Histoire universelle/Tome I/Avant-propos

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Société de l’Histoire universelle (Tome Ip. ix-xvii).

AVANT-PROPOS

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La préhistoire est cette portion indéterminée des annales humaines sur laquelle la science moderne, malgré ses efforts, n’est encore parvenue à recueillir que des renseignements épars et insuffisants. La période préhistorique n’a cessé de croître en durée en même temps qu’elle reculait dans le passé. En effet les fouilles opérées dans le sol ont mis au jour les ruines de nombreux monuments construits par les premières sociétés civilisées ; et en même temps ont été retrouvées et exhumées les traces de foyers primitifs établis bien plus anciennement par des hommes déjà groupés et progressant en commun mais non encore capables de constituer des États organisés.

Ainsi a-t-on été amené d’une part à connaître près de soixante siècles d’histoire proprement dite et de l’autre à entrevoir une préhistoire d’une durée infiniment supérieure. Entre l’une et l’autre la frontière n’est pas fixe et ne saurait l’être car il est possible que des découvertes futures la reportent davantage en arrière. D’une façon générale on peut dire que l’histoire commence avec l’enchaînement des faits. Des faits isolés sans liens continus entre eux ne la sauraient constituer. L’histoire est un tissu. La préhistoire au contraire ne se compose que de matériaux que leur nature ou leur quantité ne rendent point propres à fournir la trame d’un pareil tissu.

De toutes les questions qui relèvent de la préhistoire, aucune à coup sûr ne serait plus passionnante à élucider que celle des origines de l’humanité. Mais elle demeure des plus obscures.

La parenté de l’homme et de l’animal est indiscutable ; on ose dire qu’elle est indiscutée, puisque, d’après le catéchisme lui-même « l’homme est un animal raisonnable » : définition à laquelle nul ne saurait refuser de souscrire. Mais quelle est cette parenté et d’où dérive-t-elle ? L’homme se distingue des autres animaux par deux traits essentiels : l’usage du langage et de l’outil. On dit volontiers qu’il s’en distingue encore par la manière de se tenir, par ce qu’on nomme la station droite. Pourtant certains animaux se rapprochent de lui sous ce rapport et l’on imagine que, sous l’impulsion de circonstances données, une transformation puisse s’opérer en eux qui les en rapproche encore davantage. Il n’en va pas de même du langage. Nous concevons malaisément le passage des sons inarticulés à la parole, expression directe de la pensée. L’homme peut-il être le simple produit d’une évolution incalculable ? Beaucoup de savants acceptent cette doctrine. Ils admettent une période pendant laquelle l’animal humain n’a pu que grogner et japper, puis une seconde période allant peut-être de la parole articulée à la découverte du feu. Le reste s’enchaîne sans difficulté. L’emploi de l’outil primitif marque le commencement de l’industrie, de même que l’idée d’orner le moins du monde cet outil en le travaillant marque le commencement de l’art. Donc, une fois admis l’homme pensant et parlant, l’évolution humaine devient claire ; ce qui ne l’est pas, c’est la façon dont un simple animal du genre de ceux qui nous entourent serait devenu conscient et aurait réussi à traduire sa pensée par la parole articulée. Sans oser s’inscrire en faux contre cette hypothèse, les preuves manquant en somme pour l’infirmer, il convient de prendre en considération l’apparente immobilité du règne animal. À travers toute la période historique nous n’apercevons pas le plus léger symptôme de perfectionnement. Le chien d’Ulysse possédait déjà le genre d’intelligence et la faculté d’attachement qui nous font aimer ses descendants ; les fourmis n’ont point amélioré leurs étonnantes communautés ; le miel de l’hymette n’est pas surpassé ; le talent d’architecte du castor est demeuré identique[1] et l’habileté professionnelle du perroquet n’a pas fait un pas non plus que l’art incontestable du rossignol. Je cite à dessein des animaux que leur industrie, leurs groupements sociaux, leurs facultés et même un curieux phénomène d’articulation irréfléchie désignent comme plus propres à se développer dans un sens parallèle au nôtre. On a dit de certains d’entre eux qu’ils étaient « candidats à l’humanité » ; le mot est joli mais ce sont là de singuliers candidats puisqu’ils ne font aucun progrès ! On objectera alors que quelques mille ans ne représentent que la valeur d’un instant par rapport au formidable amoncellement des âges disparus. Ce n’est pas exact car ces quelques mille ans, en regard des somnolences antérieures, furent une période de perfectionnement matériel intensif pendant laquelle, si le progrès par imitation était réalisable, il paraîtrait impossible qu’on n’en aperçût point de trace. D’ailleurs lors même que l’homme parviendrait à obtenir du singe par exemple, quelques mots ou quelques signes de conscience, resterait à savoir comment lui-même aurait pu jadis franchir cette même étape sans le secours d’un « précepteur ». Ainsi à côté de l’immobilité de l’animal enchaîné à l’étage inférieur semble devoir s’affirmer la valeur de l’homme créé pour l’étage supérieur[2] ; jusqu’à plus ample informé les facultés ici et là semblent irréductibles par rapport les unes aux autres.

Un fait acquis, c’est la présence de l’homme sur la terre en un temps lointain où les eaux, le sol, les climats différaient fondamentalement de ce qu’ils sont aujourd’hui. Cette présence était-elle quasi universelle ? Les grandes îles, les continents étaient-ils déjà peuplés ? Rien ne semble désigner une portion quelconque de la planète comme ayant été le « berceau du genre humain », berceau d’où peu à peu il aurait débordé sur toute l’étendue des terres, de proche en proche. Il est vraisemblable que les choses se sont ainsi passées mais il n’en reste point de vestige. Par contre les vestiges subsistent des cataclysmes qui seraient survenus en ces temps ; ils concordent avec la tradition du déluge qui n’est pas seulement une tradition chaldéo-judaïque mais se retrouve en Chine, aux Indes et en Amérique.

Y eut-il dès le principe plusieurs races distinctes ou bien les distinctions provinrent-elles de la seule évolution ? Les partisans de la première solution ou polygénistes disputent à ce sujet avec les monogénistes qui tiennent pour la seconde. Historiquement le polygénisme demeure un point de départ au delà duquel rien de distinct ne se profile. Si l’on classe les races d’après leur couleur, les jaunes, les blancs, les noirs apparaissent à l’horizon ; si l’on se règle sur le langage, un certain nombre d’idiomes primitifs ne paraissent présenter aucun trait commun permettant jusqu’ici de les rattacher les uns aux autres. Enfin la classification établie d’après la conformation crânienne se résout en deux grandes divisions : la brachycéphalie et la dolichocéphalie c’est-à-dire le rapport entre le diamètre antéro-postérieur et le diamètre transversal du crâne.

Les races sont-elles de même puissance c’est-à-dire, toutes choses égales d’ailleurs, possèdent-elles des qualités équivalentes ? Sur cette question la controverse s’est exercée trop passionnément pour que la clairvoyance et la logique n’en aient pas souffert. L’expérience et le raisonnement tendent à faire de plus en plus justice des assertions exaltées des fougueux partisans de l’inégalité des races. « Il suffirait, écrivait naguère l’un d’eux, que le groupe blanc le plus pur, le plus intelligent et le plus fort résidât par un concours de circonstances invincibles au fond des glaces polaires ou sous les rayons de l’équateur pour que toutes les idées, toutes les tendances, tous les efforts y convergeassent ». En fait les représentants du groupe blanc « le plus pur, le plus intelligent et le plus fort » ont affronté les glaces polaires aussi bien que les rayons de l’équateur et ne s’y sont pas toujours comportés d’une façon propre à corroborer un tel axiome. Du reste l’influence des milieux déjà reconnue par les anciens est aujourd’hui trop clairement établie pour qu’il soit permis d’en faire aussi bon marché.

Le climat a été le véritable sculpteur des races ; c’est lui qui leur a donné leur physionomie et leurs traits distinctifs. Par climat, cela va de soi, il faut entendre non point la température mais l’ensemble des conditions du sol et de l’atmosphère. Ce n’est point le hasard et c’est encore moins l’attrait qui ont poussé les hommes ou les ont retenus loin des régions tempérées et des zones faciles ; mais ce sont la nécessité, le souci de la conservation et de la défense. Ainsi, quittant la plaine, ils ont fui vers la montagne afin d’y trouver la sécurité ou bien ils se sont exposés pour échapper à la férocité de l’animal, à la rudesse des éléments. À quel degré atteint leur adaptabilité aux milieux les plus inattendus, c’est ce que démontrent les villages lacustres tels qu’il en existe encore de nos jours et mieux, les silhouettes si bizarres des pâtres landais perchés sur leurs invraisemblables échasses et se servant de ces jambes postiches avec une dextérité sans égale.

Le climat détermine la nature du travail. La chasse, la pêche, la cueillette, le pâturage, la culture en composent les types généraux. La cueillette fut sans doute le type primordial, non seulement parce qu’au début l’homme manquait des connaissances ou des instruments nécessaires pour se livrer à d’autres travaux mais parce que sa constitution même et son anatomie paraissent révéler un être destiné à se nourrir des fruits du sol plutôt que de la chair des animaux. C’est conduit par les circonstances qu’il devint, selon les cas, chasseur, pêcheur, possesseur de troupeaux qu’il fit paître, agriculteur enfin après qu’il eût découvert, à force d’observation et d’expériences, le mystérieux prodige de l’ensemencement. Le travail à son tour, détermine la nature et les aspects de la propriété et ces deux éléments combinés influent sur la famille, y établissant la prépondérance du père ou celle de la mère, fixant les tendances polygames ou monogames, provoquant l’essaimage ou la cohésion, c’est-à-dire la fondation par les enfants mariés de foyers distincts ou leur maintien au foyer central.

Toute puissante à l’époque préhistorique, l’influence du milieu le fut encore en ces temps historiques ou les civilisations se développaient isolément, où les peuples même voisins continuaient de s’ignorer ou bien, se connaissant, d’entretenir à l’égard les uns des autres des sentiments méfiants et hostiles. Au vrai, son action s’est prolongée jusqu’à l’époque moderne. Aujourd’hui elle décline rapidement, contrariée par le progrès des transports indéfiniment facilités et surtout par la transformation de l’habitation où les perfectionnements de l’éclairage et du chauffage tendent à uniformiser l’existence.

Le progrès s’est accompli pour l’humanité primitive principalement par l’imitation et les contacts. Imiter la nature, l’animal, s’imiter soi-même, telles furent les premières préoccupations de l’homme. Et si nous possédons aujourd’hui d’autres instruments de progrès, il convient d’observer que ceux-là comptent encore parmi les plus puissants et les plus actifs. Une bonne partie des fonctions sociales repose sur la loi d’imitation. Mais il existe un certain nombre « d’inventions » fondamentales dont le rôle est si usuel que nous oublions de nous souvenir du geste spontané ou réfléchi par lequel elles surgirent jadis.

La route s’est inventée d’elle-même ; les hommes et souvent les animaux la dessinèrent d’instinct en suivant leurs propres traces. Mais le pont, l’étoffe, la roue, le levier, le bateau, la poterie, l’écriture enfin, voilà les bases profondes de notre civilisation, voilà les assises géantes enfouies dans le sol, les bienfaits inestimables que nous ont légués nos ancêtres inconnus. Que l’idée du pont soit née de deux arbres s’inclinant l’un vers l’autre au-dessus d’un cours d’eau et reliés peut-être par une liane suggestive — que l’idée du bateau soit issue d’un tronc d’arbre creusé par les ans et s’en allant à la dérive avec quelque branchage donnant prise au vent et servant de voile, cela est vraisemblable. La genèse de l’écriture telle qu’on la rapporte satisfait également. Les marques de couleur servant à reconnaître le bétail en auraient constitué l’embryon. À force de les tracer sur la peau du bœuf vivant et de les apercevoir sur la peau de l’animal mort, on se serait accoutumé à l’utilisation de ce parchemin naturel pour y fixer par des signes conventionnels le souvenir d’un évènement ou le détail d’un contrat.

On imagine moins aisément comment l’homme fut conduit à cuire de la terre ou à fondre du métal et, si certaines plantes tropicales ne présentaient de véritables toiles naturelles à fibres entrecroisées, le principe du tissage nous semblerait inaccessible à l’être primitif. Quant au levier et plus encore à la roue, ils ont dû jaillir d’un esprit avancé qu’éclairaient quelques lueurs de génie. La roue, plus encore que le cheval, facilita les grandes migrations en permettant d’entasser sur des chariots les enfants, les provisions et le butin. Faute de l’avoir connue, l’Amérique fut stagnante. La roue lui manqua plus que le cheval. L’homme voyage sans le cheval ; la famille ne voyage pas sans le chariot. C’est ainsi que des peuplades fort développées socialement et mentalement y vécurent dans le passé isolées et condamnées à l’étiolement.

ii


Tandis que, dans le vaste et un peu monotone domaine de la préhistoire, le labeur opiniâtre des spécialistes parvenait à éclairer de quelques lueurs les débuts enténébrés de l’humanité, l’histoire recevait soudainement de la géographie le puissant renfort qui a fait d’elle la première de toutes les sciences en importance et en efficacité éducatrice, celle dont va dépendre désormais en très large part le progrès politique et moral des sociétés.

Au début du xxme siècle, en effet, les géographes ont achevé de dresser l’inventaire du globe. Il ne reste plus maintenant à sa surface que des détails à vérifier ou à approfondir. Nous connaissons notre planète d’un pôle à un autre ; elle n’a plus de secrets pour nous. Ainsi qu’il arrive fréquemment, un fait si considérable a passé inaperçu. C’est en regardant en arrière que les générations suivantes en saisiront la valeur et en mesureront les conséquences. L’une de ces conséquences est d’avoir abattu les cloisons qui, en limitant le champ visuel de l’homme dans l’espace, égaraient aussi son jugement dans le temps ; si bien que les deux notions essentielles de temps et d’espace qui doivent en quelque sorte servir de norme à l’esprit humain, se trouvaient faussées. Les exactes proportions sont aujourd’hui rétablies telles que les conditions de l’évolution générale les ont déterminées et non telles que les avaient fictivement fixées les orgueils nationaux et les ignorances sédentaires.

Par là l’histoire universelle qui n’était et ne pouvait être jusqu’ici qu’une aspiration devient une possibilité. En même temps s’affirme sa nécessité car elle constitue le cadastre sans le secours duquel les histoires régionales ou spéciales ne sauraient donner lieu qu’à un enseignement hypertrophié ; et les conséquences d’un tel enseignement se font volontiers sentir en de multiples domaines, notamment dans celui de la vie publique qui s’en trouve déréglée et de la vie internationale qui risque d’en être dangereusement exacerbée.

Pour étudier l’histoire il convient de se défaire de certains préjugés dont le pli a été fâcheusement pris. Le premier consiste à assimiler la vie des peuples à celle de l’homme. Jeunesse, âge mûr, vieillesse, décrépitude, ce seraient les stages obligatoires de chaque nation. Ce préjugé a dominé la mentalité du xixme siècle, surtout dans sa seconde partie ; bien des fautes politiques, bien des aberrations de l’opinion en provinrent. Ce sont des hommes de ce siècle pourtant, Frédéric Le Play en tête, qui se sont inscrits en faux contre cette théorie inexacte et malfaisante. Ils ont montré que la jeunesse des peuples est indéfiniment réfectible par leur propre effort et l’observation des saines coutumes sociales. Les événements l’ont démontré parallèlement en prouvant que seuls meurent les peuples qui consentent à mourir. En l’espace de cent ans, la résurrection de la Grèce et celle de la Pologne témoignent que les nations animées d’une foi ardente en leurs destins demeurent vivantes jusqu’au fond du tombeau.

Un second préjugé consiste à envisager les apports moraux des races qui ont composé une synthèse nationale comme exactement proportionnels à la quantité de sang infusé. Or les caractères essentiels d’une race mêlée à une autre ne survivent pas au sein de la collectivité ainsi formée en concordance absolue avec le nombre des individus ayant participé à la fusion. Des exemples étonnants de survivance disproportionnée nous ont été fournis par l’époque contemporaine. Nous continuons pourtant à raisonner comme si la vieille notion ethnique basée sur le nombre avait conservé sa valeur intégrale.

Et voici un troisième et un quatrième préjugés habituels. Pour certains, toutes les grandes actions, toutes les évolutions historiques proviennent de causes économiques ; pour les autres, ce sont les idées et les passions seules qui gouvernent le monde. De même beaucoup professent que les évènements de l’histoire sont le résultat en quelque sorte fatal de courants collectifs tandis que d’autres ne veulent apercevoir que l’intervention volontaire d’individualités puissantes ayant orienté le cours des choses de façon inattendue. Comment peut-on être si exclusif ? L’action personnelle est sans doute, plus ou moins fonction du milieu au sein duquel elle se développe mais ce milieu lui-même peut en recevoir des directives ou des contre-directives décisives. L’histoire en fournit de nombreuses évidences. D’autre part la tendance à affronter des risques graves par idéalisme constitue la plus noble caractéristique des sociétés civilisées ; on les rabaisse en le niant, au rang des sociétés animales ; mais elles ne sont pas pour cela composées de purs esprits et les conditions de la vie matérielle influent nécessairement sur leur marche.

L’histoire universelle a ceci de particulier qu’elle nécessite au service de qui l’enseigne des divisions heureusement établies et assez générales pour alléger la masse pesante des faits en même temps qu’assez précises pour maintenir l’esprit en face des réalités essentielles. Le simple canevas numérique des siècles appliqué à un sujet si vaste le revêt d’une uniformité non seulement fastidieuse mais inexacte. L’homme n’a déjà que trop de tendances à se servir de mesures artificielles et rigides pour apprécier ce qui est irrégulier et mouvant. La notion des limites de sa propre vie et celle de la génération à laquelle il appartient, l’y incite dangereusement. Or, l’humanité évoque l’image de l’océan à la surface duquel tout est action et réaction sans qu’il soit possible de dénombrer les vagues, pourtant distinctes les unes et les autres, et de chronométrer leur parcours. De même suivre séparément le destin de chaque peuple et de chaque nation oblige à repasser maintes fois par les mêmes routes sans pour cela permettre de séjourner aux points de jonction où se prennent les larges vues d’ensemble, de toutes les plus éducatives.

On critiquera sans doute les divisions adoptées dans cet ouvrage. Elles pèchent contre la logique car les deux premières sont d’ordre géographique, la troisième d’ordre ethnique et la quatrième d’ordre politique[3]. Mais ce qui importe c’est qu’elles permettent de classer toutes les phases décisives, tous les faits essentiels de l’histoire et cela de manière à en accentuer le caractère instructif.

On critiquera encore autre chose. À partir du xvime siècle, l’usage constant est de parcourir les routes de l’histoire européenne à une allure soudainement ralentie comme si l’on pénétrait en une région différente du pays précédemment traversé et à l’étude de laquelle il fallut consacrer un effort plus approfondi et plus détaillé. Il y a là une erreur de vision entretenue par des habitudes d’esprit auxquelles il n’y a pas lieu de continuer à se plier. Et d’abord si les quatre derniers siècles renferment des périodes de « progrès accéléré », principalement en ce qui concerne la technique scientifique et ses applications pratiques, ils en présentent d’autres dont la stérile agitation n’a abouti qu’à des régressions morales ou politiques. Le développement normal de l’humanité s’en est trouvé entravé ou dévié, Un tel phénomène n’a rien d’extraordinaire. Il s’en faut que l’évolution d’une race, d’une nation, d’un peuple se traduise en étages successifs semblables à ceux d’un monument, l’œuvre de chaque génération étant représentée par un de ces étages. Au cours de la période la plus proche de la nôtre, on a vu bien des bâtisses éphémères recouvrir de leurs plâtres les constructions préparées par le labeur des générations précédentes.

Mais à part de ces considérations, il y a le principe supérieur dont l’étude de l’histoire universelle réclame l’application constante : c’est que le respect des proportions véritables de temps et d’espace ne soit jamais sacrifié à des considérations régionales ou intéressées. L’histoire universelle — c’est ainsi du moins que l’auteur la conçoit et par là il entend définir à la fois son but et sa méthode — l’histoire universelle doit être la science des « ensembles survolés ».

  1. S’il tend à cesser de se manifester, cela est dû à des causes extérieures.
  2. La découverte dans des cavernes préhistoriques de peintures murales et de sculptures d’une valeur artistique surprenante n’est point pour infirmer cette thèse.
  3. Encore pourrait-on observer que le sol, la race et la société représentent une gradation normale.