Huit femmes/12

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Huit femmesChlendowski (p. 147-150).


XII

La fin du voyage.


Quelques jours après cet incident vulgaire, Haverdale quitta tout à coup le siége où il était absorbé dans une rêverie profonde, et se plaça devant Bingley qui dessinait à quelques pas de lui. Il attacha sur son ami un regard si malheureux, si long, si triste, que Bingley lui tendit la main en l’appelant comme autrefois : Larry ! Ce doux nom d’enfance pouvait seul exprimer la tendresse insuffisante et désolée du bon Bingley, qui se remit à crayonner sans trop savoir ce qu’il faisait. La main d’Haverdale se posa puissante sur son épaule et le contraignit à se retourner encore. Puis, après le même regard, qui recélait une étrange question, il dit lentement :

— Si je l’épousais, Bingley ?

Bingley frissonna, et demeura stupéfait sous ces paroles inattendues : elles le firent changer de couleur ; après quoi prenant son parti d’homme et d’ami :

— L’épouser ! répondit-il, qui ?… ai-je entendu ? pardon, Larry, je rêve aussi tout éveillé

— Si je l’épousais ! Bingley, reprit Haverdale, immobile comme un homme qui va prendre une résolution inébranlable.

— Quoi ! perdue aux yeux de l’Angleterre ! quoi ! ruinée sans retour par la vente de ses biens, dont le joueur italien demeurera tranquille possesseur ? car, où le trouver ce misérable ! où l’atteindre, même pour le tuer ? nos recherches sont restées inutiles. Lady Galt, le voulut-elle, n’a pas une preuve pour l’accuser. Et puis, tout le passé, toutes ces rapides, mais irréparables fautes… Haverdale, allons ! rappelez votre colère et laissez-moi vous dire…

— Perdue ! ruinée !… eh ! bien ! Alors, si je l’épousais, Bingley ?

Bingley se leva, parcourut à son tour Haverdale avec un regard d’indéfinissable tristesse, et prononça d’une voix étouffée mais courageuse :

— Elle est morte.

— C’est bien !… Et moi aussi, Bingley.