Idylles et légendes/La Fille de Caïn

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LA FILLE DE CAÏN.


Hark, hark ! the sea-birds cry !…

In the sun’s place a pale and ghastly glare

Hath wound itself around the dying air.
Lord Byron, Heaven and Earth.


I



Un matin de ces temps où des hymens étranges
Aux filles de Caïn mêlaient les pâles Anges,
Azraël quitta Dieu pour Oholibama.
Elle le vit pleurer près du puits, et l’aima.
« Ô toi qui souffres, viens, dit la fille des hommes ;
Qu’importe, ange ou démon, le nom dont tu te nomme :
Ton front est triste et fier et tes yeux sont de feu ;
En te voyant si beau, je te préfère à Dieu.


Esprit, puisqu’il te plaît d’aimer l’argile aimante,
Je livre à ton étreinte eflfroyable et charmante,
Ô ma vie et ma mort, fils révolté du jour !
Tout mon être qui va périr de ton amour,
Ma terrestre beauté dont je marchais si fière,
Ma face que tes yeux inondent de lumière,
Mes bras et leurs anneaux, mon col et ses colliers,
Et ma main refusée aux fils des chameliers.
Tu sauras, loin de Dieu, me cacher dans tes ailes.
Nos destins seront beaux comme les nuits sont belles. »

II



Le lendemain, la race humaine, à son réveil,
Vit se lever la mort et non pas le soleil.
La fille de Caïn dit, près de la fontaine :
« Azraël, connais-tu cette brise lointaine
Qui vient à nos baisers mêler un sel amer ?
N’entends-tu pas crier l’hirondelle de mer ?
La mer roule vers nous et c’est Dieu qui la mène.

Nous redonnions Éden à la famille humaine !
Éden, sous nos baisers, refleurissait plus cher !
Nous avions rétabli la gloire de la chair !
Mais Dieu !… Réjouis-toi, Caïn, dans ta semence :
Entre la femme et Dieu la lutte recommence…
Sur la terre ébranlée où tendent mes genoux
Entends-tu les démons captifs rire de nous ?
Quelle effroyable nuit roule de cime en cime ! »

Les eaux avaient rompu les sources de l’abîme ;
Les antiques granits, de leurs flancs entr’ouverts,
Lançaient des gerbes d’eau, de fumée et d’éclairs ;
Et bientôt, dans l’horreur des ténèbres compactes,
Le ciel du Dieu jaloux ouvrit ses cataractes.
Sur les plaines où sont les tentes des pasteurs,
Sur les sombres forêts et les pins des hauteurs,
Sur les grandes cités aux enceintes de brique
Où l’homme rend hommage aux Démons et fabrique,
Près des fleuves fangeux, dans de noirs ateliers,
Les étoffes de lin, les anneaux, les colliers,
Les grands couteaux de bronze et les flèches de pierre,
Où les fils de Caïn, race maudite et fière,
Lisent au ciel changeant sur le faîte des tours,
L’eau, par nappes, tomba durant quarante jours,
Et le vent souffla tel que des brisants humides
Heurtaient les sept degrés des hautes pyramides.


Les fauves, les humains, la troupe des vivants
Gagna les pics neigeux sous la foudre mouvants.
Et les géants debout et les vierges voilées,
Les mères qui tendaient leurs mamelles gonflées
À leurs petits enfants aux yeux clos, les vieillards
Inertes, et du fond de leurs yeux sans regards
Pleurant leurs jours de paix et leurs longues mémoires,
Les chefs portant la lance, et les esclaves noires,
Les marchands étrangers venus sur leurs chameaux,
Et les prêtres savants à conjurer les maux,
Sous le choc écumant de la vague profonde,
Priaient ou maudissaient le Destructeur du monde.
Et, quand eurent sombré les sommets des grands monts.
Quand flotta sur les eaux le rire des Démons,
Le mammouth, exhalant un gémissement rauque,
Levait sa trompe encor sur l’immensité glauque.

III



Le soleil reparut, rouge et froid dans les cieux.
Pressant entre ses bras le corps silencieux