Hymnes profanes/V/Notre Dame la Nuit

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Bibliothèque de La Plume (p. 59-60).




Notre Dame la Nuit


à M. Noël Bazan.


C’était l’Heure crépusculaire
Où le couchant fauve s’éclaire
Comme un vitrail et vibre encor
D’un flamboiement de pourpre et d’or.

Une frêle brise attiédie
Frôlait la nature engourdie
Et berçait amoureusement
Son mol évanouissement,

Tout semblait rêver, et moi-même
Perdu dans cette ombre que j’aime,
Je laissais mon rêve alangui
Flotter épars dans l’infini,


Quand dans le solennel silence
Où sommeillait mon indolence,
Pour son poète doux et fier
La Nuit aussi s’est faite chair :

Lentement m’est apparue
Cette Madone inconnue,
Elle émergeait au lointain
D’un paradis incertain,

L’ombre drapait autour d’Elle
Des nuages de dentelle,
Une neigeuse clarté
Divinisait sa beauté,

Et, Vierge en tunique aubale
Rayonnante dans l’air pâle
De mes rêves surhumains :
— Elle me tendait les mains.