Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/I/Plaiſir

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Plaisir, ou Volvpté. CXXVII.


ON la repreſente par vn ieune Garçon ; qui a les cheueux creſpelus & de couleur d’or ; vne Guirlande de Myrthe enrichie de Perles, le corps à demy nud, des Aiſles au dos, vne Harpe en main, des Brodequins d’or, & vne Sereine à ſes pieds.

Ses cheueux friſez & parfumez, qui ſe couronnent d’vne Guirlande de fleurs, ſont autant de marques de laſciueté, de molleſſe, & de mœurs effeminées.

Le meſme ſe doit entendre de ſa Guirlande de Myrthe, arbre dedié à Venus, qui en eut vne Couronne, à ce que diſent les Poëtes, quand elle ſe treuua preſente au Iugement de Pâris.

Diſons en ſuite, Que par les aiſles qu’il porte, il eſt demonſtré, Qu’il n’y a rien qui vole plus viſte, ny qui s’eſuanoüiſſe ſi-toſt que la Volupté ;

Et par la Harpe, Que le plaiſir effeminé chatouille les ſens, comme fait cét inſtrument ; A cauſe dequoy les Poëtes feignent que par ſon harmonie il plaiſt à Venus & à ſes compagnes les Graces.

Ses Brodequins d’or font remarquer pareillement vn homme voluptueux, qui monſtre par là qu’il ne tient conte de ce metal, s’il n’en aſſouuit ſes appetits deſreglez ; Ce qui ſe peut encore entendre de l’Inconſtance, dont les pieds ſont quelquefois le ſymbole, comme Dauid le demonſtre par ces paroles, Mes pieds ſe ſont à peine remuez : Par où il nous eſt enſeigné, Que le Senſuel ſe porte volontiers aux nouueautez & aux changemenz.

Toutes ces veritez que i’ay dites ſont compriſes dans le ſeul exemple de la Syreine ; Car comme elle perd les Mariniers par la douceur de ſon chant ; La Volupté de meſme par ſes appas & ſes charmes, ruine miſerablement tous ceux qui la ſuiuent.

Il y en a d’autres qui repreſentent le Plaiſir du monde par vn beau ieune garçon, aagé d’enuiron dix-ſept ans. Il porte en la teſte vne Guirlande de roſes, & vn habillement verd, auec quantité d’hameçons attachez à vn filet, & vn Arc en Ciel, qui aboutit d’vne eſpaule à l’autre.

Il eſt peint ieune, d’autant que cét aage-là plus que tous les autres, eſt adonné aux plaiſirs, pour eſtre comme vn criſtal tranſparant, au trauers duquel tous les delices du monde paroiſſent belles.

Son viſage agreable & riant monſtre que le plaiſir eſt la creature de la beauté : Sa Guirlande de roſes conſacrées à Venus, Que les voluptez ſenſuelles, quelques douces qu’elles ſemblent, ne laiſſent pas d’eſtre freſles & peu durables ; Et ſon habillement verd, Que cette couleur s’accomode fort bien à l’humeur folaſtre des ieunes gens, pource qu’eſtant plus temperée que les autres, entre le blanc & le noir, ou entre l’obſcur & le clair, elle eſt celle qui recrée plus la veuë ; ce que les autres couleurs ne peuuent pas ſi bien faire, pource qu’elles tiennent des extremitez.

Quant aux Hameçons, dont il eſt parlé cy-deuant, ce ſont les diuers appas qui ſe treuuent dans les voluptez du monde. Mais ces douceurs ſont touſiours meſlées de quelque amertume ; Car il nous arriue enfin que l’homme ſe ſent picqué bien auant des aiguillons de ſa conſcience, & qu’il ne peut toutefois ſe reſoudre à quitter les voluptez paſſageres, qui ſont icy denotées par l’Arc en Ciel, pource qu’elles s’euanoüiſſent en vn inſtant, & n’ont rien de beau que l’apparence.