Histoires incroyables (Palephate)/2

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CHAP. II.

De Pasiphaë. (1).

On raconte qu’elle s’était prise de passion pour un taureau qu’elle avait vu paître ; que Dédale confectionna une génisse de bois dans laquelle il introduisit Pasiphaë, que par ce moyen elle put satisfaire son infâme passion et qu’elle eut un fils dont le corps était celui d’un homme et la tête celle d’un taureau. Pour moi, je dis que cela n’est pas vrai ; car, d’abord, il est impossible qu’un animal s’attache ainsi à un animal d’une autre espèce. On n’a jamais vu un chien s’amouracher d’une guenon, un loup d’une hyène, ou un bubal d’une biche. Ces accouplements n’ont pas lieu entre animaux de genres différents, et je ne pense pas qu’ils soient plus possibles entre un taureau et une génisse de bois. Comment une femme aurait-elle pu soutenir le poids de l’animal et ensuite porter un enfant qui avait des cornes ? Voici ce qu’il y a de vrai dans cette histoire. On rapporte que Minos étant blessé dans un endroit délicat, fut guéri par Proscris, fille de Pandion (2). Dans le temps qu’il subissait le traitement, il avait auprès de lui un joli garçon nommé Tauros, dont Pasiphaë fut éprise. Quand elle eût un fils, Minos, supputant la durée de sa maladie, sentit que cet enfant ne lui appartenait pas, parce qu’il n’avait pu voir alors Pasiphaë, et il se douta bien que c’était le fils de Tauros (3). Il ne voulut pas le faire mourir, parce qu’on le croyait frère de ses propres enfants ; mais il le relégua dans la montagne pour aller servir les pâtres. Minos sut que l’enfant ne voulait pas se soumettre aux ordres des bouviers et ordonna aux habitants de la ville d’aller le prendre, de le lui amener libre, s’il consentait à les suivre de bonne grace, et chargé de chaînes, s’il faisait résistance. Le jeune homme informé de ces projets se retira dans les montagnes où il pourvoyait à sa subsistance en enlevant les troupeaux. Minos ayant envoyé une autre troupe plus nombreuse pour s’emparer de lui, il creusa un fossé profond dans lequel il se retira. Tant que le fils de Tauros s’y tint, Minos lui envoyait les malfaiteurs dont il s’emparait pour qu’il les punît. Un jour donc qu’il avait pris Thésée, dans un combat, il le lui envoya aussi, dans l’espoir que le jeune Tauros le mettrait à mort, mais Ariane le sachant, avait eu soin de faire placer dans la prison de Thésée, une épée avec laquelle celui-ci tua Minos Tauros (le Minotaure).

(1) Diodore de Sicile (liv. IV, chap. 77, p. 218-219, tom. 3, édit. de Deux-Ponts), Apollodore (biblioth. liv. III, chap. l, p. 109-1 10, édit. de Heyne 1803, in-8o), Hyginus (fable XL, p. 102-103 des Mythogr. lat. de Van Staveren, in-4o), et Servius, (comment. sur l’Enéide, liv. VI, vers. 14, p. 348, tom. 6 du virgile de Lemaire) racontent cette fable de la même manière.

(2) Antoninus Libéralis (chap. 41, p. 276-280 de l’édit. in-8o  de Verheyck), donne les détails de l’étrange maladie de Minos et de sa guérison par Procris ; mais il n’y a pas moyen de traduire cela en français. Apollodore (liv. III, chap. 15, p. 170 de l’édit. de Heyne) les donne autrement encore et prétend que c’était la jalousie de Pasiphaë qui l’avait portée à donner à Minos un poison qui n’était funeste qu’à ses maîtresses.

(3) Telle est aussi l’explication qu’Héraclite donne de la naissance du Minotaure dans le petit livre qui nous reste sous son nom, des histoires incroyables. (V. le recueil des opuscules mythologiques de Thom. Gales, p. 71 de l’édit. d’Amsterd. 1688, fable 6).