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Images de la vie/19

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Chez l'auteur (p. 59-60).

AU COUVENT


La cantatrice Berthe Lafond, l’une des vedettes de la radio dans la métropole évoquait ses souvenirs de couvent, un petit couvent de campagne. « J’avais quatorze ans et j’étais toujours dans la lune, perdue dans quelque rêverie qui n’avait rien de commun avec la routine de la classe », racontait-elle. « Mes distractions me valaient de fréquentes punitions, mais on m’en passait beaucoup à cause de ma voix. En effet, lors des grandes fêtes religieuses à l’église et des célébrations au couvent, c’était toujours moi qui étais la soliste. Alors, on se montrait moins sévère pour moi que pour les autres, mais je reçus une fois une punition exemplaire dont je me souviendrai toute la vie. Un jour, après la leçon d’histoire naturelle au cours de laquelle la religieuse avait longuement expliqué ce qu’est un quadrupède, vint l’heure du catéchisme. La sœur énumérait les sept sacrements et énonçait leurs vertus particulières. Soudain, m’apercevant plongée, c’était évident, dans une imagination étrangère à la leçon, à mille lieues de la classe :

— Berthe, qu’est-ce qu’un sacrement ? lança-t-elle brusquement.

— Un sacrement… un sacrement… c’est un quadrupède, répondis-je étourdiment. Vous comprenez, j’avais à ce moment ce mot comme un vague écho dans l’oreille et je n’avais pas entendu un seul mot de son explication sur les sacrements. J’avais répondu sans réfléchir, simplement pour répondre, pour éviter d’être prise en faute.

Horrifiée, scandalisée, la bonne sœur me regarde un moment en silence, trop indignée pour parler.

— Comment une fille de votre âge peut-elle proférer une chose si monstrueuse ? Je n’ai jamais rien entendu d’aussi affreux. Allez tout de suite à la chambre noire. Vous y passerez une semaine.

— Elle chante comme un ange, mais elle blasphème comme une réprouvée, déclare la religieuse comme je passe la porte pour me rendre au cachot.

Puis, la bonne sœur court au presbytère, à côté du couvent, et demande au curé de venir aussitôt confesser une malheureuse qui a commis un sacrilège, qui a profané les sacrements. Le prêtre se rendit voir la coupable. Il reçut ma confession et m’imposa une pénitence de trois Pater et de trois Avé, puis d’un ton légèrement sarcastique et avec une expression un peu moqueuse : « Ne soyez donc pas si distraite à l’avenir ». Mais la jeune étourdie que j’étais passa une semaine dans la chambre noire, au pain et à l’eau, et dormant sur une mince couverture posée sur le plancher.