Histoires incroyables (Palephate)/23

La bibliothèque libre.

CHAP. XXIII.

Phinée (1).

On raconte de Phinée que les Harpyes lui enlevaient sa nourriture, et il y en a qui s’imaginent que c’étaient des monstres ailés qui lui ravissaient son dîner. Voici la vérité : Phinée régnait sur la Péonie ; dans sa vieillesse il devint aveugle et perdit ses enfants mâles ; mais il lui restait des filles, Pyrie et Érasie, qui dépensaient tout son avoir : de sorte que les Péoniens disaient : « Pauvre Phinée ! les Harpyes lui mangent tout ce qu’il a. » Ses voisins Zéthos et Calais, fils de l’illustre Borée, eurent pitié de sa position, lui vinrent en aide, chassèrent ses filles de la ville, rassemblèrent les débris de son patrimoine et placèrent auprès de lui un certain Thrace chargé de veiller à ses intérêts (2).

(1) Heyne remarque avec raison, dans ses notes sur Apollodore, qu’il y a peu de fables qui aient donné lieu à tant de variantes que celle de Phinée et des Harpyes. Dans Apollonius de Rhodes (Argonaut. lib. II, v. 178-300, tom. 1, p. 49-53, édit. Schaëfer) et dans l’élégante imitation de Valerius Flaccus (Argonaut. lib. IV, v. 422-530) les Argonautes relâchent sur les côtes de la Bithynie pour demander leur route à Phinée : ce prince aveugle, et toujours en proie aux tourments d’une faim dévorante que les Harpyes l’empêchaient de satisfaire, possédait néanmoins le don de prévoir l’avenir. Le malheureux vieillard attendait impatiemment le vaisseau des Argonautes parce qu’il était réservé aux fils de Borée, Calaïs et Zéthès, qui étaient de l’expédition, de le délivrer du supplice auquel l’avait condamné la colère des Dieux. Calaïs et Zéthès poursuivent les Harpyes jusqu’aux îles Strophades où Iris messagère de Junon (d’après Apollonius), ou Typhon père des Harpyes (d’après Valerius Flaccus), vient leur dire que les Dieux s’opposent à ce qu’ils tuent les Harpyes, mais jure qu’elles ne sortiront plus de leur retraite. On est étonné de l’intérêt et du charme que le talent d’Apollonius et de Valerius Flaccus a su répandre dans ce long épisode, dont Virgile lui-même a tiré un parti beaucoup moins heureux au 3e liv. de l’Enéide (v. 225-267).

(2) Apollodore dit que Phinée avait été aveuglé, par les Dieux, selon les uns, parce qu’il prédisait l’avenir aux hommes ; par Borée et les Argonautes, selon les autres, parce qu’il avait lui même aveuglé ses propres enfants à l’instigation de leur belle-mère, enfin par Neptune, d’après une troisième version, pour avoir indiqué aux enfans de Phrixus le moyen de naviguer de la Colchide en Grèce (Biblioth. lib. I, cap. 9, $ 21, p. 37, édit. Heyne). Le Scholiaste d’Apollonius de Rhodes sur le v. 207 du second liv. (tom. 2, p. 138 de l’édition de Schaëfer) et Diodore de Sicile (liv. IV, chap. 43 et 44, tom. 3, p. 124-128, édit. de Deux-Ponts) disent aussi que Phinée avait persécuté ses propres enfants (fils d’une sœur de Borée) ; qu’Hercule le tua et remit son royaume à ses fils. Hyginus (fable 19), rapporte toute la fable conformément aux détails d’Apollonius de Rhodes. (P. 62-63 des Mythog. latins de Van Staveren), Lactance (sur le v. 255 du liv. VIII de la Thébaïde, p. 122 tom. 3 du Stace de Lemaire) donne la même explication de la colère des Dieux contre Phinée, que Diodore et le Scholiaste d’Apollonius

Héraclite (fable 8, p. 71-72, opusc. mythologic. Gale) prétend que les Harpyes étaient des courtisanes qui ruinèrent Phinée.