Histoires incroyables (Palephate)/Avertissement

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Des histoires incroyables,
PAR
PALÉPHATE.

C’est la traduction d’un vieux antiquaire grec que j’entreprends de lancer dans un monde peu soucieux d’antiquités en général et surtout de mythologie : mais le lecteur bénévole est prié de considérer d’abord que le livre dont il s’agit est très-mince et qu’il est d’ailleurs divisé en cinquante-trois petits chapitres, qui peuvent se détacher les uns des autres sans aucun inconvénient, n’ayant rien de commun entr’eux, que la simplicité naïve de l’écrivain, qu’on retrouve partout, quoique ce fût un esprit fort. Mais cela est-il amusant ou du moins instructif ? — Selon la rencontre, comme disait le docteur Marphurius ; si vous croyez que l’étude de l’histoire et de la philosophie anciennes ne soit pas sans utilité, le petit livre de Paléphate vous semblera très instructif, car il explique une multitude de traditions mythologiques, et, comme l’a dit le célèbre Heyne qui avait autant de goût et de bon sens que d’érudition, les anciens mythes sont le point de départ de toute histoire et de toute philosophie[1]. Si les poètes de l’antiquité ou même les classiques modernes ne sont pas pour vous sans attraits, ou si vous avez seulement appris de la mythologie ce qu’il en faut pour comprendre les statues, les bas-reliefs et les tableaux qu’on rencontre partout et dont les sujets, je pense, continueront longtemps encore à être pris souvent dans ces riantes fictions, en dépit des romans intimes et des sortilèges du moyen-âge ; il n’est guère probable que vous lisiez sans intérêt les explications toutes simples que notre vieux auteur donne des anciennes fables grecques.

Qu’on me permette, avant d’en venir à la traduction de Paléphate, d’ajouter, pour l’instruction des jeunes gens, quelques mots sur l’auteur lui-même.

On n’est pas d’accord sur l’époque où il vivait. Suidas cite quatre auteurs qui ont porté le nom de Paléphate. Le premier est un ancien poète, antérieur même à Homère, et dont il ne peut être ici question. Le second, de Paros, ou de Priène, était contemporain d’Artaxerxe Memnon, par conséquent du cinquième siècle avant l’ère nouvelle. Suidas dit qu’il avait fait cinq livres d’Histoires incroyables, et dont ce qui nous reste aurait formé le 1er livre. C’est à lui que Bæclerus (de scriptorib. græc. et lat. sæc. antè christ. IV) et l’auteur de l’article Paléphate, de la biographie universelle (M. Fortia d’Urban) attribuent l’opuscule que j’ai entrepris de traduire.

Le troisième Paléphate, d’Abydos, florissait sous Alexandre et était le favori d’Aristote : rien n’indique qu’il ait fait aucun ouvrage analogue à celui qui nous occupe.

Le quatrième enfin, Égyptien selon les uns, Athénien selon les autres, et qui, d’après Saxius, vivait en l’an 322 avant J.-C., est cité par d’anciens auteurs comme ayant fait des livres sur l’interprétation des fables, ce qui cadre parfaitement avec le sujet traité par le Paléphate qui nous reste. Vossius (de historicis græcis lib. III p. 395-396, in-4o Lugd. Bat. 1631), Weytingh (hist. græc. et roman. litter. 2e édit. p. 57) et Schoell (hist. de la littérat. gr., tom 3, p. 194-195) penchent pour ce dernier par des raisons assez plausibles. Nous nous bornerons à en rapporter une qui nous semble péremptoire. Théon le sophiste le cite sous la dénomination de péripathéticien ; il est donc clair, si ce n’est pas sans motif qu’il appelle ainsi l’auteur des Histoires incroyables, que : ce Paléphate était postérieur à Alexandre.

Athénée nous a conservé un fragment assez long et très gai, d’un poète comique nommé Athénion, dans lequel un cuisinier commence par déployer gravement beaucoup d’érudition pour vanter les nobles origines de l’art culinaire : quand il a fini, l’esclave pour lequel il a fait tous ces frais s’écrie ironiquement : « Mais c’est un nouveau Paléphate que cet homme-là[2]. »

Virgile, ou du moins l’auteur du poëme de Ciris, qu’on attribue ordinairement à Virgile, cite aussi Paléphate comme un archéologue renommé pour sa science :

         ...........
         Docta palephatiâ testatur voce papyrus.

Ce docta papyrus, par parenthèse, sert aussi d’argument à Schoell pour attribuer l’ouvrage au dernier.

Je ne donnerai pas ici la liste de tous les écrivains qui ont cité Paléphate : je me bornerai à dire, sur la foi de Vossius et de Fabricius qui l’ont vérifié, qu’on retrouve dans l’opuscule qui nous reste tous les passages cités par St. Jérôme dans la chronique d’Eusèbe, par Théon le sophiste, par Eustathe et les autres scholiastes d’Homère et d’Euripide, par Tzetzès, etc.

Quant au texte que j’ai pris pour guide, c’est en général celui de la 6e édition de l’exact et consciencieux Fisscher (Lips. 1789). Quelquefois, mais rarement, j’ai préféré l’ancien texte de Thomas Gales (opuscula mythologica, Amstel. 1688).

MM. Fisscher et Fortia d’Urban citent une traduction française de Paléphate, par Polier, imprimée à Lausanne en 1771. Elle n’est ni à la bibliothèque de l’Université de Liège ni dans celle d’aucun bibliophile de ma connaissance et il ne m’a pas été possible de me la procurer. Ne pouvant m’aider d’aucune traduction française, j’ai tâché de rendre fidèlement non-seulement le sens qui n’est pas obscur en général[3], car en Allemagne on explique Paléphate dans les Collèges ; mais surtout, autant que je l’ai pu, la tournure naïve et sans recherche de phrases qui ont plutôt l’air d’avoir été prises dans la conversation d’un homme de bon sens que dictées par un écrivain qui disserte.

Dans les notes que j’ai ajoutées à chaque chapitre, je me suis attaché d’abord à indiquer les principaux poètes ou prosateurs de l’antiquité qui ont donné les détails les plus circonstanciés ou les plus curieux sur les fables de la mythologie, et ensuite à marquer sommairement les points sur lesquels ils diffèrent, afin d’aider à reconnaître aisément un même sujet mythologique, sous les divers attributs dont le goût des artistes les a revêtus en suivant l’une ou l’autre des traditions divergentes. Toutes les fois que j’ai pu trouver quelque éclaircissement historique un peu important et qui eût un rapport direct au sujet traité par Paléphate, j’ai eu soin de le rappeler ou de l’indiquer du moins. Il n’y aurait eu aucun mérite à multiplier les citations : j’ai préféré les choisir et n’en pas faire que je n’eusse vérifiée. Je me trouverai fort heureux si cette partie de mon travail aide un peu quelques jeunes archéologues dans leurs études.




  1. Le savant commentateur d’Homère et de Virgile avoue qu’il n’a entrepris de commenter aussi Apollodore, que pour avoir l’occasion de rapprocher et de coordonner entr’elles les diverses traditions mythologiques. (V. ad Apollodori Atheniensis bibliothecam notæ. P. I. pr. 3 vol. in-12).
  2. Athénée liv. XIV. chap. 80, tom. 5. p. 405-408 de l’édition de Schweigœuser.
  3. J’ai d’ailleurs lieu d’être tout-à-fait rassuré sur l’interprétation des passages les plus difficiles ; un de mes anciens professeurs dont l’érudition est aussi connue en Allemagne et en France, que dans notre pays, ayant eu la bonté de comparer attentivement les textes de ces passages avec ma traduction et d’en conférer avec moi. Si la traduction d’un opuscule de ce genre en valait la peine, je la lui aurais dédiée : M. Fuss me pardonnera de lui offrir au moins ici un témoignage public de ma reconnaissance pour la bienveillance avec laquelle il s’est prêté à dissiper tous les doutes que je me suis permis de lui soumettre.