Introduction à l’histoire du bouddhisme indien/Second Mémoire/Section I

La bibliothèque libre.

SECOND MÉMOIRE.
DESCRIPTION DE LA COLLECTION DES LIVRES DU NÉPÂL.



SECTION PREMIÈRE
DESCRIPTION GÉNÉRALE.

La collection buddhique du Népâl se compose d’un grand nombre d’ouvrages dont les titres annoncent des traités de genres très-divers. Ces titres sont connus depuis quelque temps par les Mémoires de M.  Hodgson, et ce savant en a publié deux listes étendues dans les Recherches asiatiques de Calcutta[1] et dans les Transactions de la Société Asiatique de Londres[2]. Ce double catalogue doit s’augmenter encore de celui qu’on pourrait rédiger d’après l’analyse que Csoma de Coros a donnée de la grande collection tibétaine dans le Journal de la Société Asiatique du Bengale[3], et surtout dans les Recherches Asiatiques de Calcutta[4]. En effet, comme, à l’exception de quelques traités dont les éditeurs tibétains ne rapportent par les titres sanscrits, les livres dont se compose cette collection sont des traductions d’ouvrages indiens, et que, suivant l’opinion de M.  Hodgson, ces ouvrages ont dû exister ou se conservent même peut-être encore dans quelques monastères du Népâl ou du Tibet, on comprend que le catalogue de la collection sanscrite du Népâl pourrait trouver dans l’analyse du Kah-gyur tibétain la matière d’un supplément considérable.

Nous ne possédons pas à Paris la totalité des ouvrages dont un catalogue formé de ces trois listes réunies nous ferait connaître l’existence, et si M.  Hodgson n’a pu même se procurer tous les livres qu’indique sa double liste, il est probable qu’on aurait maintenant quelque peine à découvrir au Népâl tous les originaux des versions tibétaines du Kah-gyur. Quoi qu’il en soit, le double envoi que nous devons à M. Hodgson nous a mis en possession d’environ quatre-vingt-huit ouvrages buddhiques composés en sanscrit, soit en vers, soit en prose, qui contiennent, selon toute vraisemblance, ce qu’il y a de plus important dans la collection religieuse du Népâl. Ces ouvrages, en effet, rentrent pour la plupart dans les grandes divisions des écritures buddhiques dont la tradition népâlaise, d’accord avec le témoignage des livres eux-mêmes, nous a conservé le souvenir.

Nous ne serions cependant pas en mesure de juger, d’après ce que nous possédons, de l’étendue de la littérature buddhique, s’il fallait nous en rapporter à une tradition généralement répandue chez les Buddhistes du Nord et chez ceux du Sud, tradition qui fait monter à quatre-vingt-quatre mille traités l’ensemble des livres de la loi[5]. Je trouve dans une compilation philosophique, l’Abhidharma kôça vyâkhyâ, dont il sera parlé plus tard, un passage relatif à cette tradition, qui prouve qu’elle n’est pas seulement orale : « J’ai reçu de la bouche du Bienheureux, dit un texte sacré, quatre-vingt mille textes de la loi et plus. Dans un autre recueil, ajoute le commentaire, on lit quatre-vingt-quatre mille. Le corps de la loi se compose des livres qui font autorité ; or, ces livres sont, suivant quelques-uns, au nombre de six mille, et on les désigne par le titre de Dharma skandha, ou le corps de la loi. Quant aux quatre-vingt mille textes de la loi, ils sont perdus ; le seul qui subsiste est ce corps unique [de six mille volumes]. D’autres entendent par Dharma skandha chacun des articles de la loi, et ils en comptent quatre-vingt mille[6]. » C’est plutôt dans ce dernier sens qu’on doit prendre le terme de skandha. S’il fallait admettre qu’il ait jamais existé une aussi volumineuse collection, fait que conteste judicieusement M. Hodgson[7], on serait forcé de se la représenter comme renfermant des ouvrages de proportions très-diverses, depuis un traité proprement dit jusqu’à une simple stance. Ainsi nous connaissons un ouvrage sur la métaphysique buddhique, la Pradjñâ pâramitâ, dont on a deux rédactions, l’une en cent mille articles, et l’autre en une seule voyelle, multum in parvo[8]. La tradition que je viens de rappeler est du reste ancienne chez les Buddhistes. Elle a même donné au chiffre de quatre-vingt-quatre mille une sorte de consécration ; car on sait qu’ils ont appliqué ce chiffre à d’autres objets qu’à leurs livres religieux.

Quoi qu’il puisse être de ces quatre-vingt-quatre mille textes de la loi, à la réalité desquels on peut croire, si par textes on entend articles, les livres qui subsistent aujourd’hui se divisent en trois classes, nommées collectivement Tripiṭaka, c’est-à-dire « les trois corbeilles ou recueils. » Ces trois classes sont le Sûtra piṭaka ou les Discours de Buddha, le Vinaya piṭaka ou la Discipline, et l’Abhidharma piṭaka ou les Lois manifestées, c’est-à-dire la métaphysique[9]. Cette division, qui est justifiée par des textes, est une des bases de la classification du Kah-gyur, et parmi les sept corps que forment les cent volumes de cette grande bibliothèque, le Vinaya est le premier, l’Abhidharma, sous le titre spécial de Pradjñâ pâramitâ, est le second, et le recueil des Sûtras est le cinquième[10]. Elle n’est pas moins familière aux Buddhistes chinois, dont le témoignage s’accorde en général si exactement avec celui des Tibétains ; ils l’expliquent par trois mots signifiant livres sacrés, préceptes et discours[11], et on la trouve élucidée dans une savante note de M. A. Rémusat, qui reproduit exactement les détails que nous fournissent sur ce sujet les livres buddhiques du Népâl[12]. Mais il est nécessaire de nous arrêter quelques instants sur ces trois titres, et de réunir ce que les textes sanscrits et la tradition népâlaise nous apprennent de leur valeur et de leur application.

Le mot de Sûtra est un terme bien connu dans la littérature de l’Inde ancienne ; il y désigne ces brèves et obscures sentences qui renferment les règles fondamentales de la science brâhmanique, depuis la grammaire jusqu’à la philosophie[13]. Cette signification n’est pas inconnue aux Buddhistes, car M. Rémusat définit ainsi ce terme : « Principes ou aphorismes qui font la base de la doctrine, textes authentiques et invariables[14]. » Je trouve en outre dans la collection de M. Hodgson un ouvrage intitulé Vinaya sûtra, ou Vinaya paira, qui est composé de sentences très-brèves et conçues dans le système des axiomes brâhmaniques. Je reviendrai plus bas sur cet ouvrage ; mais je dois auparavant me hâter de remarquer que ce n’est pas seulement ainsi que les Buddhistes entendent le mot de Sûtra, et que les traités auxquels ce titre s’applique ont un caractère très-différent de ceux qu’il désigne dans la littérature orthodoxe de l’Inde ancienne. Les Sûtras, selon les autorités népâlaises citées par M. Hodgson, renferment tout ce qu’ont dit les Buddhas ; c’est pourquoi on les appelle souvent Buddha vatchana, « la parole des Buddhas, » ou Mûla grantha, « le livre du texte[15]. » Les Chinois expliquent ce terme de la même manière. Les Sûtras sont, suivant une curieuse note de M. Landresse, « les doctrines attachées ou cousues ; c’est le nom général de tous les enseignements saints ; ce sont les textes des livres sacrés, où l’on traite simplement « de la loi en discours suivis, longs ou courts[16]. » On reconnaît dans cette explication la trace de la signification étymologique du mot Sûtra, et en même temps l’application qu’en font les Buddhistes à ce qu’ils appellent spécialement leurs Sûtras. Ces livres sont attribués au dernier des Buddhas reconnus par tous les Buddhistes, c’est-à-dire à Çâkyamuni ou Çâkya, le solitaire de la race Çakya, qui est représenté s’entretenant avec un ou plusieurs de ses disciples, en présence d’une assemblée composée d’autres disciples et d’auditeurs de toute espèce, depuis les Dieux jusqu’aux hommes[17]. Je montrerai bientôt que des textes buddhiques déterminent la forme propre à tout Sûtra, et j’établirai qu’il existe entre plusieurs de ces livres des différences qui sont de nature à jeter du jour sur leur origine et leur développement. En ce moment il me suffit d’en constater les caractères les plus généraux, et d’indiquer sommairement la place qu’occupent les Sûtras dans l’ensemble des écritures buddhiques du Népâl.

Cette place est, comme on voit, très-élevée, puisque les Sûtras passent pour la parole même du dernier Buddha, et qu’au rapport de M. Hodgson, il n’y a pas de titre qui jouisse de plus d’autorité que celui-là[18]. Rédigés en général sous une forme et dans un langage très-simple, les Sûtras gardent la trace visible de leur origine. Ce sont des dialogues relatifs à la morale et à la philosophie, où Çâkya remplit le rôle de maître. Loin de présenter sa pensée sous cette forme concise qui est si familière à l’enseignement brâhmanique, il la développe avec des répétitions et une diffusion fatigantes sans doute, mais qui donnent à son enseignement le caractère d’une véritable prédication. Il y a un abîme entre sa méthode et celle des Brâhmanes. Au lieu de cet enseignement mystérieux confié presque en secret à un petit nombre d’auditeurs, au lieu de ces formules dont l’obscurité étudiée semble aussi bien faite pour décourager la pénétration du disciple que pour l’exercer, les Sûtras nous montrent autour de Çâkya un nombreux auditoire, composé de tous ceux qui désirent l’écouter, et, dans son langage, ce besoin de se faire comprendre qui a des paroles pour toutes les intelligences, et qui, par ses perpétuelles répétitions, ne laisse aucune excuse aux esprits les moins attentifs ni aux mémoires les plus rebelles. Cette différence profonde est dans l’essence même du Buddhisme, doctrine dont le prosélytisme est le trait caractéristique ; mais le prosélytisme lui-même n’est qu’un effet de ce sentiment de bienveillance et de charité universelles qui anime le Buddha, et qui est à la fois la cause et le but de la mission qu’il se donne sur la terre.

Il ne faudrait pas croire cependant que ces brèves maximes, si goûtées de l’antiquité, manquent entièrement à l’enseignement de Câkya ; au contraire, on trouve encore dans les Sûtras plusieurs traces de cette exposition sentencieuse qui résume un long développement en quelques mots ou dans une stance concise. Mais ces maximes, que l’on pourrait appeler de véritables Sûtras suivant l’acception brâhmanique de ce terme, sont assez rares dans les Sûtras du Népâl, et il faut les y chercher longtemps au milieu des flots de paroles sous lesquels disparaît quelquefois la pensée. Il est permis de croire que Çâkya ne dut pas s’interdire l’usage de ces sentences, et que le souvenir de l’emploi qu’il en faisait dans son enseignement a favorisé l’application toute spéciale que ses disciples ont faite du terme de Sûtra, en l’étendant à ses prédications morales et philosophiques.

Le titre de la seconde classe, celui de Vinaya, signifie discipline, et l’on rencontre à tout instant dans les textes les diverses formes du radical dont ce mot dérive employées avec le sens de discipliner, convertir. Les Buddhistes chinois entendent ce terme de la même manière, et M. Rémusat le définit ainsi : « les préceptes, les règles, les lois ou les ordonnances, littéralement le « bon gouvernement[19]. » La signification de ce mot ne peut donc faire aucune difficulté ; mais, par une singularité qu’il paraît malaisé de comprendre, à part quelques courts traités relatifs à des pratiques religieuses peu importantes, la collection de M. Hodgson n’offre pas d’ouvrages qui se placent dans la classe du Vinaya, comme elle en possède qui appartiennent à celle des Sûtras. Dans les deux listes que j’ai citées plus haut, le nom de Vinaya ne se présente qu’une seule fois, et encore n’est-il pas employé avec ce caractère de généralité qu’il a dans l’expression de Vinaya piṭaka, « le Recueil de la discipline. » Il figure seulement sur le titre d’un traité philosophique, le Vinaya sûtra, dont j’ai indiqué l’existence tout à l’heure, et duquel il me suffit de dire en ce moment qu’il n’est pas attribué à Çâkyamuni[20]. D’où vient donc que la classe du Vinaya n’est pas, comme celle des Sûtras, représentée dans la collection de M. Hodgson ? Serait-ce que les ouvrages relatifs à la discipline manquent dans cette collection, soit parce que M. Hodgson n’aurait pu en découvrir aucun, soit parce que ces ouvrages seraient en réalité beaucoup moins nombreux que les Sûtras ? L’examen attentif de quelques-uns des volumes de la collection népâlaise, comparés avec la liste des ouvrages renfermés dans le Kah-gyur tibétain, donne, si je ne me trompe, la solution de cette difficulté.

En étudiant l’analyse qu’a faite Csoma de la bibliothèque tibétaine, j’y ai reconnu un certain nombre de traités portant des titres qui se retrouvent dans la collection sanscrite découverte au Népâl par M. Hodgson. Ces traités, dont quelques-uns ont été cités au commencement du présent travail, appartiennent en général à la même classe dans l’une et dans l’autre collection ; et tel livre, qui se nomme Sûtra d’après la double autorité de la tradition népâlaise et du manuscrit même qui le renferme, fait partie, selon les Tibétains, de la catégorie des Mdo, c’est-à-dire des Sûtras. Mais on rencontre de fréquentes exceptions à cette régularité normale, et il y a des exemples d’ouvrages qui devraient, d’après leur titre sanscrit, être rapportés à une autre classe que celle que leur ont assignée les traducteurs tibétains. Quelques exemples suffiront pour me faire comprendre. La collection de M. Hodgson renferme un grand nombre de traités de peu d’étendue qui portent le titre d’Avadâna, titre que j’examinerai tout à l’heure, et sur lequel je me contente de remarquer qu’il est d’une application à peu près aussi fréquente que celui de Sûtra. Je crois même qu’en réunissant aux deux grands recueils du Divya avadâna et de l’Avadâna çalaka tous les traités de ce nom dispersés dans la collection népâlaise que nous possédons à Paris, on trouverait beaucoup plus d’Avadânas que de Sûtras. Mais plusieurs de ces traités ont exactement la forme des Sûtras, et en suivant une classification rigoureuse, il faudrait les séparer des ouvrages qui ont le titre d’Avadâna et qui n’offrent pas les caractères constitutifs d’un Sûtra véritable. Cependant la confusion que je signale ici se reproduit dans la collection tibétaine, et l’on rencontre parmi les Mdo ou les Sûtras un très-grand nombre de traités qui portent le titre d’Avadâna. La distinction de ces deux classes de livres n’est donc pas tellement tranchée qu’elles n’aient pu se placer l’une auprès de l’autre dans une classification très-large des écritures buddhiques.

Cela posé, il semblerait que tout ce que nous avons d’Avadânas sanscrits devrait se retrouver dans les trente volumes de Mdo tibétains. Il n’en est rien cependant, et plusieurs textes sanscrits qualifiés d’Avadânas ont pris place dans le Dul-va des Tibétains, qui n’est autre que le Vinaya vastu sanscrit. Je citerai entre autres le Pûrṇa avadâna, le Sam̃gha rakchita avadâna, le Sûkarikâ avadâna, traités auxquels il serait sans doute facile d’en ajouter d’autres, si nous possédions exactement en sanscrit tout ce que renferme en tibétain la bibliothèque du Kah-gyur.

Maintenant, pour que quelques Avadânas aient pu être compris au Tibet dans le cadre du Vinaya, il fallait que ces Avadânas eussent plus ou moins directement trait à la discipline. Je conclus de cette observation que si la classe du Vinaya semble manquer tout à fait à la collection de M. Hodgson, c’est que le titre général de cette classe est masqué par les titres particuliers de quelques livres qui doivent y rentrer. La liste d’ouvrages buddhiques donnée par M. Hodgson, et dont il sera fréquemment parlé plus bas, nous fournit deux exemples d’Avadânas qui appartiennent nécessairement à la classe du Vinaya ; ce sont le Kaṭhina avadâna, qui traite du vase, du bâton et du vêtement des Religieux, et le Piṇḍapâtra avadâna, qui est relatif au vase à recueillir les aumônes[21]. Les Népâlais ne peuvent ignorer la grande division des écritures buddhiques en trois classes, puisque leurs livres mêmes, textes canoniques et commentateurs, en parlent comme de quelque chose de vulgaire. Mais nous ne possédons pas un catalogue des livres sanscrits du Népâl où ces livres soient rangés sous l’une ou sous l’autre des classes auxquelles ils appartiennent. Le fait cependant ne doit pas prévaloir contre le droit, et en l’absence de tout renseignement positif sur ce point, nous pouvons en toute assurance recourir à la tradition tibétaine, qui, fixée par l’écriture entre le VIIe et le XIIIe siècle de notre ère, nous offre des renseignements antérieurs de près de onze siècles à la tradition recueillie, il y a vingt ans environ, au Népâl. J’hésite d’autant moins à combler les lacunes de la tradition népâlaise par les données que fournit la bibliothèque du Kah-gyur, que cette bibliothèque ne renferme à bien peu de chose près que des traductions des livres sanscrits, et que les livres du Népâl tirent leur autorité de la langue dans laquelle ils ont été écrits, bien plus que de la contrée où M. Hodgson les a découverts.

Je passe maintenant à la troisième division, celle de l’Abhidharma piṭaka. Le commentaire de l’Abhidharma kôça, que j’ai cité plus haut, explique le mot abhidharma par abhimukhô dharmah, « la loi présente ou manifeste[22], » et c’est également ainsi que l’entendent les interprètes tibétains du Kah-gyur[23]. Les Buddhistes chinois n’en donnent pas une explication aussi claire quand ils disent qu’abhidharma signifie discours, entretien, et qu’ils ajoutent que « ce sont des traités où, par le moyen de demandes et de réponses, on fait un choix « arrêté entre les divers procédés indiqués par la loi[24]. « Je montrerai plus tard, en exposant les données conservées par la tradition singhalaise sur les écritures buddhiques, que la signification de discours n’est pas inconnue aux Buddhistes du Sud ; seulement, en traduisant abhidharma par « discours prononcé pour les Dieux, » les Singhalais ont essayé de relever l’importance de ces livres qui renferment en réalité la partie la plus haute de la doctrine buddhique. L’Abhidharma contient en effet la métaphysique, et en général les opinions que les Buddhistes se font de tout ce qui existe. Ce titre ne paraît dans aucune des deux listes de M. Hodgson ; l’Abhidharma ne manque cependant pas à sa collection, et il y est représenté par la Pradjña pâramitâ, « la Perfection de la sagesse » ou « la Sagesse transcendante, » selon l’explication que donnent de ce terme les Tibétains[25], et d’après M. Schmidt, les Mongols[26]. Je reviendrai plus bas sur ce titre quand j’examinerai les livres qui le portent ; il faut auparavant achever de décrire d’une manière générale les trois divisions les plus larges des écritures buddhiques.

Présentée comme elle l’est dans le passage précité du commentaire sur l’Abhidharma koçâ, et dans l’analyse du Kah-gyur de Csoma de Cörös, cette classification des livres de Çakya paraît embrasser des ouvrages d’une égale autorité, et rien n’indique qu’il existe entre les trois recueils qu’elle comprend une différence quelconque. Un examen plus attentif permet cependant de soupçonner l’existence de quelques distinctions utiles pour la connaissance des livres réunis sous ces trois chefs principaux. Ainsi je trouve divers passages de l’Abhidharma koça desquels on est en droit de conclure que les recueils qui renferment l’Abhidharma n’émanent pas directement, ni au même titre que les Sûtras, de la prédication de Çâkya. L’auteur du traité dont je parle dit, par exemple, en propres termes : « Abuddhôktam Abhidharma çâstram » (le livre qui renferme la métaphysique n’a pas été exposé par le Buddha)[27]. Les éléments de cette partie de la doctrine buddhique sont, suivant lui, dispersés dans divers livres où Çâkya énonce incidemment et en traitant d’autres sujets plusieurs principes de métaphysique, comme celui-ci : « tout composé est périssable, » axiome fondamental dans toutes les écoles buddhiques, et que le commentateur a choisi pour prouver cette opinion, que sans avoir exposé positivement l’Abhidharma ou la métaphysique, Çâkya n’en avait pas moins fondé cette partie de la science par son enseignement. On connaît même des Sûtras, comme l’Artha viniçtchaya, auxquels s’applique le titre d’Abhidharma, parce qu’on y trouve la définition des lois, ou, d’une manière plus générale, la définition de tout ce que désigne le terme très-vaste de Dharma, savoir les conditions, les rapports, les lois ou les êtres qui se présentent sous telles et telles conditions, qui soutiennent entre eux tels et tels rapports, et qui sont régis par telles et telles lois[28]. Il faut bien, ajoute le commentateur, que l’Abhidharma ait fait partie de l’enseignement de Çâkya, puisqu’il est question dans un Sutra d’un Religieux auquel on attribue la connaissance des trois Piṭakas[29]. J’examinerai bientôt ce qu’il faut penser de la présence de ce titre « les trois Piṭakas » dans un traité qui passe pour émaner directement de la prédication de Çâkya ; ce qu’il importe actuellement de constater, c’est que, suivant notre auteur, les traités de métaphysique se composent d’axiomes qui se trouvent disperses dans l’enseignement de Çâkya, que l’on en a détachés, et dont on a fait un corps à part sous le nom d’Abhidharma.

Mais si cela est ainsi, nous pouvons dire que l’Abhidharma rentre par son origine dans la classe des Sûtras, et que la section des ouvrages métaphysiques doit surtout son existence, en tant que section distincte, à un travail de compilation qui l’a extraite de l’enseignement du Buddha ; et en poursuivant ces conséquences, nous pouvons affirmer avec les Buddhistes du Népâl que les Sûtras sont véritablement la parole du Buddha, Buddha vatchana, et le texte fondamental, Mûla grantha. Il reste encore à côté des Sûtras la section du Vinaya ; mais nous avons vu quelles analogies offrent, au moins quant à la forme, les livres qui composent ces deux classes, puisque divers traités rangés par les Népâlais au nombre des Sûtras sont placés, d’après les Tibétains, parmi les sources du Vinaya. On comprend d’ailleurs sans peine que les points de Vinaya ou de discipline qui passent pour établis par Çâkya lui-même n’ont pu l’être que dans ses discours, ou d’une manière plus générale dans sa prédication ; et comme les Sûtras renferment cette prédication, il est permis de dire que le Vinaya n’est qu’une partie des Sûtras, une section composée de ceux des discours de Çâkyamuni qui ont plus spécialement trait à la discipline.

Dans le cours des observations auxquelles vient de donner lieu la classification la plus générale des livres buddhiques, j’ai rapporté l’origine de ces livres à Çâkyamuni, c’est-à-dire au dernier des sept Buddhas humains dont la tradition a gardé le souvenir[30]. Je n’ai fait que reproduire sur ce point l’opinion des Népâlais, qui attribuent au dernier des Buddhas qu’ils reconnaissent la composition ou la rédaction de leurs livres sacrés. La date de ces livres se trouve ainsi placée dans les temps historiques, et mise à l’abri de toutes les incertitudes et de tous les doutes qu’elle pourrait faire naître, si la tradition l’eût rattachée à l’existence de tel ou tel de ces anciens Buddhas, qui, s’ils ont jamais existé, échapperont longtemps encore à la prise de la critique historique. Sans doute il ne résulte pas encore de ce témoignage une précision bien rigoureuse pour la détermination d’un fait qu’il serait si important de fixer de la manière la plus exacte, puisque l’époque du dernier Buddha est un point contesté entre les diverses écoles buddhiques. C’est cependant déjà un avantage que d’être dispensé d’examiner, au début d’une recherche d’histoire littéraire, la question de savoir quand ont existé les six Buddhas qui ont précédé, dit-on, Çâkyamuni, ou d’avoir à démontrer, comme le pensent des critiques habiles, que ces Buddhas doivent leur existence au désir qu’aurait eu le dernier d’assurer à sa doctrine le mérite d’une tradition consacrée par une longue suite d’anciens sages. Grâce à la bonne foi des Népâlais, cette question des Buddhas antérieurs à Çâkya est tout à fait distincte de celle qui porte sur la date des livres buddhiques, et ce ne sera pas leur faute si les critiques occidentaux compliquent les difficultés de la seconde en s’occupant avant le temps de la première. Ce serait en effet une tentative prématurée que celle de classer chronologiquement ces anciens Buddhas avant d’avoir constaté et apprécié l’authenticité des livres qui nous les font connaître. Ce serait même mettre en péril auprès des esprits difficiles les données positives contenues dans ces livres, que de les présenter comme reportant l’origine du Buddhisme dans une antiquité toute mythologique. Je ne veux pas dire par là qu’il faille rejeter sans examen, comme des notions purement fabuleuses, tout ce que racontent les livres buddhiques de ces Buddhas antérieurs à Çâkya ; et quoique j’attende peu de résultats positifs de cette recherche, je ne me crois pas le droit de la condamner d’avance sans l’avoir essayée. Je désire seulement établir que la question de l’origine des livres buddhiques doit rester étrangère à celle des anciens Buddhas ; et je veux prendre acte, au nom de la critique, du témoignage des Népâlais, qui ne permet pas de faire remonter au delà du dernier Buddha aucun des ouvrages qui nous ont conservé les doctrines buddhiques.

La tradition népâlaise va plus loin encore, et elle affirme que ce fut Çâkya qui écrivit le premier ces ouvrages, et qu’il fut à peu près pour le Buddhisme ce que Vyâsa a été pour le Brâhmanisme[31]. M. Hodgson, il est vrai, en rapportant cette opinion, nous avertit qu’il ne pourrait citer en sa faveur le témoignage d’aucun texte, et j’ajoute qu’en effet aucun des ouvrages que nous possédons à Paris ne passe pour avoir été écrit par Çâkya lui-même. Je ne crois pas que cette seconde partie de la tradition népâlaise mérite autant de confiance que la première. Je remarquerai d’abord qu’elle est contredite formellement par les assertions des autres écoles buddhiques, et, pour nous en tenir à celles qui sont le plus près de la source primitive, je ne citerai que les livres du Tibet et ceux de Ceylan. Les Tibétains, comme les Singhalais, affirment que ce furent trois des principaux disciples de Çâkya qui réunirent en un corps d’ouvrages les doctrines établies par sa prédication : ce fut Ânanda qui recueillit les Sûtras, Upâli le Vinaya, et Kâçyapa l’Abhidharma[32]. Les livres singhalais nous ont même conservé, touchant cette première compilation des écritures buddhiques, une foule de détails fort curieux que nous rappellerons ailleurs. Il me suffit en ce moment d’opposer ce double témoignage à l’opinion des Népâlais, qu’il n’est pas non plus facile de justifier par la forme des livres buddhiques. Nous l’avons déjà dit, cette forme est celle d’un discours ou d’un dialogue où Çâkya paraît s’entretenant avec ses disciples ; et ceux de ces livres qui, suivant les Népâlais, passent pour les livres authentiques, c’est-à-dire les Sûtras, commencent tous par cette formule : « C’est ainsi qu’il a été entendu par moi. » Si cette phrase suffisamment significative a été placée en note des livres attribués à Çâkya, c’est qu’on ne pouvait, sans contredire la tradition la mieux établie, se dispenser de marquer l’intervalle qui existait entre Çâkya, de l’enseignement duquel émanaient ces livres, et le Religieux qui les recueillait après lui. Tout nous porte donc à croire que Çâkya, semblable en cela à d’autres fondateurs de religions, s’est contenté d’établir sa doctrine par l’enseignement oral, et que c’est seulement après lui qu’on a senti le besoin de la fixer par l’écriture, pour en assurer la conservation. Cette opinion recevra une confirmation nouvelle du récit des premières tentatives de rédaction faites dans le concile qui se réunit après la mort de Çâkya. Mais je dois remettre l’examen de ces faits au moment où je rassemblerai ce que la tradition et les textes nous apprennent sur les destinées de la collection buddhique depuis le moment où elle a été rassemblée pour la première fois en un corps d’ouvrages.

En exposant ce que nous savons, d’après la tradition népâlaise, de la triple division des écritures buddhiques, j’ai dit que cette division avait pour elle le témoignage de textes jouissant de quelque autorité ; j’ai rapporté, entre autres, plusieurs passages de l’Abhidharma kôça vyâkhyâ, et j’aurais pu en citer un bien plus grand nombre, puisque cet ouvrage rappelle à tout instant les titres de Sûtra, Vinaya et Abhidharma. Mais ce traité n’est pas un livre canonique ; c’est l’œuvre de deux auteurs dont aucun n’a caché son nom, œuvre dont nous ignorons la date, mais qui est probablement moderne. Quel qu’en soit l’âge, cette compilation est de beaucoup postérieure aux livres canoniques auxquels elle se réfère à tout instant. Il n’est donc pas surprenant qu’on y voie cités les titres généraux sous lesquels sont classés ces livres. Mais ce qui a lieu de surprendre, c’est que ces titres se lisent déjà dans les livres canoniques eux-mêmes, livres que la tradition ne fait cependant pas remonter au delà du dernier Buddha. Avant de chercher à expliquer ce fait, il importe de l’exposer nettement.

J’ai allégué plus haut, d’après l’auteur de l’Abhidharma kôça, le témoignage d’un Sûtra (c’est-à-dire d’un des livres que tout nous porte à regarder comme les plus anciens), où l’on cite un Religieux contemporain de Çâkya, qui passait pour connaître le Tripițaka, ou les trois collections des écritures sacrées[33]. Ce témoignage n’est pas isolé, et plusieurs traités faisant partie du grand recueil intitulé Divya avadâna répètent ce titre de Tripițaka, comme s’il était parfaitement connu et usité dès le temps de Çâkya ; je crois suffisant de rejeter en note ces indications[34]. Non seulement ces trois grandes classes sont citées ainsi d’une manière collective, elles sont encore énumérées plus d’une fois, chacune avec leur titre spécial, et la troisième l’est sous un nom remarquable. Il est indispensable de citer ici les passages mêmes où paraissent ces titres : « Pariprĭtchtchhanti Sûtrasya, Vinayasya, Mâtrĭkâyâḥ, » c’est-à-dire, ils font des questions sur le Sûtra, sur le Vinaya, sur la Mâtrĭkâ[35] ; « Sûtram Mâtrĭkâ tcha Dêvamanuchyêchu pratichṭhitam, » c’est-à-dire, le Sûtra et la Mâtrĭkâ sont établis au milieu des hommes[36] ; ce Âyuchmatâ Mahâ Kâtyâyanêna pravrâdjitah, têna pravradjya Mâtrĭkâ adhîtâ ; » c’est-à-dire, le respectable Mahâ Kâtyâyana lui fit embrasser la vie religieuse ; quand il l’eut embrassée, il lut la Matrikâ[37].

Que conclure de ces textes ? Dira-t-on que la triple division des écritures buddhiques existait déjà du temps de Çâkyamuni ? Mais de deux choses l’une : ou elle lui était antérieure, ou elle venait de lui. Si elle lui était antérieure, c’est-à-dire si elle dérivait des Buddhas qu’on dit l’avoir précédé, la tradition se trompe quand elle rapporte au dernier Buddha, à Çâkyamuni lui-même, les livres que nous possédons aujourd’hui ; si, d’un autre côté, elle venait de lui, la tradition se trompe encore, en attribuant aux trois principaux disciples de Çâkyamuni la division des écritures sacrées, et en plaçant cette division après sa mort. Mais, hâtons-nous de le dire, il est impossible que la tradition soit dans l’erreur sur ces deux points à la fois, et je ne puis admettre que les mentions assez rares que des ouvrages réputés sacrés font de la triple division des écritures buddhiques doivent l’emporter sur le témoignage de la tradition népalaise, que confirme, ainsi qu’on le verra plus tard, celui de la tradition de Ceylan.

Les citations rapportées tout à l’heure me paraissent être de ces interpolations qui s’introduisent naturellement dans les livres que l’on fait passer de la forme orale à la forme écrite. En recueillant, après la mort de Çâkyamuni, l’enseignement de leur maître, les disciples classèrent les souvenirs encore vivants de cet enseignement sous trois titres généraux que ne représentent qu’imparfaitement les noms de morale, de discipline et de métaphysique. Occupés comme ils l’étaient de cette division, il était bien difficile qu’ils n’en laissassent pas percer quelques indices dans les ouvrages mêmes qu’ils y faisaient entrer. Voilà pour les temps anciens. Mais si, depuis cette première rédaction, il s’en est fait une seconde, une troisième ; si les livres, conservés longtemps par la tradition orale, ont été remaniés à plusieurs reprises, n’est-il pas naturel que les titres des trois grandes classes, que l’on continuait à respecter à cause de l’ancienneté de leur origine, se soient glissés dans quelques-uns des livres compris sous ces classes mêmes ? C’est de cette manière que j’explique comment il se fait que les titres rappelés plus haut paraissent dans le corps même des livres attribués au dernier Buddha, c’est-à-dire à une époque où, suivant la tradition, ces titres n’étaient pas encore inventés. Je ne vois là rien de prémédité, et le fait me semble être très-simple. Possible dans la supposition d’une seule rédaction des livres sacrés, il devenait inévitable du moment que ces livres furent rédigés plus d’une fois ; car au temps de la seconde rédaction, et plus encore au temps de la troisième, la division des écritures buddhiques en trois classes était un fait accompli, un fait presque sacré, que les compilateurs pouvaient aisément confondre avec les autres faits conservés dans les écritures dont ils donnaient une rédaction nouvelle.

Je n’insisterai pas davantage sur ce point, parce que je dois, en résumant ce qu’on sait de la collection népâlaise, parler des diverses rédactions qui en ont été faites à diverses époques. Je signalerai seulement la curieuse expression de Mâtrikâ, par laquelle les trois passages précités du Divya avadâna désignent, à ce qu’il semble, la troisième classe du Tripițaka. Elle rappelle le titre de Yum ou Ma-mo « la mère, » que les Tibétains donnent à cette même classe[38]. Rien ne nous apprend l’origine de cette dénomination ; nous savons seulement, par les textes du Népâl, qu’elle est familière aux Buddhistes de ce pays, comme elle l’est à ceux du Tibet qui l’ont sans doute empruntée aux textes sanscrits[39]. Il faut la considérer comme ancienne, puisqu’elle est admise par toutes les écoles, celle du Sud comme celle du Nord. Je remarque en effet, dans un des Suttas (Sûtras) pâlis les plus estimés des Singhalais, que des Religieux sont nommés « possesseurs de la loi, de la discipline et de la Mâtrikâ[40] ; » et cette expression est répétée dans une autre collection non moins célèbre[41]. Je dois cependant avertir que M. Turnour fait de la Mâtrikâ une portion du Vinaya.

Enfin, et pour ne rien omettre de ce qui touche aux divisions les plus générales des écritures buddhiques, je vais en exposer une autre classification sur laquelle la tradition népâlaise garde, à ma connaissance, un silence complet, et qui cependant est indiquée souvent dans les textes, plus souvent même que la division en trois classes examinée tout à l’heure. Je veux parler des quatre Âgamas, ou recueils de la loi, dont le Divya avadâna fait plusieurs fois mention. Voici les textes où j’en trouve l’indication : « Sa âyuchmatâ Çâriputtrêna pravrâdjita upasam̃pâdita Âgamatchatuchțayam tcha grâhitah, » c’est-à-dire, Quand il eut été introduit par le respectable Çâriputtra[42] dans la vie religieuse, il reçut l’investiture et la connaissance des quatre Âgamas[43]. Âgamatchatuchțayam adhîtam. « Les quatre Âgamas ont été lus[44]. » Ihâpy Âgamatchatuchțayam sthâpayêt. « Qu’il établisse ici même les quatre Âgamas[45]. » Enfin les titres de ces quatre Âgamas nous sont donnés dans le passage suivant : Tvam tûvat samyuktakam adhîchva, tvam api madhyamam, tvam api dîrghâmam… Aham api tâm êvâikôttarikâm vimrichțarûpâm pradjvâlayâmi. « Lis donc, toi le court Agama, toi le moyen, toi le grand ; quant à moi, je me charge d’éclaircir la collection supplémentaire, dont j’ai clairement considéré le sujet[46]. » Il se peut qu’il reste encore quelque doute sur le titre du quatrième Âgama, lequel est assez obscur. Quoi qu’il en soit de ce point de détail, nous avons ici quatre collections ou recueils sur lesquels la tradition népâlaise ne nous apprend rien. Ce qui donne cependant de l’intérêt à cette classification, c’est qu’elle se retrouve, ainsi que nous le dirons plus tard, chez les Singhalais, exactement avec les mêmes titres, sauf le quatrième qui s’y lit Anguttara[47]. Elle n’est pas moins familière aux Chinois, et parmi les ouvrages buddhiques originaux dont font usage leurs auteurs, il en est peu qui soient plus fréquemment cités que les Âgamas. J’ai déjà rappelé le titre général de ces quatre recueils, en parlant des livres indiens qui ont dû être traduits à la Chine. J’ajoute ici que les quatre Âgamas sont nominativement cités, d’après une grande compilation chinoise, dans une note substantielle de M. Landresse sur le Foe koue ki[48]. Le quatrième Âgama y porte le titre qu’il a chez les Singhalais, Anguttara, ce qui donnerait à penser qu’il s’agit pour les Chinois des Âgamas du Sud, et non de ceux du Nord, si toutefois il existe touchant ces livres quelque différence entre les deux écoles. Je soupçonne cependant que les Buddhistes de la Chine connaissent également la dénomination népalaise, Êkôttara ; car c’est sans doute ce titre que M. A. Rémusat a déjà traduit, peut-être un peu obscurément, par « l’Âgama augmenté d’un[49]. » Il est probable que, pour les Buddhistes du Nord comme pour ceux du Sud, cette division, loin d’embrasser l’ensemble des écritures buddhiques, ne se rapporte qu’à la classe des Sûtras. Mais comme les textes sanscrits où je la trouve ne décident pas ce point, j’ai cru devoir la signaler ici, sauf à y revenir quand je comparerai les livres palis de Ceylan aux livres sanscrits du Népal.

La division en trois grandes classes, que j’ai exposée la première, nous montre le Buddhisme établi à titre de religion et de philosophie ; car elle embrasse la discipline, la morale et la métaphysique, et elle répond ainsi à tous les besoins auxquels la prédication de Çâkyamuni avait pour but de satisfaire. Mais elle n’est pas la seule qui soit connue au Népâl, et M. Hodgson nous a donné, ainsi que je l’ai dit plus haut, deux listes de livres buddhiques, rédigés d’après un système différent. Ces deux listes, qui ont été publiées, l’une en caractères européens et avec quelques détails sur les ouvrages dont elle se compose, l’autre en caractères dêvanâgaris, mais sans aucun éclaircissement, ont été également disposées sans égard pour la triple division en Sûtra, Vinaya et Abhidharma. On y voit, il est vrai, paraître très-souvent le nom de Sûtra ; mais les titres de Vinaya et d’ Abhidharma y manquent absolument ; et encore celui de Sûtra n’est-il pas mis en évidence, comme cela serait nécessaire si les compilateurs de ces listes eussent voulu indiquer que les Sûtras formaient à eux seuls une des trois grandes classes des écritures sacrées. La classification de la liste publiée en caractères dêvanâgaris est, suivant M. Hodgson, l’ouvrage du Religieux buddhiste qu’il employait ; et ce savant, qui dès l’origine de ses recherches a pris tant de précautions pour arriver à la vérité, nous avertit qu’il est douteux que cette classification puisse être justifiée par le témoignage des livres eux-mêmes[50]. Cette observation me dispense de m’y arrêter longuement, et il me suffira de dire que cette division en Pûraṇa ou livres anciens, Kâvya ou poëmes, Vyâkaraṇa ou grammaires, Kôça ou dictionnaires, Tantra ou rituels ascétiques, Dhâraṇî ou charmes et formules, non seulement mêle le profane avec le sacré, mais confond, sous la dénomination vague de livres anciens, des ouvrages de caractères et de titres très-divers.

La classification beaucoup plus détaillée que M. Hodgson a jointe à son premier Mémoire sur le Buddhisme a une plus grande importance et mérite à un haut degré l’attention de la critique par le nombre et par la variété des renseignements qu’elle contient, et de plus, parce qu’elle est, à peu de chose près, également admise par les Buddhistes de Ceylan. Il nous faut l’examiner ici en détail, parce que les lumières que nous y trouverons doivent servir à nous orienter dans le dédale obscur de la littérature sacrée des Buddhistes. Nous avons en outre l’avantage de la retrouver chez les Chinois, où elle est commentée et justifiée par des observations curieuses[51] ; et nous sommes ainsi en état de suppléer dans quelques cas au silence des Buddhistes népalais. De même que la liste donnée à M. Hodgson par son Religieux, celle que nous signalons en ce moment est rédigée sans aucun égard à la triple division des écritures buddhiques. Les ouvrages y sont ramenés, d’après leur contenu, sous douze chefs principaux, ou, pour nous servir des paroles mêmes de M. Hodgson, les écritures buddhiques sont de douze espèces, connues chacune par un nom différent[52].

1o « Sûtra. Ce sont les écritures fondamentales (Mûla grantha), comme la Rakcha bhâgavatî et la Achṭasâhasrikâ Pradjñâ pâramitâ. Elles équivalent aux Vêdas des Brâhmanes. »

Je remarque d’abord que nous voyons ici reparaître l’opinion déjà indiquée, que les Sûtras sont les écritures fondamentales des Buddhistes ; mais les livres cités comme spécimens de la classe des Sûtras donnent lieu à une difficulté faite pour arrêter un lecteur qui n’aurait pas accès aux manuscrits de ces ouvrages mêmes. Nous avons vu que la Pradjñâ parâmitâ (et j’ajoute maintenant la Rakcha bhâgavatî, qui n’en est qu’un autre titre) était consacrée à la métaphysique, et qu’en cette qualité cet ouvrage était placé par les traducteurs tibétains au nombre des livres dont se compose l’Abhidharma pițaka. Si la Pradjñâ pâramitâ appartient à l’Abhidharma, comment peut-elle être citée comme modèle de la classe des Sûtras ? Cela vient, je crois, non seulement de la haute importance de la Pradjñâ, qui est, chez les Buddhistes du Nord, un recueil fondamental pour la métaphysique, mais encore de ce que ce traité, ainsi que les diverses rédactions qu’on en possède, est un véritable Sûtra quant à la forme. Ici se vérifie ce que j’ai dit plus haut sur la possibilité de faire rentrer la section de l’Abhidharma dans celle des Sûtras. Cette possibilité, que je déduisais du témoignage de l’Abhidharma kôça, doit être admise comme un fait positif, maintenant que nous voyons les traités consacrés à la métaphysique présentés sous la forme de Sûtras véritables, et qu’il est constaté que les traducteurs tibétains ne peuvent former leur section de l’Abhidharma qu’avec des livres qui se donnent pour des Sûtras, c’est-à-dire pour des discours du Buddha.

2o « Gêya. Ce sont des ouvrages en l’honneur des Buddhas et des Bôdhisattvas écrits en un langage mesuré. Le Gîta gôvinda des Brâhmanes est équivalent à notre Gîta pustaka, qui appartient à la classe des Gêyas. »

J’ajoute à cette description que le Gîta pustaka, autrement dit Gîta pustaka sam̃graha, ou Résumé du livre des chants, est décrit par M. Hodgson comme une collection de chants sur des sujets religieux, composés par divers auteurs[53]. Cela me donne lieu de penser que ce livre ne fait pas partie de la collection originale des écritures buddhiques. La liste de M. Hodgson ne cite pas d’autre Gêya. Ce titre signifie « fait pour être chanté ; » et s’il y a des Gêyas dans les livres qui passent pour inspirés, ces Gêyas ne doivent être que des fragments ou morceaux plus ou moins étendus, composés en vers, et qui peuvent être chantés. Mais je ne trouve pas que les Gêyas forment une classe de livres reconnue par les commentateurs que j’ai été à même de consulter, et je ne puis expliquer l’existence de ce titre dans la liste de M. Hodgson que de deux manières : ou les Gêyas sont des vers ou des chants faisant partie des livres primitifs, et, comme je le disais tout à l’heure, extraits de ces livres, ou ce sont des ouvrages postérieurs à la division des écritures buddhiques en trois classes. J’ajoute qu’il peut exister des Gêyas de ces deux espèces, en d’autres termes que l’on doit trouver dans les textes buddhiques des chants ou seulement des vers nommés Gêyas, tout comme il possible que des auteurs modernes aient composé des chants de ce genre en l’honneur des Buddhas et des Bôdhisattvas. Le témoignage des Buddhistes chinois confirme la première de ces deux suppositions. « Ce mot, disent-ils, signifie chant correspondant ou chant redoublé, c’est-à-dire qu’il répond à un texte précédent, et qu’il le répète pour en manifester le sens. Il est de six, de quatre, de trois ou de deux phrases[54]. » Cette définition s’applique exactement à ces stances que l’on rencontre dispersées dans tous les livres émanés de la prédication de Çâkya, et qui ont pour objet de résumer et de présenter, sous une forme précise, le sens d’un discours ou d’un récit. Dans les Sûtras développés (Vâipulya sûtra) dont il sera parlé plus bas, ces vers ou ces stances occupent quelquefois une place considérable, et leur nombre dépasse de beaucoup les proportions fixées par la définition chinoise ; mais leur objet est toujours le même, et il n’y a rien d’important dans la partie poétique de ces livres qui ne soit déjà dans l’exposition en prose. Je remarquerai cependant que, dans les Sûtras que je viens de citer et dont le Lotus de la bonne foi offre un modèle, ces stances sont précédées d’une formule de ce genre : « En ce moment Bhagavat (Çâkyamuni) prononça les stances suivantes, » et que ces stances sont nommées Gâthâ. Il me semble que d’après la définition chinoise nous devrions trouver ici Gêya au lieu de Gâthâ ; mais cette légère difficulté s’explique si l’on admet que Gêya est le nom générique de tout ce qui est par sa forme susceptible d’être chanté, et que le mot de Gâthâ désigne chacune des stances mêmes dont se compose le Gêya. En un mot, un Gêya peut n’être formé que d’une seule Gâthâ, comme il peut en renfermer plusieurs. Nous verrons plus bas le mot de Gâthâ employé pour désigner une classe spéciale de livres, et j’aurai alors l’occasion d’énoncer cette conjecture, que la définition donnée par la liste népâlaise du terme Gêya s’applique mieux à celui de Gâthâ. Mais quelle que soit la nuance qui les distingue l’un de l’autre, je puis dire dès à présent que le mot de Gêya serait mal compris si l’on n’y voyait que le titre d’une classe de livres comme l’est celui de Sûtra. Cela peut être, si l’on envisage collectivement tout ce qui est Gêya, abstraction faite des textes où les Gêyas se trouvent. Mais ce titre désigne, à proprement parler, un des éléments qui entrent dans la composition des livres buddhiques ; et cette observation, que nous allons voir se répéter sur le plus grand nombre des articles de la liste népalaise, est, si je ne me trompe, la seule qui nous montre cette liste sous son véritable jour.

3o « Vyâkaraṇa. Ce sont des ouvrages narratifs, contenant l’histoire des diverses naissances de Çâkya, avant qu’il devînt Nirvâṇa (ou plutôt qu’il entrât dans le Nirvâṇa), les actions diverses des autres Buddhas et Bôdhisattvas, et des formules de prières et de louanges. »

Il y a plusieurs observations à faire sur cette définition. La liste de M. Hodgson présente un grand nombre d’ouvrages qui sont qualifiés de Vyâkaraṇa çâstra : ce sont, entre autres, le Gaṇḍa vyûha, le Samâdhi râdja et le Saddharma puṇḍarîka. Or, sur aucun de ces ouvrages ne paraît le titre de Vyâkaraṇa ; ces livres sont des Sûtras de l’espèce de ceux qu’on nomme Mahâyâna, ou « servant de grand véhicule, » et plusieurs, notamment le Saddharma puṇḍarika, portent le titre spécial de Mahâ vâipulya sûtra, ou « Sûtra de grand développement. » D’où vient donc ce titre de Vyâkaraṇa que nous a conservé la tradition népâlaise, et est-il possible de trouver dans les ouvrages qui le portent la raison de l’application qu’on leur en fait ? Il faut d’abord remarquer que ce titre doit avoir aux yeux des Buddhistes du Népâl une assez grande importance, puisque M. Hodgson dit en un endroit qu’il comprend trois autres sous-divisions des écritures buddhiques, dont il sera parlé tout à l’heure ; et que, dans un autre passage, il nous apprend que l’on tient, quoiqu’à tort, le Vyâkaraṇa pour l’équivalent de la Smriti, ou de la science traditionnelle des Brâhmanes[55]. Mais ces diverses opinions perdent beaucoup de leur valeur, si l’on ne peut découvrir le titre de Vyâkaraṇa sur aucun des ouvrages qui, d’après la tradition conservée dans la liste que nous examinons, devraient le porter. L’explication de cette difficulté se trouve, si je ne me trompe, dans la valeur propre que les textes sanscrits du Népâl, comme les livres pâlis de Ceylan, assignent au mot Vyâkaraṇa. Cette valeur, justifiée par un très-grand nombre de passages et par le témoignage des versions tibétaines[56], est celle d’explication des destinées futures d’un personnage auquel Çâkyamuni s’adresse, en un mot de prédiction. Ces sortes de prédictions, par lesquelles Çâkyamuni annonce à ses disciples que la dignité de Buddha sera un jour la récompense de leurs mérites, sont très-fréquentes dans les textes sanscrits du Népâl, et il n’est presque aucun Sûtra de quelque étendue qui n’en renferme une ou plusieurs ; or, comme elles ont pour les Buddhistes une importance considérable, en ce qu’elles promettent à leur croyance un avenir sans limites, et des représentants sans fin, il se peut qu’elles aient fourni un élément d’une valeur suffisante pour une classification qui est au moins aussi littéraire que religieuse. Je me figure donc que quand on dit au Népâl d’un livre réputé sacré (et on le dit de plusieurs Sûtras) que c’est un Vyâkaraṇa, cela veut dire que ce livre renferme une partie plus ou moins étendue qui est consacrée aux prédictions que Çâkyamuni adresse à ses disciples, ou simplement peut-être un chapitre de prédictions, comme cela se voit dans le Lotus de la bonne loi. L’explication des Buddhistes chinois est encore ici d’accord avec l’interprétation étymologique. « Ce mot sanscrit, disent-ils, signifie explication. C’est quand le Tathâgata parlant aux Bôdhisattvas, aux Prâtyêkas, aux Çrâvakas, leur raconte l’histoire des Buddhas, « comme dans le Fa hoa king, où il dit : Toi A y to (Mâitrêya), dans le siècle à venir, tu accompliras l’intelligence de Buddha, et tu t’appelleras Mâitrêya[57]. » Le commencement de cette définition est un peu vague, et peut-être au lieu de « leur raconte l’histoire des Buddhas, » faut-il dire « leur raconte qu’ils seront des Buddhas ; » mais la fin de l’explication chinoise est plus curieuse en ce qu’elle me suggère un rapprochement de quelque intérêt. Je ne puis affirmer si Fa hoa king, ou le Livre de la fleur de la loi[58], est le titre tronqué, soit de la première version chinoise, Tching fa hoa king, soit de la troisième, Miao fa, dont je dois, comme je l’ai dit plus haut, la connaissance à M. Stan. Julien ; mais si ces titres n’appartiennent pas au même ouvrage, il est au moins permis de supposer que le Fa hoa king a beaucoup d’analogie avec le Lotus de la bonne loi que nous possédons en sanscrit ; ainsi le A y to de la citation précitée est le sanscrit Adjita, « invincible, » titre que, dans le Lotus, Mañdjuçrî adresse à chaque instant au Bôdhisattva Mâitrêya. Je ne trouve pas dans le Lotus la phrase même que cite la définition chinoise ; mais la soixante-quatrième stance du premier chapitre de cet ouvrage exprime la même idée, quoique dans des termes un peu différents.

De tout ce qui précède, il résulte que le terme de Vyâkaraṇa désigne, non plus une classe des écritures buddhiques, mais un des éléments qui figurent dans ces écritures. Il existe des Vyâkaraṇas dans les livres réputés inspirés, dans les Sûtras, par exemple ; mais il n’y a pas de Sûtras dans les Vyâkaraṇas ; en un mot, les prédictions sont renfermées dans les livres, comme le sont les chants ou Gêyas du précédent article ; mais les livres ne sont pas plus dans les prédictions que dans les chants.

4o « Gâthâ. Ce sont des ouvrages narratifs, contenant des récits moraux, Anêkadharmakathâ (c’est-à-dire des expositions variées de la loi), relatifs aux Buddhas. Le Lalita vistara est un Vyâkaraṇa de l’espèce nommée Gâthâ. »

Les observations que je viens de faire sur les Gêyas et les Vyâkaraṇas ne s’appliquent pas moins rigoureusement aux Gâthâs. Ce mot désigne une stance, et je ne connais dans la collection de M. Hodgson aucun ouvrage qui porte ce titre. Le terme de Gâthâ se rencontre cependant plus d’une fois dans un grand nombre de ces livres ; mais, comme je l’ai dit à l’occasion des Gêyas, il n’y désigne jamais que les portions poétiques d’une étendue très-variable, qui sont fréquemment introduites dans les textes rédigés en prose. On ne doit, il me semble, attacher aucune importance à cette observation, que le Lalita est un Vyâkaraṇa de l’espèce appelée Gâthâ ; elle tend à donner au titre de Vyâkaraṇa un caractère de généralité qui en fait le nom d’une classe de quelque étendue ; et c’est de cette manière que M. Hodgson a pu dire, d’après ses autorités népâlaises, que les Gâthâs passent pour une sous-division des Vyâkaranas[59]. Mais les remarques dont ce titre a été l’objet dans le paragraphe précédent nous ont appris ce qu’il désignait à proprement parler ; et l’autorité irrécusable des textes nous montre qu’il n’offre, avec celui de Gâthâ, d’autre analogie que de se rencontrer dans les mêmes ouvrages. Quant au terme même de Gâthâ, les Buddhistes chinois le définissent ainsi : « Ce mot signifie vers chanté ; c’est un discours direct et de longue haleine en vers, comme le Koung phin dans le Kin kouang ming king ou le Livre de la splendeur de l’éclat de l’or[60]. » Cette définition, en distinguant par l’étendue les Gâthâs des Gêyas, nous reporte à celle que la liste népâlaise donne des Gêyas, et qui semble s’appliquer à des ouvrages d’une certaine longueur et entièrement écrits en vers. J’ignore le terme sanscrit correspondant aux mots chinois Koung phin, mais « Le Livre de la splendeur de l’éclat de l’or » est très-vraisemblablement le Suvarṇa prabhâsa de la collection népâlaise ; cet ouvrage renferme en effet un morceau étendu, entièrement rédigé en vers. Mais quel que puisse être l’usage que l’on fait des Gâthâs dans les textes réputés sacrés, je ne puis m’empêcher de remarquer combien la définition chinoise confirme ce que j’ai dit plus haut touchant le rapport des Gâthâs avec les Gêyas. Sans revenir sur ce point, je me contente de répéter qu’ici encore nous devons voir, non le titre d’une classe spéciale de livres, mais l’indication d’un des éléments qui entrent dans la composition de ces livres mêmes.

5o « Udân (lisez Udâna). Traités sur la nature et les attributs des Buddhas, sous la forme d’un dialogue entre un Buddharguru et un Tchêla. »

Je remarque d’abord qu’il faut lire tchâilaka, plutôt que tchêla, mot qui est le nom d’une sorte de vêtement. Le titre de tchâilaka désigne, suivant les Népâlais, la quatrième des cinq classes dont se compose chez eux le corps des Religieux buddhistes. Le Tchâilaka est celui qui se contente d’une pièce d’étoffe suffisante pour couvrir sa nudité, et qui rejette tout autre vêtement comme superflu[61]. Suivant la définition de l’Udâna, il faut, pour constituer un livre de ce genre, un Religieux qui soit auditeur et un Buddha qui soit Guru, c’est-à-dire précepteur spirituel ; mais la liste de M. Hodgson n’offre aucun exemple d’un livre portant le titre d’Udâna, et je n’ai trouvé ce titre sur aucun des volumes que nous possédons à Paris. Nous ne connaissons donc pas de spécimen de cette classe d’ouvrages, et il est jusqu’ici plus prudent d’y voir une des parties ou un des éléments des écritures buddhiques, conformément à l’explication que j’ai proposée pour les trois titres précédents. Or, je rencontre souvent dans les légendes qui font partie du Divya avadâna, par exemple, ainsi que dans le Lalita vistara, l’expression udânam udânayati, laquelle, d’après l’ensemble du contexte, me paraît offrir ce sens, « il prononce avec emphase une louange ou des paroles de « joie[62]. » Cette signification particulière du mot udâna, qui est, à ma connaissance du moins, étrangère au sanscrit classique, est aussi aisément justifiable par les textes pâlis de Ceylan que par les livres sanscrits du Népâl ; et quelque incertitude qui puisse rester sur le choix à faire entre les deux traductions de « paroles de joie » et « paroles de louange, » j’ai la conviction que je ne suis pas très-éloigné d’en saisir le véritable sens. Les interprètes tibétains favorisent la seconde traduction ; car l’expression par laquelle ils remplacent udâna signifie, d’après le Dictionnaire de Schröter, « louer, exalter, élever[63], » tandis que M. Turnour rend le mot pâli udâna par hymne de joie[64]. Quoi qu’il en puisse être, je me crois en droit de dire que le terme d’udâna, assez vaguement défini d’ailleurs dans la liste népâlaise, ne peut constituer une classe d’ouvrages originaux, ainsi que semblerait l’indiquer cette liste. On doit trouver des Udânas dans les livres buddhiques, comme on y trouve les autres éléments que j’ai passés en revue plus haut ; mais c’est seulement dans ce sens que ce terme peut servir de titre. Maintenant, que ces Udânas prennent place dans un dialogue entre un Buddha et un de ses disciples, cela est très-possible, quoique cela ne soit pas absolument nécessaire ; que les paroles de joie ou les actions de grâces que je crois qu’ils expriment se rapportent à la nature et aux attributs du Buddha, c’est ce qui est aussi aisément supposable que peu contraire à l’interprétation que je propose de ce terme ; enfin, qu’on en ait réuni un certain nombre pour en former une classe spéciale, cela est possible encore, et c’est même seulement de cette manière que l’emploi de ce terme, en tant que titre de livre, est rigoureusement explicable.

Je ne dois pas dissimuler cependant que l’interprétation des Buddhistes chinois ne s’accorde pas ici avec celle que je propose, et qu’elle semble se rapprocher plus de celle des Népâlais. « Le mot udâna, disent-ils, signifie parler de soi-même ; cela s’entend quand, sans être interrogé par personne, le Tathâgâta, par la prudence qui devine la pensée des autres, contemple le ressort de tous les êtres vivants, et, de son propre mouvement, les instruit par des prédications ; comme dans le Leng yan, où, devant l’assemblée, il parle de ce qui a rapport aux cinquante sortes de Démons, sans attendre qu’A nan (Ânanda) le prie et l’interroge ; de même dans le Mi tho king, où il parle de lui-même à Che li foe (Çâriputtra), sans que rien en ait donné l’occasion[65] » On retrouve ici quelques traces de l’explication népâlaise ; mais j’ignore sur quoi repose la définition des Buddhistes chinois ; et celle que je viens de proposer est jusqu’à présent la seule que j’aie vue justifiée par les textes sanscrits.

6o « Nidân (lisez Nidâna). Ce sont des traités dans lesquels sont montrées les causes des événements ; par exemple, comment Çâkya devint-il Buddha ? Raison ou cause, il accomplit le Dân (Dâna) et les autres Parmitas (Pâramitâs) ; » et en note : « Pâramitâ ici veut dire vertu, le mérite moral par lequel nous arrivons à nous affranchir de la condition mortelle. Dâna, ou l’aumône, est la première des dix vertus cardinales des Buddhistes ; les mots et les autres font allusion aux neuf autres vertus. »

Je ne puis pas non plus voir dans le terme de nidâna le titre d’une classe spéciale d’ouvrages. Il se trouve des Nidânas dans les livres buddhiques que nous possédons ; mais je ne rencontre ce titre sur aucun de ces livres, et la liste népâlaise que j’analyse en ce moment n’en offre pas plus d’exemples. C’est donc encore dans la signification propre du mot nidâna qu’il faut chercher la raison de l’application qu’on en peut faire à telle ou telle partie des écritures buddhiques. Ce terme, qui est fréquemment employé dans les textes sanscrits du Népâl, signifie littéralement cause, origine, motif, et il désigne en particulier une catégorie de causes nommées « les douze causes, » dont il sera parlé plus tard, et que l’on peut toujours caractériser ainsi d’une manière générale : « l’enchaînement des « causes successives de l’existence. » Si c’est parce qu’un ouvrage s’occupe de ce sujet si familier aux Buddhistes qu’on l’appelle un Nidâna, ce sera en vertu d’une sorte d’extension semblable à celle que j’ai notée en examinant les précédents articles ; mais les textes n’autorisent pas cette explication, et ils en suggèrent une autre qui me paraît beaucoup plus probable : c’est que les Nidânas, ou les causes et les motifs, sont une partie que l’on trouve ou que l’on peut trouver dans les livres inspirés. Et en effet, le Lotus de la bonne loi nous offre un exemple de l’emploi qu’on fait de ce terme pour désigner le sujet ou la cause des apparitions miraculeuses qui frappent les auditeurs de Çâkya ; c’est même là le titre du premier chapitre de cet ouvrage. Je pense donc que quand la liste népâlaise dit que les Nidânas font partie des écritures buddhiques, cela veut dire qu’un des éléments qui entrent dans la composition des livres formant le corps de ces écritures, c’est le Nidâna, ou l’indication des raisons et des motifs. La définition des Buddhistes chinois confirme de point en point mon explication. « Le mot nidâna, disent-ils, signifie cause, raison pour laquelle, comme quand, dans les King, il y a quelqu’un qui demande la cause, et qu’on dit : c’est telle chose ; comme pour les préceptes, quand il y a quelqu’un qui transgresse ce qu’ils prescrivent, on en tire une conséquence pour l’avenir. C’est ainsi que le Ṭathâgata donne la raison pourquoi telle ou telle chose arrive. Tout cela s’appelle cause, raison pour laquelle, comme dans le livre sacré Hoa tching yu phin, où l’on explique la cause d’un événement par ce qui a eu lieu dans des générations antérieures[66]. » Cette explication ne laisse, à ce que je crois, aucun doute sur la véritable valeur du mot nidâna ; nous la verrons confirmée par le témoignage des Buddhistes de Ceylan.

7o « Ityukta. C’est tout ce qui est dit avec rapport à (quelque chose) ou en conclusion. L’explication de quelque discours précédent est un Ityukta. »

Cette définition peu claire ne donne qu’une idée imparfaite de la classe de livres qu’elle désigne. La liste népâlaise ne nous offre aucun exemple de l’application du titre d’Ityukta à un ouvrage déterminé. Nous n’avons donc, pour en comprendre la valeur, d’autre secours que l’analyse même du mot. Ce terme signifie « dit ainsi, dit comme ci-dessus ; » et il sert à indiquer et à clore une citation, qu’il sépare nettement de tout ce qui suit. On voit maintenant ce qu’il faut entendre par la définition népâlaise ; il est permis de supposer que s’il existe une classe de livres qui portent le titre d’Ityukta, ces livres doivent se composer de citations, de récits ou empruntés à d’autres livres, ou recueillis par la tradition ; car la formule « dit ainsi » suppose un narrateur qui ne fait que rapporter les paroles d’un autre. Mais l’explication que j’ai proposée pour les articles précédents est également applicable ici, et l’on doit trouver dans les livres buddhiques des morceaux auxquels convient le titre d’Ityukta, soit que ces morceaux soient placés dans la bouche du Buddha, soit que quelqu’un de ses disciples en soit réputé l’auteur. En un mot, l’Ityukta doit être un des éléments constitutifs des livres buddhiques, mais ce n’est pas nécessairement une classe de ces livres. La définition des Buddhistes chinois vient à l’appui de cette explication. « Ce mot, disent-ils, signifie affaire primitive, quand on raconte ce qui a rapport aux actes des disciples des Bôdhisattvas, pendant leur séjour sur la terre, « comme dans le Pen sse phin du Fa hoa king, où il est question du Bôdhisattva Yo wang, qui se réjouissait dans la vertu brillante et pure comme le soleil et la lune, et dans la loi obtenue par Buddha, qui de son corps et de « son bras pratiquait les cérémonies, et se livrait à toutes sortes d’austérités « pour obtenir la suprême intelligence[67]. » L’expression d’affaire primitive est assez vague ; mais les éclaircissements qui suivent montrent que les Chinois entendent par ityukta un récit. Il y a dans notre Lotus de la bonne loi un chapitre qui offre quelque analogie avec le sacrifice cité par le commentateur chinois ; c’est celui où le Bôdhisattva Sarvasattva priyadarçana fait, auprès du monument d’un Buddha, l’offrande de son bras et de son corps[68].

8° « Jâtaka (prononcez Djâtaka). Ces livres traitent des actions des naissances antérieures. »

Cette définition, qui est d’accord avec le sens du terme sanscrit, fait exactement connaître les livres auxquels elle s’applique. Je dis les livres, quoiqu’il n’en existe qu’un seul dans la liste népâlaise et dans la collection de M. Hodgson, qui porte et qui mérite le titre de Djâtaka (naissance) ; c’est le volume intitulé Djataka mâlâ, ou la Guirlande des naissances, qui passe pour un récit des diverses actions méritoires de Çâkya, antérieurement à l’époque où il devint Buddha. La définition des Buddhistes chinois n’est pas moins exacte. « Ce mot, disent-ils, signifie naissances primitives ou antérieures. C’est quand on raconte les « aventures que les Buddhas et les Bôdhisattvas ont éprouvées à l’époque de leur existence dans une autre terre, etc.[69]. » On conçoit très-bien que ces nombreux récits, par lesquels Çâkya fait connaître ses naissances antérieures à sa dernière existence mortelle, aient été rassemblés à part, et qu’on en ait formé une classe de livres nommés les Naissances. C’est là, nous le verrons plus tard, ce qu’ont fait les Buddhistes de Ceylan. Il faut donc admettre que Djâtaka peut être le titre d’une classe plus ou moins nombreuse de traités consacrés au récit des existences antérieures de Çâkyamuni, et il n’y a pas lieu de faire, contre l’emploi ainsi défini de ce terme, les objections que j’ai exposées sur les articles précédents. Il n’en est pas moins vrai cependant que ce terme n’a dû désigner une classe de livres que parce qu’il existait, dans les ouvrages réputés inspirés, des récits relatifs aux existences anciennes du Buddha. Il faut donc encore répéter ici ce que j’ai dit à l’occasion des Gêyas, des Gâthâs et des autres divisions de la classification népâlaise. Les naissances sont un des éléments qui entrent dans la composition des livres réputés inspirés. J’ajoute qu’en admettant même l’existence d’une classe spéciale de Djâtakas, cette classe ne devra pas avoir une importance égale à celle des Sûtras, parce qu’il y a des récits d’anciennes existences dans les Sûtras, tandis qu’on ne connaît pas encore de Sûtras dans les Djâtakas.

9° « Vâipulya. Ces livres traitent des différentes espèces de Dharma et d’Artha, c’est-à-dire des différents moyens d’acquérir les biens de ce monde « (Artha) et du monde futur (Dharma). »

Ici encore nous avons une catégorie de livres dont la liste de M. Hodgson ne nous fournit aucun spécimen. Cette division n’en est pas moins réelle, et on en remarque l’indication sur quelques-uns des volumes que nous possédons à Paris. Ainsi le Lotus de la bonne loi est un Mahâ vâipulya sûtra, s’il en faut croire une stance qui ne fait pas, il est vrai, partie de cet ouvrage, et qui est comme une sorte de préface du copiste. L’existence du titre de Vâipulya sûtra est d’ailleurs prouvée par un passage du Lotus de la bonne loi, où il est dit qu’un Buddha expose des Sûtras vâipulyas[70]. Elle est mise hors de doute par les titres de plusieurs ouvrages sanscrits recueillis dans la Bibliothèque tibétaine du Kah-gyur, et que Csoma de Cörös a traduits par « Sûtras d’une grande étendue[71]. » Je n’hésite pas à rendre le terme de vâipulya par développement, et je dis que les Vâipulya sûtras, ou les Sûtras de développement, forment une sous-division de la classe des Sûtras, sous-division dont le titre s’accorde bien, ainsi que nous le verrons plus bas, avec la nature et la forme des livres qu’elle embrasse. Je n’ai jamais vu ce titre sur d’autres ouvrages que des Sûtras, d’où je conclus que la division dite Vâipulya ne constitue pas, à proprement parler, une classe à part, et qu’elle rentre dans celle des Sûtras. Ici encore la définition des Buddhistes chinois s’accorde avec l’explication que je propose. « Ce mot, disent-ils, signifie grandeur de la loi. Ce sont les livres de la loi, de la grande translation, dont la doctrine et le sens sont amples comme l’espace de la vacuité[72]. » Les mots grande translation[73] représentent le terme sanscrit Mahâyâna, et dans le fait les Sûtras dits développés sont de l’ordre de ceux que l’on nomme Mahâyâna ou grand véhicule. On retrouve d’ailleurs dans l’explication chinoise le sens propre du terme vâipulya.

10° « Adbhutadharma. [Cette division traite] des événements surnaturels. »

Je ne trouve, ni dans la liste de M. Hodgson, ni dans la collection que nous possédons à Paris, aucun ouvrage qui porte le titre d’Adbhuta. Je ne crois donc pas que ce soit, à proprement parler, le nom d’une division réellement existante des écritures buddhiques, et je pense qu’il en est de cet article comme du plus grand nombre de ceux que j’ai examinés jusqu’ici. Il y a des Adbhutas ou des miracles qui sont exposés dans les livres religieux, et les Sûtras en offrent de fréquents exemples. Nous avons donc encore ici un des éléments qui entrent dans la composition des écritures buddhiques, où la croyance au pouvoir surnaturel des Buddhas et de leurs disciples occupe certainement une place considérable. Ces miracles doivent, à cause de cette croyance même, avoir une grande importance aux yeux des Buddhistes, et on les trouve cités dans un passage du Lotus de la bonne loi[74] ; mais, je le répète, cela ne suffit pas pour élever ce titre à la hauteur de celui de Sûtra, puisque le récit des miracles fait partie des Sûtras, et qu’on ne peut pas dire que les Sûtras soient renfermés dans les miracles. J’ajoute, pour terminer, que l’explication des Buddhistes chinois est de tout point conforme à celle de la liste népâlaise, si ce n’est qu’elle fait plus nettement ressortir la valeur propre du mot adbhuta, qui signifie : « ce qui est merveilleux, ce qui n’a pas encore eu lieu… Ce que les quatre troupes entendent et qui n’a jamais été entendu, ce qu’elles croient et qui ne s’est jamais cru, s’appelle ainsi[75]. »

11o « Avadâna. [Cette division traite] du fruit des œuvres. »

Autant il est facile de critiquer l’application que fait la liste népâlaise des titres examinés dans les neuf articles précédents, autant il est impossible de contester que celui d’Avadâna se trouve sur un grand nombre de traités, tant dans la liste de M. Hodgson que dans la collection de la Bibliothèque royale. Déjà, en examinant la seconde classe des écritures buddhiques, celle de la Discipline, j’ai eu occasion de signaler l’existence de ces traités, qui sont plus nombreux encore que les Sûtras. Ils s’occupent, en effet, comme le dit la liste népalaise, du fruit des œuvres ; mais cette définition ne nous donne pas le sens véritable du mot Avadâna, qui signifie légende, récit légendaire, ainsi que l’entend Csoma de Cörös, d’après les interprètes tibétains du Kah-gyur[76]. Ces légendes roulent d’ordinaire sur ces deux sujets, l’explication des actions présentes par les actions passées, et l’annonce des récompenses ou des peines réservées pour l’avenir aux actions présentes. Ce double objet est, on le voit, nettement résumé dans la définition de la liste népalaise, à laquelle il ne manque que la traduction littérale du mot sanscrit. Il ne m’est pas aussi facile de rendre compte de l’explication des Buddhistes chinois, qui définissent ainsi ce terme : « Ce mot signifie comparaison. C’est quand le Tathâgata, expliquant la loi, emprunte des métaphores et des comparaisons pour l’éclaircir et faire qu’elle soit entendue plus aisément, comme, dans le Fa hoa king, la maison de feu, les plantes médicinales, etc.[77]. » Je ne trouve pas, d’une part, que les textes sanscrits du Népal justifient le sens de comparaison donné au mot Avadâna, et de l’autre que les légendes, dont j’ai été à même de lire un nombre considérable, fassent plus d’usage de la comparaison ou de la parabole que les autres ouvrages buddhiques, où cette figure joue certainement le premier rôle. La note à laquelle j’emprunte l’opinion des Buddhistes chinois transcrit le terme indien de deux manières, Pho tho et A pho tho na (Avadâna). La première transcription est, selon toute apparence, la représentation du sanscrit vâda, dont le sens propre est « discussion, controverse, réplique. » Mais là ne paraît pas encore la signification de comparaison. Sans m’arrêter davantage à cette définition, je me contenterai de faire observer que les exemples allégués pour la soutenir pourraient être empruntés au Lotus de la bonne loi, où se trouve en effet la parabole de la maison enflammée et celle des plantes médicinales. C’est une preuve de plus en faveur de la conjecture que j’ai exposée plus haut touchant l’analogie plus ou moins grande qui doit exister entre le Fa hoa king chinois et le Lotus de la bonne loi des Népâlais.

12o « Upadêça. Ces livres traitent des doctrines ésotériques. »

M. Hodgson a déjà contesté la justesse de cette définition, en faisant remarquer que les termes d’Upadêça et de Vyâkaraṇa, qui sont familiers aux Buddhistes du Népâl, n’expriment pas plus nettement que ceux de Tantra et de Purâṇa la distinction qui doit exister entre la doctrine ésotérique et la doctrine exotérique[78]. Cette critique nous apprend que le terme d’Upadêça est synonyme de celui de Tantra ; et dans le fait plusieurs des ouvrages cités par la liste de M. Hodgson, avec le titre de Tantra, sont rapportés à la catégorie des Upadêças. Je n’ai cependant vu ce nom sur aucun des Tantras que j’ai examinés, et je crois qu’il faut, comme pour le plus grand nombre des articles analysés tout à l’heure, y reconnaître un des éléments des écritures buddhiques plutôt qu’une classe distincte de ces écritures. La définition des auteurs chinois confirme, ce me semble, cette supposition. « Ce mot, disent-ils, signifie instruction, avis. C’est, dans tous les livres sacrés, les demandes et les réponses, les discours qui servent à discuter tous les points de la loi, comme dans le Fa hoa king le chapitre Ti pho tha to, où le Bôdhisattva Tchi tsy discourt avec Wen chu sse li sur la loi excellente[79]. » On voit par là que les Buddhistes chinois entendent le mot Upadêça dans son sens propre, et que si ce terme a une application spéciale à une portion particulière des livres buddhiques, c’est par une sorte d’extension que sa signification d’avis, d’instruction justifie suffisamment. Quant aux Tantras, auxquels se joint, d’après la liste de M. Hodgson, ce titre d’Upadêça, ils forment une portion distincte de la littérature buddhique, sur laquelle je reviendrai en son lieu.

Il faut maintenant résumer en peu de mots les résultats de l’analyse à laquelle je viens de me livrer.

1o Des douze articles dont se compose la liste népâlaise, la même que celle des Chinois, deux noms, celui de Sûtra et celui d’Avadâna, désignent deux classes de livres ou de traités ; un seul, celui d’Upadêça, est synonyme d’une autre classe, celle des Tantras ; et comme les légendes rapportent, ainsi que les Sûtras, des discours de Buddha, et que les premières ne diffèrent des seconds que par des circonstances peu importantes de forme, il est permis, dans une recherche relative aux sources anciennes de la littérature buddhique, de faire rentrer la classe des légendes dans celle des Sûtras. On voit que ce résultat est d’accord avec celui auquel nous sommes arrivés quand nous avons examiné la triple division des écritures buddhiques.

2o Les neuf autres articles sont, non plus des divisions de la Collection népâlaise, mais les noms des éléments qui entrent dans la composition des livres qu’embrasse cette collection. Ce résultat toutefois ne peut être adopté qu’avec les distinctions suivantes : vrai quand on parle des Gêyas, des Vyâkaraṇas, des Udânas, des Nidânas et des Adbhutas, il s’applique moins rigoureusement aux autres articles, qu’il faut envisager sous un double point de vue. Par exemple, s’il est démontré qu’on peut trouver dans les livres buddhiques des parties auxquelles conviennent les noms de Gâthâ, de Djâtaka, de Vâipulya et d’Ityukta, il n’en est pas moins vrai que ces noms peuvent désigner aussi des classes plus ou moins considérables de livres. Cette observation s’applique en particulier au titre de Vâipulya, que nous trouvons joint à celui de Sûtra, pour désigner des Sûtras de grand développement.

3o Enfin, à la distinction en deux classes de Sûtras, que fait naître l’addition du terme de Vâipulya, savoir, celle des Sûtras simples et celle des Sûtras développés, il faut ajouter une autre catégorie, celle des Mahâyâna sûtras, ou Sûtras qui servent de grand véhicule, et dont les titres de la Bibliothèque tibétaine offrent de nombreux exemples[80]. Les deux qualifications peuvent se réunir quelquefois sur le même Sûtra, qui sera ainsi tout ensemble un Sûtra développé et un Sûtra servant de grand véhicule ; mais il est facile de concevoir qu’elles puissent s’attacher, chacune de leur côté, à des Sûtras distincts.

Ce serait ici le lieu d’examiner en détail quelques-uns des livres compris sous les trois grandes divisions exposées plus haut, s’il n’était pas nécessaire d’épuiser auparavant tout ce qui reste à dire de général sur la collection sanscrite du Népâl. Or, nous trouvons, dans le Mémoire souvent cité de M. Hodgson, deux autres divisions qu’il importe de rappeler ici, en y joignant une indication d’un genre analogue que nous fournit Csoma de Cörös dans son analyse de la Collection tibétaine. « Les livres buddhiques, selon M. Hodgson, sont connus collectivement et individuellement sous le nom de Sûtra et sous celui de Dharma. On lit dans le Pûdjâ khaṇḍa la stance suivante : Tout ce que les Buddhas ont dit est contenu dans le Mahâyâna sûtra, et le reste des Sûtras est Dharma ratna[81]. » J’avoue que je ne comprends pas bien la portée de cette distinction entre les Mahâyâna sûtras et les Sûtras nommés collectivement Dharma ratna. Ce dernier titre signifie littéralement « joyau de la loi, » et l’on sait que le mot ratna, placé à la suite d’un autre terme, désigne chez les Buddhistes ce qu’il y a de plus éminent parmi les êtres ou les choses définis par ce terme. Faut-il chercher ici une allusion très-vague, il est vrai, à une division admise par les interprètes tibétains du Kah-gyur, et qui consiste à faire deux parts des ouvrages contenus dans cette collection, l’une nommée Mdo ou Sûtra, l’autre Rgyud ou Tantra[82] ? J’avoue que je ne puis affirmer rien de positif à cet égard, et c’est parce que la division qu’indique le texte précité ne m’a pas paru suffisamment précise que je n’en ai pas parlé au commencement de mes recherches, quoiqu’elle fût la plus générale de celles que nous devons à M. Hodgson. Mais il faut reconnaître aussi qu’elle est la moins instructive, et qu’elle nous avance bien peu dans la connaissance des livres très-divers qu’elle embrasse.

Celle qu’indique Csoma de Cörös est certainement plus intéressante, en ce qu’elle distingue nettement les Tantras, ou rituels où le Buddhisme est mêlé à des pratiques Çivaïtes, de toutes les autres écritures buddhiques, quelles qu’elles soient. En mettant d’un côté, sous le nom de Sûtra, tout ce qui n’est pas Tantra, elle place cette seconde classe de livres au point de vue sous lequel nous reconnaîtrons qu’on la doit envisager. C’est, quant à présent, tout ce qu’il faut dire de cette distinction ; nous verrons plus tard l’avantage qu’il est possible d’en tirer. Je remarque seulement que cette distinction, par suite de laquelle les Tantras sont mis en dehors de la collection des Sûtras, n’était pas inconnue à M. Rémusat, qui s’exprime ainsi : « Généralement, on ne compte « pas les Pradjñâ pâramitâs et les Dhâraṇîs parmi les collections des livres sacrés, dont on désigne l’ensemble par les mots de trois collections[83]. »

Enfin, et c’est par là que je terminerai cette description générale de la Collection buddhique, les Népâlais, suivant M. Hodgson, détachent de cette collection neuf ouvrages, qu’ils appellent les neuf Dharmas, ou les neuf Recueils de la loi par excellence[84] ; ils rendent un culte constant à ces ouvrages ; mais M. Hodgson ignore les raisons de cette préférence. Ces livres sont les suivants : 1o Pradjñâ pâramitâ, 2o Gaṇḍa vyûha, 3o Daça bhûmîçvâra, 4o Samâdhi râdja, 6o Langkâvatâra, 6o Saddharma puṇḍarîka, 7o Tathâgatha guhyaka, 8o Lalita vistara, 9o Subarana prabhâ (sans doute Suvarṇa prabhâsa).

L’examen du contenu de ces ouvrages, que nous possédons tous à Paris, n’explique pas complètement les raisons du choix qu’en font les Népâlais. On comprend aisément leur préférence en ce qui touche les numéros 1, 5, 6 et 8 ; car la Pradjñâ pâramitâ, ou la Perfection de la sagesse, est une espèce de somme philosophique où se trouve contenue la partie spéculative la plus élevée du Buddhisme. Le Langkâvatâra, et plus exactement le Saddharma Langkâvatâra, ou l’Instruction de la bonne loi donnée à l’île de Langkâ ou Ceylan, est un traité du même genre, avec une tendance plus marquée vers la polémique. Le Saddharma puṇḍarîka, ou le Lotus blanc de la bonne loi, outre les paraboles qu’il renferme, traite un point de doctrine fort important, celui de l’unité fondamentale des trois moyens qu’emploie un Buddha pour sauver l’homme des conditions de l’existence actuelle. Enfin le Lalita vistara, ou le Développement des jeux, est l’histoire divine et humaine du dernier Buddha, Çâkyamuni. Mais les numéros 2, 3 et 4, où les sujets philosophiques n’occupent peut-être pas autant de place, ont à mes yeux bien moins de mérite ; les répétitions, les énumérations interminables et les divisions scolastiques y dominent à peu près exclusivement. Quant aux numéros 7 et 9, le Tathâgatha guhyaka et le Suvarṇa prabhâsa, ce sont des Tantras d’une assez médiocre valeur. Mais ce serait sans doute perdre sa peine que de rechercher les motifs d’une préférence qui n’a peut-être d’autre raison que des idées superstitieuses, étrangères au contenu des livres mêmes. Il est temps de passer à l’examen de quelques-uns des volumes de la collection du Népâl auxquels nous avons accès, pour y découvrir, si cela est possible, les principaux traits de l’histoire du Buddhisme indien.

Je dis si cela est possible, non avec le désir puéril d’exagérer les difficultés de cette recherche, mais avec le juste sentiment de défiance que j’éprouve en l’entreprenant. Il ne s’agit pas ici de concentrer sur un texte obscur, mais isolé, les forces que donne à l’esprit l’emploi rigoureux et patient de l’analyse, encore moins de tirer de monuments déjà connus des conséquences nouvelles et dignes de prendre rang dans l’histoire. La tâche que je m’impose, quoique différente, est également rude. Il faut parcourir près de cent volumes, tous manuscrits, composés en quatre langues encore peu connues, pour l’étude desquelles on n’a que des lexiques, je pourrais dire des vocabulaires imparfaits, et dont l’une a donné naissance à des dialectes populaires dont les noms mêmes sont presque ignorés. À ces difficultés de la forme, joignez celles du fonds : un sujet tout à fait neuf, des écoles innombrables, un immense appareil métaphysique, une mythologie sans bornes ; partout le désordre et un vague désespérant sur les questions de temps et de lieu ; puis, au dehors et parmi le petit nombre de savants qu’une louable curiosité attire vers les résultats promis à ces recherches, des résolutions toutes faites, des opinions arrêtées et prêtes à résister à l’autorité des textes, parce qu’elles se flattent de reposer sur une autorité supérieure à toutes les autres, sur celle du sens commun. Ai-je besoin de rappeler que, pour quelques personnes, toutes les questions relatives au Buddhisme étaient déjà décidées, quand on n’avait pas encore lu une seule ligne des livres que j’analyserai tout à l’heure, quand l’existence de ces livres n’était pas même soupçonnée de qui que ce fût ? Pour les uns, le Buddhisme était un vénérable culte né dans l’Asie centrale, et dont l’origine se perdait dans la nuit des temps ; pour les autres, c’était une misérable contrefaçon du Nestorianisme ; on avait fait de Buddha un Nègre, parce qu’il avait les cheveux crépus ; un Mongol, parce qu’il avait les yeux obliques ; un Scythe, parce qu’il se nommait Çâkya. On en avait même fait une planète ; et je ne sais pas si quelques savants ne se plaisent pas encore aujourd’hui à retrouver ce sage paisible sous les traits du belliqueux Odin. Certes, il est permis d’hésiter, quand à ces solutions si vastes on ne promet de substituer que des doutes, ou que des explications simples et presque vulgaires. L’hésitation peut même aller jusqu’au découragement, lorsque l’on retourne sur ses pas et que l’on compare les résultats obtenus au temps qu’ils ont coûté. J’ose compter toutefois sur l’indulgence des hommes sérieux auxquels s’adressent ces études ; et tout en me laissant le sentiment de mon insuffisance, dont je suis plus que jamais pénétré, l’espoir de leur bienveillante attention m’a donné le courage de produire ces ébauches, destinées à ouvrir la voie à des recherches qui, pour n’avoir pas encore un public bien nombreux, n’en ont pas moins en elles-mêmes une valeur incontestable pour l’histoire de l’esprit humain.

  1. Notices, etc., dans Asiat. Researches, t. XVI, p. 426 sqq.
  2. Sketch of Buddhism, dans Transact. of the Roy. Asiat. Soc., t. II, p. 229.
  3. Abstract of the contents of the Dul-va, dans Journal of the Asiat. Society of Bengal, t. I, p. 1 et 375.
  4. Analysis of the Dul-va, etc., t. XX, p. 41 sqq, et Analysis of the Sher-chin, etc., ibid., p. 393 sqq.
  5. Hodgson, Notices of the languages, etc., dans Asiat. Researches, t. XVI, p. 421.
  6. Abhidharma kôça vyâkhyâ, p. 38 b de mon manuscrit. Comparez Turnour, Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. VI, p. 526.
  7. Asiat. Researches, t. XVI, p. 425.
  8. Csoma, Asiat. Res., t. XX, p. 393 comp. à p. 396 ; c’est A, qui contient tout ! — Analysis of the Kah-gyur, dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. I, p. 376.
  9. Abhidharma kôça vyâkhyâ, f. 10 a du man. de la Société Asiatique.
  10. Csoma, Abstract of the contents of the Dul-va dans Journ. of the Asiat. Soc. of Beng., t. I, p. 1 sqq., 37 sqq., et Asiat. Res., t. XX, p. 42.
  11. Foe koue ki, p. 3, 78 et 108.
  12. ibid., p. 108.
  13. Wilson, Sanscr. Diction., ve Sûtrâ, p. 940, 2e édit.
  14. Foe koue ki, p. 108.
  15. Notices of the languages, dans Asiat. Researches, t. XVI, p. 422.
  16. Foe koue fei, p. 321, note 6.
  17. Hodgson, Notices of the languages, litterature, etc., dans Asiat. Res., t. XVI, p. 422.
  18. Hodgson, Quot. from orig. Sanscr. author., dans Journ. of the Asiat. Soc. of Bengal, t. VI, p. 87, note †.
  19. Foe koue ki, p. 108.
  20. Asiat. Researches, t. XVI, p. 431. Transact. of the Royal Asiat. Soc., t. II, p. 225).
  21. Asiat. Researches, t. XVI, p. 430.
  22. Abhidharma kôça vyâkyâ, f. 8 b du man. de la Société Asiatique.
  23. Csoma, Asiat. Researches, t. XX, p. 43.
  24. A. Rémusat, Foe koue ki, p. 108.
  25. Csoma, Analys. of the Dul-va, dans Asiat. Researches, t. XX, p. 43.
  26. Geschichte der Ost-Mongolen, p. 355.
  27. Abhidharma kôça vyâkyâ, f. 127 b de mon manuscrit.
  28. Il n’est pas inutile de rassembler ici les notions que M. Hodgson nous donne de ce mot important, dans plusieurs endroits de ses écrits sur le Buddhisme du Nord. Dharma, dérivé de dhrĭ (contenir), de cette manière, « Dhâraṇâtmika iti dharmaḥ, » signifie nature, constitution propre ; c’est dans ce sens qu’une des grandes écoles du Nord a pu regarder ce terme comme synonyme de Pradjña, la suprême Sagesse, c’est-à-dire la sagesse de la Nature prise pour le fonds et la cause de toutes les existences. Le terme de Dharma signifie encore : 1o la moralité, la vertu ; 2o la loi, ou le code moral ; 3o les effets matériels, ou le monde phénoménal. (Hodgson, Europ. Specul. on Buddh., dans Journ. Asiat. Soc. of Beng., t. III, p. 502.) D’après le même auteur, ce mot désigne d’une manière plus large encore les êtres sensibles, et les choses ou les phénomènes extérieurs. (Hodgson, Further note on the Inscript. from Sârnâth, dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. IV, p. 213 et 214.) Je traduis ordinairement ce terme par condition, d’autres fois par lois ; mais aucune de ces traductions n’est parfaitement complète ; il faut entendre par Dharma ce qui fait qu’une chose est ce qu’elle est, ce qui constitue sa nature propre, comme l’a bien montré Lassen, à l’occasion de la célèbre formule « Ye dharmâ hôtuprabhavâ. » (Lassen, Zeitschrift für die Kunde des Morgenland, t. I, p. 228 et 229.) Il y a même bien des cas où il ne faut pas beaucoup presser la signification de ce mot, parce qu’elle est très-vague et presque insensible, notamment à la fin d’un composé. Ainsi je trouve à tout instant, dans les légendes de l’Avadâna çataka, le terme de dêya dharma, qu’il faut traduire, non par « devoir ou mérite de ce qui doit être donné, » mais par « charité, offrande ; » c’est-à-dire qu’il y faut voir le fait de l’offrande et de l’aumône, et non le devoir de l’accomplir, ni le mérite qui y est attaché. Ce sens est mis hors de doute par l’expression Dêya dharma parityâga, qui n’a pas d’autre sens que abandon d’une offrande. (Mahâvastu, f. 193 b de mon man.) On comprend sans peine comment de l’idée de devoir ou mérite de la charité, on passe à l’idée générale de charité, et de là au fait particulier d’une charité spéciale ; notre mot français lui-même a toute cette étendue d’acception. Cette expression est, du reste, une des plus authentiques et des plus anciennes du Buddhisme, car elle appartient à toutes les écoles. Clough, dans son Dictionnaire singhalais (t. II, p. 283. col. 2), la donne positivement avec le sens de offerings, gifts, charity ; et je crois l’avoir découverte parmi les inscriptions des cavernes de Sâim̃hâdri, au nord de Djunîra, dans l’ouest de l’Inde. Prinsep (Note on Syke’s Inscript., dans Journ. Asiat. Soc. of Beng., t. VI, p. 1042 et pl. LIII), qui a si heureusement déchiffré ces courtes légendes, y lit Dayâdhama, qu’il traduit par « compassion et piété ; » en déplaçant les voyelles, j’y trouve dêya dhamma (don, offrande).
  29. Abhidharma kôça vyâkhyâ, f. 8 b de mon manuscrit.
  30. Hodgson, Notices, etc., dans Asiat. Researches, t. XVI, p. 422.
  31. Hodgson, Notices, etc., dans Asiat. Researches, t. XVI, p. 422.
  32. Csoma, Anal. of the Dul-va, dans Asiat. Researches, t. XX, p. 42. Turnour, Mahâvamso, p. 12 sqq.
  33. Abhidharma kôça vyâkyâ, f. 8 b de mon manuscrit.
  34. Pûrṇa, dans Divya avad., f. 26 b du man. de la Société Asiatique : « Tripiṭaka sam̃gha » (assemblée qui connaît les trois recueils). Kôțikarṇa, ibid., f. 9 b ; « Têna trîtîyapițakam adhitam » (par lui fut lu le troisième recueil).
  35. Kôțikarṇa, ibid., f. 9 b.
  36. Sam̃gha rakchita, ibid., f. 166 a.
  37. Kôțikarṇa, ibid., f. 9 a.
  38. Csoma, Analys. of the Dul-va, dans Asiat. Researches, t. XX, p. 43.
  39. Csoma, Notices on the life of Shakya, dans Asiat. Researches, t. XX, p. 317.
  40. Parinibbâna sutta, dans Digha nikâya, f. 92 a de mon manuscrit.
  41. Anguttara nikâya, f. khi b, man. de la Bibliothèque du Roi.
  42. Çâriputtra est, avec Mâudgalyâyana, dont il sera parlé plus tard, le premier des disciples de Çâkyamuni. On peut voir dans le Foe koue ki, tant au texte de Fa Hian qu’aux notes de MM. A. Rémusat et Klaproth, des détails aussi intéressants qu’exacts sur ce personnage célèbre. Les passages qui se rapportent à sa naissance et à sa mort sont indiqués tous à la table de cet ouvrage. Le seul point qui soit sujet à contestation est la note où il est dit que Çâriputtra avait été instruit dans la Pradjñâ, ou dans la Sagesse, par le célèbre Avalôkitêçvara. (Foe koue ki, p. 107.) Cette assertion est très-probablement empruntée à quelque Sûtra développé ; je n’en trouve pas la moindre trace dans les livres que j’examine en ce moment. Çâriputtra se nommait Upatichya, c’est le nom que les Tibétains traduisent Ne rgyal, et que cite Klaproth. (Foe koue ki, p. 264. Csoma, Asiat. Res., t. XX, p. 49.) Il le tenait de son père, qui s’appelait Tichya, tandis que le nom de Çâriputtra lui venait de sa mère Çârikâ. (Csoma, Asiat. Res., t. XX, p. 49.) Fa hian nous apprend qu’il naquit dans le village de Nalo, près de Râdjagriha. Il est singulier que Klaproth n’ait pas rapproché de ce nom celui de Na lan tho, dont les auteurs chinois parlent, entre 780 et 804 de notre ère. (Foe koue ki, p. 256.) Le premier nom n’est qu’une abréviation du second Na lan tho, et ce dernier reproduit exactement l’orthographe Nalada ou Nalanda que donne Csoma (Asiat. Res., t. XX, p. 48), ou plus rigoureusement encore Nâlanda, comme l’écrivent les textes sanscrits du Nord et les livres pâlis du Sud. Le Mahâvastu nomme ce lieu Nâlanda grâma, et le place à un demi-yôdjana de Râdjagriha, capitale ancienne du Magadha. (Mahâvastu, f. 264 a de mon man.) L’ouvrage que je cite en ce moment rapporte avec de grands détails l’histoire de la jeunesse et de la conversion d’Upatichya ou Çâriputtra, et presque dans les mêmes termes que le Dul-va tibétain analysé par Csoma. (Asiat. Res., t. XX, p. 48 sqq.)
  43. Sam̃gha rakchita, dans Divya avadâna, f. 165 a.
  44. Kôțikarna, dans Divya avad., f. 9 a.
  45. Sam̃gha rakchita, dans Divya avadâna, f. 166 a.
  46. id. ibid.
  47. Turnour, Mahâvamso, Append., p. lxxv.
  48. Foe koue ki, p. 327.
  49. Journal des Savants, année 1831, p. 605 et 726.
  50. Transact. of the Roy. Asiat. Society, t. II, p. 229.
  51. Landresse, dans le Foe koue ki, p. 321 sqq.
  52. Notices, etc., dans Asiat. Researches, t. XVI, p. 426 et 427.
  53. Notices, etc., dans Asiat. Researches, t. XVI, p. 431.
  54. Landresse, Foe koue ki, p. 321 et 322.
  55. Asiat. Res., t. XVI, p. 422 et 423.
  56. Csoma, Analys. of the Sher-chin, etc., dans Asiat. Researches, t. XX, p. 409, 410, 453, 454, 480, 484.
  57. Landresse, Foe koue ki, p. 323.
  58. Le Fa hoa king est un livre très-fréquemment cité dans les notes du Foe koue ki, soit par M. A. Rémusat, soit par les éditeurs de son travail. Mais la traduction que je propose de ce titre ne se trouve pas dans le Foe koue ki ; et j’en avertis, de peur que mon erreur, si j’en commets une, ne soit imputée aux savants éditeurs. En traduisant fa par dharma (loi), je me fonde sur le sens qu’a ce monosyllabe fa dans la formule foe fa seng, qui représente, ainsi que l’a établi M. Landresse, les termes sanscrits de la célèbre triade, Buddha, Dharma, Sam̃gha, dont il sera question plus tard.
  59. Asiat. Researches, t. XVI, p. 422.
  60. Landresse, Foe koue ki, p. 322.
  61. Hodgson, Sketch of Buddhism., dans Trans. of the Roy. Asiat. Soc., t. II, p. 245.
  62. Kôṭikarṇa, dans Divy. avad., f. I a. Pûrṇa, ibid., f. 17 b, 23 a et 25 b. Supriya, ibid., f. 47 a et 58 a. Lalita vistara, f. 60 a de mon manuscrit et pass.
  63. Voy. Csoma, Analysis of the Sher-chin, etc., dans Asiatic Researches, t. X, p. 477, où le terme sanscrit udâna est rendu en tibétain par les mots tchhed-du brdjod-pa, que l’on trouve expliqués ainsi : « To praise, to commend, to exalt, to extoll, to laud, » dans Schröter, Bot. Dict., p. 98, col. 1. M. Schmidt (Tibet. Deutsch. Worterb., p. 161, col. 2) traduit ce terme par agréer, approuver, vanter.
  64. Examin of pâli Buddhist. Annals, dans Journ. of the Asiat. Soc. of Bengal, t. VI, p. 526, et t. VII, p, 793.
  65. Landresse, Foe koue ki, p. 322 et 323.
  66. Landresse, Foe koue ki, p. 322.
  67. Landresse, Foe koue ki, p. 322.
  68. Le Lotus de la bonne loi, chap. XXII, f. 212 a sqq. du texte, et page 243 de la traduction.
  69. Landresse, Foe koue ki, p. 322.
  70. Le Lotus de la bonne loi, f. 15 a du texte, et p. 15 de la traduction.
  71. Analys. of the Sher-chin, etc., dans Asiat. Researches, t. XX, p. 401 et 465.
  72. Landresse, Foe koe ki, p. 323.
  73. M. Schmidt a justement critiqué (Mém. de l’Acad. des sciences de Saint-Pétersbourg, t. II, p. 10 sqq.) la traduction qu’a donnée M. A. Rémusat du terme de yâna, qu’il rendait par translation. (Foe koue ki, p. 9, note.) Plus récemment, Lassen a proposé d’y substituer celle de voie. Le Triyâna, dit ce savant, désigne les trois voies que peuvent prendre les esprits, selon les divers degrés de leur intelligence et de leur vertu ; et les ouvrages buddhiques reçoivent ce titre de Yâna, suivant que leur contenu se rapporte à l’une ou à l’autre de ces trois voies. (Zeitschr. für die Kunde der Morgenland, t. IV, p. 494.) Je regarde cette observation comme tout à fait fondée ; cependant, comme yâna signifie plus ordinairement encore véhicule, moyen de transport, je préfère cette dernière traduction, d’autant plus que diverses paraboles, entre autres celles du Lotus de la bonne loi, comparent les divers Yânas à des chars attelés d’animaux de diverses espèces. (Le Lotus de la bonne loi, p. 47 sqq. ; comp. A. Rémusat, Foe koue ki, p. 10.) J’ajoute que les Tibétains entendent le mot yâna exactement de la même manière, et que le terme theg-pa, par lequel ils le remplacent, signifie véhicule, ainsi que nous l’apprend le témoignage uniforme de Csoma et de M. Schmidt. C’est cette notion de véhicule, moyen de transport, que développe très-bien Wilson, d’après l’analyse du Kah-gyur par Csoma. (Analys. of the Kah-gyur, dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. I, p. 380.)
  74. Le Lotus de la bonne loi, chap. II, f. 28 b du texte, et p. 29, stance 44 de la traduction.
  75. Landresse, Foe koue ki, p. 322.
  76. Analys. of the Sher-chin, dans Asiat. Res., t. XX, p. 481-484.
  77. Landresse, Foe koue ki, p. 322.
  78. Notices, etc., dans Asiat. Res., t. XVI, p. 422.
  79. Landresse, Foe koue ki, p. 322.
  80. Csoma, Analysis of the Sher-chin, dans Asiat. Researches, t. XX, p. 407 sqq.
  81. Notices, etc., dans Asiat. Researches, t. XVI, p. 422. Dans les Quotations from orig. Sanscr. authorities, M. Hodgson donne ce passage comme emprunté au Guṇa karaṇḍa vyûha. (Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. V, p. 87.) Il est possible que le Pûdjâ khaṇḍa soit un livre moderne.
  82. Csoma, Analysis of the Sher-chin, etc., dans Asiat. Researches, t. XX, p. 412.
  83. Foe koue ki, p. 109.
  84. Notices, etc., dans Asiat. Researches, t. XVI, p. 423 et 424.