Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/II

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Fvrevr poetiqve.


CEtte ſorte de fureur a pour tableau vn ieune garçon, qui a le teint vermeil & plein de viuacité, des aiſles à la teſte, auec vne couronne de Laurier, vne ceinture de Lierre, le viſage tourné vers le Ciel, & l’action d’vne perſonne qui eſcrit.

Les aiſles demonſtrent la promptitude de l’extreme viſteſſe du Genie Poëtique, qui s’eſleuant aux choſes les plus hautes rend fameux à la poſterité les faits memorables des grands hommes, & les maintient fleuriſſans durant pluſieurs ſiecles ; de meſme que le Laurier & le Lierre conſeruent leurs fueilles touſiours verdoyantes contre les efforts & les injures du temps.

Il a le teint vif & vermeil, à cauſe que la Fureur Poëtique eſt vne surabondance de viuacité d’eſprits, qui remplit l’ame de merueilleuſes penſées, & luy enſeigne à les deduire par nombres. A raiſon dequoy, comme il ſemble impoſſible que la Nature inſpire des conceptions ſi hautes, on les tient pour des dons particuliers, qui procedẽt d’vne ſinguliere grace du Ciel. Ce qui fait dire à Platon, que l’eſprit des Poëtes eſt agité d’vne diuine Fureur. Auſſi eſt-ce par elle meſme qu’ils ſe forment ſouuent dans l’idée diuerſes images de choſes ſurnaturelles, qu’ils mettent ſur le papier, & qui ſont à peine entendus, pource qu’elles contiennent ie ne ſçay quoy d’extraordinaire & de Prophetique. C’eſt la principale cauſe pour laquelle les Anciens appellent les Poëtes races du Ciel, fils de Iupiter, interpretes des Muſes, & Preſtres d’Apollon. I’adjouſte à cecy qu’il paroiſt euidemment par leurs eſcrits, que cette fureur ne s’engendre que par vn long exercice, à quoy la Nature ne peut ſuffire ſi l’art ne l’aſſiſte.