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Illyrine/3/Lettre 114

La bibliothèque libre.
(3p. 47-50).


LETTRE CXIV.

De Séchelles à Adèle.


Lili, adorable amie ; que ce petit billet signé de Lili est tendre ! Mon amie ! c’est vous qui vous êtes donné ce titre ! Lili, qu’il fait de plaisir à mon cœur ! Ô ! charmante Lili ! qu’il me tarde de vous en donner un plus précieux ! Lili ! ce nom est bien joli ; mais il fut pris et donné par un sentiment dont le souvenir qu’il rappellera toujours nuira à mon bonheur. Eh bien ! pour moi, vous êtes Adèle ; voulez-vous avec moi oublier Lili pour n’être qu’Adèle ? vous me rendrez un mortel bienheureux ! que votre première lettre soit signée Adèle.

Mon Adèle, je vous renverrai votre portrait dans ma prochaine lettre ; le peintre a été malade et n’a pu l’achever ; mais comme il va mieux, et qu’il n’a plus qu’une séance, cela ne peut être long. Si votre ami vous en parle, dites-lui que par étourderie, ou pour qu’il ne soit pas gâté, vous l’avez mis dans votre porte-feuille, et que vous êtes partie sans penser à le laisser chez lui, et que la clef du secrétaire où est ce portrait étant égarée pour le moment, vous ne pourez le lui envoyer qu’à votre prochain courier. Au surplus, nous avons du tems ; car il est en mission dans ce moment ; et j’espérais profiter de cette absence pour aller vous faire ma cour ; c’est même moi qui ai fortement contribué à ce qu’il en fût. Adèle, ne me grondez pas ; cette supercherie est innocente ! mais Adèle, tu m’a déjoué. Pardon ; je me suis échappé, mon amie ; mais comme c’est mon cœur qui te parles, il prend son langage pour être plus directe…

Adèle, cette lettre en forme de pétition est pleine d’esprit, de raisonnemens justes. J’ai pris le parti de la lire à l’assemblée ; elle a été applaudie généralement. Comme beaucoup de mécontens ont fait de même que vous, et ont réclamé la protection de l’assemblée pour la dissolution de leurs liens, je ne doute pas que d’ici à trois mois le divorce ne soit décrété. Si vous en profitez, que m’en reviendra-t-il ! prendrez-vous de nouveaux liens avec votre ami ? ou resterez-vous libre ?

Sortant de l’assemblée, les battant (qui se ferment tous seuls) de cette porte que vous nommez celle du sactuaire, m’ayant encore laissé dans l’obscurité, j’ai pensé à Adèle ; mais j’étais seul.

Mais, Adèle, combien vous faites une belle résistance ! je n’y suis pas accoutumé ! cela est pour moi un plaisir tout neuf : voici déjà trois fois : à la vérité, c’est l’Heureusement de Marmontel. La quatrième fois, sans doute, vous n’attendrez pas que vous soyez à vingt lieues de moi pour me dire que vous m’aimez ! cela finirait par être absurde ; j’aime bien mieux lire une semi-preuve dans vos charmans yeux qu’un aveu complet à vingt lieues de moi.

Adieu Adèle ; croyez que j’ai pour vous beaucoup plus qu’un sentiment éphémère : c’est plus encore sur les sentimens de la vie privée que l’on goûte avec vous, ceux de voire esprit qui ont déterminé mon cœur à vous donner la place d’honneur dans mes pensées. Une femme qui a votre joli phisique, et chez laquelle, à bien juste titre, on doit ne le compter que comme accessoire, n’est-elle pas ce que l’on peut trouver de préférable ? Je vous baise les mains.

H-S…