Impressions de mes voyages aux Indes/Le fort de Golconde

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Sturgis & Walton company (p. 93-106).

LE FORT DE GOLCONDE


Golconde était la capitale du royaume de « Kut Shahi » qui fut un des plus fameux Empires de l’Inde. Le Deccan fut devisé avant que tous ces royaumes fussent soumis les uns après les autres aux deux Empereurs Moghols « Shahyahan » et « Aurangzeb ».

Le fort a été le théâtre de plusieurs conflits sanglants. Il renferme plusieurs palais et de vieux canons qui furent utilisés par les armées de « Kut Shahi ». À un kilomètre du fort, se dressent dans la plaine, les tombeaux de toute la dynastie des roix de « Kut Shahi », qui régnèrent pendant 170 ans : quelques uns sont très bien conservés et d’autres tout-à-fait en ruines. À quelques kilomètres de là a existé la mine de diamants, dans laquelle on trouva les deux fameux et uniques diamants du monde. Le premier appelé le « Koh-i-noor » qui signifie « la montagne de lumière », considéré par la superstition hindoue à la décadence de celui qui le possède. Cependant il fait partie de la couronne Royale d’Angleterre, depuis qu’il a été remis à la Reine Victoria en 1845. Il appartenait avant au dernier roi de Lahore, Maharajah « Ranjit Singh ». Le deuxième diamant, appelé « Darya-i-Noo » signifiant « la rivière de lumière » est encore actuellement dans la couronne du Shah de Perse. Il y fut apporté par le roi de Perse, « Nardar Shah », en 1737, après son règne aux Indes comme Empereur de Delhi. Ces deux magnifiques diamants datent environ de 5, 000 ans, cette mine n’est plus exploitée depuis mille ans. Cet Empereur qui fut un des plus grands tyrans des Indes et qui répandait la terreur partout où il passait, fit un jour, avant son départ, donner l’ordre d’égorger, les hommes, les femmes, et les enfants depuis le lever du jour jusqu’au coucher du soleil, et donna lui-même le signal d’arrêter le massacre, en prononçant le simple mot de « paix ». Il partait heureux de son forfait, car son ambition était tellement grande qu’il voulait accomplir, par n’importe quel moyen, un acte que le monde ne pourrait jamais oublier, afin de se créer un nom

Le Fort de Golconde

Le Fort de Golconde


ineffaçable dans l’histoire des Moghols. Il laissa le peuple dans la plus grande misère et emporta avec lui en rentrant en Perse, les richesses du pays et le fameux trône appelé « Takhat Tans », le plus beau du monde, qui fut fait par l’Empereur « Shan Jehan » de Delhi. À ce temps où l’on ne savait pas apprécier la vraie valeur des bijoux, on avait dépensé 150,000,000 de francs. Aujourd’hui on ne peut l’évaluer, car les pierres qui sont d’une grosseur extraordinaire, sont d’une valeur incalculable.

Après cette fatigante excursion, nous rentrâmes hâtivement pour nous préparer et aller dîner chez S. A. Le Nizam qui donnait un dîner tout-à-fait intime qui fut des plus agréables. Il nous offrit encore de magnifiques cadeaux précieux, que nous dûmes accepter étant une coutume indienne, mais vraiment la générosité du Nizam est au-dessus de toutes les autres. Après le diner le Nizam me prit à part pour me demander si je desirais être présentée à sa femme, la Begum Sahiba. Je fus très heureuse de cette présentation, car de moi-même, connaissant les idées de la religion musulmane, je n’aurais jamais osé lui demander à être présentée, sachant qu’aucune Dame qui ne soit pas de la même religion, n’a jamais pénétré dans les appartements privés de son Harem, et je fus la première à avoir ce privilège.

La Begum Sahiba, m’accueillit avec un sourire, très aimablement elle me répondit aux quelques mots que je lui adressai en hindoustani. Elle fut surtout charmée de me voir habillée dans le costume indien que je porte quelquefois dans les soirées officielles. Nous fûmes très contents d’entendre chanter quelques professionnels qui sont attachés à la cour depuis leur enfance et cela devient héréditaire. Le Nizam aime entendre cette musique tous les soirs. L’un d’eux imitait avec perfection la voix et danses d’une danseuse, nous eûmes beaucoup de peine à croire que c’était un homme qui chantait, à sa voix si claire et à ses gestes tellement efféminés.

Le Nizam et nous — mêmes furent très amusés par un homme de notre suite, tout à fait vieux genre sikh, avec sa belle barbe blanche, qui après avoir bu quelques coupes de Champagne, était devenu très langoureux auprès de l’artiste imitateur, ne se rendant pas compte que c’était un homme. Le danseur très amusé, continuait à étaler ses grâces en lui faisant ses plus gracieux sourires si bien qu’à la fin ce bon vieillard était devenu très épris, il fut réellement très déçu et vexé, lorsqu’il se rendit compte de son erreur devant tout le monde qui riait aux larmes. Au milieu de cette gaieté générale, nous prîmes congé du Nizam.

Le lendemain matin, nous avons visité les écuries, où il y avait des chevaux arabes superbes, avec les procédés d’hygiène très bien organisés. Les selleries et les voitures de toutes sortes étaient dans un ordre parfait. À notre passage, les rues étaient bondées de monde, des gens jouaient de la musique avec des instruments étourdissants, suivie de chants, d’acclamations bruyantes des plus comiques. Chaque maison avait sa décoration de fleurs ou de draperies aux couleurs criardes, mais bien pittoresques. Le toit des maisons était surtout le refuge des femmes et des enfants qui, joyeux, nous souriaient aimablement, prenant ce jour comme un grand jour de fête.

Nous déjeunions chez le Premier Ministre, L’Honorable "Sarlar Jan", grand déjeûner officiel offert en l’honneur de Son Altesse. L’Honorable Monsieur Fraser sa femme et ses deux filles, ainsi que tous les hauts fonctionnaires d’Hyderabad et de Secunderabad y étaient présents. C’était très grandiose dans cette magnifique salle à manger, décorée avec beaucoup de goût. Les murs étaient garnis de magnifiques peintures historiques, représentant les grandes batailles d’autrefois. Ces tableaux anciens, magnifiquement peints, sont d’une grande valeur et font l’admiration de tous les invités.

L’Orchestre de l’État joua avec entrain un programme qui fut très applaudi. Après le déjeûner plusieurs photographes prirent de jolis groupes dans le patio et sous les galeries, sous lesquelles il y avait de très jolies décorations italiennes, d’un curieux mélange, mais d’un grand effet de luxe.

Chacun se retira charmé de l’aimable accueil de l’Honorable Salar Jan.

À huit heures, nous allions à Secunderabad dîner chez le Résident. Il faisait un violent orage qui nous mit un peu en retard. Le dîner fut agréable et gai jusqu’au moment des toasts. Le Résident se leva gravement pour nous annoncer la dernière et stupéfiante nouvelle qu’il venait de recevoir d’Europe, qui lui disait que l’Angleterre venait de déclarer le guerre à l’Allemagne, en se joignant à ses Alliées, la France et la Russie. C’est donc une crise européenne qui devra éclater puisque déjà plusieurs coalitions se sont formées contre les puissances. Depuis le conflit d’il y a quelques jours, entre l’Autriche et la Serbie, après le meurtre de l’Archiduc et l’Archiduchesse François-Ferdinand à Serajevo, héritiers de la Maison d’Autriche, nous étions inquiets, prévoyant les terribles conséquences qui devront irrémédiablement survenir.

L’allocution que fit le Résident, en s’adressant principalement au Nizam, au Maharajah de Kapurthala et aux officiers présents, fut très touchante, rappelant particulièrement à ces derniers, le devoir qu’ils avaient à remplir, si leur patrie les réclamait. Tout le monde entama les chants anglais patriotiques et l’Hymne national, en buvant à la santé du Roi et à la gloire de tous les Alliés.

Très impressionnés nous quittions nos hôtes, en pensant qu’à ce moment critique, l’Europe entre dans la voie de la souffrance. C’est une époque mémorable qui nous fera rappeler pour toujours cette soirée, qui se termina par la nouvelle d’aussi graves événements.

Vers onze heures, nous arrivions à Hyderabad où nous devions nous lever de bonne heure le lendemain pour aller à une chasse que le Nizam faisait organiser pour nous, étant une spécialité d’Hyderabad.

Cette curieuse chasse devait avoir lieu entre une « tchita » et des antilopes, en pleine campagne. Nous partîmes en auto jusqu’à un certain endroit dans la plaine, pour continuer notre route en tongas, escortés d’officiers et soldats à cheval, armés de lances. Devant nous, une charrette tramée par des bœufs transportait la tchita, les yeux bandés, attachée et gardée continuellement par deux hommes. Après quelques milles, nous arrivâmes au lieu propice, où on nous fit descendre, pour nous conduire sur une hauteur d’où nous pûmes suivre toutes les opérations. À peu près à cent mètres de nous, dans une immense plaine, les hommes firent descendre la tchita de la charrette, en la maintenant dans la direction d’où l’on venait d’apercevoir des antilopes qui mangeaient tranquillement.

Après quelques minutes, plusieurs apparurent, sautant, gambadant, s’approchant avec méfiance, sentant qu’il y avait quelque chose d’anormal. C’est à ce moment indécis que les hommes démuselèrent la tchita, qui, jetant un regard autour d’elle et apercevant les antilopes, bondit à leur poursuite. Alors, il y eut une course folle à travers champs. Soit que la distance qui les séparait était trop grande, mais la tchita ne put en attraper une. Harassée de fatigue, elle s’arrêta et c’est à ce moment que ses gardiens la reprirent et lui bandèrent de nouveau les yeux, pour recommencer la lutte une seconde fois plus loin. À un kilomètre de là où les antilopes s’étaient reposées, après leur terrible frayeur, l’opération recommença, qui aboutit cette fois à une meilleur résultat.

Après une lutte acharnée, courant de tous côtés, la tchita absolument éreintée, ne pouvait plus respirer, fit un dernier effort, en voyant sa proie prête à lui échapper. Subitement, elle s’élança avec une agilité extraordinaire et atteignit l’antilope ; elle lui donna un fort coup de griffes à la patte qui fit perdre l’équilibre à cette dernière, en la faisant rouler dans l’herbe.

Prompte comme l’éclair, la tchita profita de ce moment de faiblesse pour la saisir à la gorge et l’immobiliser tout-à-fait. Ce fut fait avec tant de vivacité et de ruse que nous eûmes à peine le temps de nous rendre compte de la manière dont elle avait pu agir. La faim seule pouvait lui donner cette habileté. Depuis deux jours, pour pouvoir lui faire faire ce sport, on l’avait mise à la diète, afin de la rendre plus sauvage et cruelle. La curiosité nous fit regarder de plus près l’attitude de ces deux animaux, qui malgré la cruauté du fait, ne manque pas d’intéresser les spectateurs.

La pauvre antilope était encore vivante, en proie à une terrible agonie par la douleur que lui donnait la tchita. Elle l’avait attrapée à la gorge ; le sang coulait et nous souffrions

Nous et notre suite pendant la chasse. La tchita tenant l’antilope

Nous et notre suite pendant la chasse.
La tchita tenant l’antilope


tellement de voir cela que nous partîmes au moment où les chasseurs allaient l’achever d’un coup de couteau.

De nouveau, ils reprirent la tchita et lui bandèrent les yeux, car cette bête affamée, étant à bout, l’aurait déchiquetée et mise morceaux.

La tchita est un animal qui tient du léopard, dont la peau est plus claire ; elle est absolument apprivoisée, et on dirait même un énorme chat ; sa taille seule y est trompeuse. Il faut à peu près huit à neuf ans d’élevage et de patience constante pour arriver à ce résultat.

Après cette nouvelle expérience, nous rentrâmes à la maison très fatigués, bien heureux de trouver un frugal et copieux déjeûner, car la nourriture d’Hyderabad est riche et délicieuse. Les plats du pays sont très recherchés et préparés avec luxe. Le riz est toujours servi dans de fines feuilles d’argent et d’or que l’on mange très ordinairement, on savoure ce mets sans souci de la matière précieuse.

Ce même soir, nous devions aller diner pour la dernière fois chez le Nizam, notre départ ayant été fixé au lendemain. Ce fut un dîner d’adieu assez touchant, et vraiment nous ne savions comment remercier notre hôte de toutes ses amabilités et largesses.

Au moment de prendre congé, il m’offrit encore un joli cadeau que je n’osais vraiment pas accepter. Il voulut aussi que nous ayons avant de partir une idée de son art musical, jouant très bien du tam-tam lui-même. Il se joignit à ses musiciens et nous fit entendre quelques uns de ses plus jolis airs. Un professionnel jouait admirablement de la cithare, cet instrument qui rend tout-à-fait l’expression de la voix humaine et qui ressemble à la guitare, était si mélodieux, qu’il nous fascina tous. Cette soirée fut intime et très agréable. Le Nizam insista beaucoup pour que nous restions quelques jours de plus à Hyderabad, mais comme notre itinéraire était formellement tracé, il fallut décliner cette invitation, qui eût été vraiment, si nous l’avions acceptée, abuser de sa généreuse hospitalité. Enfin, à force d’insister, Son Altesse accepta de rester jusqu’au lendemain après-midi, afin de pouvoir avoir un dernier déjeûner, pour être encore une fois tous réunis au palais.

Après ce déjeûner qui fut un peu triste, il trouva le moyen de m’envoyer à la maison un superbe costume musulman, avec des tapis et coussins orientaux, en velours rouge brodés d’or, d’un travail splendide. Je dus me faire photographier, il m’avait envoyé les « ayahs » pour me montrer à mettre le costume, et le photographe pour faire ma photographie avant mon départ. Quelle bousculade, quelle installation pour faire cela à l’authentique surtout en si peu de temps ; je n’eus que quelques minutes pour me rendre à la gare.

C’est avec les plus amers regrets que nous quittâmes tous cette ville qui nous procura des heures si heureuses. Le temps aussi, semblait triste et morose ; le ciel était nuageux puis quelques gouttes d’eau se mirent à tomber comme pour nous faire sentir davantage la séparation prochaine de ce lieu sans égal.

À la gare, la réception fut encore officielle le sol était jonché de fleurs et nous emportions des bouquets odorants, superbes, offerts par les délégués qui avaient été envoyés de la part du Nizam. Le train siffla, nous emportant tous plus émus les uns que les autres, par les démonstrations de sympathie, témoignée par tous ceux que nous avions connus à Hyderabad.

Rentrés dans la vie paisible de Kapurthala nous réalisons avec satisfaction par tous ces beaux voyages, le charme fascinant de cette Inde mystérieuse et enchanteresse.



THE END