Initiation musicale (Widor)/ch05

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Librairie Hachette (p. 25-28).


CHAPITRE V

LA VITESSE DU SON

COMPARAISON AVEC CELLE DES PROJECTILES.
LES PROGRÈS DE L’ACOUSTIQUE PENDANT LA GUERRE.



La vitesse du son comparée à celle des projectiles. ↔ Très lente dans l’air, la vitesse du son est variable suivant la température. Beaucoup plus active dans l’eau, dans le bois, dans les métaux.

Alors que la lumière parcourt des milliers de kilomètres à la seconde, l’onde sonore, dans l’air, ne parcourt que :

332 mètres à zéro.
339 mes à 12 degrés.
376 mes à 26 de

Tandis que, dans l’eau, elle parcourt :

1436 mètres[1].

Et dans le bois, dans le métal, de 1 400 à 4 000 ![2]

Il est intéressant de constater l’action de la température, d’expérimenter cette vitesse, par exemple, sous les voûtes de Notre-Dame ou de Saint-Sulpice, les jours où collaborent le grand orgue et le chœur, à 100 mètres de distance.

L’église vide et froide, impossible de s’entendre sans un agent de liaison, bâton de mesure ou sonnerie électrique, d’après lequel il faut se guider.

Pleine et surchauffée par la foule, tout change : les deux foyers semblent rapprochés. L’onde est plus agile. Nul besoin de secours pour le synchronisme de l’ensemble.

La guerre a permis d’étudier la portée sonore du canon à des distances souvent considérables, suivant les diverses conditions de terrain, d’atmosphère, d’altitude[3].

Quant aux vibrations émises, un curieux phénomène s’est révélé à nos artilleurs.

L’obus part avec une vitesse quelquefois double, quelquefois même triple de celle du son. Peu à peu la résistance de l’air ralentit sa course. À un moment donné, alors que son sifflement continue à émettre des milliers de vibrations, il se trouve rejoint par les vibrations du coup du départ. De là un enchevêtrement, un choc d’ondes sonores qui, pour l’observateur placé dans une zone déterminée par rapport avec la trajectoire, produit un formidable éclat, lequel lui parvient avant les deux autres, celui du départ, celui de l’arrivée. Ce phénomène acoustique fut cause de nombreuses erreurs, aux premiers mois de la guerre, sur l’emplacement des pièces de l’ennemi ; ainsi naquit la légende des obus allemands « qui éclataient deux fois ».

La pièce de 75 envoie l’obus avec une vitesse initiale de 529 a 584 mètres à la seconde, suivant la charge ;

Le 105 long, de 580 mètres ;

Le 140 (marine), de 910 mètres ;

Le projectile du fusil Lebel : 655 mètres.

Le progrès de l’acoustique pendant la guerre. ↔ Avant 1914, l’acoustique était au second plan des sciences physiques. On ne tarda pas à s’apercevoir de ses multiples et capitales utilisations pour repérer les batteries ennemies, les sous-marins, les avions, les mines sur terre et sur mer, etc… Il fallait se hâter de créer des moyens de défense. Aussitôt construits, les nouveaux appareils permirent de constater quantité de phénomènes dont certains purent être expliqués, mais dont quelques autres (les zones de silence, par exemple) restent pour nous, aujourd’hui encore, à l’état de mystère.

Soit par écoute directe, soit par inscription, grâce aux ondes sonores ou infra-sonores différentes, on put distinguer les batteries les unes des autres[4].

D’intéressantes solutions furent trouvées pour les sapes et pour les avions.

On réalisa :

De William Loth : ses microphones à membrane atonique, ses fils dragueurs-avertisseurs des mines sous-marines, ses fils conducteurs qui règlent l’entrée d’un navire au port ;

De Langevin : sa brillante application des ultrasons ;

De Ch. Nordmann, astronome de l’Observatoire de Paris, ses études sur le repérage par le son ;

De l’abbé Rousselot : ses enregistrements de la voix, des timbres divers, des bruits d’hélice des sous-marins ;

Du commandant Walser : son appareil à concentration acoustique ;

Du directeur de l’Observatoire de Strasbourg, M. Esclangon, ses importantes études sous-marines :

Magnus ab integro sæclorum nascitur ordo.

L’écho. ↔ Étant donnée la vitesse moyenne de 350 mètres, placez-vous à 35 mètres devant une surface réfléchissante, un mur ; émettez un ah ! aussi vigoureux que bref. Le son parcourra 70 mètres pour atteindre la paroi et rebondir vers vous, en un cinquième de seconde.

Donc, à 35 mètres d’une paroi, vous obtenez l’écho d’une syllabe ; à 70 mètres, celui de deux syllabes, etc.

  1. En 1824, on fit l’expérience suivante : entre Rolle et Thonon, le lac a 13 km. 500 de largeur et 140 mètres de profondeur. Ici, une fusée annonçait_le moment précis d’un coup de marteau sur une cloche immergée. Là, un récepteur acoustique, lui aussi immergé et communiquant avec un compteur, enregistrait le temps écoulé entre la vue de l’éclair et la perception de la cloche.
    xxxLa vitesse constatée représenta 1 435 mètres à la seconde.
  2. Sur les fils télégraphiques de Paris-Versailles, rive droite, un observateur frappe d’un coup de marteau le poteau tendeur, un autre note l’arrivée de l’onde sonore. La vitesse constatée sur les fils de fer, représente 3 435 mètres.
  3. Le 14 juillet 1918, quelques minutes avant minuit, nos fenêtres, à l’Institut, étaient ébranlées par une violente canonnade. Dans l’échancrure, entre le Louvre et Saint-Germain-l’Auxerrois, le ciel s’illuminait d’un rouge d’incendie que sillonnaient les éclairs des pièces lourdes. La seconde bataille de la Marne commençait : c’était le canon de Gouraud et de Mangin que nous entendions. Comment, de Château-Thierry et de Dormans, à plus de 100 kilomètres de distance, le son pouvait-il nous arriver avec une telle intensité ?
    xxxPendant la lutte sous Verdun, de Montigny-sur-Loing, derrière la forêt de Fontainebleau qui devait faire obstacle, on pouvait, chaque jour, se rendre compte de la violence du combat.
  4. M. André Bloch, prix de Rome, professeur au conservatoire franco-américain de Fontainebleau, a été décoré de la Légion d’honneur pour ses appareils écouteurs-isolateurs.