Histoire politique et littéraire de la presse en France/Partie 1/La Presse durant la Fronde

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Poulet-Malassis et de Broise (Tome Ip. 193-286).


II

LA PRESSE DURANT LA FRONDE




LES MAZARINADES




Explosion de l’esprit polémique. — Ce qu’on entend par Mazarinades. — Leur caractère et leur esprit.


Pour ne pas interrompre l’histoire de la Gazette, nous avons traversé, sans nous y arrêter, une époque qui, pourtant, intéresse vivement notre sujet : nous voulons parler de la Fronde. On sait avec quelle force éclata, pendant ces jours d’effervescence, l’esprit polémique, et, pour ceux qui ont étudié ce mouvement, il y a lieu de s’étonner que la liberté de la presse n’en soit pas sortie victorieuse ; on a peine à comprendre qu’après avoir si largement usé et abusé de la liberté de parler et d’écrire, Paris ait pu si facilement être ramené au régime de la Gazette et du monopole.

Mais si la Fronde n’a pas produit de journaux dignes de ce nom, elle nous en a donné amplement la monnaie dans ces myriades de libelles connus aujourd’hui sous le nom de Mazarinades, qui pendant près de quatre années vinrent chaque jour alimenter, aviver, la curiosité et les passions de la multitude, et ce ne sera pas nous éloigner de notre sujet que de consacrer quelques pages à cette petite presse de la Fronde, peu consistante, sans doute, et de peu de valeur au fond, mais si vive, pourtant, si hardie, et parfois même si spirituelle.

Les Mazarinades sont, à proprement parler, les pamphlets, satires, libelles, en vers et en prose, publiés durant la Fronde contre le Mazarin. Ce nom leur est venu de la pièce la plus célèbre du genre, la Mazarinade (en vers), portant la date du 11 mars 1651. Plus tard, l’usage s’est introduit de comprendre également sous cette dénomination les écrits pour le Cardinal, et même, dans un sens plus général, toutes les pièces publiées à l’occasion de la lutte de Mazarin contre le Parlement et les Princes.

Le nombre des Mazarinades est prodigieux. M. Moreau, à qui l’on doit une excellente bibliographie de ces libelles, estime que l’on peut évaluer à 4000 environ les pièces produites par la Fronde dans ses diverses phases, du mois de janvier 1649 au mois d’octobre 1652, et encore ne comprend-il pas dans ce nombre celles qui sont restées manuscrites, et qui peuvent entrer pour un quart dans le chiffre total. M. Leber (De l’état réel de la presse et des pamphlets jusqu’à Louis XIV) pense que ce ne serait pas exagérer ce chiffre que de le porter à sept ou huit mille. Les contemporains en parlent comme d’essaims de mouches et de frelons qu’auraient engendrés les plus fortes chaleurs de l’été[1]. La Fronde a duré quatre ans, et à peine trois mois s’étaient-ils écoulés depuis la déclaration de la révolte que les Mazarinades se comptaient déjà par centaines. L’Interprète des écrits du temps, s’adressant au Cardinal, vers la fin de mars 1649, annonce huit cents nouveaux venus depuis le mois de janvier précédent :

Huit cens petits livres nouveaux
Qu’on appelle brides à veaux.

Mais la qualité ne répondait pas à la quantité :

Pour moi, après les avoir lus,
Je les nomme des amusettes
Et des tire-sols de pochettes :
Car, interprétant sainement
Le fort de leur raisonnement,
Ôtez les mots qui vous accusent,
Ce sont des fous qui s’y amusent.

Jamais pareille explosion n’avait éclaté en France ; jamais, même pendant les guerres de religion, les publications politiques n’avaient pris de pareilles proportions. C’est que la Fronde combattit avec la plume beaucoup plus qu’avec l’épée. On discutait dans le Parlement, on bavardait dans les ruelles, et toutes ces grandes colères se dissipaient en paroles et en libelles. Tout le monde se mêlait d’écrire. « Il n’était enfant de bonne mère, il n’était véritable Français, qui ne se crût obligé de donner une pièce au public. » — « C’est une chose admirable, dit le Remerciement des imprimeurs à Monseigneur le Cardinal Mazarin (1649), de quelle façon nous travaillons. Votre vie est un sujet inépuisable pour les auteurs et infatigable pour les imprimeurs… Il ne se passe pas de jour que nos presses ne roulent sur plus d’un volume de toute sorte d’ouvrages, tant de vers que de prose, de latin que de français, tant en caractères romains qu’italiques, canon, gros-canon, petit-canon, parangon, gros-romain, saint-augustin, cicéro, etc. Une moitié de Paris imprime ou vend des imprimés, l’autre moitié en compose : le Parlement, les prélats, les docteurs, les prêtres, les hermites, les religieux, les chevaliers, les avocats, les procureurs, les clercs, les secrétaires de Saint-Innocent, les filles du Marais, enfin le cheval de bronze et la Samaritaine, écrivent et parlent de vous. Pierre du Guignet[2] ne saurait plus garder le silence, qu’ont rompu des flatteurs, puisque les morts mêmes ressuscitent pour venir dire leur sentiment de la conduite de Votre Excellence. Les colporteurs courbent sous le poids de leurs imprimés en sortant de nos portes ; ils ne font pas cent pas qu’ils ne soient soulagés du plus pesant de leur fardeau, et ils reviennent à la charge avec une chaleur plus que martiale. »

Guy Patin, dans ses lettres, parle de ce débordement à peu près dans les mêmes termes :


On a fait ici courir depuis huit jours quantité de papiers volants contre le Mazarin ; mais il n’y a encore rien qui vaille. Même j’apprends que le procureur général en a fait des plaintes au Parlement, qui a ordonné que l’on empêchât l’impression et la distribution de ces écrits satyriques et médisants ; mais je pense que toutes ces défenses n’empêcheront pas d’en imprimer, à mesure qu’ils en auront. Et entre autres ils ont imprimé un journal de tout ce qui s’est passé depuis le mois de juin au Parlement. Le cardinal est sanglé là dedans tout au long et très-vilainement, comme il le mérite. Il me semble que c’est la meilleure pièce de tout ce qui s’est fait mais je ne sais pas ce qui se fera à l’avenir. (27 janvier 1649.)


Déjà à cette époque il prévoyait qu’on formerait la collection de ces libelles, et qu’on réimprimerait les meilleurs : « Il y en a déjà environ cent cinquante ; mais je ne crois pas que le tiers en mérite l’impression. » Plus loin, dans la même lettre, il répète qu’on en imprime de tous côtés, « tant en vers qu’en prose, tant en français qu’en latin, bons et mauvais, piquants et satyriques, il n’importe ; tout le monde y court comme au feu. » (15 mars 1649.) Dans une lettre suivante on lit ceci : « Il y a ici horriblement de libelles contre le Mazarin. Quand on ne prendrait que les bonnes pièces, il y en a pour en faire un recueil de cinq ou six tomes in-4o, à quoi j’apprends que l’on travaille, en ôtant et retranchant les mauvaise piècess. Cela est merveilleux et sans exemple qu’on ait pu dire tant de différentes choses d’un seul homme. » (2 avril 1649.) « Depuis quatre mois, écrit-il encore, à la date du 28 mai de la même année, les presses n’ont roulé que sur les paperasses mazarines, des meilleures desquelles on nous fait ici espérer qu’on fera un recueil en trois ou quatre tomes in-4o. »

Il faut dire aussi que le plus grand nombre de ces libelles parut à Paris, à une époque où l’absence complète de pouvoir répressif permettait aux moins courageux de tout dire et de calomnier impunément.

D’ailleurs, nous le répétons avec M. Moreau, l’énergie réelle, dans les publications de la Fronde, est en raison inverse de la quantité ; elles ne sont ni aussi vives, ni aussi spirituelles, que les pamphlets de la régence de Marie de Médicis, comme ces pamphlets eux-mêmes n’ont ni l’originalité, ni l’âcreté, ni la verve des libelles de la Ligue. Cela s’explique par l’abaissement des intérêts, d’où devait nécessairement résulter l’affaiblissement des passions : il y avait un abîme, en effet, entre les profondes et terribles passions de la Ligue et le bouillonnement superficiel de la Fronde. Celle-ci, néanmoins, a produit des pièces très-hardies, très-importantes, qu’il faut toujours consulter pour la vérité de l’histoire, et un plus grand nombre de pièces très-amusantes, très-gaies, qu’on peut lire encore. Tout alors s’écrivait en vers, les controverses comme les récits. Cet usage, nous dirions presque cet abus de la poésie, est un des caractères extérieurs de la Fronde, et à son tour la poésie de la Fronde a un caractère propre : elle est burlesque. Le burlesque était le genre à la mode depuis le Typhon de Scarron, publié vers 1640, et il faut avouer que, si un événement politique prêta jamais à ce genre, ce fut bien la guerre de la Fronde.

Aussi est-ce par ce dernier côté surtout, par leur peu de sérieux, disons mieux, par leur caractère burlesque, que se distinguent les pamphlets de la Fronde, où, du reste, il y a de tout, de la grossièreté, du cynisme, de la bigoterie, de l’impiété, de l’esprit, de la verve, parfois même du bon sens, et ce caractère est surtout frappant dans les Mazarinades de 1649, qui offrent quatre pièces bouffonnes pour une sérieuse. Scarron et les poètes burlesques ses rivaux étaient devenus les vrais publicistes du parti. L’accent italien de Mazarin est, pour ces premiers pamphlétaires, un texte plus fécond que la misère du peuple ; on se moque du ministre plus encore qu’on ne le maudit ; sans compter que bon nombre de libellistes se moquent à peu près impartialement de tout le monde. La Fronde, il faut bien le dire, n’avait pas la foi ; elle n’était pas très-convaincue de la justice de sa cause, et elle croyait peu à son succès. De là vint qu’elle ne sut ni négocier ni combattre ; de là vint aussi qu’elle fut, dans l’esprit de ses contemporains, justiciable du burlesque. Toutes les agitations, les tumultes, ne suffisaient pas pour cacher aux yeux les moins ouverts l’impuissance des partis, et les haines contre Mazarin, si vives qu’elles fussent, ne faisaient pas illusion sur le désintéressement des princes et des seigneurs. Le peuple lui-même ne s’y trompait guère, et il trouvait bon qu’on l’amusât aux dépens des généraux qui lui « ferraient la mule, » des soldats citoyens qui « ne passaient pas Juvisy, » et aussi un peu du Parlement, où il voyait assis sur les fleurs de lys tant d’enfants de la maltôte.

Les pièces burlesques sont, d’ailleurs, infiniment supérieures aux autres par la forme ; quant au fond, l’on comprend avec quelle réserve il les faut accueillir. Le burlesque ne se pique pas d’exactitude, de raison ou de justice ; son rôle, son but, a été surtout de provoquer le rire par l’ironie, par le sarcasme, par l’invective. Il ne juge pas, il ne raconte pas même ; il raille, il veut être plaisant, spirituel, et il y réussit souvent. Il a des saillies ingénieuses, des boutades piquantes, des railleries fines ; il a même rencontré quelques éclairs de passion dans l’audacieux cynisme de ses insolences. Mais son sel est d’ordinaire fort gros ; le nom qu’il porte dit assez qu’il n’a souci ni de la délicatesse, ni de la mesure, ni de la convenance, et souvent, dans les mots comme dans les pensées, il brave l’honnêteté. Son excuse est dans des habitudes de langage qu’il a reçues, qu’il n’a point faites, dans l’état d’une civilisation qui tenait beaucoup au fond, mais peu à la forme, enfin dans la facilité avec laquelle il jetait au vent de la curiosité ses compositions, destinées à disparaître avec les opinions et les circonstances qu’elles avaient pour objet de servir[3]

La Fronde était née, comme on le sait, d’une question d’impôt, dans laquelle le Parlement s’était posé en défenseur du peuple contre des exigences, des vexations, devenues intolérables. Ces vexations, comme tous les maux de l’État, étaient imputées à Mazarin. Aussi les premiers pamphlets, en 1649, roulent-ils principalement sur le Cardinal et sur la maltôte :

Depuis tantôt cinq ou six ans,
L’avarice des partisans,
Traitans, sous-traitans, gens d’affaire,
Race à notre bonheur contraire,
Pillait avec impunité
Les biens du peuple en liberté,
Et, sous prétexte du tariffe,
Rien ne s’échappait de leur griffe.
Ce mal nous allait dévorant,
Et, comme l’on voit un torrent
Tombant du sommet des montagnes,
Se répandant sur les campagnes,
Étendre partout sa fureur,
Porter la crainte et la terreur
Dans les villes, dans les villages,
Ainsi l’excès de leurs pillages,
Comme celui de leur pouvoir,
Nous réduisait au désespoir,
Quand le bon démon de la France,
Touché de voir notre souffrance,

Fit que, perdant le jugement,
Ils se prirent au Parlement…[4]

Après les pièces financières et mazariniques, ce qui abonde le plus dans les libelles de la première année, ce sont les visions, les apparitions, les pronostications, pièces généralement sans art et sans esprit. Enfin un certain nombre de cayers, comme on disait alors, étaient consacrés aux louanges du Parlement. Le Parlement gouvernait alors, il était véritablement le roi de la Fronde : il devait avoir ses courtisans et ses flatteurs. Au reste, les Mazarinades de 1649 ne touchent que bien rarement aux grosses questions de la politique.

L’année suivante les pamphlets sont devenus raisonneurs, bavards ; ils traitent avec une certaine liberté des affaires du Gouvernement ; ils roulent principalement sur les négociations de Munster, les prétentions du prince de Condé et la prison des Princes. Il y en a qui laissent reparaître l’aigre levain du vieux parti de l’étranger et du fanatisme, et qui osent reprocher à Mazarin le traité de Westphalie comme contraire à l’Église, et la révolte de Naples contre son souverain légitime ; d’autres, dans un esprit tout opposé, l’accusent de n’avoir pas dignement continué son illustre prédécesseur.

En 1651, année qui vit l’alliance des deux Frondes, puis leur rupture et la guerre des Princes, les pamphlets pleuvent comme grêle et redoublent de violence. Ils prennent alors un caractère d’audace qu’ils n’avaient pas encore eu ; ils abordent sans hésitation les questions les plus hautes, les plus ardues, les plus irritantes. Le Mazarin est encore poursuivi avec rage ; mais c’est surtout contre la reine qu’ils s’acharnent. Et ils s’attaquent non-seulement aux personnes royales, mais même à la monarchie : on voit reparaître les républicains de la Franco-Gallia et du Junius Brutus. « On ne parlait publiquement dans Paris que de république et de liberté, en alléguant l’exemple de l’Angleterre, et l’on disait que la monarchie était trop vieille et qu’il était temps qu’elle finît. » C’est, du reste, l’époque des pamphlétaires les plus illustres : Gondi, Joly, Sarrazin, Patru, Caumartin, Portail ; après lesquels on peut encore citer Dubosc-Montandré, les deux Laffémas, Du Châtelet, Verderonne, l’auteur de l’Agréable récit des Barricades, dont nous avons cité tout à l’heure quelques vers, et qui est sans contredit la plus spirituelle et la meilleure pièce burlesque du temps ; Davenne, Mathieu de Morgues, Sandricourt, Du Pelletier, Jamin, Mercier, Mathieu Dubos, Du Crest, etc., etc. C’est seulement alors, en effet, qu’on voit intervenir dans la guerre des pamphlets des personnages et des littérateurs connus ; jusque là la polémique avait été à peu près abandonnée aux écrivains de la Samaritaine et aux secrétaires de Saint-Innocent. Disons d’ailleurs que les pamphlets sont très-rarement signés, et que, quand ils le sont, c’est le plus souvent d’un nom à peu près inconnu aujourd’hui ou d’un pseudonyme.

Les tiraillements qui signalèrent l’année 1652 imprimèrent une nouvelle face aux pamphlets. Le peuple ne pouvant percer les mystères de l’intrigue, une espèce de fièvre agitait cette multitude ardente et passionnée, que ses chefs officiels prétendaient retenir dans une neutralité impossible. La foule était arrivée, par excès d’impatience, à détourner presque son courroux du Mazarin pour le rejeter sur les corps constitués, qui ne savaient ni ramener amiablement le roi à Paris, ni chasser Mazarin par la force ; et la réaction allait sans cesse grandissant contre l’aristocratie de robe. Désabusée de toutes les espérances fondées sur le Parlement, flottant de l’abattement à la fureur, mais désirant par-dessus tout la paix, la population parisienne avait fini par se tourner vers les Princes, non par sympathie, mais par manière de pis-aller. Il y a de curieuses observations à faire sur les pamphlets publiés vers cette époque dans l’intérêt des Princes : la violence démagogique y perce sous la violence nobiliaire. Le type de cette combinaison d’éléments hétérogènes, c’est l’infatigable libelliste Dubosc-Montandré, que nous avons déjà cité, personnage singulier, écrivain incorrect et confus, mais qui s’élève parfois jusqu’à l’éloquence. Il était, dit-on, aux gages du prince de Condé. En effet, s’il attaque à la fois les usurpations royales et les usurpations parlementaires, s’il soutient que la plénitude de la souveraineté n’appartient qu’aux états-généraux, que les lois fondamentales sont au-dessus des rois, et les états-généraux au-dessus des lois fondamentales, c’est, à ce qu’on peut croire, au profit de l’aristocratie, puisqu’il ajoute que « les rois ne peuvent former d’entreprises de conséquence sans l’aveu des princes de leur sang et des grands de leur état » ; que les ministres « ont ôté la connaissance du gouvernement aux véritables administrateurs en éloignant les nobles, et en appelant, pour les remplacer, des bourgeois. » Dans un autre de ses pamphlets, cependant, dans le Point de l’Ovale, où il poussait avec une exaltation féroce à l’extermination de tout le parti mazarin et absolutiste, et qui fut condamné par le Parlement, éclate, comme une dissonnance terrible, ce cri échappé du fond des entrailles du peuple : « Les grands ne sont grands que parce que nous les portons sur nos épaules ; nous n’avons qu’à les secouer pour en joncher la terre. » C’est l’épigraphe que Loustalot, un siècle et demi plus tard, inscrivait en tête de son journal les Révolutions de Paris : « Les grands ne nous paraissent grands que parce que nous sommes à genoux… Levons-nous ! »

On peut juger par là de la confusion dans laquelle étaient tombés les esprits en 1652. La Fronde était aux abois.

Il ne faudrait pas croire que le parti de la Cour soit demeuré sans réplique. Dès les premiers jours Mazarin avait manifesté l’intention d’accepter la lutte avec la Fronde sur le terrain de la publicité, et d’opposer aux pamphlétaires ses écrivains à lui. On lit dans un de ses agendas[5] qui sont parvenus jusqu’à nous cette note, remontant à 1648 : « Court un livre en latin contre moy dont la conclusion est que je m’entends avec le Turc, et que absolument je lui délivreré l’Europe, si on me laysse faire, etc. Le vray moyen pour dissiper toutes ces méchancetez, ce serait de faire un livre dans lequel on dit contre moy tout ce qui peut tomber dans l’esprit de plus méchant, afin que, etc. » Cet etc., qui forme la conclusion de plusieurs notes des agendas, est facile à interpréter : l’exagération des calomnies devait en être le remède. Là est peut-être l’explication de la violence ou du ridicule de certaines pièces.

Lorsque la Cour se retira à Saint-Germain, Mazarin se fit suivre par une imprimerie, dont il donna la direction à Renaudot. C’était bien le moins que la Cour eût ses presses à elle, quand le duc d’Orléans, le prince de Condé, le Coadjuteur, et jusqu’au maréchal de l’Hôpital, avaient leurs imprimeurs en titre, qui faisaient, pour ainsi dire, partie de leur maison militaire. Cependant les pamphlets mazarins ne sont pas très-nombreux, ils sont à peine un contre vingt ; mais on doit convenir qu’ils ne sont pas aussi inférieurs en esprit et en raison qu’ils le sont en nombre.

Rentré à Paris, Mazarin fit répondre une fois pour toutes aux pamphlets par un gros livre, œuvre d’un homme d’un grand savoir et d’un esprit vaste et original, mais que ses habitudes d’érudition un peu diffuse ne rendaient pas essentiellement propre à la polémique : c’était Gabriel Naudé. Le Mascurat de Naudé fut comme la Ménippée de la Fronde ; mais il ne vaut pas l’ancienne Ménippée, et n’a pas, comme elle, survécu aux circonstances qui l’avaient fait naître[6]. Il ne fit du reste que fournir un nouvel aliment aux passions, que rien ne pouvait refréner. Mais on sait que Mazarin, pour sa part, finit par en prendre philosophiquement son parti, regardant avec la plus profonde indifférence ce furieux débordement d’injures. Et quand on pense qu’on se barricadait, au dire de Tallemant, pour lire la Miliade, pamphlet contre Richelieu, publié à Anvers, on ne peut s’empêcher d’admirer la patience débonnaire de son successeur.

Cependant le Parlement, voyant que certains libellistes ne respectaient ni le ciel, ni la terre, ni même l’autorité de la Compagnie, fit, à diverses reprises, des efforts pour réprimer cette licence effrénée ; mais tous ces efforts ne pouvaient avoir grand résultat dans une pareille crise ; les pamphlets semblaient, au contraire, se multiplier sous les sévérités de la justice. En vain


Par arrêt il fut défendu
Qu’on n’imprimât plus aucun livre

Dont le débit avait fait vivre
Quelque misérable imprimeur
Et quelque burlesque rimeur,
Qui, comme un second Mithridate,
Était plus friand qu’une chatte
Du poison qui le nourrissait
Dans l’instant qu’il le vomissait.
............
Cela ne fit que ranimer
Cette criminelle manie.
............
On ne vit onc tant de satires.


C’est au commencement de la conférence de Ruel, en 1649, qu’on essaya de réagir contre ce débordement.


Lorsque, sans empêchement,
Paris vit naître l’espérance
D’une fourrée conférence,
On commença de réprimer
Cette licence d’imprimer.
Lieutenant civil et commissaires,
............
Pour empêcher de barbouiller,
Chez les imprimeurs vont fouiller,
De nuit, par cruauté extrême,
Jusque dedans la cave même.


La police avait recours à d’autres moyens encore ; on lit dans une Mazarinade, le véritable ami du public (1649) : « Ceux qui liront ces cahiers apprendront qu’ils ont été déchirés, ayant été pris dans l’imprimerie par un méchant espion de Mazarin, duquel on ne se donnait point de garde, parce qu’il est de l’art de l’imprimerie, et, comme un double traître, sert d’instrument aux ennemis pour découvrir et accuser les autres. J’avais encore la mémoire fraîche de mon écrit quand j’ai su qu’il avait été ravi et porté à M. le Lieutenant civil. »

Plusieurs imprimeurs même furent mis en prison, d’autres obligés de se cacher.


Soyons sages, par exemple.
Voyons La Caille, ou bien Monet,
Dont le premier fut mis tout net
Dedans une affreuse demeure
Où la nuit se trouve à toute heure.
Même sort serait pour rimeur
Que fut celui de l’imprimeur[7].


Mais rien n’y faisait.


On ne peut empêcher d’écrire
Par menace ni autrement,
Et les arrêts du Parlement
N’ont pas assez de suffisance
Pour empêcher la médisance[8].


Seulement les imprimeurs prirent plus de précautions pour se soustraire aux poursuites. On sait que les pamphlets sur copie imprimée à Bruxelles, à Anvers sortaient des presses de Paris : on vit alors


Sortir au jour, sans nom ni marque,
De la presse de Variquet,
Prevetay, Sara, Cottinet,

Qui ne se vend et ne s’achète
Qu’entre chien et loup, en cachette,
Des satyriques ouvrages en vers
Jouxte sur exemplaires d’Anvers[9].


Le duc d’Orléans crut donc devoir interposer son autorité, se flattant qu’elle serait plus écoutée que celle du Parlement. Il s’adressa au Corps de ville ; il fit entendre aux magistrats de la cité « qu’il s’étonnait fort des bruits qui se répandaient dans Paris, et encore plus de ce qu’on y laissait impunément composer, imprimer, vendre et débiter ouvertement une foule de libelles infâmes, dont les auteurs n’avaient pour but que de surprendre, par les calomnies qu’ils y insèrent, les personnes simples et faibles, et, leur faisant croire que Leurs Majestés ont des intentions contraires à leur repos, les soulever contre elles » ; et il conclut en demandant, au nom du roi, qu’on prît des mesures pour réprimer une pareille audace.

Le Corps de ville, se rendant à ses instances, ordonna aux colonels et quarteniers d’assembler les capitaines, lieutenants et enseignes de chaque colonelle, les cinquanteniers et dixeniers de chaque quartier, pour leur faire entendre les bonnes intentions de la reine, et les inviter à empêcher de tous leurs moyens la publication des libelles diffamatoires, « en se saisissant de ceux qui les composeraient, imprimeraient, vendraient et débiteraient, pour les mettre ès mains des juges ordinaires, et même prêter main forte à ceux-ci en cas de nécessité. » Mais ce n’était pas assez que d’arrêter les coupables et de les juger. Un imprimeur avait été condamné deux fois, par le Châtelet et par le Parlement, à être pendu, pour avoir publié une pièce de vers très-injurieuse à l’honneur d’Anne d’Autriche (la Custode du lit de la Reine) : comme on le conduisait au gibet, la multitude se jeta sur les archers, et le tira par force de leurs mains[10].




Les Auteurs des Mazarinades. — Comment elles étaient composées, imprimées et vendues.


Nous avons nommé les principaux pamphlétaires ; il est aisé de comprendre qu’il dut y en avoir de plusieurs espèces dans cette longue succession d’intérêts et d’événements qui constituent la Fronde. Les uns ont été acteurs directs dans cette tragi-comédie, et la plume de ceux-là obéissait à une conviction personnelle ou aux exigences d’un parti.

Tel fut le cardinal de Retz, dont la nature remuante et aventureuse se plaisait au milieu de ces luttes, où son esprit brillait de toutes ses qualités. La presse, dont il avait bien vite compris la force et la portée, devait être un puissant moyen d’action dans des mains si hardies ; aussi le vit-on tout d’abord s’en servir comme d’une arme contre ses adversaires, et comme d’un marche-pied pour son ambition. Chacune de ses démarches avait un premier-Paris sous forme de Mazarinade. Ainsi, au retour de sa fameuse démarche à Compiègne, il écrit : « Il y eut dès le lendemain un libelle qui mit tous mes avantages dans leur jour. » Du reste, il convient lui-même, dans ses Mémoires, de sa participation à cette guerre de plume ; il se reconnaît l’auteur de plusieurs pamphlets et se vante d’avoir été l’instigateur d’un plus grand nombre. Ses aveux à ce sujet sont pleins d’une rare franchise. Parlant d’un pamphlet de Marigny qui avait produit un grand effet, il ajoute : « Je pris cet instant pour mettre l’abomination dans le ridicule, ce qui fait le plus dangereux et le plus irremédiable de tous les composés[11]. « Dans son grand discours à M. de Bouillon, en 1649, s’identifiant avec les auteurs des libelles, il dit : « Nous égayons les esprits par nos satires, par nos vers, par nos chansons ; le bruit des trompettes, des tambours et des timbales, la vue des étendards et des drapeaux, réjouit les boutiques[12]. » Et en 1652 il reprend son ardeur, un moment endormie : « Les libelles recommencèrent, et j’y répondis. La trêve de l’écriture se rompit, et ce fut dans cette occasion, ou au moins dans les suivantes, où je mis au jour quelques-uns de ces libelles[13]. »


Mazarin n’ignorait pas la part que prenait Gondi aux pamphlets dirigés contre lui. On lit dans ses agendas : « Le Coadjuteur continue à faire imprimer des libelles et faire des gazettes par Ménage que on envoie par les provinces écrites à la main et on fayt courir par Paris. » À la date de juillet 1650 on trouve cette note significative : « Fayre quelque papier et l’imprimer, pour informer le peuple du sujet de mécontentement du Coadjuteur, un autre, de sa vie et mœurs, et comment sa maison s’est établie en France. » Cette pièce fut, en effet, rédigée par le fameux d’Hozier. Cinq ans plus tard, en juillet 1655, Mazarin adresse au pape un factum intitulé : Mémoire des crimes sur lesquels le procès doit être fait au cardinal de Retz, et les pamphlets figurent au nombre des griefs dont il le charge : « Que ledit cardinal de Retz a été auteur de toutes les persécutions faites à monsieur le cardinal Mazarin, de tant de libelles infâmes contre son honneur et de tant d’arrêts contre son bien et sa vie, qu’il semble s’être rendu indigne de jouir des priviléges d’un caractère qu’il a si fort méprisé et outragé. »


Gondi, pour réussir plus sûrement à mettre l’abomination dans le ridicule, s’était choisi d’habiles auxiliaires. Il s’était entouré d’amis et de serviteurs, tels que Sarrazin, Marigny, Portal, Caumartin, et avait constitué au petit archevêché un comité de rédaction dont il était l’âme, et d’où partaient, avec un merveilleux à-propos et une incessante activité, des journaux, des pamphlets, des libelles de toute espèce. Dans cette association de gens d’esprit, Ménage, si nous en croyons la note de Mazarin que nous venons de citer, s’était chargé des gazettes. Ces papiers volants se passaient sous le manteau, dans les ruelles et dans les cercles, jusqu’au moment où, suivant leur mérite, quelque libraire s’en emparait et les livrait au public en feuilles imprimées.

C’étaient là les lutteurs les plus sérieux.

Certains libellistes, écrivains mercenaires, s’étaient vendus à une coterie ou à un homme. Quelques-uns composaient des pamphlets pour s’amuser ; quelques-autres spéculaient sur la vente de leurs écrits. Puis il y avait la tourbe des séditieux qui ne demandaient qu’à faire du bruit, et des affamés qui cherchaient dans le scandale leur pain de chaque jour. Quelques barbouilleurs de papier se mettaient aux gages des libraires, et s’engageaient, moyennant une pistole, à « faire rouler la presse » toute la semaine.

Enfin, dit M. Leber, comme si le libellisme eût été un devoir pour toutes les classes de la société, on voyait des muses improvisées en cottes de bure et en cornettes, des héros de cuisine chanter les héros de la Fronde, et faire, au lieu d’un brouet pour Monsieur, une brochure pour la veuve Coulon[14]. La pièce intitulée Les admirables sentiments d’une villageoise à Monsieur le Prince, et plusieurs autres niaiseries du même genre, sont, dit-on, de la servante d’un libraire, « qui en faisait, dit Naudé, après avoir écuré ses pots et lavé ses écuelles. » C’était à qui donnerait son coup de pied au ministre proscrit.

En général, les élucubrations de ces faiseurs, les vers comme la prose, se payaient à la rame, 3 livres ou un écu, c’est-à-dire que l’auteur recevait 3 livres par rame de papier imprimé.


Hélas ! que nous serions contents
Si vous en vendiez quatre rames…
Car nous en aurions quatre écus[15].


Quand la pièce promettait par sa violence ou son obscénité un succès de scandale, l’imprimeur allait jusqu’à 4 livres ; mais c’était fort rare, et il lui arrivait bien plus souvent de marchander les pauvres composeurs de rimes burlesques et de leur faire attendre leur maigre salaire.


        Lorsque sans honte
Ils nous entendaient commencer
Le discours de nous avancer
de l’argent pour boire chopine,
Ils nous faisaient fort froide mine ;
Et après, avec un œil doux,
Ils nous disaient : « Voilà cinq sous ;
Sans doute vous aurez le reste,
Croyez-le, l’on vous en proteste,
Quand le papier sera vendu. »
Ayant leur propos entendu,
Nous disions sans arrogance :
« Messieurs, nous aurons patience… »
Le lendemain, l’heure arrivée
Que la pièce était achevée,
Nous étions prêts pour aller voir,

Comme c’était notre devoir,
Si la pièce s’était vendue.
Lors, d’une mine morfondue
Ils nous disaient qu’en vérité
L’on n’en avait pas acheté
Une rame du tout entière,
Et qu’ainsi nous ne gagnions guère.
Et, pour un peu nous consoler,
Ils commençaient à nous parler
Qu’ils croyaient même que les pies
Fissent, comme nous, des copies,
Car plus de trente tous les jours,
Toutes diverses, avaient cours.
Mettant la main à la pochette,
Ils nous disaient : « Je vous regrette,
Votre peine mérite plus. »
Après ces discours superflus,
Ils nous donnaient quelque monnoie,
Pour nous mettre le cœur en joie,
Nous promettant qu’à l’avenir,
Afin de nous entretenir,
Ils nous donneraient davantage[16].


Aussi pourrait-on dire que les libraires en avaient pour leur argent. Ils n’y mettaient pas, du reste, à ce qu’il paraît, beaucoup d’amour-propre, car la forme de ces libelles ne vaut d’ordinaire pas mieux que le fond. Publiés en général par les libraires du mont Saint-Hilaire, ils se ressentent du lieu qui les a vus naître ; il n’y en a peut-être pas un qui ne soit corrompu par les fautes les plus grossières ; les vers, souvent trop longs ou trop courts, y outragent la mesure, et les mots y sont altérés d’une façon si déplorable qu’ils en deviennent parfois inintelligibles.

Les Mazarinades étaient vendues par une foule de colporteurs, qui les criaient dans les rues dès le matin, sortant de la presse, « à la même heure, dit Naudé, qu’anciennement à Rome on vendait le déjeuner des petits enfants » ; ils les assaisonnaient de superbes boniments, comme les crieurs d’aujourd’hui leurs canards.


Avecques leurs longs préambules
Je les trouve si ridicules,
Qu’ils me font tous mourir de rire[17].


Le prix courant était de deux liards le feuillet ou cahier : Ceux, dit une Mazarinade.


Qui veulent avoir quelque chose,
Soit en vers ou bien soit en prose,
Ils paient deux liards le cahier.


Et les colporteurs avaient pour salaire une remise d’un quart sur le montant de la vente.


Six deniers pour quatre feuillets
Entrent dans mon gousset tout nets,
L’imprimeur payé de sa feuille[18].


Et à ce taux le métier ne laissait pas que d’être bon, si l’on en juge par le succès de quelques Mazarinades, vendues jusqu’au nombre de cinq ou six mille exemplaires[19]. Aussi ne comptait-on pas moins d’un millier de colporteurs.


Grâce aux bons et mauvais auteurs,
Mille offices de colporteurs,
Tous de création nouvelle,
Font braire à pleine cervelle,
Et d’un stentorique gosier,
Chargés de boutiques d’osier,
Cent et cent marchands de gazettes.


Ce qui est certain, c’est que cette guerre à coups de plumes fit vivre une multitude de gens, écrivains, imprimeurs, colporteurs, etc., que l’autre guerre avait réduits à la misère. Nous avons déjà cité un Remerciement des imprimeurs à Mazarin ; on trouve encore dans les Mazarinades un Burlesque remerciement des imprimeurs et colporteurs aux auteurs de ce temps,


            Par un imprimeur
Qui ne fut jamais grand rimeur,
Qui ne sait règle ni méthode,
Mais qui fait des vers à sa mode,
Que l’on chante sur le Pont-Neuf,
L’an mil six cent quarante-neuf.


En voici quelques passages :


C’est un métier de grand tracas
De composer tant de fracas,
De fadaises, de goguenettes,
De bagatelles, de sornettes.
Il est vrai qu’ils se vendent mieux
Que tous ces ouvrages pieux
Qu’on imprime, la Quarantaine,
Dont l’on ne vend qu’un par semaine.
Sans tous ces petits rogatons,
Sans les Condés et les Gastons,
Sans les pasquils et vaudevilles,
Sans les écrits les plus habiles,
Sans Rivière et sans Cardinal.
Nous allions bien souffrir du mal ;
Sans le petit bossu en poche[20]
Notre ruine était bien proche,
Et sans les riches curieux
Ma femme eût bien chié des yeux,
Les libraires, la librairie,
Les imprimeurs, la confrérie,
Les relieurs et les colporteurs,
Eussent souffert de grands malheurs ;
Enfin, sans ces petits ouvrages,
Les demi-seins, les pucelages,
Les bagues et les beaux atours,
Eussent fait échauffer les fours ;
Il eût fallu emprunter, vendre,
Mourir de faim ou s’aller pendre.
Mais, grâce à tous ces bons esprits,
Nous ne sommes point là réduits ;

Les sous, les deniers, pêle-mêle,
Tombent sur nous comme la grêle,
Quand quelque chose de nouveau
Vient de chez nous ou du Bureau[21].


C’est l’imprimeur qui parle ainsi ; vient ensuite le tour du colporteur, qui commence son compliment par une épigramme :


Graves auteurs de rogatons
De qui chacun fait grande estime,
Soit pour la prose ou pour la rime,
Je crois que vous étiez cachés
Aussi loin que nos vieux péchés,
Alors que toutes les maltôtes
Voulaient opprimer tous les hôtes ;
Car en ce temps les sansonnets
Comme poissons étaient muets.
L’éclat de la rouge calotte
Vous donnait à tous la menotte ;
Mais s’en allant à Saint-Germain,
Il vous a délié la main.
Vos écrits, l’encre, l’huile ou graisse
Ont bien fait cheminer la presse ;
Les partisans ou maltôtiers
Ont bien relevé nos métiers.
Nous avions aussi triste mine
Que le pain à la mazarine
Quand la démangeaison a pris
À tous vos excellents esprits.
Nous sommes huit cents, voire mille,
Qui tous les jours courons la ville,
Depuis le matin jusqu’au soir,
Offrant, par un humble devoir,

Vos œuvres à qui les demande ;
Et si ne faut point qu’on marchande :
Six deniers pour quatre feuillets
Entrent dans mon gousset tout nets,
L’imprimeur payé de sa feuille.
Que cela dure, Dieu le veuille !
Car pourtant sans le partisant
Nous serions tous morts à présent.
Je vous remercie, orateurs,
Rares esprits, braves auteurs,
Composeurs de rimes burlesques,
Inventeurs de titres grotesques[22],
Avocats, pédants, écoliers,
Qui fessiez si bien les cahiers :
Vos ouvrages, faits à l’envie,
Nous ont à tous sauvé la vie.
Si vous continuez toujours
À faire de pareils discours,
Pourvu qu’on ne nous fasse niche,
Chacun de nous deviendra riche,
Et je dirai, comme dit on :
Quelquefois le malheur est bon.
Pour acquérir de la finance,
Pourvu qu’on sauve la potence,
Et le fouet et la fleur de lys,
Baste du reste ! Je finis,
Après que, pour nos compagnies,
Je proteste à ces grands génies

Que ce qui viendra de leur part
Sera si matin et si tard
Crié par nous à voix si forte,
De rue en rue, de porte en porte,
Qu’ils auront grand contentement
D’ouïr publier hautement
La production de leur cervelle.


La paix de Saint-Germain arrêta un instant le commerce des pamphlets ; il faut entendre alors le Désespoir des Autheurs et escrivains de la guerre civile :


Hélas ! puisque la paix est faite,
Il nous faut sonner la retraite !
Nous ne pouvons plus dans Paris
Faire rouler avec grands cris
Les pièces que notre génie
Inventait pour la compagnie
De messieurs les colleporteurs,
Aussi bien que nous grands menteurs.
............
Maintenant que voilà la paix,
Que nous sommes bien attrapés !
Nous ne savons filer ni coudre,
Ni moins à quoi nous faut résoudre.
Alors que la guerre régnait,
Chacun de nous ne se plaignait :
Il faisait toujours bonne chère
Et se moquait de la misère ;
Il se levait de grand matin
Pour aller goûter du bon vin.
Son cœur était plein de liesse
Quand il avait fait une pièce
Qu’il portait à son imprimeur,
Aussi bien que lui bon grumeur.

Il travaillait ainsi qu’un barbe
Pour la copie de la barbe,
C’est-à-dire pour un festin
Qui durait depuis le matin
Jusque qu’il eût la rouge trogne
Semblable à celle d’un ivrogne.
Le lucre et la nécessité,
Le plaisir et la volupté,
Dans la passée conjoncture,
Nous ont contraints, je vous assure,
De forcer nos corps et nos sens
Pour faire trois mille cinq cents
Odes, poëmes et libelles,
Qui remplissaient nos escarcelles
D’argent, que selon nos désirs
Nous employions pour nos plaisirs.
Las ! il nous faut plier bagage,
Ce qui nous fait mourir de rage.


Mais la mêlée avait bientôt recommencé de plus belle, à la satisfaction de tous ces pauvres diables, et plus particulièrement des colporteurs : car le métier facile de colporteur était la ressource de ceux qui n’en avaient pas d’autre, et ils étaient nombreux alors ceux qui se trouvaient dans ce cas.


En ce temps difficile,
Personne n’a ni croix ni pile.
Les riches sont bien empêchés :
S’ils ont des biens, ils sont cachés ;
Les marchands ferment leur boutique ;
Les procureurs sont sans pratique ;
Les pâtissiers, pour le douzain,
Au lieu de gâteaux font du pain.
Les vendeurs de vieille ferraille,

Les crieurs d’huîtres à l’écaille,
Les apprentis et les plus gueux
Ne sont pas les plus malheureux,
Car, n’ayant aucun exercice,
D’abord, comme en titre d’office,
Eux et messieurs les crocheteurs
Se sont tous faits colleporteurs ;
Et sitôt que le jour commence ;
Crient, sans mettre d’Eminence :
Voici l’Arrêt de Mazarin,
Voici l’Arrêt de Mascarin,
La Lettre du cavalier George
(Si le nom n’est vrai, l’on le forge) ;
Puis, Voici le Courrier françois,
Arrivé la septième fois ;
Voici la France mal régie ;
Puis votre Généalogie ;
La Lettre au prince de Condé,
Qui vous a si bien secondé ;
Après, Maximes autentiques,
Tant morales que politiques ;
Remonstrances du Parlement,
Quï sont faites fort doctement ;
Item, la Lettre circulaire
À qui vous servez de matière ;
Lettre de consolation
À Madame de Chastillon.
Bref, tout au long de la journée,
Chacun, comme une âme damnée,
S’en va criant par ci par là
Et vers, et prose, et cœtera ;
Il n’importe pas sous quel titre,
Car c’est vous seul que l’on chapitre
Et sous d’autres noms quelquefois
On vous donne dessus les doigts.
De dire par quelle espérance

D’honneur, de gain, ou de vengeance,
Les bons et les mauvais auteurs
Donnent matière aux imprimeurs,
C’est ce que je ne puis bien dire.
Je sais bien qu’on en voit écrire
Quelques-uns par ressentiment,
Et d’autres par émolument ;
Et, comme chacun veut repaître,
Le valet qui n’a plus de maître
Ne voit point de plus prompt métier
Que de débiter le cayer[23].


Ce qui paraît certain, c’est que le métier de colporteur valait souvent mieux que celui d’écrivain, et l’on ne s’étonnera pas que plus d’un auteur ait quitté la plume pour le panier. On trouvait, du reste, des pamphlets et des journaux dans les boutiques, chez les apothicaires ; ils se vendaient dans les théâtres, et même aux portes des églises ; mais le principal commerce s’en faisait sur le Pont-Neuf, autour de la Samaritaine, qui était devenue « la bibliothèque commune de tout Paris, » dit un pamphlet de 1649[24]. Il y avait en outre une multitude de colporteurs clandestins, recrutés parmi les gens à qui leur état ouvrait la porte des maisons. « Les violons, dit l’auteur du Hasard de la Blanque renversée, sont devenus gazetiers ; comme ils sont dispos et légers du pied, ils vont d’un bout à l’autre de Paris en trois ou quatre caprioles, et, comme ils sont connus dans les plus grandes maisons, ils donnent des pièces d’état au lieu de sarabandes. »




Quelques indications historiques et bibliographiques.


Voici, d’après M. Leber, quelles sont, parmi ces myriades de pièces, celles qui se recommanderaient plus particulièrement à l’attention de l’historien :

Parmi les pièces historiques et politiques : le Théologien d’Estat, — Advis aux grands de la terre, — le Courtisan qui déclare ce qui est de l’autorité royale, — la France languissante, — Manuel du bon citoyen, — Lettre de deux amis sur la prise de la Bastille, — Discours d’estat et de religion, — Advis à la Reyne sur la conférence de Ruel, — les Maximes, — la Question décidée, — l’Épilogue du bon Citoyen, — le Catéchisme royal (excellent), — Advis contre le ministère étranger, — le Mouchoir, — Si la voix du peuple est la voix de Dieu, etc.

Le Catéchisme royal est peut-être la meilleure de toutes les Mazarinades de cette classe.

La plus fameuse est intitulée Remontrances de François Paumier (pseudonyme) au Roy sur le pouvoir et autorité que S. M. a sur le temporel de l’estat ecclésiastique. Paris, Ant. Étienne, 1650, in-4o. Cette brochure, qui excita beaucoup de rumeur, fut supprimée si exactement qu’on n’en connaît depuis longtemps que deux exemplaires.

La Mazarinade la plus scélérate est, à notre avis, le Tarif du prix dont on est convenu dans une assemblée de notables … pour récompenser ceux qui délivreront la France de Mazarin. 1652.

Parmi les pièces licencieuses, cyniques, effrontées, mais fortement frappées : le Ministre flambé, — la Plainte de Carnaval, — Dialogue de dame Perrette et de Jeanne la Crotée, — la Jalousie des c… de la Cour, — la Custode de la Reyne, qui dit tout, — la pure Vérité cachée, — la Famine, ou les putains à c…, — Imprécations contre l’engin de Mazarin, — le Tempérament des test… de Mazarin, — la Bouteille cassée attachée avec une fronde au c… de Mazarin.

Il y a encore une foule d’autres pièces spirituelles, comiques, originales, plus ou moins piquantes, qui mériteraient quelque distinction, telles que : la Mazarinade, — l’Éloge du gouvernement de Son Éminence, ou la Miliade (qu’il ne faut pas confondre avec la Miliade contre Richelieu, réimprimée dans le même temps), la Gazette de la place Maubert, — la petite Nichon, — les Paysans de Saint-Ouen, — les deux Guespins, — la Lettre au Cardinal burlesque, — la Question Dasticotée, — la Guerre des tabourets, — les Caquets de l’Accouchée, — les 1er et 2e Triolets, etc., etc.

Ce ne sont là, sans doute, que des indications bien sommaires ; pour les lecteurs qui voudraient approfondir ce sujet, nous ne pourrions mieux faire que de les renvoyer au Choix de Mazarinades publié par M. Moreau, et à son excellente bibliographie.


Les pièces imprimées en forme de lettres, de mémoires ou de volumes, n’étaient pas tout l’arsenal de la Fronde ; elle avait encore les placards collés sur tous les murs, et les illustrations satiriques au moyen de la gravure. Ainsi on accrocha un beau jour aux extrémités du Pont-Neuf des placards et des tableaux peints à l’huile, où l’on avait figuré le cardinal en rochet et en camail, la corde au cou, avec cette légende : JULES MAZARIN, pour avoir empêché par diverses fois la conclusion de la paix générale ; pour avoir publiquement vendu tous les bénéfices ; pour avoir suborné l’esprit de la cour ; pour avoir violé les lois du royaume, A ÉTÉ CONDAMNÉ À ÊTRE ÉTRANGLÉ ET PENDU.

Loret, homme de bon sens, écrivait à ce sujet, le samedi 5 novembre 1650 :

Jeudi, la nuit, quelques badauds
Attachèrent à des poteaux,
En assez vilaine posture,
Du cardinal la pourtraiture.
Cet acte, avec impunité,
Témoigne bien, en vérité,
Un règne impuissant et débile.
Je ne suis pas assez habile
Pour savoir s’ils ont droit ou tort ;
Mais je hais l’insolence à mort.

Un certain nombre de ces brochures sont accompagnées de gravures, sont illustrées, comme on dit de nos jours. C’était un moyen assuré d’en augmenter le débit, en piquant davantage la curiosité.

La publication des Mazarinades ayant eu lieu dans un espace de temps assez court, on les imprima presque toutes sur une même sorte de papier, plié petit in-4o, et, comme le dit Guy Patin, au moyen d’un titre général imprimé on put déjà de son temps en faire des volumes et en former des collections ; il en existe un grand nombre avec la reliure du temps. Ces collections sont très-nombreuses dans les bibliothèques publiques : Comme en toutes choses, la Bibliothèque impériale est la plus riche sous ce rapport, celle de l’Arsenal vient ensuite. La bibliothèque du Louvre compte en Mazarinades environ 60 volumes, la Mazarine une cinquantaine, et les bibliothèques Sainte-Geneviève et de la Chambre des Députés en ont chacune un assez riche contingent.

Plusieurs bibliographies de ces pièces fugitives ont été essayées, mais la plus complète est celle qui a été publiée pour la Société de l’histoire de France par M. C. Moreau[25], véritable travail de bénédictin, auquel on ne saurait donner trop d’éloges, et qui nous a été fort utile pour cette partie de notre travail, aussi bien que les Courriers de la Fronde publiés par le même dans la Bibliothèque Elzevirienne de M. Jannet.


Maintenant, s’il nous était permis d’exprimer notre opinion sur ces milliers d’écrits qu’on a baptisés du nom de Mazarinades, nous dirions qu’on n’en a pas fait assez de cas, qu’ils n’ont pas été mieux appréciés que la Fronde, dont ils sont l’expression, et qui demanderait assurément à être étudiée avec plus de soin et traitée avec plus de gravité qu’on ne l’a fait. Le cardinal de Retz dit quelque part dans ses Mémoires : « Il y a plus de soixante volumes de pièces composées dans le cours de la guerre civile, et je crois pouvoir dire avec vérité qu’il n’y a pas cent feuillets qui méritent qu’on les lise. » Mais il est permis d’appeler de ce jugement, par trop partial, qui a fait dire avec raison au Père Lelong qu’apparemment le Cardinal ne faisait cas que des pamphlets publiés par lui-même, et qui, en effet, ne comprennent guère moins de cent feuillets. Sans doute ce n’est qu’avec une extrême réserve que doivent être accueillis les faits mis en avant dans ces écrits, la plupart anonymes et qui portent l’empreinte de la violence des haines de parti ; le plus souvent les jugements sur les personnes sont injustes, les relations des faits inexactes et passionnées. Cependant, nous le dirons avec M. de Sainte-Aulaire, c’est par l’examen attentif de ces pamphlets plus que par l’étude même des bons ouvrages qu’il est possible de se faire une idée exacte et de l’esprit général du temps, et de la politique des divers partis. Si ce n’est pas à titre d’historien qu’on peut interroger le pamphlet, surtout le pamphlet burlesque, dit M. Moreau, il est fort utile de l’entendre comme témoin. Il est toujours l’écho et bien souvent l’organe d’un parti ou d’un homme. Il a écrit en présence des événements, sous l’influence du sentiment et des idées qui prévalaient alors, et qu’il a traduits à sa manière, pour le succès des controverses qui passionnaient le public, et dans lesquelles il est entré avec son caractère de dénigrement sceptique et d’impudente bouffonnerie. Il a été l’instrument de toutes les rivalités, de toutes les jalousies, de toutes les haines ; il s’est prêté à toutes les passions comme à tous les intérêts. C’est assez dire que son témoignage ne doit pas être reçu sans défiance ; mais les divers mouvements de cette société si agitée, dont il a suivi les variations, s’y reflètent avec une vivacité pleine d’enseignements ; et il y a tout un côté des mœurs publiques qu’il enlumine de couleurs éclatantes, qu’il éclaire d’une chaude lumière. C’est dans ses vers surtout qu’on voit bien la foule qui grouillait sur le Pont-Neuf, autour du cheval de bronze ou devant la Samaritaine, dès que le moindre bruit se répandait par la ville, et qui vociférait au Palais et jusque sous les piliers de la grand’salle dans les jours d’émeute. Sa langue même, toute parsemée de proverbes et de locutions proverbiales, d’expressions surannées, de termes populaires, sa langue est un curieux sujet d’étude et de réflexion.




LES JOURNAUX


Double jeu de Renaudot et de ses fils : la Gazette et le Courrier français. — Les Courriers burlesques de Saint-Julien. Autres essais.


Une chose étonnante, nous l’avons déjà dit, c’est que le privilége de la Gazette n’ait pas été englouti par cette marée montante de prose et de vers, c’est que le journalisme ne soit pas sorti de ce grand mouvement. Parmi les formes que pouvait revêtir la littérature polémique, celle du journal, connue déjà depuis près de vingt ans, semblait devoir être une des premières qui se présenteraient à l’esprit des pamphlétaires. Renaudot lui-même en jugeait ainsi, et un instant il parut craindre pour le monopole dont il était en possession ; une circonstance vint augmenter encore les appréhensions dont il n’avait pu se défendre envoyant s’engager la guerre des pamphlets.

Quand la Cour sortit de Paris, le 6 janvier 1649, Renaudot eut ordre de la suivre à Saint-Germain. Mazarin lui avait donné la direction de l’imprimerie qu’il faisait emporter, et qui fut établie dans un des appartements de l’Orangerie[26]. Outre la nécessité de faire imprimer les arrêts du Conseil, les lettres et les déclarations du roi, pour les répandre et les faire connaître, le Cardinal avait l’intention d’accepter la lutte avec la Fronde sur le terrain de la publicité, d’opposer aux pamphlétaires ses écrivains, d’avoir, comme le Parlement et les généraux, ses pièces de polémique et ses feuilles volantes. Pour cela, le fondateur de la Gazette était bien l’homme qu’il lui fallait : rompu aux habitudes de la controverse, il connaissait à fond toutes les petites finesses, toutes les ruses du métier qu’il avait exercé le premier.

Si Renaudot convenait à la fonction, la fonction aussi convenait fort à Renaudot : elle devait nécessairement l’affermir dans la faveur de la reine, du Cardinal, de la Cour, et l’aider par conséquent à conserver, malgré l’instabilité des choses à cette époque, le privilége de la Gazette. Il n’eut donc garde de refuser. Mais quitter Paris, c’était laisser le champ libre à la concurrence ; le Parlement pouvait autoriser la publication d’un journal, breveter quelque écrivain qui consacrerait son savoir-faire à le défendre. La guerre finie, qui l’emporterait, du gazetier du Palais-Royal ou de celui du Palais de justice ? Mazarin pouvait rester le maître, sans doute ; mais il pouvait être sacrifié ; ou bien encore la paix pouvait se faire par un compromis. Dans cette hypothèse, la Gazette serait-elle assez favorisée pour conserver son monopole ? Le cas était douteux. En politique habile, Renaudot marcha résolument contre la difficulté. Il avait deux fils, attachés avec lui à la rédaction de la Gazette ; il les laissa à Paris avec le plan d’un nouveau journal, et, pendant qu’il écrivait la Gazette à Saint-Germain pour la Cour, ses enfants écrivirent, à Paris, le Courrier français, journal du Parlement[27]. Qui sait même si Mazarin ne fut pas pour quelque chose dans ces calculs ? Il était assez fin pour cela. On pouvait présumer que le Parlement, qui gouvernait à Paris, voudrait avoir, comme la Cour, sa gazette à lui : n’était-il pas d’une habile politique, de la part du Cardinal, de la lui faire faire par des hommes à sa dévotion ?


Quoi qu’il en soit, la combinaison réussit au delà des espérances de Renaudot. La Gazette avait créé dans les habitudes des Parisiens un besoin de curiosité que les événements ne pouvaient que rendre de plus en plus vif. « Depuis les grands jusques aux petits, dit une Mazarinade que nous donnerons tout à l’heure, on ne parle d’affaires que par la Gazette. Les aisés les achètent et en font des recueils ; d’autres se contentent de les lire en payant des droits pour cette lecture, ou se cotisent entre eux pour l’avoir à moindres frais. » Aussi, dès les premiers jours du blocus, « les Parisiens, renfermés dans leurs murs, souffraient moins de la disette de pain que du manque de gazettes… Il semble que tout soit mort depuis que la Gazette n’existe plus ; l’on vit comme des bêtes, sans savoir ce qui se passe. »

Le Courrier français ne pouvait donc arriver plus à propos ; aussi son succès fut-il très-grand ; « le pain ne se vendait pas mieux ; l’on y courait comme au feu, l’on s’assommait pour en avoir ; les colporteurs donnaient des arrhes la veille, afin qu’ils en eussent des premiers ; on n’entendait, le vendredi, crier autre chose que le Courrier français, et cela rompait le cou à toutes les autres productions de l’esprit. » Il est vrai que ses rédacteurs étaient des gens habiles, les dignes fils de leur père ; et leur habileté leur était d’autant plus nécessaire, il leur était d’autant plus utile d’être « instruits de toutes les manigances qu’il fallait pratiquer, » qu’ils n’étaient pas des mieux renseignés, si l’on en croit Naudé. « Le Courrier de nouvelle invention, dit-il, qui se clabaude tous les matins, de fort bonne heure, est assez mal informé de tout ce qui se passe à Paris, et, pour le dehors, si la Gazette de St-Germain ne suppléait tellement quellement à ses oubliances, nous ne saurions rien du tout… Et puis voilà de belles nouvelles que celles dont il nous fait part ! Elles sont le plus souvent si vieilles et si rebattues que déjà les enfants en vont à la moutarde. »

Malgré tout, la vogue du Courrier, qui se vendait un sou, fut, nous l’avons dit, rapide et grande, et, comme cela devait être, elle éveilla l’envie et excita les appétits. Des libraires le contrefirent ; d’autres usurpèrent son titre. Quelques auteurs l’imitèrent ; un, mieux avisé, nommé Saint-Julien, eut l’idée de le traduire fidèlement en vers burlesques. Cette traduction n’était, en quelque sorte, qu’une paraphrase ; mais son mérite dépassait de beaucoup celui de l’original. Le vers, lestement et facilement fait, ne manque ni de gaieté ni d’esprit ; les traits y sont parfois assez plaisants. Mais ce qui frappe surtout, c’est la rapidité avec laquelle son auteur improvisait ce journal, dont chaque numéro compte six à huit cents vers. Le Courrier français était vendu le vendredi, et le surlendemain dimanche Saint-Julien en donnait la copie rimée.

Citons un passage pris au hasard :


Cependant que la ville ordonne
Aux chefs et maîtres des maisons,

Nonobstant toutes leurs raisons,
De venir eux-mêmes en garde,
Portant mousquet ou hallebarde,
Et d’être chez leurs officiers
Aux mandements particuliers,
De suivre à beau pied, non sans lance[28],
Leur capitaine, et, s’il les tance,
Endurer la correction,

Et souffrir jusqu’au morion[29] ;

De venir, quand on les appelle,
En faction ou sentinelle,
Selon que veut le caporal,
Qui bien souvent est un brutal,
Toujours ignorant, parfois ivre ;
Mais, bien qu’il ne sache pas vivre,
Fît-il, en commandant, un rot,
Il faut suivre sans dire mot,
Et là prendre mainte roupie,
Si le caporal vous oublie,
S’il cause, s’il dort ou s’il boit,
Sans oser sortir de l’endroit
Où pour sentinelle il vous pose,
Tant qu’il boit, qu’il dort ou qu’il cause[30].


La traduction, cela va sans dire, était, comme l’original, parlementaire et antimazarinique, et tout porte à croire qu’elle en partagea le succès, car tout aussi exacte, elle est beaucoup plus gaie et plus amusante.

En 1650, quand la vieille Fronde s’allia au cardinal Mazarin, en haine de la jeune Fronde ou de la Fronde des princes, que le prince de Condé eut été enfermé dans le château du Havre, Saint-Julien, qui s’était rangé, à la suite de son protecteur, le marquis d’Alluye, au parti du duc de Beaufort, revit son Courrier, le corrigea, l’accommoda aux opinions nouvelles, aux intérêts nouveaux du parti, et en donna une seconde édition, sous le titre de : Le Courrier burlesque de la guerre de Paris, envoyé à Monseigneur le prince de Condé, pour divertir Son Altesse durant sa prison, ensemble tout ce qui se passa jusqu’au retour de Leurs Majestés. Ce n’est plus au premier ministre qu’il s’attaque alors, il n’a pour lui que des caresses et des flatteries ; c’est contre le prince de Condé que sont dirigées ses imprécations et ses railleries. Le nouveau Courrier fut soigneusement expurgé de toutes les petites injures qu’il contenait précédemment contre Mazarin ; les vers favorables à la cause du Parlement furent effacés ou retournés ; enfin cette nouvelle édition s’enrichit de nombreuses variantes dans le genre de celles-ci :


COURRIER FRANÇAIS.

Et que, vu que le Cardinal
Est seul auteur de tout le mal
Et de la misère présente,
Dont on a preuve suffisante…

COURRIER BURLESQUE.

Et parce que le Cardinal
Leur semblait l’auteur de ce mal,
Qui depuis, par son ministère,
Leur a bien prouvé le contraire.


Autre variante ; il s’agit de la milice bourgeoise.


COURRIER FRANÇAIS.

Le samedi, neuf dudit mois,
Sortit force vaillants bourgeois
Pour faciliter les passages
Aux hommes des prochains villages,
Qui, trouvant libre le chemin,
Fournirent les marchés de pain,
Qu’on reçut avec allégresse.

COURRIER BURLESQUE.

Le samedi neuf fut choisie
De la plus leste bourgeoisie
Que l’on pensait faire sortir ;
Mais elle n’y put consentir.
Neantmoins c’était la plus leste :
Jugez donc par elle du reste !
Et dès ce jour on connut bien
Que la meilleure n’en vaut rien.


La palinodie était complète ; mais c’était chose trop commune alors pour qu’on en fît un grief à l’auteur ; bien mieux, le Courrier, dans sa forme nouvelle, eut une fortune que n’a surpassée celle d’aucun pamphlet de la même époque : les libraires les plus renommés s’associèrent pour l’exploiter, et il en parut deux éditions à la fois, l’une in-4o, et l’autre in-12.

Encouragé par l’accueil qu’il avait reçu du public, Saint-Julien entreprit, vers la fin de 1650, de raconter en vers burlesques les luttes de la Cour et du Parlement pendant l’année 1648. C’était, en effet, une introduction presque nécessaire à son Courrier. Il composa donc le Courrier burlesque envoyé à Monseigneur le Prince de Condé, pour divertir Son Altesse pendant sa prison, lui raccontant tout ce qui se passa à Paris en 1648 au sujet de l’arrêt d’union. Le fond en est emprunté à l’Histoire du temps, qu’il abrége, mais qu’il suit presque toujours, qu’il traduit même quelquefois, comme il a traduit le journal des fils de Renaudot. Toutefois Saint-Julien n’a garde d’être frondeur entêté et violent à l’égal de Du Portail. Les circonstances sont changées, et on sait déjà qu’il change volontiers avec les circonstances. Il n’est, non plus, ni mazarin autant que dans le Courrier burlesque de la guerre de Paris, ni parlementaire avec la même soumission que dans le Courrier français. La vieille Fronde est en train de se rapprocher du parti des princes ; elle n’a pas rompu tout à fait avec le cardinal Mazarin, mais elle travaille secrètement contre lui, elle intrigue dans le parlement et à la cour. Saint-Julien profite de cette attitude incertaine de ses maîtres pour jeter le ridicule sur les hommes et sur les événements de 1648 avec une liberté qui est presque de l’impartialité. Il se moque du duc d’Orléans et du vieux Broussel, de Gondi et de Mazarin, des orateurs du Palais et des héros de la rue. Jamais peut-être il n’a montré plus d’esprit et déployé plus de verve ; jamais son vers, plus souple et plus facile, n’a été néanmoins d’un meilleur burlesque. C’est sans contredit une des plus plaisantes pièces de la Fronde.

Citons un ou deux traits, les premiers que nous rencontrons. Le Parlement s’est prononcé pour l’Union :


L’an que l’autorité du roi
Se trouva courte dans les halles,

Et que quelques trois milles calles[31]
Parlèrent du gouvernement
Selon leur petit jugement ;
L’an que, parmi nos brouilleries,
L’unique pont des Tuileries
Fut le pont fidèle et loyal
Qui tint pour le Palais-Royal,
L’union, bien examinée,
Le treize mai de cette année
Fut résolue au parlement.
............
Cet arrêt mit en grand émoi
Tout le privé conseil du roi.


Le Chancelier vit quelques-uns des membres les plus influents,


Et tâcha de les délier ;
Mais il n’y fit que de l’eau claire.
On en voulait au ministère,
Et, comme ils lui dirent tout plat :
Il fallait réformer l’État.
C’était là toute l’enclouure.
On voyait des gens de roture,
Des partisans plus gras que lard,
Se coucher tôt, se lever tard,
Jusques au col dans les délices,
Par-dessus les yeux dans les vices,
Et dessus la tête dans l’or,
Tandis que languissent encor
Tant de maisons, qui, vertueuses,
N’ont pas de pain pour leurs dents creuses.
............

La Reine, n’ayant plus de digues
Pour opposer à ce torrent,
Devint plus sèche qu’un hareng,
De soins et de mélancolie,
Et détesta cent fois sa vie.
Son conseil manda Du Tillet,
Qui met tous les arrêts au net.
Du Tillet vient. Chacun l’accueille ;
On lui demande cette feuille ;
Et, comme il se voit tourmenter,
Il dit : Dieu vous veuille assister !
L’arrêt n’est pas en ma puissance.
L’on reconnaît son innocence,
Et l’on dit qu’avec Du Tillet
Guénégaud et Carnavalet
Iront dans le greffe le prendre.


Mais l’arrêt avait disparu, et un jeune commis auquel ils s’adressèrent, avec quelque rudesse, « les envoya faire… »


Dont les suppliants indignés
Lui voulant donner sur le nez,
Il se fit un si grand vacarme
Que, sans un pauvre père carme
Qui mit à propos le holà,
Carnavalet demeurait là.
Et certes il l’échappa belle,
Car, jusqu’à la Sainte-Chapelle,
Qui le reçut plus mort que vif,
On ne voyait qu’aune et canif.
Pour Guénégaud, son camarade,
Ayant reçu quelque gourmade,
Il chanta l’hymne In exitu.
Qu’il fait bon n’être pas têtu

Et n’avoir pas tant de courage,
Puisque, s’il n’eût plié bagage,
Il ne vivrait plus à gogo,
Ce bon monsieur de Guénégaud.

Le lendemain, Messieurs reçurent
L’ordre, en une lettre qu’ils lurent,
De venir au Palais-Royal,
Et d’apporter l’original
De leur arrêt rendu la veille ;
Mais la Cour fit la sourde oreille.


On met cependant en délibération la question de savoir si la Cour doit se rendre auprès de la reine, — sans l’arrêt, bien entendu. Les plus ardents opinent contre. Vous savez bien, dit l’un,


Vous savez bien, mes camarades,
Les affronts et les rebuffades
Qu’on nous a faites dans ce lieu.
............
Qu’aller faire au Palais-Royal ?
Disons que nous nous trouvons mal.
Nonobstant cette remontrance,
Qui tirait sur l’impertinence,
La Cour fut d’avis de partir ;
Et de fait on la vit sortir,
Sur les neuf heures et demie,
Dans une grande modestie,
Plus droite que n’est un chenet,
Avec sa robe et son bonnet.
Il faisait beau voir en bataille
Nos sénateurs de toute taille
Grands et petits, en souliers neufs,
Qui marchaient comme sur des œufs.

Les enfants, devant et derrière,
Couraient comme après la bannière
Ils courent aux processions
Dans le temps des Rogations.
Tout le bourgeois, à la fenêtre,
Curieux de les voir paraître,
Faute de baume ou de jasmin,
Jette aussitôt par le chemin
Des épluchures de salade.
Le Savoyard[32], au lieu d’aubade,
Dès qu’il les eut vus, entonna
Dessus le Pont-Neuf Hosanna !
À quoi quelque marionnette
Répondit d’une voix aigrette,
Et Carmeline[33] s’offrit bien
De leur tirer les dents pour rien,
Si quelqu’une leur faisait peine.
Madame la Samaritaine
Les pria de boire en passant.
Partout le peuple, en avançant,
Les bénissait dessus leur voie.
Une femme en pissa de joie.
Bref, jusques au Palais-Royal
Ils eurent un accueil égal.
Mais, hélas ! ils pouvaient bien dire
Ce qu’on dit quand on a fait cuire
Son pain blanc avant son pain bis.


La première chose qu’on leur demanda, en effet, ce fut : « Avez-vous votre arrêt en poche ? » et sur leur réponse négative, ils furent, on le sait, fort mal reçus. Mais ils ne firent qu’en persister avec plus de fermeté dans leur opposition.


Les ministres, épouvantés
De voir nos Messieurs aheurtés
À rhabiller de neuf la France,
Ont recours à la violence.


On décide l’enlèvement du conseiller Broussel, et


On prend le jour du Te Deum[34]
Pour ravir ce palladium…
Et, sous prétexte du cantique
Qu’on voulait rendre magnifique,
Selon la grandeur du succès…
Le conseil fit une malice :
Il mande toute la milice
Qui pouvait être dans Paris,


et la dispose de manière à être maître de tous les ponts et des abords de Notre-Dame.


Cependant partout on publie
Que c’est pour la cérémonie
Que se fait ce grand appareil.


D’un autre côté tout a été préparé pour le coup de main dirigé contre « ce bon grison de Brousselle, le Beaufort de ce temps-là. »


Une heure était déjà sonnée :
Chacun songeait à la dînée,
Et chacun, pour voir à son pot,

Allait moins le pas que le trot.
Déjà le bonhomme Brousselle
Avait fait dresser son écuelle ;
La seule peur de se brûler
L’empêchait lors de travailler.
Il soufflait déjà sur sa soupe,
Quand voici venir une troupe
De gens bien faits dans sa maison.
Lui qui vit, sans comparaison,
Plus sobrement qu’aucun ermite,
Et dont la petite marmite
Ne contient rien de superflus,
Voyant tous ces nouveaux venus,
Dit à sa servante : « Marie,
Courez à la rôtisserie. »
Et, sitôt qu’il peut se lever :
« Messieurs, vous plaît-il de laver ?
Vous ferez très-mauvaise chère ;
Excusez, la viande est bien chère. —
Piarot, faites venir du pain. —
Thoinon, allez tirer du vin,
Dit-il à l’oreille à l’aînée,
Fille très-bien disciplinée.
— Papa, dit-elle, il est au bas.
— Ma fille, n’y allez donc pas. »
Sur ce dialogue, un maroufle
Saisit ce bonhomme en pantouffle,
Et, sans qu’on lui donne le temps
De prendre ni manteau, ni gants,
Ni de baiser ses pauvres filles,
En leur disant : « Soyez gentilles ! »
Suivi de sa seule vertu
Et d’elle seule revêtu,
On le jette au fond d’un carrosse.
............
............

La nouvelle s’épand partout.
Paris s’émeut de bout en bout,
Paris, cette bête féroce,
Paris, cet horrible colosse,
Qui, s’il allait faire un faux pas,
Entraînerait la France à bas.
Les gardes qu’on avait postées
Sur le Pont-Neuf sont tapotées,
Et dessus tous les autres ponts
On frotte les colins-tampons.
Aux environs de Notre-Dame,
Le bourgeois aiguise sa lame,
Que pour tirer de son fourreau
Le bonhomme s’est mis en eau,
Lame dont la garde à la Suisse
Lui meurtrira bientôt la cuisse
En dandinant à son côté
Dans un baudrier mal porté.


Cette trilogie de Saint-Julien, qui nous a semblé mériter à plus d’un titre d’être signalée, embrasse les temps écoulés du 13 mai au 24 octobre 1648, et du 6 janvier au 1er avril 1649 ; elle a été réunie par M. Moreau, sous le titre de : Les Courriers de la Fronde en vers burlesques[35], et annotée avec l’abondance et le savoir que l’on pouvait attendre de l’auteur de la Bibliographie des Mazarinades.


La fortune de ces Courriers devait nécessairement appeler des concurrents ; aussi les deux Frondes virent elles successivement apparaître une foule d’imitations dans l’une ou l’autre des deux formes que le succès avait également consacrées. Les journaux, ou plutôt des semblants de journaux, s’improvisaient au jour le jour, les uns pour la Cour, le prince de Condé ou le Parlement, les autres pour le Coadjuteur ou pour le duc de Beaufort, chacun s’efforçant de justifier la conduite, de prôner les actes du chef de parti auquel il s’inféodait. Quelques autres, que leurs intérêts ne rattachaient à aucune de ces coteries, se mettaient de la partie uniquement pour augmenter le tapage. Nous citerons, pour l’acquit de notre conscience, quelques unes de ces feuilles mort-nées.

Le Courrier de la Cour, portant les nouvelles de St-Germain, depuis le 15 mars 1649 jusques au 22, — depuis le 22 jusqu’au 29 (2 nos). Ce n’est qu’une pâle copie du Courrier français, dont il ne fait que répéter les nouvelles. Nous citerons seulement le préambule : « Messieurs, puisque tout le monde se mêle de vous donner des nouvelles, j’ai cru que vous ne trouveriez pas mauvais que je vous fisse part de celles que j’ai apprises depuis huit jours. Mais n’attendez de moi ni de grandes préfaces, ni des paroles étudiées, et moins encore des louanges ou des invectives affectées. Je laisse ces petits soins à ceux qui veulent remplir leurs feuilles à quelque prix que ce soit, ou qui établissent leur gloire sur des papiers volants. »

Pour que la ressemblance fût complète, le Courrier de la Cour eut une traduction, ou, si l’on veut, une parodie en vers burlesques, qui ne compta non plus que deux numéros, assez cependant pour exciter la bile de Saint-Julien :


Quoi que nous veuille faire entendre
Un sot Courrier qu’on devrait pendre
Et qui prend le nom de la Cour,
Imposteur, homme sans amour,
Sinon pour le parti contraire,
Qui devrait bien plutôt se taire
Que de mentir si puamment.


Mais Saint-Julien se reproche bien vite à lui-même cette boutade contre ce « Courrier dépêché sans besoin, à la monture boiteuse, » qu’il accuse « d’avoir pris son nez pour ses fesses. »


Lecteur, si je l’ai pris à tâche,
Ne pense pas que je me fâche ;
Je ne veux rien que t’avertir
Que je ne puis ouyr mentir,
Ni même lire de Gazettes,
Pour être pleines de sornettes.
Lecteur, pour une bonne fois,
Ne crois que le Courrier françois.
Les autres, abus, bagatelles !
Mais, pour le mien, bonnes nouvelles !


L’Histoire journalière de ce qui s’est passé tant dedans que dehors le royaume (5 septembre-11 octobre 1649 ; 3 numéros) est, comme le Courrier français une sorte de doublure de la Gazette. Son auteur était Charles Robinet de Saint-Jean, qui avait commencé sa carrière sous la direction de Renaudot, et dont le Mercure annonçait la mort, en mai 1698 en ces termes : « Charles Robinet de St-Jean mourut le 25 avril 1698, âgé de plus de 90 ans ; il avait travaillé pendant plus de 60 ans à la composition de la Gazette de Paris. » Nous ne croyons pas qu’il y ait un autre exemple d’un aussi long exercice du métier. Robinet, conseiller historiographe du roi, n’avait été toute sa vie qu’un gazetier, et un gazetier sans génie. Outre l’Histoire journalière, faite à l’imitation de la Gazette de Renaudot, il a publié les Lettres en vers à Madame, à l’imitation de la Muse historique de Loret et de la Gazette burlesque de Scarron, et Momus et le Nouvelliste, à l’image du Mercure galant.


Le Journal poétique de la guerre parisienne, par Mathurin Questier, dédié aux amis du roi, des lois et de la patrie, est, malgré ses bonnes intentions, un très-pauvre journal, que Naudé met au nombre des pièces dont les auteurs s’étaient obligés à faire rouler la presse moyennant une pistole par semaine, pauvres diables que Alfieri qualifie d’écrivains à impulso artificiale ; il parut cependant pendant douze semaines. Nous en avons cité tout à l’heure quelques vers qui peuvent donner une idée de la composition de la milice bourgeoise de la Fronde, et du respect qu’elle portait à la discipline militaire.

Le Babillard du temps, en vers burlesques ; six numéros, sans valeur.

La Gazette des Halles, touchant les affaires du temps, continuée par la Gazette de la place Maubert, en tout trois numéros, n’a d’un journal que le titre. À l’exception de quelques faits sans importance, elle ne contient que des louanges en l’honneur du duc de Beaufort, et des injures à l’adresse du Cardinal et du prince de Condé ; le tout écrit dans un style qui surpasse en trivialité obscène et nauséabonde, cette littérature des halles que plus tard devait illustrer Vadé.


Vous qui faites de vos cervelles
Un répertoire de nouvelles
Et qui repaissez vos esprits
Des bruits qui courent dans Paris,
N’allez plus chercher les Gazettes :
On vous apprendra jusqu’au bout
Les nouvelles les plus secrètes.


C’est ainsi que s’annonce le Burlesque On de ce temps, qui sait, qui fait et qui dit tout, petit journal rempli de verve et d’esprit, qui eut beaucoup de succès et alla jusqu’à huit numéros.

On y lit à propos d’un Règlement de Monseigneur l’illustrissime et reverendissime archevêque de Paris touchant ce qui se doit pratiquer durant ce saint temps de carême (du 18 février) :


On a fermé les boucheries
Deux jours devant Pâques fleuries.
Maint boucher en est endévé ;
Mais Paris se fût soulevé
Si l’on n’eût fait cette ordonnance,
Et la halle était en balance
D’équiper quantité de bras
Contre tous les mangeurs de gras.


Voici en quels termes Saint-Julien parle de ce Règlement dans son Courrier français :


Ce jour, l’archevêque régla,
Et par son réglement sangla
Messieurs de jeûne et de carême
Qui s’en venaient à face blême,
Victorieux du carnaval,
Pour seconder le cardinal
Et nous ôter la bonne chère.
Mais la farine était trop chère ;
Ce qui fit que notre pasteur,
Usant envers nous de douceur,
Par une forme d’indulgence
Et sans tirer à conséquence
Nous accorda de manger œuf,
Poulet, mouton, goret et bœuf,
Fromage, veau, perdrix, éclanche,
Jeudi, lundi, mardi, dimanche,
En réservant les mercredis,
Les vendredis et samedis,
Et toute la sainte semaine,
Temps qu’il laisse sous le domaine

D’un carême très-rigoureux
Qui sera le reste aux Chartreux.


Et dans le Courrier burlesque de la guerre de Paris, il ajoute, en modifiant le dernier vers :


Qui fut tout le reste aux Chartreux
Ou qui du moins y devait être ;
Mais il se vint camper, le traître,
Chez quelques pauvres habitants,
Qui, disent-ils, devant ce temps
Jamais si long ne le trouvèrent,
Et dès les Rois le commencèrent ;
Si bien qu’en mangeant son harant,
Par un effet bien différent,
Pour jours gras le gueux fit carême ;
Le riche n’en fit pas de même,
Car, ayant toujours force plats,
Son carême il fit les jours gras.


Le Courrier du Temps, malgré son nom et les nouvelles qu’il reçoit des principales villes de l’Europe, n’est point un journal ; c’est un simple libelle, mais un des meilleurs de la Fronde, et des plus ardents contre Mazarin. « On n’a rien imprimé de meilleur ici, depuis quatre mois, dit Guy Patin, que le Courrier du Temps : ce sont huit cahiers anti-mazariniques, qui sont fort bons. » Son auteur, le conseiller Fouquet de Croissy, suppose des lettres à lui adressées de pays et d’autres, et toutes ces correspondances imaginaires médisent à l’envi du Cardinal. Ainsi :


« D’Amsterdam, ce 1er septembre 1649. — Il est arrivé ici cette semaine plusieurs vaisseaux des Indes. Entre les autres richesses dont le bon voilier était chargé, il a apporté une douzaine de singes, les plus beaux et les plus rares qu’on ait encore vus dans ces quartiers. Le cardinal Mazarin les a fait venir pour les mettre en sa garde-robe et ses antichambres, afin de divertir ceux qui lui font la cour, et juger, par la civilité et les bons traitements qu’ils feront à ces animaux favoris de Son Éminence, de l’affection qu’ils ont pour son service. »


Le Courrier bourdelais, commencé avec la première guerre de Bordeaux, celle de 1649, reparut pendant la 2e et la 3e (11 nos). L’auteur se plaint de « quelques singes qui se sont efforcés de le contrefaire pendant l’interruption de ses courses. » Il eut, en effet, un concurrent qui prit le titre de Courrier de la Guyenne, et même, à côté de ces deux courriers frondeurs, s’était établi un Courrier de Bordeaux, qui était royaliste. Les rivaux ne vivaient pas en parfaite intelligence ; on apprend par leurs querelles que le Courrier bordelais, comme le Courrier polonais, le Courrier de Pontoise, et tutti quanti, se composait à Paris, par un écrivain des Galeries, c’est-à-dire par un écrivain qui ramassait ses nouvelles dans les galeries du Palais, un des grands centres, comme nous l’avons vu, des nouvellistes et gazetiers. « D’où pensez-vous, dit le Politique burlesque, dédié à Amaranthe (1649),


D’où pensez-vous que les Courriers,
Qui se vendent par milliers,
Viennent ?…
C’est ici (au Palais) que dessus nos bancs
On fait les Courriers allemands,
Ceux qu’on appelle polonais
Et tous les Courriers français.


Nommons encore le Journal contenant les nouvelles de ce qui se passe de plus remarquable dans le royaume, qui parut toutes les semaines depuis le 23 août jusqu’au 25 octobre 1652, et qui donne sur la guerre civile de cette année des détails intéressants ; — et le Mercure de la Cour, pamphlet plutôt que journal, mais spirituel, hardi jusqu’à l’insolence, et rempli d’anecdotes.


Nous ne pousserons pas plus loin la nomenclature de ces journaux, qui, pour la plupart, n’avaient pas de lendemain. Disons, d’ailleurs, que cette dénomination de journal, ou autres équivalentes, qui s’appliquent à de nombreuses pièces écrites pendant la Fronde, indiquent plutôt des relations partielles d’événements isolés que des feuilles à périodicité régulière embrassant les faits généraux.

Et puis, il faut bien le reconnaître, malgré le succès de certaines gazettes, de toutes les formes que prit alors le pamphlet, celle-ci fut traitée avec le moins de talent. En général nulle idée ne domine ces sortes d’écrits, aucun plan ne les guide ; ce sont des relations dont la forme le plus souvent ne vaut pas mieux que le fond. Le journal, qui vient d’être créé, n’est pas encore né à la vie politique ; ce n’est encore qu’une simple chronique qui s’adresse moins à la passion du public qu’à sa curiosité, et les chances de succès sont à celui qui intéresse ou amuse le plus ses lecteurs. C’est ce qui explique la faveur réservée aux gazettes burlesques. Nous avons dit le succès des Courriers de Saint-Julien et du Burlesque On ; nous verrons bientôt la vogue plus grande encore de la Muse historique de Loret, qui survécut à toutes les productions de ce genre que la Fronde avait vues naître, et qui, en quelque sorte, fit école.

Aussi, quand après la guerre, la Gazette, revenue à Paris, réclama sa place et voulut rentrer dans ses droits, elle ne trouva devant elle que des cadavres ou des fantômes. Seul, le Courrier français, pour sauver les apparences et dérouter les soupçons qu’avaient pu faire naître les liens qui unissaient les rédacteurs des deux feuilles, fit un semblant de résistance, dont Renaudot eut facilement raison : La Gazette fut rétablie par arrêt de justice dans son privilége ; les fils de Renaudot y reprirent leur collaboration, et Mazarin eut si peu de ressentiment de l’opposition qu’ils lui avaient faite dans le Courrier qu’à son retour de Saint-Germain, il donna à l’un et à l’autre des marques signalées de sa faveur.

Le Courrier français eut 12 numéros, et parut du 5 janvier jusqu’au 7 avril 1649, c’est-à-dire qu’il vécut tant que dura la guerre.

Cette comédie si habilement jouée par Renaudot donna lieu à une pièce très-curieuse, qui figure parmi les Mazarinades, et que nous croyons devoir reproduire :


LE COMMERCE DES NOUVELLES RESTABLY, OU LE COURRIER ARRESTÉ PAR LA GAZETTE.
À PARIS, M DC.XLIX

La babillarde Renommée, qui court la prétentaine par toute la terre, qui fourre son nez dans toutes les affaires du monde, et qui nous corne incessamment aux aureilles ce qu’elle sçait et ce qu’elle ne sçait pas ayant de tout temps esleu son principal domicile dans la France, pour y avoir tousjours trouvé plus de logement qu’en quelque part qu’elle peusse aller, dans les chambres vuides des cerveaux curieux, qui ne se garnissent que de nouvelles et de contes à dormir debout ; voyant toutes fois qu’à raison des remuëmenages arrivez dans l’Europe depuis les guerres, elle estoit obligée d’estre partout pour donner ordre au commerce de cette marchandise, après avoir bien resvé, ne trouva point de meilleur expedient que d’establir des Lieutenans Generaux pour maintenir sa puissance dans tous les cantons connus et à connoistre, trancher en son absence de son authorité, tailler et rogner de son domaine, et faire des choux, des raves et des pastez de ce qui se dit, et de ce qui se fait, dans ce monde et dans l’autre.

D’abord elle constitua dans cette fameuse dignité haute puissante Princesse Madame l’Histoire, qui s’aquitta long-temps de cette charge sans que l’on peust former aucun reproche contre son ministère. Messieurs les Memoires, ses Agends, estoient du bon temps auquel on ne pouvoit mentir à moins que de rougir aussi-tost, et sans baille l’y goust, ces fidelles commis luy donnoient des viandes toutes maschées, qu’elle ne faisoit qu’avaller ; bien souvent aussi sans se fier qu’à soy-mesme, ses yeux fortifiez de lunettes et ses aureilles de cornes en façon d’entonnoirs, elle vouloit estre présente à toutes les actions memorables, et sans embellir ny farder la vertu, elle escrivoit un tel a bien fait en telle occasion, ou tel est un lasche, et n’a rien fait qui vaille ; observant la justice distributive qui donne à chacun ce qui luy appartient : ce n’estoit pas là parler par ouy dire, puisque ses aureilles et ses yeux luy fournissoient tousjours de quatre tesmoins contre qui l’on ne pouvoit s’inscrire en faux et, donnant d’un je l’ay veu par le nez, elle pouvoit envoyer promener ceux qui luy auroient voulu contredire.

Les esprits estant devenus plus raffinez et curieux, on ne fust plus si religieux à l’observation de ses ordres ; l’on s’immagina que c’estoit mal parler que de dire la verité, et qu’il falloit mentir pour escrire à la mode ; dès-lors Madame l’Histoire n’eust plus de vogue, chacun luy donna quelque lardon, l’on se torcha le cul de ses escrits, et l’on la descria comme la fausse monnoye. Une conjuration se forma contre son authorité dont un Prince malaisé nommé Roman s’institua le chef ; c’estoit le plus grand ennemy de la verité, il mentoit comme un arracheur de dents, et pour habler et controuver des contes, il n’en craignoit teste d’homme vivant. Cet adroit courtisan fit si bien par ses galanteries et complaisances estudiées qu’il attira bien du monde à son party ; et surtout le beau sexe, qui se charme de vetilles, le trouvant fort propre pour l’instruire à faire l’amour et le rendre sçavant jusques aux dents en fait de compliments, fleurs de bien dire et cageolleries, le supporta si bien et si beau, qu’à sa faveur il débusqua l’Histoire, et s’installa dans son domaine avec tant d’éclat et d’approbation qu’on ne parloit que par Roman. Il s’estudioit principalement à mentir avec grace, inventer des noms extraordinaires, espouventables pour les guerriers, et dorés pour les Dames et doux comme du sucre ; controuver des incidens miraculeux, des combats prodigieux et des palais enchantez dans des pays de Caucaigne où les allouëttes tombent toutes roties ; et couronner toutes ces aventures par un mariage delicieux, pour faire venir l’eau à la bouche des friandes Damoiselles qui passent les nuicts dans les pensées dont leurs esprits s’entretiennent après cette lecture fabuleuse. Les Amadys, Chevalier du Soleil, des Miroirs, et aux Armes dorées, Palmerins d’Olive, Gerileon d’Angleterre, Morgant le Geant, Valentin et Orson Pierre de Provence, le Roy Hugon Charlemagne et les douze Pairs de France, furent de la première couvée et s’acquirent une merveilleuse reputation mais Nerveze et Desescuteaux raffinèrent leur stile et commencèrent à parler Phœbus ; ils furent les mignons des Dames, et quelques-unes les portoient au lieu d’heures à l’Église ; s’il se formoit entr’elles quelque different touchant un terme, on s’en rapportoit à Nerveze, et qui l’eust voulu contredire auroit esté chassé comme un peteur de la compagnie. Depuis, la mode changeant de jour en jour, Astrée, Argenie, Ariane, le Polexandre et la Cassandre, ont donné de la casse à ces pedants, mais ils n’en auront pas meilleur marché que les autres ; l’on se détrompe tous les jours de ces fadaises, et, comme on dit, Maistre Gonin est mort, le monde n’est plus gruë.

Madame l’Histoire, ayant reconnu les causes de sa decadence et les moyens dont ce fourbe s’estoit servy pour luy donner du croc en jambe, employa les mesmes artifices à luy rendre la pareille. Affin de s’accommoder aux esprits, sçachant que toutes veritez ne sont pas bonnes à dire, qu’il faut quelquefois dorer la pillulle, et qu’un peu de ragoust fait trouver la viande meilleure, elle s’insinua petit à petit dans l’esprit de quelque Prince ambitieux, desguisa la verité et luy donna le masque de flatterie qui le fit passer pour un heros, ses moindres actions pour des exploits merveilleux, et ses vices pour des petites vertus ; elle changea de nom et de qualités pour cacher les rides de sa vieillesse et paroistre plus jeune et plus agréable, et tantost sous le nom de Legende, tantost sous la qualité de Code, de Memoires, de Commentaires Hystoriques, de Chroniques, de Décades et d’Annalles, elle a tasché de se maintenir et de tirer des puissances des pensions et de bonnes nipes, qui luy ont donné le moyen d’habiller de pied en cap cette pauvre Verité, honteuse de paroistre toute nuë comme elle estoit chez les grands, qui la chassoient et n’en vouloient point entendre parler ; c’estoit la moindre de ses suivantes : dans ses entretiens ordinaires elle la faisoit taire tout plat, et Mademoiselle Flatterie avait seule le privilège de parler des Princes et des Roys, parce qu’elle sçavoit et sçait encore donner du plat de la langue en perfection, et les gratter où ils se demangent.

Au commencement elle avoit la patience de voir regner et mourir un Monarque pour en escrire la vie ; mais, soit que les fantasques qui ne vivent que de nouvautez se plaignissent que c’estoit leur mettre le Caresme bien haut, ou que, n’ayant point d’autre revenu que ce commerce, la nécessité l’obligeast de mettre plus souvent quelque chose sous la presse affin de mettre quelque chose sous la dent, elle borna ce terme à l’espace de dix ans, et réduisit la Chronique en Décades. Dès-lors elle se donna bien de garde, en jouant de ce delicat instrument, de toucher sur la grosse corde, de peur que ses récompenses ne fussent de bois flotté, dont elle auroit esté très mauvaise marchande ; il fallut sous-mettre ses escrits à la censure des courtisans, et souffrir les corrections du Prince ou du Ministre d’Estat ; en sorte qu’assez souvent ils escrivoient eux mesmes leurs belles actions, et contraignoient cette bonne Dame d’estre faussaire en légitimant des enfants qu’elle n’avoit jamais produit. Mais elle alla de pis en pis ; ses moyens diminuant aussi bien que le Règne des Roys, il fallut amplifier la matière, ampouler le stile, faire de rien grande chose, et ramasser des fadaises et des contes jaunes pour en faire un volume tous les ans ; cela passoit sous le tiltre d’Annalles, mais c’estoit plustost des rogatons pour demander les estreines, et si l’on eust examiné la dose des drogues de cette composition on n’y auroit pas treuvé un dragme de verité parmy deux livres de mensonges.

Le Mercure François fut de cette fabrique ; quoyque son tiltre fût différent, et qu’il fût habillé d’une autre façon, il en a conté des plus mures, et bien fait accroire aux gens de là l’eau ; à son conte tout a bien esté jusques icy, les Ministres d’Estat ont fait merveilles, le peuple est plus heureux que jamais, nous sommes chanseux en fait de guerre, les victoires nous assassinent, l’Estat s’augmente de jour en jour par nos conquestes ; ceux qui gouvernent les Finances sont gens de bien et de conscience qui ne veulent que le bien de la France ; bref il n’y a point de Royaume qui jouysse d’un repos plus asseuré : je m’en rapporte à ce qui en est, mais j’ay bien peur que ce Mercure ne fasse comme le céleste, qui trafique de nouvelles, et d’autres choses que je ne diray point.

Ce n’estoit pas encore assez d’avoir restably ces rentes annuelles, principalement depuis que la guerre a taillé tant de besogne à cette greffière corrompuë ; il s’est trouvé des cerveaux trop avides de nouvautez qui ne s’en peuvent passer non plus que de chemises, et dont la curiosité fait son pain quotidien de relations et d’incidens ; pour faire des emplastres aux blessures de ces esprits, la bonne Dame choisit une esperlucatte qui luy servait de Damoiselle suivante, affectée au possible, extremement dissimulée et malicieuse comme un vieux singe ; on l’appeloit du nom de Gazette, son inclination l’avoit de tout temps portée à cet exercice, et bien auparavant qu’elle fût installée dans cette dignité, elle ne faisoit autre chose que de courir le guildou, aller de ça de là trotter chez les voisins, visiter ses voisines, fureter jusques aux ruelles du lict et dans les lieux secrets, parler de messire chacun, drapper tantost cettuy-cy, tantost cettuy-là, et mettre indifferemment sur le tapis et les uns et les autres ; enfin elle n’alloit jamais sans sa langue, et, quand elle n’avoit rien à dire, son esprit malicieux forgeoit sur le champ des nouvelles, bonnes où mauvaises, telles qu’elles luy venoient à la bouche. Mademoiselle Flatterie estoit en bonne intelligence avec cette fine mouche, c’estoit deux testes dans un bonnet ; l’une n’alloit jamais sans l’autre, et lorsque Gazette estoit empeschée à faire quelque relation, celle-cy ne manquoit point d’estre au près d’elle, et de luy souffler aux aureilles les termes dont elle devoit se servir.

La voilà donc establie par intrigues et par faveur dans ce venerable employ ; Dame Histoire, qui commence à radoter, se repose entièrement sur sa vigilance, et luy remet sa charge et son authorité pour en disposer à sa fantaisie, et faire ses fonctions accoustumées ; elle en use avec tant de liberté qu’elle change d’abord l’ordre estably par sa maistresse, et se resout de donner aux curieux du fruict nouveau toutes les semaines ; elle feint d’avoir des correspondances par toute la terre, et d’estre des plus connuës ; elle sçait ce qu’on fait à Naples, en Suède et en Bavière tout en mesme temps, trotte comme un postillon de ville en ville et de province en province, et lorsque toutes ces matières illustres manquent à son sujet, elle revient à son village et treuve dans Paris assez de fatras et d’incidents pour en emplir ses cahiers jusques au goulet, dira qu’une telle Dame est accouchée d’une fille, qu’elle a esté baptisée dans telle Église, que tels et telles l’ont tenuë sur les fonds, qu’un tel a pourveu son fils de la charge de Conseiller, que tel autre a resiné son Abbaye à un tel, qu’il a soustenu une Thèse en Sorbonne, que l’on a tiré devant le Roy un feu d’Artifice, et en expliquera les particularitez, qu’un tel Seigneur n’est plus malade, et qu’il se porte bien de sa goute, que l’on a treuvé quelque machine nouvelle pour faire des carosses à peu de frais, que la rivière est fort grosse, et que le pain est à bon marché. Ne sont-ce pas là de belles nouvelles à mettre dans l’Histoire ? Ne sommes nous pas bien gras et satisfaits d’achepter des contes que nous sçavons devant que l’on ait songé à les imprimer ? et n’est-ce pas nous charlataner adrettement que d’attirer l’argent de nos pochettes par les papiers, qui, pour estre trop minces et de mauvaise fabrique, n’estant pas propres pour les beuriers, ne sçauroient servir que de mouchoirs pour le derrière.

Cette fine matoise s’est toutes fois si bien intriguée dans cet estat, sous ombre qu’elle s’accompagne quelques fois de la Donzelle Vérité, qu’on luy donne une generale approbation ; depuis les petits jusqu’aux grands on ne parle d’affaires que par Gazette, les aisez en font des recueils et les acheptent, d’autres se contentent de les lire en payant certain droit pour cette lecture, et bref, dans la plus sérieuse compagnie, on dira : Que dit-on de nouveau ? qu’apprenez-vous de bon ? comment vont les affaires ? avez-vous vu la Gazette d’aujourd’huy ? parle t’elle de cy ou de cela ? dit-elle que le Roy revient bien tost ? touche t’elle quelque chose d’Angleterre ? et mesmes si l’on met en avant quelque nouvelle, il ne faut pour la rejetter que dire : Cela n’est point dans la Gazette, et par conséquent cela est faux, et s’il estoit vray la Gazette n’auroit pas manqué d’en parler.

Mais il est aisé de juger de la cause de cette haute faveur ; il ne faut point de lunette pour descouvrir le secret de cette intrigue ; un aveugle y mordroit s’il y vouloit mettre son nés ; et dés que l’on voit Flatterie avec Gazette, on ne doute plus qu’elle doit estre bien en cour, et que les cadets de la faveur la doivent adorer comme celle qui peut faire leur fortune. Aussi voit on continuellement chez elle des troupes de ces jeunes gens, qui viennent mandier sa plume, et la prier d’enluminer leurs belles actions avec un peu d’ancre, et Gazette, qui fait son meilleur revenu de ce commerce, s’en sert avec un secret si merveilleux, qu’il n’y a point de carmin n’y d’outremer qui puissent mieux faire esclatter une peinture. S’il s’est passé quelque occasion, elle en fait une sanglante deffaite ; si dans une attaque quelque pagnotte en voulant reculer a receu de celuy qui le commande quelque coup de cane sur la teste, pourvu qu’il contente Mademoiselle Gazette ce sera l’estramasson d’un sabre des ennemis qui luy aura fait cette blessure ; tel à qui la lancette d’un chirurgien aura percé quelque faveur de Venus se dira blessé d’un coup de picque ou d’estocade, et quelqu’autre qui pendant cette affaire estoit à Paris, dans un lieu où véritablement il faisoit un peu chaud, sera mis au rang des premiers attaquants et de ceux qui ont le mieux payé de leurs personnes ; enfin tout va selon le caprice de cette rusée la plus haute vertu se treuve estouffée sous le silence, à faute de la bonneter, et la plus grande lascheté passera pour genereuse, pourveu qu’elle passe par la Gazette.

Voilà ce qui la fait maintenir en authorité, ce qui luy donne la vogue ; le secret qu’elle a trouvé de vendre l’honneur et la réputation fait qu’elle est recherchée des uns et redoutée des autres ; elle est dangereuse en diable, il fait fort mauvais l’attaquer, sa plume et sa langue font des blessures que le temps augmente au lieu de guérir, et quand elle fait estime de quelqu’un elle oblige la postérité d’en faire le mesme jugement.

Il y avoit déja longtemps que les nouvelles passoient par ses mains, et les privilèges autantiques dont elle estoit munie sembloient l’assurer tout à fait en cette pocession, lorsque, le trouble survenant en cet estat et les cartes estant brouillées, il fallut nécessairement qu’elle fit flux aussi bien que beaucoup d’autres : comme elle avoit toujours torché le cul à la faveur et qu’elle avoit suivy les plus lasches ordres qu’on luy avoit prescrit, voyant cette mesme faveur eschouée, elle se vit au bout de son rollet, et, ne sçachant plus de quel bois faire flesche, fut trop heureuse de se taire et de se retirer ; le peuple, eschauffé pour son propre interest, n’auroit pas reçu de trop bonne part des nouvelles de sa façon, non plus qu’elle eust peu se resoudre à dire les veritez de quelques personnes dont elle estoit esclave et mercenaire. Quoy que ses relations parlassent des gens de cour, ce n’estoit que parmy le peuple qu’elle en faisoit le débit ; mais son regne n’estoit plus de ce monde, la chance estoit retournée, il falloit changer de maxime et se tenir au rang des pechez oubliez, de peur que sa teste ne fit mal à ses pieds, et que, les affaires venant à changer de face, elle ne se vît convaincuë d’avoir laschement abandonné pendant leur disgrâce ceux desquels elle disoit tant de bien durant qu’elle tiroit sa protection de leur faveur.

Gazette donc se resolut assez sagement de se retirer, et son silence fut la marque de son interdiction ; la tristesse l’accable, la pauvreté l’accueille, la faveur l’abandonne, et le mal-heur du temps l’enveloppe indiferamment dans la misere publique. Cent fois durant ces tintamares la demangeaison luy prend d’escrire les beaux faits des generaux du peuple ; mais en même temps la crainte du retour, qui vaudroit pis que matine, luy fait redouter l’autre party. D’ailleurs, tous les chemins estant bouchez, et les avenuës de cette grande ville entièrement bloquées, ses agends et correspondances ne sçauroient apporter aucunes nouvelles des pays esloignez ; toutes les lettres qu’on luy escrit sont interceptées, et leurs porteurs ajustez tout de rosty, ses despesches sont despeschées, et de ses Memoires autant en emporte le vent ; elle n’ose plus mettre : de Rome un tel jour ; de Munster tel autre jour ; de Kracow, de Dantzite, de Londres, de Lisbonne, de Bayonne, de Naples, de Piombine, de Venise, de Gennes, de Cazal, etc., mais seulement de Paris, puis c’est tout. Elle ne peut parler de general Konixmarc, Roze, Lamboy, Fairfax, etc., et ceux de Paris sont les seuls dont elle peut dire quelque chose : autrement il seroit trop facile de la convaincre de fausseté, et se seroit faire douter de tout le reste en controuvant de si manifestes menteries ; bref elle se voit contrainte de souffrir le plus grand supplice qu’une fame puisse supporter, qui est la peine du silence ; son encre se sèche dans son cornet, et ses plumes ne servent qu’à des volants pour divertir cette profonde melancholie.

Ce fut là l’interrègne de Madame l’Histoire ; on n’entendit durant quelque temps ny vent ny voye, on ne sçavoit ce qu’elle estoit devenue, les curieux la cherchoient partout, et la disette du pain ne leur estoit pas tant insupportable que le manque de Gazette ; ils ne sçavoient de quoy contenter les chancres affamez de leurs cerveaux quand ils se rencontroient l’un l’autre, c’estoit à demander : Que dit-on de nouveau ? je ne sçay rien, je n’apprends rien ; cela est estrange qu’on ne sçait aucune nouvelle, il semble que tout soit mort depuis que la Gazette ne va plus, l’on vit comme des bestes, sans sçavoir rien de ce qui se passe ; ainsi sans quelques rogatons dont les colporteurs en vuidant leurs pochettes remplissoient ces chambres vuides de cervelle, ils prenoient le grand chemin des petites maisons. D’autres, pour suppléer à ce deffaut, forgeoient eux-mêmes des nouvelles pleines d’immaginations bouruës et de coq à l’asne, en faisant accroire aux simples et donnant à rire aux serieux ; bien souvent en parlant d’un homme que l’on tenoit pour mort, il passoit à cheval devant eux monté comme un sainct George et crevant de santé : d’autres fois ils publioient que nos gens avoient gagné quelque poste, et deffait le party contraire, lors qu’ils en revenoient après en avoir esté chassés eux mesmes et battus dos et ventres en enfans de bonne maison.

Ce desordre obligea dame Histoire à se servir d’une personne interposée qui ne fût ny suspecte ny taxée de Flatterie, et choisit pour cet effet certain Courrier inconnu, qui se nomma François, mais il ne se devoit nommer que Parisien, d’autant que ses courses ne s’estendoient point hors des portes de cette ville ; elle instruisit cet homme de toutes les manigances qu’il falloit pratiquer, comme il falloit adoucir et couler les mauvaises nouvelles, exagerer les avantageuses, asseurer les douteuses délicatement, si bien que l’on ne s’en peut dedire sans contradiction, et faire en sorte de se faire bien venir des puissances, agréer du peuple, et n’attirer sur soy la haine ny la malediction de personne ; après ces instructions il prit la place de Gazette, et sceut si bien encherir par dessus son stile, que dès sa première arrivée, qui fut de son logis chez l’imprimeur, on cria Vivat, adieu Gazette et courre le Courrier.

Je m’imaginois au commencement que c’estoit un piqueur de chevaux qui fût toujours en selle et le foüet à la main, qu’il eust les fesses endurcies comme un postillon, qu’il courût incessamment la poste, la botte tirée jusques au pommeau de la selle, et qui fit des cinquante lieuës par jour sans s’arrester jamais deux heures en une place ; mais la première rencontre que j’en fis chez l’imprimeur me détrompa de cette créance, et me le fit connoistre pour un piqueur d’escabelle qui ne levoit que rarement le cul de dessus, si ce n’est qu’il eust affaire au Palais ou à l’Hostel de ville.

N’estoit-ce pas un homme fort propre à cette profession ? N’estoit-il pas bien nommé Courrier françois ? et donnant dans Paris des nouvelles seulement de Paris, avoit-il pas bonne raison d’adjouster à son titre ces mots, apportant toutes sortes de nouvelles ? puisque celles dont il nous faisoit part estoient le plus souvent si vieilles et rebattuës ; que dis-je les enfans en alloient à la moutarde.

Il est bien vray qu’il n’estoit pas ignorant, ses preambules estoient tousjours farcis de latin et sa relation avoit bien du stile d’un sermon de village ; il sçavoit les lieux communs, dont il enrichissoit son discours assés à propos, et, lorsque les nouvelles n’estoient pas assez abondantes, il trouvoit le moyen, comme estant de pratique, de tirer et d’allonger la matière pour achever le cayer et remplir la mesure ; lorsque nos generaux n’avoient rien executé de nouveau, Ciceron avoit dit de belles choses ; de l’Histoire françoise n’ayant rien à dire, on avoit recours à la Romaine, dont on rapportoit des exemples qui n’avoient aucune application.

Il avoit toutesfois bien choisy son temps, et, comme personne ne le contredisoit, il pouvoit faire ses orges, et faire accabler son imprimeur de sols bossus ; le pain ne se vendoit pas mieux que ses papiers, on y couroit comme au feu, l’on s’assommoit pour en avoir, et les colporteurs donnoient des arres dès la veille affin qu’ils en eussent des premiers ; on n’entendoit, les vendredis, crier autre chose que le Courrier françois, et cela rompoit le col à toutes les autres productions d’esprit parmy lesquelles il se pouvoit treuver quelque bonne pièce.

Mais enfin, après douze de ses arrivées, qui n’estoient, comme j’ay dit, que de son logis à l’imprimerie, et dans toutes lesquelles il n’a jamais usé qu’une paire de souliers, la Paix, nous remettant dans le bonheur, fit la fin de son negoce et de sa bonne fortune, son travail cessa quand tous les autres recommencèrent, et il commença de se plaindre quand tout le monde ne songea plus qu’à se resjouir. Ainsi va le monde, chacun à son tour, il n’est pas tousjours temps de rire, et l’on ne peut pas estre et avoir esté.

Toutes les choses estant retablies par cet accord, chacun voulut rentrer dans ses droits, et surtout Mademoiselle Gazette, sortant de son trou de boulin, où elle s’estoit tenue recluse et le bec clos à crocquer le marmot durant tout le temps de la guerre, pria sa maistresse de luy rendre ce qu’elle ne luy avoit osté qu’à cette condition ; la bonne dame ne luy peut pas refuser une requeste si juste, mais, pour contenter son Courrier, qui ne vouloit point demordre, elle luy conseilla de luy laisser encore faire une de ses corvées. Il fallut passer par là malgré son impatient desir d’en desgoiser après un si long et si penible silence ; mais comme le drosle vouloit encore continuer ses courses, elle le fit arrester et prendre au collet dans le temps qu’il alloit chez l’imprimeur, et le fit conduire au palais de sa maistresse, comme rebelle à ses ordonnances et ses priviléges ; il deffendit sa cause le mieux qu’il luy fut possible, alleguant pour ses raisons qu’une fame n’estoit pas capable de cet employ, et que c’estoit une indignité de laisser un si sage gouvernement en gynocratie. Je vous laisse à penser si, parlant en présence d’une fame qui estoit le juge de ce different, ses deffenses pouvoient estre bien receuës ; il fut donc condamné haut et court à faire vidi aquam, tenu de prendre Mademoiselle Gazette par la main, et la remestre en sa place qu’il vouloit usurper avec injustice.

Cela se fit en pompe et ceremonie ; la Donzelle parut avec plus d’esclat que jamais, et eut un si riche équipage qu’il est besoin d’en dire les particularitez.

Premièrement sa taille estoit fort avantageuse, affin de pouvoir descouvrir partout, et d’avoir toujours le nez au vent ; elle estoit laide comme un cu, mais sa compagne Flatterie luy avoit mis un masque qui la faisoit paroistre belle comme le jour ; sa coiffure à la mode enrichie de galons de toutes sortes de couleurs, mais je trouvay fort estrange qu’elle faisoit comme vanité de monstrer de grandes vilaines aureilles dans les trous desquelles elle avoit fiché les bouts de quantité de petits entonnoirs d’argent, dont chacun portoit gravé le nom de quelque province ; elle avoit à la droite une plume fort bien taillée à la mode des procureurs, et l’escritoire pendüe à la ceinture de sa robbe en façon de monstre ou de drageoir ; son collet estoit de point de Gennes, sa chemise de toille de Hollande, ses manchettes de Flandre, et sa robbe à l’Italienne, de taffetas changeant, parsemée de langues et d’aureilles en broderie ; elle avoit autour d’elle autant de miroirs qu’une revendeuse, dans lesquels, de quelque costé qu’elle se tournast, on pouvoit remarquer tout ce qui se passoit aux environs, mais les objets y paroissoient plus beaux qu’ils n’estoient, et les glaces n’en estoient guère fidelles ; elle avoit des aisles à ses patins, ses pieds n’estoient jamais en repos et sembloient faire beaucoup de chemin quoy qu’ils ne bougeassent de leur place ; des pacquets de papiers sortoient de ses pochettes, l’on luy dardoit incessamment des lettres et des despesches, et les pacquets vosloient autour d’elle comme les mouchoirs sur le théâtre d’un charlatan. Le siége où elle se devoit asseoir estoit pliant, fait de bois de tremble, dont la boule de la Fortune faisoit le marchepied, et toute cette machine estoit sur un pivot, au haut duquel estoit une girouette, qui, tournant à toutes sortes de vents, tournoit quant et quant le siége et la personne qui y estoit assise ; dès qu’elle y eut esté conduite par l’infortuné Courrier, elle luy fit une révérence et luy dit serviteur très-humble. Après s’être fait rendre les marques et les ornements de sa dignité, aussitôt je vis entrer des Espagnols, Allemands, Flamands, Suisses, Portuguais, Italiens, Catalans, Napolitains, Hollandois, Anglois, Escossois, Hibernois, Danois, Suedois, Hongrois, Polonois, Venitiens et toutes sortes de nations, qui la vinrent congratuler de son restablissement, et luy conter tant de belles choses que, ne pouvant souffrir davantage tous ces caquets, je sortis de la chambre tout estourdy, avec un desgoust estrange de tous ces fagotteurs de nouvelles, et souhaittant de trouver une personne qui fût assez homme de bien pour escrire franchement, sans desguisement, Flatterie ny dissimulation, n’ayant que la Vérité pour guide, qui doit estre l’ame de l’Histoire.




Coup d’œil sur la marche de la presse en Angleterre durant la même période. — Défaveur qui s’y attache, ainsi qu’en France, au métier de gazetier. — Obstacles opposés au journalisme ; comment il en triomphe.


Un fait que nous devons signaler comme pouvant servir à expliquer l’infériorité du journalisme dans ce grand mouvement polémique de la Fronde, mais qui s’explique assez difficilement lui-même, c’est le peu de faveur qui s’attachait, à cette époque et longtemps encore après, à la qualité de gazetier. Et, chose remarquable, il en fut de même en Angleterre. Hâtons-nous de dire cependant que la presse avait été plus heureuse chez nos voisins, et qu’elle y avait promptement grandi, à la faveur des troubles qui les divisaient. Ce n’est pas qu’elle n’eût rencontré de l’opposition et de puissants obstacles ; mais elle en avait triomphé avec cette tenacité qui est dans le caractère anglais. Les premiers journalistes se trouvèrent en face de la Chambre étoilée, qui fit si longtemps à la presse une guerre acharnée, employant contre les écrivains les supplices les plus cruels et les plus barbares. N’osant se permettre la moindre allusion à ce qui se passait en Angleterre, ils se bornaient à enregistrer les nouvelles de l’étranger, dans lesquelles la censure taillait à tort et à travers, et quelques petits faits amassés péniblement et au jour le jour, qu’ils donnaient tout secs, se gardant de toute réflexion, de tout commentaire, comme d’un délit qui aurait attiré sur eux les foudres du redoutable tribunal. À peine se hasardaient-ils à citer des noms propres, car il était arrivé plus d’une fois que de grands personnages avaient fait assommer des écrivains pour avoir parlé d’eux dans les gazettes.

Les mêmes faits, d’ailleurs, se produisirent en France ; le titre de gazetier n’était pas plus en honneur dans un pays que dans l’autre, et c’est une chose étrange que cette répulsion de l’opinion publique venant s’ajouter aux persécutions du pouvoir contre une institution si éminemment utile aux intérêts des masses. Ce qui est certain, c’est que les esprits eurent quelque peine à s’habituer à l’idée qu’on pût faire commerce public de nouvelles ; une gazette imprimée était une nouveauté si surprenante, et qui faisait tant de bruit, que Ben Jonson crut voir là un excellent sujet de comédie. Il fit jouer, en 1625, l’Approvisionnement de Nouvelles, dans lequel il ridiculise l’entreprise des Weekly News, et leur rédacteur Butter, qu’il appelle maître Cymbal, mais dont le vrai nom, qui signifie beurre en anglais, revient à chaque instant dans la pièce sous forme de calembour. Ben Jonson lui donne pour collaborateurs réguliers quatre coureurs de nouvelles ou émissaires, chargés de recueillir tout ce qui se dit à la cour, au cloître de Saint-Paul, rendez-vous des badauds de Londres, à la Bourse, et à Westminster, où siégeaient les tribunaux. Ben Jonson ajoute à ces quatre nouvellistes un mauvais poète, un docteur en médecine, et, comme rédacteur irrégulier, Lèche-ses-Doigts, cuisinier-poète, qui consacre ses loisirs à faire des devises et autres vers de confiseur. Le personnel administratif se compose de maître Cymbal, d’un secrétaire qui enregistre les nouvelles à mesure qu’elles arrivent, de deux commis, et d’une foule de cartons avec de grandes étiquettes. Une brave paysanne se présente au bureau de maître Cymbal et demande pour deux liards de nouvelles, afin d’en faire présent à son curé : on la prie d’attendre quelques instants, parce que, si elle était servie à la minute, le public pourrait croire qu’on fabrique les nouvelles, au lieu de les recueillir.

La même année, Shirley mettait en scène, dans les Ruses de l’Amour, la grande nouveauté du jour, et faisait un portrait peu flatteur des marchands de nouvelles. « Ces gens-là, dit-il, avec une heure devant eux, vous décriront une bataille, dans quelque coin de l’Europe que ce soit, et pourtant ils n’ont jamais mis le pied hors des tavernes. Ils vous dépeindront les villes, les fortifications, les généraux, les forces de l’ennemi ; ils vous diront ses alliés, ses mouvements de chaque jour. Un soldat ne peut pas perdre un cheveu de sa tête, ne peut pas recevoir une pauvre balle, sans avoir quelque page à ses trousses, format in-4o. Rien n’arrête ces gens-là, que le défaut de mémoire, et, s’ils n’ont point de contradicteur, ils ne tarissent pas… »

Cette scène de Shirley, que nous abrégeons, est une première édition, très-complète, de toutes les satires qu’on a faites depuis lors du journalisme.

Pendant longtemps les écrivains politiques dédaignèrent de se mêler aux conteurs de nouvelles, auxquels ils refusaient le titre d’écrivains. « Un journaliste, écrivait Cléveland a autant de droit au titre d’écrivain qu’un colporteur au titre de commerçant ; quant à l’appeler historien, autant vaudrait qu’on appelât ingénieur un faiseur de souricières. » Il faut bien dire aussi que les premiers rédacteurs de gazettes furent loin de donner à la presse cet éclat et cette autorité qu’elle devait recevoir un jour du talent et du caractère de ses écrivains.

Mais il y a trop de bon sens chez la nation anglaise pour que de pareilles préventions pussent longtemps prévaloir contre l’évidence, pour que les partis ne comprissent pas la puissance de cette nouvelle arme. D’un autre côté, les journaux, au milieu du mouvement général imprimé aux esprits par les luttes de parti, devaient se fortifier, acquérir le sentiment de leur valeur, et, arrivés à ce point, il était impossible qu’ils ne prissent pas fait et cause pour les wighs ou les tories, qu’ils ne se rangeassent pas sous une bannière, celle du gouvernement ou celle de l’opposition. Enfin les sévérités même de la Chambre étoilée devaient, par leurs exagérations, hâter la réaction en faveur de la presse. C’est, en effet, sous la pression de l’irritation populaire, que Charles Ier se détermina à abolir ce tribunal détesté. Cette concession équivalait à la proclamation de la liberté de la presse ; aussi vit-on éclore aussitôt des milliers de pamphlets pour ou contre la royauté, pour ou contre l’église anglicane. De nombreux journaux s’établirent à Londres et dans les provinces, et ces journaux firent un premier pas dans le domaine de la politique en reproduisant les débats parlementaires, puis ils s’enhardirent à publier des nouvelles de l’intérieur et à discuter les affaires du pays. Ce n’est pas que ce droit leur fût reconnu : le parlement ne se montra pas plus tolérant que la Cour ; il n’est sorte d’entraves qu’il n’imposât aux journalistes. Ce sont ces persécutions du parlement qui donnèrent lieu aux célèbres pamphlets de Milton en faveur de la liberté de la presse. Mais les journaux avaient dans les nécessités du temps un meilleur avocat encore que Milton. Le parlement et la royauté étaient en lutte ouverte, et des deux côtés on cherchait un appui dans l’opinion publique. On s’aperçut bientôt que les journaux étaient un instrument fort supérieur aux pamphlets ; chaque parti voulut avoir son organe, et, comme en France à la même époque et dans des circonstances à peu près identiques, on se fit la guerre à coups de plume autant et plus qu’à coups de fusil. Seulement, en France, comme nous l’avons fait remarquer, le pamphlet demeura l’arme favorite, tandis qu’en Angleterre ce fut le journal. Les dix-neuf années qui s’écoulèrent de 1641 à la restauration des Stuarts virent naître et mourir plus de deux cents journaux. La plupart de ces feuilles tenaient sans doute encore beaucoup du pamphlet mais elles tendaient à perdre ce caractère. Il y avait une polémique suivie entre les journaux de la Cour et ceux du Parlement ; on s’attaquait, on se répondait de part et d’autre ; on se parodiait quelquefois, on s’injuriait très-souvent. Le journal n’était plus un objet de commerce ; c’était un instrument politique.

La restauration des Stuarts porta un rude coup aux journaux ; leur liberté fut restreinte, les persécutions recommencèrent contre eux, et, si Jacques II avait triomphé, toute liberté de la presse, par conséquent tout journalisme, eût cessé d’exister en Angleterre. Mais la révolution de 1688 changea complétement la face des choses, et rendit l’essor à la presse jusqu’à mettre le gouvernement sous son contrôle, suivant l’expression de M. Macaulay. Non-seulement les journaux se multiplièrent, tous les partis en fondant à l’envi, mais leur rôle s’agrandit tout-à-coup, un peu par suite de la faiblesse du gouvernement, mais surtout par suite de la rivalité des deux grands partis qui s’en servaient pour se combattre. Enfin l’activité intellectuelle qui fit du règne de la reine Anne l’âge d’or de la littérature anglaise contribua puissamment encore au développement et à la transformation du journalisme, et depuis lors, malgré l’acharnement des communes contre ce pouvoir nouveau, qui exerçait sur elles une surveillance importune et leur disputait la direction de l’opinion publique, malgré les impôts dont on l’a surchargée, dans l’intention avouée de la tuer, impôt du timbre, impôt sur les annonces, impôt sur le papier, elle n’a cessé de grandir en influence et en autorité. Elle n’a pourtant pas complétement triomphé dans sa lutte avec les communes. Aujourd’hui encore les journaux anglais n’ont pas le droit de publier les débats du Parlement ; s’ils le font — et on sait avec quel développement, — c’est grâce uniquement à la tolérance des deux Chambres, et non en vertu d’un droit reconnu et incontestable. Un des premiers actes du gouvernement des Stuarts avait été d’interdire la publication des débats du Parlement. Quand le pouvoir fut passé à la Chambre des communes, cette Assemblée, qui avait fait un crime aux Stuarts de leur Chambre étoilée et de leurs persécutions contre la presse, refusa de subir à son tour ce contrôle de la publicité qu’elle avait elle-même imposé à la royauté ; elle se transforma en une véritable Chambre étoilée pour venger ses propres injures. Toute allusion à ses débats intérieurs, toute réflexion sur les mesures votées par elle, devinrent des délits, punis par l’amende, l’emprisonnement, le pilori. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle elle maintint avec une extrême rigueur l’interdiction prononcée autrefois par les Stuarts dans une pensée politique ; on la voit renouveler périodiquement la déclaration, « que c’est une insulte à la Chambre et une violation de ses priviléges, d’oser donner dans un journal, manuscrit ou imprimé, aucun compte-rendu ou détail des débats ou délibérations de la Chambre ou de ses commissions, et que les coupables seront poursuivis avec la plus grande sévérité. » Les journaux, pour satisfaire leurs lecteurs et échapper aux rigueurs du Parlement, étaient obligés de recourir à mille expédients ; mais un jour vint enfin où la volonté des Communes se trouva impuissante devant la curiosité publique, et le Parlement, de guerre lasse, laissa imprimer le compte-rendu de ses séances. Néanmoins les défenses de la Chambre des communes subsistent encore ; mais on les laisse sommeiller, et l’on peut dire que, malgré cette restriction, la presse anglaise jouit de la plus entière liberté[36].


Si nous étions entrés les premiers dans la carrière, nos voisins, on le voit, n’avaient pas tardé à nous distancer ; mais nous conservâmes l’avantage sur un autre terrain, où nul ne nous a dépassés, dans un genre éminemment français, le genre spirituel. À défaut de luttes politiques, la France se passionna pour les luttes littéraires, et c’est dans la petite presse, dans les recueils littéraires, que chez nous, il faut chercher, pendant cette longue enfance de la presse politique, le mouvement des esprits.

C’est, d’ailleurs, à la France encore, que l’Europe dut l’invention des journaux littéraires : notre Journal des Savants, qui date de 1665, est le père de tous les ouvrages de ce genre dont le monde est aujourd’hui rempli. Mais nous remettrons à parler plus tard de ce vénérable recueil, pour ne pas interrompre l’ordre, le fil des idées, et suivre, autant que cela est possible, les vestiges de la presse politique, ou, si l’on veut, de celle qui n’est pas purement littéraire.



  1. Quàm sit muscarum et crabonum quùm calet maximè, dit Naudé dans son Mascurat.
  2. Pierre de Cugnières, surnommé du Coignet, dont le clergé avait placé la statue en un petit coing (coignet) du chœur de l’église Notre-Dame, « en office, dit Rabelais, de esteindre avec son nez… les chandelles, torches, cierges, bougies et flambeaux allumés. » Les Contes d’Eutrapel rapportent ainsi la cause qui valut à Pierre de Cugnières cette vengeance des gens d’église : « Tesmoing, dit Noël du Fail, la statue ignominieuse de maistre Pierre de Cugnières, estant en l’eglise de Nostre-Dame de Paris, vulgairement appelé maistre Pierre du Coignet, à laquelle par gaudisserie on porte des chandelles. Le paillard, estant lors advocat-général, soutint que le roy Philippe de Valois, son maistre, se devoit ressaisir du temporel ecclesiastic, pour estre le fondement d’iceluy mal executé, et seule cause de la dissolution des gens d’eglise et empeschement du vray service de Dieu. »
  3. Pélisson, dans son Histoire de l’Académie, déplore cette invasion du genre burlesque, qui nous vint d’Italie : « Non-seulement le burlesque passa en France, mais il y déborda et il y fit d’étranges ravages. Chacun s’en croyait capable, depuis les dames et les seigneurs de la cour, jusqu’aux femmes de chambre et aux valets. Cette fureur de burlesque était venue si avant, que les libraires ne voulaient rien qui ne portât ce nom, que, par ignorance ou pour mieux débiter leur marchandise, ils donnaient aux choses les plus sérieuses du monde, pourvu seulement qu’elles fussent en vers. D’où vient qu’en 1649 on imprima une pièce assez mauvaise, mais sérieuse pourtant, avec ce titre, qui fit justement horreur à ceux qui n’en lurent pas davantage : La Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ en vers burlesques. »
  4. Agréable récit de ce qui s’est passé aux dernières barricades de Paris, descrites en vers burlesques.
  5. Au XVIIe siècle on avait conservé l’usage des tablettes portatives, carnets de poche ou agendas, comme les appelle le Cardinal : « Oultre ce que j’écrivis déjà dans ma dernière agenda. » La Bibliothèque impériale possède seize de ces agendas de Mazarin, qui sont un véritable trésor. Ces petits carnets, mémento de chaque jour, souvenir de tous les instants, sont écrits entièrement de la main du Cardinal, par courts alinéas, par mentions rapides, d’une ligne, d’un mot, tracés ici à l’encre, là au crayon, tantôt en italien, tantôt en français, et souvent en espagnol, pour être mieux compris de la reine, entre les mains de laquelle ont été, sans aucun doute, tous ces petits livrets, qui lui sortaient de guide et de conseiller.
  6. Cependant cet énorme in-4o de plus de 700 pages fait encore les délices de bien des érudits friands : Charles Nodier, dit-on, le relisait, ou du moins le refeuilletait, une fois chaque année ; M. Bazin en a beaucoup profité dans son histoire de la Fronde. Le véritable titre de cet ouvrage est : Jugement de tout ce qui a été imprimé contre le cardinal Mazarin depuis le sixième janvier jusques à la Déclaration du 1er  avril 1649. C’est un dialogue entre un imprimeur et un colporteur de Mazarinades, Mascurat et Saint-Ange, qui, attablés dans un cabaret, passent en revue les principaux pamphlets parus alors, et que Naudé appelle de gros escadrons de médisances. Sous ce couvert, il défend chaudement et finement le cardinal son maître, et montre la sottise de tant de propos populaires qui se débitaient à son sujet ; puis, chemin faisant, il y parle de tout ; dans son style, resté franc gaulois et gorgé de latin, il trouve moyen de tout fourrer, de tout dire ; je ne sais vraiment ce qu’on n’y trouverait pas : il y a des tirades et enfilades de curiosités et de documents à tout propos, des kyrielles à la Rabelais, où le bibliographe se joue et met les séries de son catalogue en branle, ici sur les novateurs et faiseurs d’utopies, là sur les femmes savantes, plus loin sur les bibliothèques publiques, ailleurs sur tous les imprimeurs savants qui ont honoré la presse, à un autre endroit sur toutes les académies d’Italie, que sais-je ? Pour qui aurait un traité à écrire sur l’un quelconque de ces sujets, le Mascurat fournirait tout aussitôt la matière d’une petite préface des plus érudites. C’est une mine à fouiller.
  7. La Raillerie sans fiel… 1649.
  8. Monologue de Mazarin sur sa bonne et sa mauvaise fortune, en vers burlesques. 1649.
  9. La Nocturne chasse du lieutenant civil.
  10. « Samedi dernier, de grand matin, dit Guy Patin dans une lettre du 21 juillet 1649, un imprimeur, nommé Morlot, fut ici surpris imprimant un libelle diffamatoire contre la reine, sous ce titre la Custode du lit de la reine. Il fut mis au Châtelet, et dès le même jour, il fut condamné d’être pendu et étranglé. Il en appela à la cour. Lundi on travailla à son procès. Hier mardi il fut achevé, et la sentence confirmée. Quand il fut sorti de la cour du Palais, le peuple commença à crier, puis à jeter des pierres, à tomber à coups de bâton et d’épée sur les archers, qui étaient en petit nombre. Ils commencèrent à se défendre, puis à se sauver. Le bourreau en fit de même. Ainsi fut sauvé ce malheureux, et un autre qui était au cul de la charrette, qui devait avoir le fouet et assister à l’exécution de Morlot. Il y eut un archer de tué ; plusieurs furent blessés. De cæteris Deus providebit. » Guy Joly raconte que le lieutenant criminel, qui commandait les archers, reçut plusieurs coups de bâton et eut assez de peine à se sauver. Pendant qu’une bande délivrait ainsi Morlot aux abords du Palais, une autre bande se portait sur la place de Grève pour y détruire l’instrument du supplice. Elle abattit la potence, rompit l’échelle en plusieurs morceaux, lança des pierres dans les vitres de l’Hôtel-de-Ville, et continua le bruit et le désordre dans la place jusqu’à 9 heures du soir. Selon Guy Joly et le cardinal de Retz, les libérateurs de Morlot étaient des garçons libraires ou imprimeurs.
  11. Mémoires, édit. in-12, 1842, t. I, p. 124.
  12. Ibid., I, 76.
  13. Ibid., II, 166.
  14. C’était la veuve Antoine Coulon qui imprimait les pièces les plus séditieuses. Les meilleures sortaient des presses de la veuve Guillemot, de Robert Sara et de Cardin Besogne.
  15. L’Adieu et le désespoir des autheurs et escrivains de la guerre civile, en vers burlesques.
  16. L’Adieu et le désespoir des autheurs et escrivains de la guerre civile, en vers burlesques.
  17. Le Politique burlesque, dédié à Amaranthe.
  18. Le Burlesque remerciement des imprimeurs, etc.
  19. On lit dans les Agendas de Mazarin, à la fin de 1649 : « On a envoyé plus de 6 m. copies du libel contre moy et d’Hemery dans toutes les provinces. »
  20. Le prince de Conti, c’est-à-dire les pamphlets sur le prince de Conti, comme plus haut les pamphlets sur les Condés et sur les Gastons, sur La Rivière et sur le cardinal Mazarin.
  21. Le Bureau d’adresse.
  22. Le titre, le préambule, le boniment, était alors, comme toujours, d’une grande importance ; de son contexte et de la façon dont il était crié dépendait souvent le succès de la pièce. Aussi, dit l’Adieu et le désespoir des autheurs, nous prenions grand souci



    De pouvoir trouver de bons titres,
    Afin de n’être point bélîtres,
    Et de contenter les humeurs
    De tant de divers imprimeurs,
    Qui ne faisaient pas trop de compte
    De nos cayers…

  23. Lettre à monsieur le Cardinal burlesque (4 mars 1649). Naudé met cette lettre au-dessus des pièces burlesques de Scarron. Elle est de l’abbé de Laffémas, fils d’Isaac de Laffémas.
  24. Le Pont-Neuf était couvert de libraires étalagistes, qui eurent souvent maille à partir avec les libraires en boutique. « Il y a ici un plaisant procès, dit Guy Patin dans une lettre du 15 septembre 1650. Le syndic a obtenu un nouvel arrêt, après environ trente autres, par lequel il est défendu à qui que ce soit de vendre ou d’étaler des livres sur le Pont-Neuf. Il l’a fait publier et a fait quitter la place à environ cinquante libraires qui y étaient, lesquels sollicitent pour y rentrer, et enfin ils ont obtenu un terme de trois mois, afin que durant ce temps-là ils puissent trouver des boutiques. » On trouve dans les Mazarinades une Requête des marchands libraires du Pont-Neuf présentée à nos seigneurs de la Basoche, en vers burlesques, composée à cette occasion.
  25. Paris, 1851 et s., 3 vol. in-8o.
  26. « Le 4 mars, le roi étant allé visiter son imprimerie, établie dans l’un des appartements de son Orangerie à St-Germain-en-Laye, et S. M. ayant voulu faire imprimer quelque chose, celui à qui Leurs Majestés ont donné la direction de cette imprimerie (Renaudot) dicta sur-le-champ quelques vers sur la première conférence de Ruel. Voici les derniers, les seuls que l’auteur publie, les premiers ayant été enlevés par les courtisans :
    J’accepte cet augure en faveur de l’histoire
    Qu’à l’instant que Paris se met à la raison,
    Mon prince, visitant sa royale maison,
    Va fournir de sujet aux outils de sa gloire.
    Embrassez-vous, Français ! Espagnols, à genoux,
    Pour recevoir la loi, car la paix est chez nous ! »
    (Le Siége mis devant le Pouteau de mer (sic)…
    St-Germain, 1649.)

    Le roi, cela va sans dire, récompensa magnifiquement les ouvriers.

    On attribua à Renaudot toutes les pièces sorties de l’imprimerie de St-Germain, mais M. Moreau n’en sait que huit dont la paternité lui appartienne certainement. Dans la collection des lettres de Letellier-Louvois (ms. de la Bibliothèque impér., vol. 33.) se trouve une adresse au peuple pour l’engager à ne pas se montrer hostile à la cour. À ce projet est joint un ordre du roi portant que Renaudot publiera cette pièce sans nom d’imprimeur, et la répandra sans nommer l’auteur.

  27. Un fait à noter, c’est que les numéros de la Gazette imprimés à St-Germain pendant le séjour qu’y fit la cour continuent à porter la souscription « À Paris, du Bureau d’adresse, aux Galleries du Louvre, devant la rue Saint-Thomas. » Le numéro du 9 janvier, le premier qui fut imprimé à St-Germain, contient cette rubrique :

    « De Saint-Germain-en-Laye, le 8 janvier 1649. Leurs Majestés et toute la cour arrivèrent ici, le 6 de ce mois, sur les 9 heures du matin. »

    Voilà tout ; rien des motifs de ce voyage nocturne, pas un mot des troubles.

  28. Aller à beau pied sans lance, aller à pied, se disait particulièrement de celui qui était ruiné, qui n’avait plus le moyen de faire le fanfaron.
  29. Châtiment infligé aux soldats dans les corps de garde pour une faute légère. C’étaient quelques coups donnés sur les fesses avec la crosse du mousquet ou la hampe de la hallebarde.
  30. Ordonnance de messieurs les prévôt des marchands et échevins de la ville de Paris portant règlement général pour la garde ordinaire des portes de ladite ville et faubourgs de Paris, et autres expéditions qui seront commandées pour le service du roi et la conservation de ladite ville. Du quatorzième février 1649.

    On lit sur le même sujet dans le Journal politique de la guerre parisienne  :

    Un drôle à qui l’on dit : « Ami, tenez-vous prêt,
    Ayez les armes en main pour faire sentinelle ; »
    Répondit fièrement : « Tu me la bailles belle !
    Commande à tes valets ; sais-tu bien qui je suis ? »
    Lors son sergent lui dit : « Un écureur de puits. »

    Citons encore, pour l’édification de nos soldats citoyens, quelques articles d’un règlement qu’il faut joindre à l’ordonnance ci-dessus ; il a pour titre : Règles générales et statuts militaires qui doivent être observés par les bourgeois de Paris et autres villes de France en la garde des portes desdites villes et faubourgs (1649).

    ART. 7. Tout bourgeois ou soldat doit révérer le corps de garde et le tenir comme un lieu saint, où il ne se doit point proférer de paroles dissolues ni profanes ; au contraire, se tenir dans la discrétion, comme en la chambre et en présence du roi.

    ART. 8. Quiconque donne un démenti à son camarade dans le corps de garde, lui donne un soufflet, ou jure ou blasphème le saint nom de Dieu, doit recevoir de son dit camarade un autre soufflet devant le capitaine (si autrement l’accord ne se peut faire entre eux) ; et pour les blasphèmes, il doit être condamné à une amende telle que de raison.

    ART. 9. Tout bourgeois ou soldat qui se trouvera indiscret jusqu’au point de roter, péter ou pisser dans le corps de garde, qui s’y déchaussera sans le congé de son caporal, doit payer l’amende, quoiqu’il n’ait déchaussé qu’un de ses souliers.

  31. Espèce de coiffure de femme, et, par extension, les femmes qui portent cette coiffure.
  32. Aveugle qui se tenait sur le Pont-Neuf et chantait les chansons en vogue. Son nom était Philippot.
  33. Célèbre arracheur de dents, dont l’enseigne, entourée d’une guirlande de dents, portait cette devise virgilienne :
    Uno avulso, non deficit alter.
  34. Pour la bataille de Lens.
  35. Deux volumes de la bibliothèque Elzevirienne.
  36. V. l’Histoire de la presse en Angleterre, par M. Cucheval-Clarigny, que nous avons déjà citée.