Histoires incroyables (Palephate)/45

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CHAP. XLV.

Omphale (1).

On raconte qu’Hercule fut l’esclave d’Omphale : mais c’est un conte absurde ; elle était plutôt faite elle et tout ce qui l’entourrait, pour servir Hercule, s’il l’avait voulu. Voici ce qui en est : Omphale était la fille de Jardan, roi de Lydie : ayant ouï vanter les exploits d’Hercule, elle avoua l’amour qu’il lui inspirait. Hercule étant venu la voir, en devint amoureux à son tour et eut d’elle un fils nommé Laomède. Comme il se plaisait beaucoup auprès d’elle, il faisait tout ce qu’elle voulait, et on imagina bonnement qu’il était son esclave.

(1) Comme le temps de la prétendue servitude d’Hercule coïncide avec l’expédition des Argonautes à Colchos ; c’était déjà, chez les anciens Mythographes, une question très-controversée, que de savoir si Hercule avait ou n’avait pas été jusqu’à Colchos. Il y a sur le v. 1290 du 1er liv. des Argonautes d’Apollonius de Rhodes (p. 108, tom. 2 de Schaëfer) une scholie très-curieuse qui rassemble les opinions de plusieurs anciens logographes : Denys de Mitylène, Démarate et plusieurs autres prétendaient qu’Hercule n’avait pas quitté Jason ; Antimaque, Posidippe et Phérécyde as suraient qu’on avait été obligé de le débarquer en chemin parce que son poids surchargeait trop le vaisseau (Argo) ; enfin Éphore disait qu’Hercule avait demandé lui-même à s’arrêter pour rester auprès d’Omphale. Théocrite (idylle 13, Hylas, v. 66-75, p. 152 153, édit. de Valpy) attribue le départ des Argonautes sans Hercule, au chagrin qui le faisait errer çà et là, après l’enlèvement d’Hylas ; mais il finit son idylle en disant qu’Hercule alla les rejoindre ensuite à pieds. Apollodore (lib. 1, c. 9, § 19, p. 36) dit aussi que le vaisseau partit pendant qu’Hercule et Polyphême cherchaient Hylas enlevé par des nymphes. Il ajoute ensuite la variante de Phérécyde et celle d’Éphore qu’il attribue à Hérodore.

Hérodote (liv. 1er, chap. VII, p. 22-23, tom. 1er de l’édit. de Baehr) parle d’une branche des Héraclides, issue d’Hercule et d’une esclave de Jardan (père d’Omphale) dont l’existence attesterait au moins le passage d’Hercule par la Lydie. Quant aux Mythographes ils s’accordent tous à parler du séjour prolongé d’Hercule auprès d’Omphale. D’après Diodore de Sicile (liv. IV, chap. 31, p. 91-94, tom. 3, Deux-Ponts) et Apollodore (liv. II, chap. 6, §§ 1-3, p. 89-91 de Heyne 1803), Hercule ayant jeté du haut d’une tour Iphitus, fils d’Eurytus, qui était allé lui demander les chevaux enlevés à son père (par Autolycus, selon Apollodore) fut puni de cette action déloyale, par une maladie dont l’oracle d’Apollon déclara qu’il ne guérirait qu’après avoir expié sa faute dans la servitude. Il alla donc en Lydie où il se fit vendre à Omphale, par des amis, selon Diodore, par Mercure, selon Apollodore ; guéri peu après il rendit de grands services à Omphale, comme de détruire les fameux brigands nommés Cercopes et autres exploits de ce genre ; il excita ainsi la curiosité de la reine qui s’étant informée de son origine lui rendit sa liberté et l’épousa.

Dans les dialogues des Dieux de Lucien, au milieu de la plaisante querelle d’Hercule et d’Esculape, sur la prééminence, Esculape indigné de s’entendre traiter d’apothicaire et de disséqueur de racines, répond au brutal enfant d’Alcmène : « Je n’ai du moins jamais été esclave, moi » (Dial. XIII, tom. 2, p, 43, Lehman).

Plutarque, beaucoup plus religieux que Lucien, trouve fort mauvaise la plaisanterie des peintres qui se permettaient de représenter Hercule, vêtu d’une robe couleur saffran, se laissant tresser les cheveux et recevant des coups de houssine des femmes d’Omphale (Un vieillard doit-il se mêler des affaires politiques ? tom. IX, p. 140 du Plutarque de Reiske). Quant à Ovide, il fait décrire par Déjanire, et détailler sous toutes les formes que la jalousie peut inspirer à une femme délaissée, l’avilissement du fier Hercule filant aux pieds d’Omphale (Héroïd. IX, v. 53-1 18. V. en outre Hyginus, fable 32, p. 93 des Mythogr. lat. de Van Staveren et les notes). — Achilles Tatius fait aussi allusion à cet esclavage d’Hercule (lib. II, VI, p. 54, édition de Deux-Ponts).