Illyrine/2/Lettre 2

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(2p. 9-10).


LETTRE II.

Julie à son ami.


Avec combien d’impatience j’attendais le courier ; il me remet une lettre : je la croyais de mon époux, puisque je lui avais écrit ; mais non, aucune réponse ; cette lettre est de vous, vous que je ne devrais plus voir ! vous que je voulais oublier, quoique j’aye tant de motifs pour vous aimer !… Mais l’honneur, mais le devoir, m’ordonnent de vous fuir à jamais.

Le croiras-tu ? je m’en suis crue capable. Je me suis entourée de ma fille : si-tôt ton départ, je l’ai fait venir : c’est d’elle que j’attendais ma guérison ; la pressant continuellement sur mon sein, j’ai espéré que le sentiment si légitime de la nature étoufferait ceux d’un criminel amour : Mon père m’a fait dire de ne pas paraître chez lui ; ma mère est venue nous voir : nous fûmes très-embarrassées à la vue l’une de l’autre ; elle ne me parla nullement de toi ; mon aïeule n’a pas non plus prononcé ton nom ; mais quelquefois je l’ai surprise en larmes, en me regardant et en carressant ma fille, lui dire : « innocente créature ! tu seras sans doute victime de la faiblesse de ta mère ! Que tout ceci, mon ami, est bien plus cruel que des reproches directs… Crois-tu qu’une ame comme la mienne ne soit pas profondément blessée ? je ne puis plus revoir ces lieux ! Si la grotte de mousse, le bosquet de myrthes, font tressaillir mon cœur de plaisir, en récompense, en rejoignant l’habitation de ma mère, tous les remords assiégent mon ame et la mettent à la torture.

Je retournerai à S… dans deux jours : je quitterai ces lieux, qui n’ont plus maintenant que des souvenirs amers à me donner.

Adieu, adieu : trouve un moyen de concilier mes devoirs avec ma tendresse. Adieu, je t’envoye tous les baisers de la volupté sur les ailes de l’amour.

Julie