Poèmes et Poésies (Keats, trad. Gallimard)/Imitation de Spenser
IMITATION DE SPENSER
Maintenant le matin émergeant de son oriental séjour,
Dès ses premiers pas rencontra une verdoyante colline ;
Il couronna de flammes ambrées sa crête dénudée,
Puis argenta les limpides cascatelles de son ruisseau ;
Qui, jaillissant pur de sa source moussue, suintait goutte à goutte,
Et après un adieu à son lit de fleurs des champs,
Divisé en maints ruisselets, formait un petit lac ;
Celui-ci, le long de ses rives, reflétait des berceaux de ramures entrelacées,
Et dans l’espace central, un ciel qui jamais ne s’abaisse.
Là le martin-pêcheur voyait son éclatant plumage
Rivaliser avec les brillantes colorations du poisson,
Dont les soyeuses nageoires et les légères écailles d’or
Dardaient au-dessus de lui, à travers les ondes, un rayon vermeil ;
Là le cygne voyait la courbe neigeuse de son cou
Et majestueusement se promenait en ramant ;
Ses yeux de jais étincelaient ; ses pattes se montraient
Sous les vagues, semblables à l’ébène d’Afrique,
Et sur son dos une fée reposait voluptueusement.
Ah ! comment décrire les enchantements d’une île
Placée au centre de ce merveilleux lac ;
Je pourrais plutôt distraire Didon de sa douleur,
Ou chasser du vieux Lear son amère tristesse :
Certes on ne vit jamais plus admirable site
Parmi tous ceux qui charmèrent les yeux romantiques ;
L’île semblait une émeraude scintillant dans l’argent
Des eaux éblouissantes ; de même au plus haut de l’éther,
Transperçant les nuées d’un blanc floconneux, rit le ciel céruléen.
Tout autour, le lac baignait luxurieusement
Des pentes de verdure à travers ses vagues miroitantes,
Qui, ainsi qu’en une gentille amitié
Se ridaient avec délices sur le bord fleuri,
Comme si elles s’efforçaient de recueillir les rougeoyantes larmes
Qui tombaient en profusion des tiges de rosiers !
Peut-être était-ce l’œuvre de son orgueil
Luttant pour jeter sur la grève un joyau
Qui surpassât tous les bourgeons sertis dans le diadème de Flora.