Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/I/Amour divin

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Amovr divin. IX.


COmme tous les autres Amours ne ſont rien à comparaiſon de celuy-cy, ce n’eſt pas merueille s’il eſt directement oppoſé à l’Amour prophane, & ſi on le peint d’vne maniere bien differente ; Car il n’eſt pas nud comme luy, mais veſtu modeſtement ; & s’il auoit à paroiſtre enfant, ce ne ſeroit que par ſa pure innocence. Il a quant au reſte les yeux eſleuez au Ciel, vn Calice en vne main, & en l’autre vn cœur embraſé ; & par le milieu percé d’vne fléche.

Cét Embleme eſt ſi clair de luy-meſme, qu’il n’a pas beſoin d’vne longue explication. Celuy qu’il repreſente a les yeux fixes en haut, pource que la beauté des choſes celeſtes luy fait dedaigner l’amour des Creatures mortelles.

Son habillement eſt ſimple, à cauſe qu’il eſt mortel ennemy du luxe ; & qu’ayant fait vœu de fouler aux pieds les vanitez de la terre, il ne veut pas que ſa conſcience luy reproche d’auoir moins de ſoin des ornemens de l’ame que de ceux du corps. Auſſi eſt-ce pour cela qu’à l’imitation de ſainct Paul il le mortifie ; & que pour chaſtier ſa moleſſe, il a recours aux diſciplines & aux ſilices.

Ses aiſles myſterieuſes ſont les figures de ſes hautes penſées, qui l’eſleuent à la contemplation des choſes diuines. C’eſt où il aſpire tant ſeulement, & où la Foy luy fait croire ce que ſa curioſité luy defend d’entreprendre. Ie veux dire par là qu’il meſure ſon vol par ſa foibleſſe, de peur que voulant ſonder trop auant l’impenetrable lumiere du grand Soleil de Iuſtice, il ne s’expoſe au hazard d’vne cheute plus dangereuſe que celle d’Icare.

L’adorable Nom de Iesvs qu’il a deuant luy, ne ſe peut mieux appeller qu’vn Caractere ſacré, qui luy donne autant d’amour pour le Ciel, qu’il a d’auerſion & de haine pour la terre. Que ſi l’Enfer meſme l’attaque, ce Nom venerable, qui fait trembler les Demons, luy ſert d’vn rempart d’airain, & d’vn celeſte Palladium, qui eſt à l’eſpreuue de leurs armes.

Par le Calice qu’il porte, où ſe void la ſaincte Hoſtie couronnée de rayons, qui ſe forment de ſa propre clairté, nous ſommes tous confirmez dans cette doctrine ſalutaire, Qu’il eſt impoſſible que noſtre amour enuers le Souuerain Createur, arriue iamais au poinct où il faut qu’il ſoit, pour eſtre parfaict, s’il n’eſt appuyé d’vne ferme Foy, qui eſt vn don de Dieu, & vne lumiere infuſe, par qui nous croyons indubitablement les choſes où les raiſons humaines ne peuuent atteindre.

Finalement, le Cœur plein de flame & percé d’vne fleche, monſtre que l’Amour celeſte eſt de la nature du diamant, qui s’eſpure dans le feu ; & qu’il ſe raffine par la patience, comme l’or par la coupelle ; Qu’au reſte celuy qui en a le cœur bleſſé, le porte à la main ; c’est à dire qu’il ne dément iamais ſes penſées par les déguiſemens & les artifices des Amans du monde, qui ne s’attachent d’inclination qu’à des objets periſſables.