Installation d’une jeune femme française à Madagascar

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Magasin d’Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901
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INSTALLATION D’UNE JEUNE FEMME FRANÇAISE

À MADAGASCAR


Pour une Parisienne qui tient à retrouver le charme et le confort de son intérieur parisien, Tananarive n’offre pas tout d’abord de grandes ressources ; mais, avec un peu de patience, de courage et d’industrie, on parvient à se tirer d’affaire.

Des amis nous avaient retenu une maison fort gentille, avec jardin, située dans Faravohitra, le quartier des Anglais, le plus sain de la ville.

Dès le lendemain de notre arrivée, j’allai la visiter et j’en revins ravie. Une vue splendide, le lac Anozÿ à proximité, un horizon de montagnes, des fleurs plein le jardin.

Au rez-de-chaussée, salon, salle à manger, cabinet de travail ; au-dessus, trois chambres à coucher.

Nous y avons aussitôt introduit les ouvriers (malgaches bien entendu), et nous avons dû attendre l’achèvement des principaux travaux pour procéder à l’ameublement.


DANS LES RUES DE TANANARIVE

Il a fallu courir un peu partout pour rassembler les choses de première nécessité. J’ai acheté non sans peine une douzaine d’assiettes, pot à eau, cuvette et le reste. La découverte, à la « Société lyonnaise », d’un lit en fer nous a procuré une vraie joie ; nous étions réduits depuis quinze jours à coucher sur nos lits de camp. Une ramatou (femme de chambre) m’a confectionné un traversin et un matelas. Ce dernier, bourré en rafia (fibre du palmier), et couvert en rabane (étoffe tissée avec cette même fibre) est parfait.

Le salon a été la première pièce terminée, mais nous n’avions aucun meuble à y mettre, et impossible d’en trouver. C’est alors que notre travail et notre industrie nous ont été utiles pour métamorphoser en fauteuils élégants les quelques sièges malgaches hors d’usage achetés au zoma (grand marché du vendredi).

Habillés de cretonne relevée de rubans, ils ont pris un air des plus coquets. Puis, quatre cantines, un matelas bourré de paille, le tout recouvert de lambas drapés avec art, ont constitué un sofa luxueux.

Sous le pinceau de mon mari, de vulgaires jarres, des vases rapportés du jardin, deviennent des potiches de prix. Des plateaux en bois qui servent à vanner le riz figurent les boucliers de nos ancêtres. Tables et chaises revêtent de fraîches couleurs, des bambous se transforment en tringles pour nos rideaux.

Tandis qu’il peint, drape, cloue, tapisse, moi je confectionne des rideaux mystère en soie Liberty, le dernier cri de l’élégance parisienne. C’est un vrai plaisir que de créer soi-même son intérieur, il n’en est que plus original.

Grande joie, nous avons déniché un piano ; il est vieux, il est faux, il lui manque des notes, mais on ne doit pas être trop difficile à Madagascar et, tel quel, nous passerons avec lui de bons moments.


TANANARIVE — LE LAC ANOSŸ

Je m’étais engagée à recevoir le premier jeudi de septembre. J’ai tenu parole. J’ai ouvert mon salon hier. Le Tout-Tananarive était venu pour l’admirer ; cela a été un concert d’éloges, il a été déclaré le premier salon de la ville pour son bon goût et son originalité. C’est la question du jour, on ne parle plus que de cela ; on s’aborde en se disant : « Avez-vous vu le salon de Mme X… ? Allez donc voir le salon de Mme X… »

Pour la salle à manger et les autres pièces, il y a ici une grande ressource : c’est la rabane, elle n’est pas très large, mais elle est très longue, elle coûte un franc ; si on veut avoir une fenêtre bien étoffée, il faut compter quatre rabanes, soit quatre francs. J’en ai fourré partout ; j’en ai fait des tapis, des dessus de cheminées.

Quant aux sièges, nous avons eu la bonne fortune de profiter d’une vente d’objets provenant du palais de la reine Ranavalo.

Nous avons acheté là une lanterne très curieuse, des chaises en cuir repoussé, des appliques avec glace et toutes sortes de bibelots qui orneront ma chambre.

Notre personnel domestique est déjà au complet :

1o Renipatse : le boy ou valet de chambre.

2o Reniache : le cuisinier.

3o Revo : la bonne d’enfant et femme de chambre en même temps.

Les trois ensemble me coûtent le prix d’un seul en France. Mais c’est le diable pour se faire comprendre, c’est tout au plus s’ils possèdent quatre mots de français. Quant au blanchisseur, c’est bien pis, il n’en connaît pas un seul. Je lui parle en français,
PARTANT EN VISITE
il me répond en malgache et nous ne savons ni l’un ni l’autre ce que nous nous sommes dit.

Quant à la nourriture, elle est à bon compte. J’ai un poulet pour 50 centimes, un beefsteak pour deux ou quatre sous. Nous mangeons des petits pois et des haricots verts tout comme à Paris.

Ce sont les denrées qui viennent de France qui sont chères ; tout ce qui est du pays est pour rien. Le riz et le thé réussissent très bien ici.

Le thé est une grande ressource, parce que le vin et l’eau, sauf celle d’une source particulière, sont également malsains.

Il ne fait pas chaud à Tananarive ; on supporterait très bien du feu. Malheureusement, toutes les cheminées sont postiches ; je me promène dans ma maison avec un collet sur le dos.

Les distractions ne nous manqueront pas. On a organisé toutes sortes de jeux au jardin de la Reine : tennis, croquet, quilles, boules, tonneau ; on termine ces exercices par des danses sur l’herbe aux sons de la musique malgache.

Rien ne me sera plus facile que d’en profiter.

Ma femme de chambre, qui a déjà servi chez des Européens, est une perle. Elle attache bébé sur son dos et, s’étant ainsi rendu la liberté de ses bras, elle lave, repasse, frotte, coud dans la perfection. Le cuisinier tient à honneur de composer lui-même ses menus, et le boy est extraordinaire ; il me dresse des tables ravissantes, dispose lui-même les corbeilles de fleurs ; puis il fait des petits bouquets qu’il pique avec goût sur la nappe, tout le long de la table ; et avec cela il a l’air si heureux, quand je reçois !

Tu vois que je ne suis pas bien à plaindre.

Chaque pays a son attrait. Quand on a près de soi une affection et un soutien, avec un peu de bonne volonté, de bonne humeur et d’habileté, partout on peut être heureux.

Je vous garde à tous, qui êtes loin de moi, un souvenir fidèle ; mais je réagis contre tout regret inutile, toute défaillance qui gâte notre vie et celle de ceux qui nous entourent.

M. Olivier.