie.

Enfin, une disposition tout humaine, et que de nos jours ont reproduite les sociétés de tempérance, défendait l’introduction du rhum et des liqueurs spiritueuses ; et pour empêcher cette cause de démoralisation, tout commerce avec les Antilles était interdit.

Ces trois dispositions échouèrent, parce que, avec une apparence de justice, elles étaient impraticables dans la colonie.

Les émigrants de Salzbourg, accoutumés au travail des mains, résistaient à l’introduction de l’esclavage ; mais il n’en fut pas de même des émigrants anglais, pris en majeure partie parmi des prisonniers pour dettes, c’est-à-dire parmi des gens habitués à l’industrie plus qu’au rude labeur des champs, et la plupart déjà usés par la misère ou la débauche ; ils se plaignirent hautement qu’on les avait trompés. À les entendre le sol n’était pas assez fertile, c’était à la compagnie à les soutenir, à leur fournir des outils, des secours, en un mot à se charger du succès, puisqu’elle s’était chargée de l’émigration.

Au lieu de s’en prendre à eux-mêmes de leur mauvaise fortune, les émigrants s’en prirent à la clause qui prohibait l’esclavage ; et, chose singulière, ils appelèrent la religion à leur aide, prétendant que la servitude était un moyen de propager l’Évangile. Les pauvres esclaves de l’Amérique sont devenus des libres citoyens de la céleste Jérusalem, disait un pieux missionnaire.

Les émigrés de Salzbourg eurent des scrupules et consultèrent en Allemagne : « Si vous prenez des esclaves suivant la foi, leur fut-il répondu, et avec l’intention de les conduire au Christ, l’action ne sera point un péché, mais peut même devenir une bénédiction. » C’était la fausse et mauvaise doctrine d’un petit mal pour un grand bien.

Les esclaves furent alors introduits en foule dans la Géorgie, et pour éluder la loi on imagina de les considérer comme des engagés libres, seulement l’engagement était fait pour cent années. C’est de la même façon, et avec la même hypocrisie légale, que de nos jours les Américains rétablirent l’esclavage dans le Texas, affranchi par les lois libérales du Mexique. Devant cette opposition des planteurs les commissaires durent céder ; tout ce qu’ils purent faire, fut d’obliger les maîtres, sous peine d’une amende de cinq livres, à donner aux nègres l’instruction religieuse au jour du Seigneur. C’est l’origine du caractère religieux qui distingue les nègres de la Géorgie.

S’il avait été difficile d’empêcher rétablissement de l’esclavage, il était plus impossible encore de retenir les planteurs dans une colonie naissante où les terres sont la seule richesse, en leur montrant en perspective la dépossession de leurs femmes et de leurs filles, comme conséquence d’un État militaire. L’égalité de succession établie dans les autres plantations, ne laissait point de place dans la Géorgie aux essais de quelques théoriciens.

Enfin, quel que fût le motif qui eût fait prohiber l’introduction des esprits, les conséquences de cette mesure étaient désastreuses ; car, d’une part, l’usage des spiritueux était nécessaire pour corriger les mauvaises qualités des eaux, et, de l’autre, on favorisait la contrebande, c’est-à-dire la plus corruptrice des industries.

Sous ce régime de restrictions, la Géorgie ne fit que languir. En 1751, après vingt ans d’efforts désintéressés, après des sacrifices considérables (le Parlement seul avait donné 136 000 livres sterling, plus de trois millions) ; quand les commissaires rendirent leur charte, la colonie ne comptait que trois petites villes et quelques plantations dispersées, avec dix-sept cents habitants libres et quatre cents nègres. Les exportations, pendant les trois dernières années, n’avaient pas dépassé 80 000 francs.

C’est là une de ces leçons comme l’Amérique nous en offre tant, une preuve nouvelle que la colonisation par l’État est toujours la plus coûteuse et la moins profitable, car elle ôte le suprême ressort de ces difficiles établissements : le sentiment individuel, la nécessité de se tirer d’affaire à tout prix et par ses seuls efforts.

Pater ipse colendi
Haud facilem esse viam voluit, primusque per artem
Movit agros, curis acuens mortalia corda[15].

Le besoin et la certitude de se gouverner soi-même, d’être maître absolu de son travail et de sa vie, voilà les deux conditions de succès pour toute entreprise humaine ; c’est dans l’extrême liberté et dans l’extrême responsabilité qu’on trouve l’énergie qui fonde les colonies ; ce sont les deux seules forces dont jusqu’à présent nous n’ayons pas su nous servir.

Sortie de ces premiers embarras, et devenue province royale, la Géorgie fit des progrès rapides. À l’époque de la révolution d’Amérique, elle était en bonne position, quoique sa population n’atteignît pas cent mille habitants.

Nous voici au bout de cette longue histoire des colonies qui, j’espère, n’a pas été toujours sans intérêt, et qui certes ne sera pas sans profit.

Vous y avez vu comment l’esprit de liberté et l’esprit de religion s’y sont montrés dès le premier jour. Vous vous êtes fait une juste idée du caractère américain depuis le puritain fanatique de la Nouvelle Angleterre jusqu’au doux et charitable quaker ; depuis le farmer de l’Est jusqu’au grand planteur de la Virginie et de la Caroline, seigneur féodal de ses engagés, maître absolu de ses nègres.

À présent il vous sera aisé de comprendre la lutte qui va s’engager entre le Parlement soucieux de s’assujettir les colonies, et les colonies trop habituées à la liberté pour renoncer à leurs droits. Vous comprendrez aussi quels étaient les besoins, les idées, les habitudes des hommes qui firent la révolution, car ces idées, qu’ils avaient reçues de leurs pères, vous sont familières ; vous les avez suivies dès l’origine ; vous avez vu quelle était cette émigration et ce qu’elle allait demander au Nouveau Monde ; vous connaissez cette société sans aristocratie et sans populace, fortifiée de toutes les âmes généreuses que la persécution chassait d’Allemagne et de France, exaltée par la persécution, et par le noble orgueil que donne la conquête de la nature, et l’amour de la liberté.

Vous voyez maintenant pourquoi il fallait prendre un aussi long détour : qui veut connaître l’Amérique doit l’étudier dans son berceau.


  1. Bancroft, II, 157.
  2. Bancroft, III, 15.
  3. Ramsay, South-Carolina, ch. 1.
  4. Le coton est de date récente, et c’est depuis la révolution seulement que cette culture a pris un développement considérable.
  5. Act. of 1740. Goodell, The American slave Code, p. 284.
  6. Runaway, fugitif.
  7. Hildreth, t. II, p. 423.
  8. Il en était autrement dans les colonies françaises, espagnoles, portugaises, races moins fières, moins rudes, mais plus chrétiennes, et qui considéraient comme une bassesse et comme une cruauté qu’on pût laisser ses enfants dans la servitude.
  9. Hildreth, t. II, p. 275.
  10. Épître de Paul à Philémon.
  11. Que sont devenues ces belles paroles de la déclaration de 1776 : « Nous considérons comme vérités évidentes que tous les hommes ont été créés égaux, qu’ils ont reçu du Créateur des droits inaliénables, et que ces droits sont la vie, la liberté, et la poursuite du bonheur. » Voyez aussi l’ingénieuse plaisanterie de Franklin sur le commerce des esclaves, dans ses Essais.
  12. Sur toute cette question de l’esclavage, il faut lire les admirables écrits du Fénelon américain, Channing. L’Esclavage. Paris, 1855, in-12.
  13. Wynne, A general history of the British empire in America, Londres, 1770, t. II, p. 301-316.
  14. Bancroft, II, 426.
  15. Virgile, Géorg., I, 121 et suiv.