Historiettes (1906)/Madame d’Alincourt

La bibliothèque libre.
Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 58-59).

MADAME D’ALINCOURT

Un garçon de Paris, nommé M. de Marcognet, fils d’un maître des requêtes appelé Langlois, fit amitié avec feu M. d’Alincourt, père de M. le maréchal de Villeroi, et devint en même temps amoureux de madame d’Alincourt, qui étoit belle, et dont jusque- là on n’avoit encore rien dit. Il la servit fort longtemps sans en avoir la moindre faveur, et il ne se pouvoit vanter que d’être un peu plus obstiné que ses rivaux. Las de cette vaine recherche, il résolut de tout hasarder ; et ayant remarqué plusieurs fois que la dame qui étoit alors à Lyon, dont son mari étoit gouverneur, se retiroit fort souvent toute seule dans un cabinet qui étoit tout au bout d’un grand appartement, et que ses femmes se tenoient dans un lieu assez éloigné, ayant remarqué tout cela, il résolut de l’y surprendre, pour voir s’il ne trouveroit point l’heure du berger. Dans ce dessein, étant à la chasse avec M. d’Alincourt il se laisse tout exprès tomber dans un bourbier, afin d’avoir prétexte de se retirer. M. d’Alincourt continue sa chasse ; Marcognet, de retour, changea d’habit, va chez madame D’Alincourt, et la trouve où il vouloit. Après lui avoir conté son accident, il lui dit à quel dessein il s’étoit laissé tomber dans le bourbier, et qu’il étoit résolu de jouer de son reste. Après cela, il va fermer toutes les portes. Je vous laisse à penser si cette femme fut étonnée. Il la jeta sur un lit de repos ; elle se défendit autant qu’on se peut défendre ; mais comme il étoit beaucoup plus fort qu’elle, à la fin il en vint à bout, moitié figue, moitié raisin ; elle n’avoit osé crier de peur de scandale ; peut-être aussi que le dessein de cet homme lui avoit semblé une grande marque d’amour. Il lui fit après toutes les satisfactions qu’on peut s’imaginer. Elle le menaçoit de le faire poignarder. « Il ne faut point d’autre main que la vôtre pour cela, lui dit-il, Madame » ; et lui présentant un poignard : « Vengez-vous vous-même, et je vous jure que je mourrai très content. »

Depuis, elle ne fut pas si cruelle, et ses autres galants n’eurent pas tant de peine que celui-ci.