Idées républicaines, augmentées de remarques/14

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XIV.

Les loix qui conſtituent les gouvernements, ſont toutes faites contre l’ambition : on a ſongé partout à élever une digue contre ce torrent qui inonderoit la terre. Ainſi dans les Républiques les premieres loix reglent les droits de chaque corps ; ainſi les Roix jurent à leur couronnement de conſerver les privileges de leurs ſujets. Il n’y a que le Roi de Dannemarck dans l’Europe, qui par la loi même ſoit au deſſus des loix. Les Etats aſſemblés en 1660. le déclarerent arbitre abſolu. Il ſemble qu’ils prévirent que le Dannemarck auroit des Roix ſages & juſtes, pendant plus d’un ſiecle. Peut-être dans la ſuite des ſiecles faudra t-il changer cette loi.

XIV.

Notre Philoſophe moderne devient tout à coup un impitoiable cenſeur ; guindé ſur le haut de ſa philoſophie il contemple le monde moral & il n’y apperçoit que de l’ambition. Les richeſſes, les plaiſirs, les honneurs ſont les trois grands objets des paſſions. La ſévérité de la morale de M. D. V. ne ſe déclare que contre la paſſion des honneurs ; celle-ci ſeule lui paroit illégitime. Un Philoſophe voluptueux, riche & qui jamais n’a eu de part aux honneurs, eſt très-recevable à déclamer contre la ſoif des ambitieux ; plus raiſonnable en cela que l’ingrat Seneque qui dans le ſein de l’opulence emploioit ſa Rhétorique à décrier les richeſſes. Ingratis ſervire nefas.

Tous les Etats ne ſont pas expoſés aux mêmes maux, ni les hommes affectés des mêmes paſſions ; il eſt donc ridicule de dire que le principal objet des loix ſoit de modérer l’ambition c’eſt même des paſſions celle qu’elles ont le moins conſidérée. Le deſſein des loix en réglant les droits des corps dans chaque état, a été de mettre les privileges & les avantages des particuliers à l’abri des injuſtices de la cupidité dont les déſordres ſont mille fois plus dangereux, parce qu’ils peuvent être plus fréquents.