Imitations de Plotin (S. Basile)/Hexaméron (extraits)
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Dieu vit que la lumière était belle[1]. Comment pourrons-nous louer dignement la lumière, après que le Créateur lui a rendu ce témoignage qu’elle est belle ? Bien plus, notre raison s’en remet au jugement des yeux, parce qu’elle ne saurait en dire autant de la lumière qu’en dit de prime-abord le sens de la vue. « Mais si c’est la proportion des parties relativement les unes aux autres, jointe à la grâce des couleurs, qui constitue la beauté dans le corps, comment retrouver l’essence de la beauté dans la lumière, qui est simple de sa nature et composée de parties semblables ? » La lumière est belle, non parce qu’il y a proportion dans ses parties, mais parce qu’elle est douce et réjouit la vue. De même, « l’or est beau, » non parce qu’il y a proportion dans ses parties, mais seulement parce qu’il a une couleur gracieuse, qu’il séduit et charme la vue. « L’étoile du soir est la plus belle des étoiles, » non
parce qu’il y a proportion dans ses parties, mais parce qu’elle fait briller à nos yeux une clarté douce et agréable. (Saint Basile, Hexaméron, II, § 7 ; t. I, p. 19-20, éd. Garnier.)
Prenez garde de vous laisser tromper par l’apparence du soleil, et n’allez pas croire qu’il n’a qu’une coudée parce qu’il se présente à nos yeux sous cet aspect. La grandeur des objets visibles se contracte quand ils sont à une grande distance, parce que notre faculté visuelle ne parvient pas à parcourir l’espace intermédiaire (συναιρεῖσθαι πέφυϰεν ἐν τοῖς μεγίστοις διαστήμασι τὰ μεγέθη τῶν ὁρωμένων, τῆς ὁρατιϰῆς δυνάμεως οὐϰ ἐξιϰνουμένης τὸν μεταξὺ τόπον διαπερᾷν (sunaireisthai pephuken en tois megistois diastêmasi ta megethê tôn horômenôn, tês horatikês dunameôs ouk exiknoumenês ton metaxu topon diaperan)) ; elle s’épuise en quelque sorte dans le milieu interposé et elle n’atteint les objets visibles que par une faible partie d’elle-même. Ainsi, notre vue, en devenant petite, nous fait regarder comme petits les objets visibles eux-mêmes, parce que nous leur transportons la modification qu’elle éprouve. C’est pourquoi, si la vue se trompe, il ne faut avoir aucune confiance dans son témoignage [au sujet de la grandeur du soleil].
Rappelez-vous ce que tous avez éprouvé, et tous trouverez en vous-même la preuve de ce que j’avance. Si jamais du sommet d’une grande montagne vous avez regardé en bas une vaste plaine, que vous ont paru les attelages de bœufs et les laboureurs eux-mêmes ? N’avaient-ils pas l’air de n’être pas plus gros que des fourmis ? Si du sommet d’un promontoire vous avez jeté votre regard sur la mer, que vous ont semblé être les plus grandes îles ? Que vous a paru un vaisseau de charge s’avançant avec ses voiles blanches déployées sur les flots azurés de la mer ? N’avait-il pas l’air d’être plus petit qu’une colombe ? C’est que, comme je l’ai déjà dit, la vue s’épuisant en quelque sorte dans l’air et se trouvant ainsi affaiblie, ne peut plus avoir une perception nette des objets. Bien plus, si elle considère de grandes montagnes coupées par des vallées profondes, elle se les représente comme arrondies et unies parce qu’elle ne fait attention qu’aux éminences, et qu’elle ne peut à cause de sa faiblesse pénétrer dans la concavité des parties intermédiaires. De même, elle ne conserve pas aux corps leur forme réelle, mais elle croit que les tours carrées sont rondes.
De tous ces faits il résulte qu’à de grandes distances la vue se forme des corps une image imparfaite et confuse. Le soleil est donc un grand luminaire comme nous l’enseigne l’Écriture, et il est infiniment plus grand qu’il ne le paraît. (Saint Basile, Hexaméron, VI, t. I, p. 59, éd. Garnier.)
« Est-ce comme tous le répètent, la proportion des parties les unes aux autres et relativement à l’ensemble, jointe à la grâce des couleurs, qui constitue la beauté quand elle s’adresse à la vue ? Dans ce cas, la beauté des corps en général consistant dans la symétrie et la juste proportion de leurs parties, elle ne saurait se trouver dans rien de simple… Dans le même système, les couleurs qui sont belles, comme la lumière du soleil, mais qui sont simples, et qui n’empruntent pas leur beauté à la proportion, seront exclues du domaine de la beauté. Comment l’or sera-t-il beau ?… »
…Nous ne saurions rien dire de la splendeur de la vertu, si nous
n’avions contemplé la face de la justice et de la tempérance devant l’éclat de laquelle pâlissent « l’étoile du soir et celle du matin. » (Plotin, Enn. I, liv. VI, § 1, 4 ; t. I, p. 99, 104.)
D’où vient que dans l’éloignement les objets visibles paraissent plus petits ?… Est-ce parce que nous ne voyons la grandeur que par accident et que nous percevons d’abord la couleur ? En ce cas, un objet se trouve-t-il près de nous, nous voyons quelle est sa grandeur colorée. Se trouve-t-il loin de nous, nous voyons seulement qu’il est coloré ; mais nous ne distinguons pas assez bien ses parties pour avoir une connaissance exacte de sa grandeur parce que ses couleurs sont moins vives…
La grandeur liée à la couleur diminue proportionnellement avec elle. Cela est évident quand on aperçoit un objet varié ; quand on considère, par exemple, des montagnes couvertes d’habitations, de forêts et de mille autres choses, la vue des détails permet de juger de la grandeur de l’ensemble. Mais quand l’aspect des détails ne vient pas frapper l’œil, celui-ci ne peut plus connaître la grandeur de l’ensemble en mesurant par les détails la grandeur offerte à ses regards. (Plotin, Enn. II, liv. VIII ; t. I, p. 251-252.)
- ↑ Genèse, I, 4.