Images de la vie/15

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Chez l'auteur (p. 52).

AUX COURSES


Cette femme que depuis quinze ans je vois chaque jour aux courses ne manque jamais de m’arrêter lorsqu’elle m’aperçoit.

— Vous n’avez donc pas assez d’argent que vous persistez à venir en chercher ? fait-elle.

— Et vous-même, que venez-vous faire ici ?

— Oh ! moi, c’est différent. Je dépense le mien tandis que vous, vous serrez le vôtre comme un avare. Vous en voulez toujours davantage. Mais pourquoi l’empiler ? Pourquoi l’entasser ? Pour quand on est vieux ? Mais quand on est vieux, on n’a pas besoin d’argent. Tout ce qu’on peut manger, c’est une croûte de pain ; les bonnes choses on ne peut pas les digérer. Vous m’en direz des nouvelles. Avec votre argent, vous mangerez une croûte de pain.

Puis elle vitupère contre les propriétaires de chevaux, contre les entraîneurs, les jockeys, les juges, les commissaires. Tous des voleurs ! Vous comme les autres, ajoute-t-elle, en me lançant un regard réprobateur. Vous et vos copains avec vos lunettes d’approche dans la tribune, vous êtes des aveugles, car vous laissez passer toutes les tactiques interdites. Du moment que vous recevez votre enveloppe de paye à la fin de la semaine, tout est pour le mieux.

Réellement, elle est furieuse. Il faut bien qu’elle s’en prenne à quelqu’un si elle ne choisit jamais le gagnant. Mais chaque jour, on la voit au champ de courses où elle risque son argent… et le perd.

Probablement, et de toutes façons, elle n’aura qu’une croûte de pain à manger sur ses vieux jours.