Initiation à la science du droit musulman/Livre premier/Chapitre II

La bibliothèque libre.


Imprimerie typographique et lithographique A. Perrier (p. 2-7).

CHAPITRE II

Ce qui découle du « cheri’â » ou droit divin


De cheri’â découle eddîne, ce qui indique non-seulement la religion ou la croyance attachée au droit divin, mais encore le culte qu’elle réclame.

C’est-à-dire que Dieu, après avoir tracé aux hommes le chemin cheri’â, leur a dit : En retour du don que je vous ai fait, vous me paierez un tribut dîne[1], qui consistera à croire à ce que je vous ai révélé et à y conformer vos actions.

Le mot eddîne se divise en os’oûl eddîne et en foroû’â eddîne.


SECTION Ire

Des os’oûl eddîne


Les os’oûl eddîne indiquent les dogmes fondamentaux de la religion inscrits dans le Koran, auxquels tout musulman est obligé de croire avec conviction imâne. On les appelle aussi : os’oûl el kalam, principes des paroles divines, et â’qaïd, articles de foi.

Ils sont assimilés, par les jurisconsultes, à un tronc d’arbre dont les branches sont ce qu’ils appellent foroû’â eddîne.

Ces dogmes sont :

1° La reconnaissance du Koran comme le dernier et le plus parfait des livres révélés antérieurement à lui, savoir : le Tourat, Pentateuque de Moïse ; le Zebour, ou les Psaumes de David, et El-ine-djîl, l’Évangile. Ces trois livres sont les seuls que les musulmans admettent comme ayant été révélés par Dieu. D’après eux, le Koran les a tous abrogés, et, à cet égard, voici la traduction d’un acte de conversion à l’islamisme qui se trouve dans Ibn-Salamoune :

« Le chrétien un tel, déclare qu’il rejette la religion chrétienne par conviction et qu’il embrasse la religion musulmane par conviction, parce qu’il sait que Dieu n’accepte pas d’égal à lui, et que, par le Koran, il a abrogé toutes les lois cherây’â qu’il avait antérieurement révélées, ainsi que toutes les religions qui étaient pratiquées en conséquence de ces lois. Le dit chrétien témoigne qu’il n’y a d’autre Dieu que le Dieu unique ; que ce Dieu n’a pas d’associé ; que Mahomet est son serviteur et le dernier de ses envoyés et de ses prophètes ; que le Messie, fils de Marie, est son serviteur et son envoyé ; que Dieu a transmis sa parole par un ange, à Marie, pour lui annoncer qu’elle serait la mère du Messie, et que c’est Dieu qui, ensuite, a fécondé Marie de son souffle. — En conséquence, le dit chrétien s’est soumis à toutes les prescriptions divines de l’islâm, concernant les ablutions, la prière, l’impôt zakat, le jeûne, etc. — Il déclare connaître les sanctions pénales qu’entraîne leur inobservation, et les choses desquelles ces prescriptions lui commandent de s’abstenir. Il s’est donc attaché à l’islâm par amour pour cette religion, et il loue Dieu de la faveur qu’il lui a faite en l’inspirant à cet égard. Tout ce qui précède est le résultat de la volonté du déclarant, dégagée de tout sentiment de crainte et de toute contrainte, car personne ne doit être contrarié dans ses convictions religieuses. »

2° La croyance à l’unité de Dieu : toûh’îd ;

3° La mission des prophètes, au nombre desquels figure Mahomet comme le dernier : nabaoua ;

4° La croyance à la prédestination : el qadr ;

5° La croyance aux anges : el melâïk, et aux démons : el djonoûne ;

6° La croyance à la vie future : el mi’âad fil akrira, c’est-à-dire à la résurrection avec des récompenses et des peines.


SECTION II

Des foroû’â eddîne


Les foroû’â eddîne, ou branches de la religion, constituent le culte.

Le culte eddîne[2] comprend, d’une manière intime et inséparable, tant l’hommage que les hommes doivent à Dieu, que l’accomplissement de leurs devoirs sociaux ; car Dieu n’a pas créé des droits pour lui exclusivement, il en a créé aussi pour les hommes, et les leurs lui sont aussi chers que les siens. C’est en ce sens que le mot eddîne indique pour Dieu sur les hommes des droits, et, pour les hommes entre eux, des droits et des devoirs.

Le culte réclame l’islâm ou la soumission extérieure à la loi de Dieu, en outre de l’imâne ou de la soumission intérieure à cette loi[3], ce qui veut dire que la pratique ne peut aller sans la foi, parce que la pratique seule ou est guidée par l’intérêt, ou est le fruit de la contrainte ou de l’hypocrisie, et que la foi ne peut aller sans la pratique, parce que le défaut de pratique constitue une désobéissance à la loi de Dieu. En résumé, pour être réellement mahométan, il faut croire à ce que Dieu a révélé et y conformer ses actions, car les démonstrations de celui qui croit ne peuvent être suspectes.

Les foroû’â eddîne, ou branches de la religion qui constituent le culte, se rapportent donc : 1° à la vie religieuse et morale ; 2° au droit civil ou privé ; 3° au droit public et au droit des gens.

Elles sont régies par le Koran et la tradition, lorsque les préceptes en sont clairs et précis, sinon par l’interprétation doctrinale, qui doit toujours être dans le sens de l’esprit du Koran ou de la tradition.

L’interprétation doctrinale repose sur la science jurisprudentielle dite ’âïlm el fiqh. Cette science, dans laquelle il y a des divergences, a donné lieu aux sectes qui se partagent l’islamisme.

Les foroû’â eddîne se divisent en trois catégories :

El-’âïbâdât ;

El-ma’âmâlât ;

Omoûr esi-a-sa.


§ 1er. — El-’âïbâdât


El-’âïbâdât comprennent les actes de dévotion à accomplir par les musulmans, soit:

1° La purification el-oudhou avec de l’eau, et, à défaut, avec du sable, qui doit précéder la prière, le pèlerinage, l’attouchement du Koran, ou qui doit suivre la satisfaction de l’appétit charnel, celle des besoins naturels, la menstruation et l’accouchement ;

2° La prière es’s’alât, qui doit se faire cinq fois par jour ou dans l’espace de vingt-quatre heures ;

3° Le paiement de l’impôt dit zakât ;

4° L’observation du jeûne, es’s’oum, pendant le mois de ramadan, ou par suite d’un vœu, ou à titre d’expiation des péchés ;

5° Le pèlerinage, el-h’eudj ;

6° La guerre sainte contre les infidèles, el-djihâd.

Les ’âïbâdât comprennent également ce qui est relatif à la morale, à la civilité et à l’hygiène.

En un mot, les actes dits ’âïbâdât ont pour objet ceux qui ne sont pas socialement obligatoires au profit d’un tiers. Mais, à leur égard, le droit est réservé à la société, par l’organe des cadis, de réprimer, dans l’intérêt de Dieu, les infractions à la loi.


§ 2. — El-ma’âmâlât


Les ma’âmâlât comprennent les contrats et obligations de la vie civile, c’est-à-dire ce qui règle les intérêts respectifs des particuliers, dans tout ce qui concerne les affaires relatives à leurs personnes, à leurs biens et à leurs conventions.


§ 3. — Omoûr essi-a-sa


Les omoûr essi-a-sa, ou affaires de gouvernement, comprennent ce qui fait partie du droit public et du droit des gens et rentre dans les attributions de la souveraineté.



  1. Dîne, rétribution, dérive du verbe dâna, qui signifie tout à la fois être créancier et être débiteur. En effet, rétribution suppose un obligeant, soit un créancier, et un obligé, soit un débiteur.
  2. Le mot eddîne indique ici la dette religieuse, qui consiste à pratiquer ce qui a été révélé. Et, afin qu’il n’y ait pas de confusion, on indique par eddéïne la créance ou la dette qui résultent d’un engagement privé.
  3. Ibn-Salamoune définit el imâne ainsi : el imâne houa ettes’diq el h’âs’il fil qalb : ce qu’on appelle el imâne, c’est la sincérité qui doit régner dans le cœur.