Histoires incroyables (Palephate)/39

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CHAP. XXXIX.

De l’Hydre (1).

L’Hydre était, dit on, un serpent de Lerne, qui avait cinquante têtes sur le même corps, et quand Hercule lui en avait coupé une, il en renaissait deux : on ajoute qu’une écrevisse vint au secours de l’hydre (2). Il faudrait être fou pour admettre de pareils contes, mais voici ce qui en est : Lerne était un roi : dans ce temps-là les hommes étaient réunis par bourgades, et chaque bourgade avait son roi : Sthénélus, fils de Persée, régnait sur Mycènes, la plus grande et la plus peuplée ; Lerne ne voulut pas reconnaître sa suprématie : ils eurent donc la guerre ensemble à ce sujet. Lerne avait à l’entrée de sa bourgade un château assez fort gardé par cinquante archers pleins de courage, qui, nuit et jour, ne cessaient de monter sur la tour : ce château s’appelait l’Hydre : Eurysthée envoya Hercule pour prendre le château ; Hercule et les siens lançaient des brandons contre les archers de la tour : mais lorsqu’un de ces archers venait à succomber, deux autres remontaient prendre sa place, pour compenser la perte du brave abattu. Pendant que Lerne avait à soutenir cette guerre contre Hercule, il prit à sa solde une armée étrangère ; Carcinos (en grec, une écrevisse) vint à son secours à la tête de cette armée. C’était un homme d’une grande force et plein de vaillance, à l’aide duquel il résista encore à Hercule : mais ensuite Iolas, fils d’Iphiclès, cousin d’Hercule, vint renforcer les troupes de son parent, d’une armée de Thébains, et, secondé de ces forces auxiliaires, Hercule brûla la tour qu’on avait construite pour la défense de l’Hydre, vainquit les archers, détruisit le château et égorgea la garnison. Tels sont les faits qui ont donné naissance à la fable (n).

(1) Apollodore (liv. 2, chap. 5, § 2, p. 72-73 de l’édit. in-8o  de Heyne), Diodore de Sicile (liv. IV, chap. XI, p. 39, tom. 3 de l’édition de Deux-Ponts) et Hyginus (fable 30, p. 82 des Mythographes latins de Van Staveren) racontent la fable à peu près comme Paléphate : ils varient cependant sur le nombre des têtes de l’hydre ; Diodore dit qu’elle avait cent têtes ; c’est aussi le nombre que lui donne Silius Italicus, dans la description d’un bouclier :

            Centum angues idem, Lernæaque monstra gerebat.
                                                       (Punic. lib. II, v. 158).

Apollodore et Hyginus ne lui en donnent que neuf ; Van Staveren remarque que c’est le nombre que lui attribue Alcée ; tandis que Simonide lui en donne cinquante, comme Paléphate, et que des médailles grecques la représentent avec sept têtes seulement (V. en outre les auteurs cités par M. Roulez, p. 70 de son édition de Ptolémée Héphestion).

(2) Apollodore (loco citato), Eratosthènes (catastérisme 11, p. 107 des opusc. mytholog. de Gale) et Hyginus (fable 23 du 2e livre des astronomiques, p. 473) disent que cette écrevisse monstrueuse venait mordre Hercule au talon pendant qu’il luttait contre l’hydre.

(3) Lactance (sur le vers 384 du 1e livre de la Thébaïde), donne une autre explication de cette fable : d’après ce qu’il rapporte, Lerne était un marais fangeux sujet à se dessécher et à se remplir fréquemment d’une eau vaseuse, où l’on conçoit que les serpents pouvaient abonder, Hercule assainit ce marais, en y faisant des saignées et en employant le feu pour dessécher entièrement la vase (V. tom. 2 de l’édition du Stace de Lemaire, p.74).