Histoires incroyables (Palephate)/41

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CHAP. XLI.

Alceste (1).

Les poètes tragiques supposent qu’Admète étant sur le point de mourir, Alceste se dévoua pour le sauver et qu’Hercule touché de sa piété la retira des enfers et la rendit à Admète. Quant à moi, je ne pense pas que jamais mort ait pu revenir à la vie : mais voici ce qui s’est passé : lorsque Pélias eut été tué par ses filles (2), son fils Acaste les poursuivit sans pouvoir les atteindre ; Alceste s’enfuit à Phères auprès d’Admète, son cousin, et se réfugia aux pieds de ses Dieux domestiques, ce qui porta Admète à ne pas vouloir la livrer malgré les instances d’Acaste : celui-ci vint avec une armée attaquer la ville et incendier les lieux environnants : Admète ayant fait, avec quelques chefs, une sortie, pendant la nuit, tomba vivant au pouvoir d’Acaste qui menaçait de le faire mourir ; mais Alceste ayant su qu’Admète était sur le point de périr pour elle, sortit de la ville et alla se livrer elle-même. Acaste relâcha donc Admète et prit Alceste à sa place. On loua le courage d’Alceste en disant qu’elle était allée volontairement mourir pour Admète ; mais les choses ne se passèrent pas comme la fable les rapporte : à la même époque, Hercule revenait avec les chevaux de Diomède (3) et reçut, en passant, l’hospitalité chez Admète : celui-ci ayant déploré l’infortune d’Alceste, devant Hercule, le héros indigné alla livrer bataille à Acaste, détruisit son armée, partagea ses dépouilles entre les soldats d’Admète et remit Alceste aux mains de ce prince : on dit alors qu’Hercule était arrivé pour arracher Alceste à la mort, et ce fut l’origine des détails de cette tradition (3).

(1) Outre la tragédie d’Euripide qui nous reste, les anciens parlent encore de plusieurs autres pièces perdues pour nous, faites avec succès sur ce sujet intéressant, qui a été traité aussi en opéra par Quinault. Sur la manière dont Alceste fut rendue à son époux, Apollodore nous apprend qu’il y avait deux versions : les uns disant que Proserpine touchée de son dévoûment l’avait renvoyée des enfers de son propre mouvement, les autres prétendant qu’Hercule l’en avait retirée de force après avoir lutté contre Pluton lui-même (Biblioth. lib. 1, cap. 9, § 15, p. 32-33 édit. 8° Heyne). La fable est aussi racontée par Hyginus (fables L et LI, p. 114 et 115 des Mythographes latins de Van Staveren) et par Fulgence (Mythologicon lib. l, cap. 27, p. 658-660 ibid). Le trait d’Alceste mourant volontairement pour racheter les jours de son époux est cité parmi les grands sacrifices inspirés par l’amour, dans le banquet de Platon ($ 7, p. 21-22, tom. 5 du Platon Variorum de Londres, Valpy 1826). Ovide y fait allusion dans les tristes :

                     Cernis ut Admeti cantetur, ut Hectoris uxor.
                                                       (Eleg. XIV, v. 37).

Et dans l’Art d’aimer :

                   Fata Pherestiadae conjux Pagasaea redemit
                   Proque viri est uxor funere lata sui.

                                                       (Lib. III, v. 19-20).

Dans Lucien, Protésilas, le premier des Grecs tué sur le rivage troyen, demande à Pluton la faveur d’aller revoir sa jeune épouse pour un seul jour ; Pluton lui dit que c’est impossible, que cela ne se fait jamais ; mais, répond Protésilas, vous avez pourtant rendu Eurydice à Orphée, et accordé le retour d’Alceste, ma parente, pour obliger Hercule (XXIII Dial. des morts, p. 227, tom. 2, du Lucien de Lehman).

(2) La mort de Pélias est expliquée très-naturellement ci-après, au chapitre XLIV, par les bains chauds de Médée que le vieux Pélias ne put supporter.

(3) Fulgence (dans l’endroit cité note 1re), donne, selon son usage, une interprétation allégorique fort étrange de cette fable : la première phrase est encore une explication ridicule des mots grecs par des racines latines. Admète, dit-il, vient de ad et de metus, quasi ad quem metus, qui a des motifs d’avoir peur, etc.

Plutarque, dans le traité qu’il a fait sur l’amour, contient une explication très-naturelle de la dernière partie de la fable : Hercule, dit-il, étant expert dans la médecine parvint à guérir Alceste qui était dans un état désespéré (tom 9, p. 52 du Plutarque de Reiske).