Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/I/Muſique

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Mvsiqve. CIII.


CEtte Figure n’a pas beſoin d’explication pour eſtre entenduë. C’eſt vne Femme qui regarde fixement un Liure ouuert, qu’elle tient d’vne main, & vne plume de l’autre, pour corriger ſa tablature ; ayant pour cét effet à ſes pieds vn Luth, vne Viole, & des Fluſtes, pour en accorder l’harmonie à celle de ſa voix.

D’autres luy donnent vne Balance, pour monſtrer par là, combien la iuſteſſe eſt requiſe en vn concert ; & quelques-vns, vn Enclume, qu’ils croyent auoir donné commencement à ce bel Art. Car ils diſent, Que du ſon different des marteaux Auicenne tira des coniuectures des tons & des meſures de la Muſique.

Il ne faut pas oublier icy, Que les Egyptiens la repreſentoient par vne langue qui auoit quatre dents, comme le remarque Pierius en ſes Figures Hieroglyphiques ; & qu’ils luy faiſoient tenir des deux mains la Lyre d’Apollon : outre que pour la rendre plus connoiſſable, ils luy donnoient vne robe toute ſemée d’inſtrumens diuers, & de Liures de tablature.

Il s’en void encore à Rome vne peinture, qui eſt telle : Sur le bord d’vne fontaine ſont rangez en rond pluſieurs beaux Cygnes ; au milieu deſquels eſt remarquable vn ieune garçon, qui a des aiſles au dos, le viſage riant, & ſur la teſte vne Guirlande de fleurs. Ceux qui le voyent iugent auſſi-toſt que c’eſt Zephir, qui du vent de ſon haleine, dont il rafraiſchit l’air d’alentour, ſemble faire mouuoir doucement les plumes des Cygnes : car il eſt vray, comme dit Elian, que ces oyſeaux ne chantent iamais qu’en la ſaiſon que Zephire ſouffle : tout de meſme que les Muſiciens font rarement un concert, s’ils n’y ſont pouſſez par la douceur des loüanges qu’on leur donne, comme par quelque vent agreable ; & ſi ce n’eſt deuant des perſonnes qui ſçachent gouſter leur harmonie.

A cette derniere Figure peut eſtre iointe fort à propos celle d’vne Femme qui joüe d’vn Ciſtre, où ſe void vne Cigale à la place d’vne corde qui eſt rompuë : Outre qu’elle ſe fait remarquer par vn Roſſignol qu’elle a ſur ſa teſte, par vn grand Vaſe plein de vin, qui eſt à ſes pieds, & par vne Lyre auec ſon archet.

La Cigale, qui eſt ſur le Ciſtre, ſignifie la Muſique, pour vne choſe extraordinaire aduenuë à vn certain Eunomius : car comme il joüoit vn iour de cét inſtruement en vn deffi d’Ariſtoxene & de luy, l’vne des cordes s’eſtant rompuë, vne Cigale vola deſſus fortuitement, & ſupplea par ſon chant au manquement de la corde ; ſi bien qu’Eunomius demeura victorieux. De ſorte que pour memoire d’vn euenement ſi remarquable, les Grecs luy dreſſerent depuis vne ſtatuë auec vn Ciſtre à la main, où la Cigale eſtoit peinte.

Quant au Roſſignol, l’on ne peut douter qu’il ne ſoit vn vray ſymbole de la Muſique, pour les merueilleux effets de ſa voix, qui charme ceux qui l’eſcoutent, & qu’il hauſſe & baiſſe en toutes les façons imaginables, comme s’il ſçauoit parfaitement les regles de ce bel Art.

Et d’autant que la Muſique n’a eſté inuentée que pour combattre la Melancolie, elle ne peut auoir de meilleur ſecond que le vin qu’on luy met auprés : car ce luy eſt vne vertu ſpecifique de faire eſuanoüir les ennuys ; joint que s’il eſt bon & delicat, il fortifie la voix : A raiſon dequoy les Anciens ont eu raiſon de mettre Bacchus en la compagnie des Muſes.