Idylles et légendes/La Part de Madeleine

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La Part de Madeleine




L’ombre versait au flanc des monts sa paix bénie,
Le chemin était bleu, le feuillage était noir,
Et les palmiers tremblaient d’amour au vent du soir.
L’enfant de Magdala, la fleur de Béthanie,

Gémissait dans la pourpre et l’azur des coussins.
Le grand épervier d’or des femmes étrangères
Agrafait sur son front les étoffes légères ;
La myrrhe tiédissait dans l’ombre de ses seins ;

Ses doigts, où les parfums des jeunes chevelures
Avaient laissé leur âme et s'exhalaient encor
Autour du scarabée et des talismans d'or,
Gardaient des souvenirs pareils à des brûlures.

Or elle haïssait ce corps qui lui fut cher ;
Tous les baisers reçus lui revenaient aux lèvres
Avec l'âcre saveur des dégoûts et des fièvres.
Madeleine était triste et souffrait dans sa chair ;

Et ses lèvres, ainsi qu'une grenade mûre,
Entr'ouvrant leur rubis sous la fraîcheur du ciel,
L'abeille des regrets y mit son âcre miel,
Et le vent qui passait recueillit ce murmure :

« J'avais soif, et j'ai ceint mon front d'amour fleuri ;
J'ai pris la bonne part des choses de ce monde,
Et cependant, mon Dieu, ma tristesse est profonde,
Et voici que mon cœur est comme un puits tari !

« Mon âme est comparable à la citerne vide
Sur qui le chamelier ne penche plus son front ;
Et l'amour des meilleurs d'entre ceux qui mourront
Est tombé goutte à goutte au fond du gouffre avide.