Instruction pour les jardins fruitiers et potagers - Tome I

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[extrait]

A Paris, par la Compagnie des libraires. M. DCC. Avec privilege de Sa Majesté (1p. 9-13).

Au Roi


Les jardins fruitiers et potagers m'ont été trop favorables pour cacher l'extrême reconnaissance des biens que je leur dois : Je leur suis obligé de l'honneur que Votre Majesté m'a fait d'avoir augmenté en ma personne le nombre des Officiers de sa Maison. Une telle obligation mérite bien au moins que je la publie. Et quoi que la condition ordinaire de ceux qui aiment l'agriculture soit d'être heureux, mon bonheur toutefois surpasse tellement celui de tous les autres que je crois, SIRE, devoir faire en sorte que personne ne l'ignore. L'espérance d'un succès pareil à celui qui m'a élevé dans une telle Charge est capable d'animer beaucoup de gens à l'étude du Jardinage et par conséquent capable de faire à votre Majesté des Serviteurs plus habiles que je ne suis; et c'est véritablement, SIRE, la chose du monde que je souhaite avec le plus de passion. Mais comme mon bonheur ne vient que parce que Votre MAJESTÉ est assez touchée des divertissements du jardinage, peut-être n'est-il pas hors de propos qu'on connaisse quelle sait quelquefois descendre de ses plus grandes occupations pour goûter les plaisirs de nos premiers Pères, aussi bien que surpasser la gloire des plus illustres Monarques, en réinventant tous les jours l'ambition d'une infinité d'ennemis par de nouvelles victoires.

Aussi est-il vrai que telle a été de tout temps l'inclination des Héros et des têtes couronnés ; et si on en croit un Ancien , les mêmes vertus qui faisaient la félicité de leurs Peuples, faisaient aussi la fertilité de leurs Terres. Mais pour faire voir que Vôtre Majesté les surpasse en ceci comme en toute autre chose, je n'aurais qu'à représenter, s'il m'était possible, la pénétration incroyable avec laquelle elle a d'abord entendu mes principes de la taille des Arbres (matière jusqu'à présent assez vague et assez inconnue).

La Nature qui (ce semble) prend plaisir à ne rien réfuter à Votre Majesté qui la regarde en effet comme le plus parfait de ses Ouvrages, a sans doute réservé pour son auguste Règne, ce que la terre a caché à tous les siècles passés. Ce n'est qu'à force de sueurs que les hommes ordinaires arrachent du sein de cette mère commune ce qu'ils sont obligés de lui demander tous les jours pour leur subsistance, par ce que sa plus forte inclination ne va qu'à produire des chardons et des épines ; mais pour peu que votre Majesté continue à favoriser de ses regards ceux qui ont l'honneur de la cultiver dans ses Jardins, nous verrons à la Gloire de Nôtre Monarque, et à l'avantage du genre humain, que ce qui a été inconnu à toute l'Antiquité ne le sera plus pour personne. Cette Terre qui paraît si opiniâtre à l'égard de tout le monde cédera enfin, même, pour ainsi dire, avec quelque joies au moindre commandement d'un grand Prince, à qui tous les autres éléments font gloire d'obéir; et quand bien même, SIRE, Vôtre Majesté occupée avec tant de succès à la grandeur de son Etat, à la félicité de son Peuple, de ses Alliés, n'aurait pas le temps de prendre elle même quelque plaisir dans la culture de ses Jardins.