Introduction à la chimie agricole, application des principes de la chimie à la culture de la canne à sucre

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À M. LE BARON DARRICAU
Capitaine de vaisseau de la marine impériale, Commandeur de la Légion d’honneur,
GOUVERNEUR DE LA RÉUNION.


Monsieur,

Cette œuvre modeste, née sous vos inspirations, est destinée aux planteurs de notre Colonie. Elle renferme l’exposé succinct des théories admises aujourd’hui sur la nutrition des plantes, sur le rôle que jouent dans la végétation les agents de la nature, ou ceux que l’homme fait intervenir artificiellement pour augmenter les produits du sol, enfin l’application des principes de la science chimique à la culture de la Canne à sucre.

Vulgariser la science pour la rendre utile par ses applications, tel a été mon but, en publiant cet Abrégé de Chimie Agricole, dont je vous prie de vouloir bien accepter la Dédicace.

Je serai heureux si j’ai réussi à démontrer que l’étude des sciences physiques et chimiques, peut ouvrir de nouveaux horizons à l’industrie principale de notre Colonie, et contribuer ainsi au développement des richesses que notre île fortunée renferme dans son sein.

J’ai l’honneur d’être, avec le plus profond respect,


Votre très-humble et obéissant serviteur,
HUGOULIN,
Pharmacien de la marine.



Saint-Denis, 24 octobre 1858.



Saint-Denis, 25 octobre 1858.
Monsieur,

J’accepte avec plaisir la Dédicace que vous voulez bien m’offrir, et je vous prie d’en agréer mes remercîments.

Je serai toujours heureux de voir des intelligences aussi distinguées que la vôtre, s’appliquer à des études utiles à la Colonie dont je m’efforce d’assurer la prospérité avec le concours des hommes éclairés et dévoués qui veulent bien me seconder dans ma tâche.

Recevez, monsieur, l’assurance

de ma considération très-distinguée,
Baron DARRICAU.
À M. HUGOULIN,
Pharmacien de 1re classe de la marine impériale.



INTRODUCTION
À LA CHIMIE AGRICOLE.

AUX PLANTEURS DE LA RÉUNION.


Messieurs,

Faire produire à la terre le plus possible et au meilleur marché possible : voilà la définition la plus exacte de la science agricole ; c’est celle qu’en a donnée un homme qui n’a jamais tracé d’autre sillon que celui de son navire sur les flots de la mer ; mais nous en chercherions vainement une plus vraie et plus philosophique dans les meilleurs traités des auteurs spéciaux.

D’un côté, économie de bras, économie de temps, par suite économie d’argent ; de l’autre, abondance de récoltes, mais surtout de récoltes qui ont chance d’être vendues à bon prix : voilà le but que se propose l’agriculteur.

Pour arriver à ce but, les moyens sont différents. Chaque praticien suit, à son gré, la route que lui trace son expérience, celle de ses prédécesseurs, celle de ses voisins, quelquefois aussi celle que lui suggère sa raison ou son imagination. Tel système qui aura réussi sous telles conditions de climat, d’exposition, de terrain, échouera complétement dans des conditions d’une différence qui n’est pas visiblement appréciable. L’exemple des autres, son expérience propre, ne suffisent plus à l’agriculteur ; il lui faut demander à la science théorique la raison de ces changements, de ces différences. Alors se fait sentir pour lui la nécessité d’une étude nouvelle, que le tâtonnement et une longue série d’expériences pratiques pourraient peut-être remplacer ; mais les essais, les tâtonnements consomment du temps, des forces, de l’argent ; puis, quand le problème est résolu, il faut de longues années pour balancer les pertes occasionnées par les essais infructueux. Souvent l’expérimentateur s’est usé à la peine, et son expérience ne profite pas toujours à ses successeurs. L’étude de la physiologie végétale, celle de la chimie agricole, peuvent prévenir ces tâtonnements, peuvent guider les essais.

À quelle source l’agriculteur de la Réunion puisera-t-il les connaissances qui doivent éclairer sa marche, le guider dans sa pratique ? Un de nos compatriotes dont la plume élégante a si bien écrit l’historique de l’exposition coloniale dans les Souvenirs de la Réunion, empruntant ses inspirations à son cœur et à sa bonne affection pour nous, plutôt qu’à la réalité positive, a dit qu’il serait à souhaiter qu’un cours de chimie agricole pût être fondé à Saint-Denis ; il en a même désigné le professeur au choix de l’administration supérieure. Ce professeur regrette de ne pas être de l’avis de son excellent ami. Je suppose pour un instant que la bonne volonté et le zèle puissent remplacer les conditions, les qualités que l’aveugle amitié de M. J. Moreau veut bien nous prêter ; mais où trouvera-t-on l’auditoire ? Il y aura toujours une difficulté insurmontable, celle de réunir le plus grand nombre des industriels qui s’occupent dans notre colonie de la culture de la canne à sucre, dispersés qu’ils sont dans leurs habitations éloignées, où les retiennent les travaux de leur exploitation(A).

Je crois en effet qu’un cours de chimie agricole pourrait rendre quelques services à l’agriculture de notre colonie ; mais l’impossibilité matérielle d’en réunir les auditeurs est-il un obstacle insurmontable aux progrès que l’étude de la chimie pourrait procurer à l’industrie qui fait la fortune de nos habitants ? Je ne le pense pas. Si le professeur rend plus facile l’étude des sciences appliquées, en écartant les difficultés, en les aplanissant par des explications appropriées à l’auditoire, son intervention n’est pas tellement indispensable qu’un industriel qui voudra sérieusement se vouer aux progrès de son art, autant dans ses intérêts matériels que pour la propre satisfaction de son intelligence, ne puisse arriver, en plus de temps peut-être, mais n’arrive sûrement a des résultats heureux par l’étude isolée(B).

Que faut-il pour décider nos industriels à entrer dans cette voie de progrès que facilite l’étude théorique quand elle est immédiatement accompagnée par la pratique, comme peuvent le réaliser nos planteurs ? Une seule chose, c’est que nos industriels soient convaincus que la connaissance des sciences naturelles aide à l’interprétation des faits de la nature, qu’elle peut les prévoir d’avance, et par conséquent éviter dans l’application toutes les tentatives hasardeuses, toutes les écoles dont le tâtonnement seul est la hase.

Serai-je assez heureux pour arriver à cette preuve par l’examen rapide des principaux faits physiologiques de la nutrition des végétaux, et des conséquences à en déduire pour la culture de la canne à sucre ? Je l’espère ; il est si facile de gagner une cause quand on prêche à des convertis.

Cet opuscule sera une réponse à la citation de mon nom, dont a bien voulu m’honorer M. le baron Darricau dans son discours à l’occasion de l’ouverture de la session de la chambre d’agriculture, discours qui aura un long retentissement dans la colonie par l’utile direction qu’il a imprimée aux travaux de la chambre, et dont la prospérité du pays ne tardera pas à se ressentir, nous en avons la douce espérance.

« Je soumettrai à vos études la question des engrais, a dit M. le gouverneur ; nous avons d’utiles enseignements à puiser dans les travaux de M. D…, à Saint-Louis ; il a poussé l’expérience à ses dernières limites ; il suffit de voir les cannes pour dire qu’il a réussi. Prenons les bons exemples là où ils sont. — Une autre expérience plus modeste a été faite par deux de nos bons habitants, M. B… et M. L… Ils ont pris des terrains analogues, voisins, les ont entretenus avec le même soin. M. B… a mêlé le guano au fumier par parties égales ; M. L… a employé le guano pur. Le premier a triplé la production du second. Un des membres de cette assemblée, M. Hugoulin, vous donnera l’explication scientifique de cette différence ; elle est normale et tient à une combinaison des agents chimiques qui constituent la végétation. Je lui laisse le soin de vous la répéter. »

J’accepte avec bonheur cette honorable mission. Peut-être dans une réponse verbale dans une séance publique de chimie n’aurais-je pu, sans fatiguer l’attention, donner les développements nécessaires à cette question. Une leçon écrite n’aura pas cet inconvénient ; elle pourra être lue en plusieurs reprises, à temps perdu ; elle pourra même être laissée si elle n’intéresse pas le lecteur.



RESPIRATION
DES ANIMAUX ET DES PLANTES.


Dans une séance publique de chimie amusante faite à l’hôtel de ville de Saint-Denis, le 30 avril 1858, j’esquissais à grands traits l’étude de l’air atmosphérique, pour extraire de cette histoire les expériences les plus frappantes qui peuvent en même temps saisir l’œil et l’intelligence, amuser en instruisant. J’établissais les rapports immédiats qui existent entre les plantes et les animaux que la Providence a créés pour être les compléments harmoniques les uns des autres. Dans ce lien d’harmonie physique se trouve pour le philosophe toute l’étude raisonnée de l’agriculture pratique. L’animal vit par la nourriture que lui donne la plante ; la plante à son tour prend une végétation luxuriante par la nourriture que lui donne l’animal.

L’homme et les animaux, à quelque degré qu’ils appartiennent, vivent autant par la respiration que par les aliments ; bien plus si les animaux peuvent, pendant des espaces de temps plus ou moins prolongés, supporter la diète absolue d’aliments, ils ne peuvent sans danger de mort supporter l’absence de l’air pendant un temps fort limité, surtout dans les classes supérieures de l’échelle animale. Ainsi en est-il des végétaux : l’air atmosphérique est le premier aliment de tous ; pour quelques plantes même il est le seul aliment. Il est utile de connaître le mécanisme et les phénomènes de la respiration dans les deux grandes classes des êtres vivants, pour arriver ensuite plus facilement aux déductions à tirer de cette fonction dans l’économie agricole.

L’air atmosphérique qui entoure notre globe jusqu’à la hauteur assez restreinte de 12 ou 15 lieues, se compose spécialement de deux gaz :

L’oxygène en proportion de 1 volume ; L’azote en proportion de 4 volumes.

On y trouve encore une quantité, toujours minime, mais variant suivant les circonstances de localité, de saison, etc., de gaz acide carbonique, composé lui-même de charbon et d’oxygène combinés ; on y trouve encore de la vapeur d’eau ; cette vapeur constitue l’humidité plus ou moins considérable de l’air ; on y trouve enfin une quantité très-minime d’ammoniaque, combinaison intime de deux gaz, l’azote et l’hydrogène. Chacun de ces principes a son utilité immédiate dans la respiration des êtres organisés, plantes ou animaux.


Respiration animale.


L’animal, dans l’acte de la respiration, absorbe dans ses poumons une quantité plus ou moins considérable, suivant le volume de son corps, d’air atmosphérique. Cet air se dissout en partie dans le sang, en arrivant dans le poumon, organe celluleux, dans lequel l’extrême division des conduits sanguins multiplie à l’infini les surfaces de rapprochement entre le liquide nourricier et l’air ; il est entraîné dans le torrent de la circulation. Mais alors se passe un phénomène chimique admirable, longtemps méconnu par la physiologie, et dont la connaissance ne date guère que de la fin du dernier siècle. Elle est due à un chimiste français, à Lavoisier.

L’air cède au sang une partie de son oxygène, et cet oxygène se combine à un des éléments du sang, au carbone ou charbon. Si le phénomène commence dans le poumon même, il s’exécute encore davantage dans tout le parcours de la circulation, surtout dans les dernières ramifications de nos conduits sanguins. Le sang, de rouge brun qu’il était, devient, par sa combinaison avec l’oxygène, d’un rouge vermeil ; le sang veineux s’est transformé en sang artériel, et d’inutile à la formation ou à la régénération de nos organes qu’il était, comme sang veineux, il est devenu éminemment propre à cet acte fondamental de la vie.

Mais pendant cette circulation l’air se dépouille d’une partie de son oxygène absorbé dans les poumons ; il le remplace par un autre gaz, le gaz acide carbonique, formé par la combinaison de cet oxygène et du carbone du sang ou des tissus. L’air ainsi modifié est rendu à l’atmosphère, par les poumons, dans l’acte de l’expiration.

Ce phénomène d’absorption d’air pur, dans l’inspiration, et d’air chargé d’acide carbonique dans l’expiration, se continue ainsi sans interruption pendant toute l’existence de l’animal. Il constitue l’acte de la respiration, sans lequel la vie est impossible.

Dans cet acte nous n’avons pas vu figurer le rôle de l’azote, qui entre en proportion des dans la composition de l’air. Son rôle, en effet, est tout passif. Gaz fort difficile à entrer dans les combinaisons chimiques, d’une action complétement nulle par lui-même, il n’est là que pour modifier l’action trop énergique de l’oxygène, comme le fait l’eau que l’on mélange au vin pour en atténuer la force. Sans l’azote, l’oxygène seul produirait une telle action sur nos organes, donnerait une telle vitalité à l’organisme animal, que bientôt, par cette surexcitation, l’animal tomberait épuisé. Voilà l’unique action de l’azote ; quoique nulle par elle-même, elle n’en est pas moins essentielle.

Quant à la vapeur d’eau, elle facilite les combinaisons de nos organes, comme elle les facilite dans nos laboratoires. Corpora non agunt nisi soluta. Tout le monde connaît l’effet pénible que nous cause un air trop sec, qui ne rend pas à la respiration une partie au moins de l’eau que nous perdons par la transpiration.

L’ammoniaque ne joue pas de rôle dans la respiration animale ; mais il est un produit de la transpiration cutanée. La sueur en contient beaucoup.

Mais si la respiration animale transforme l’oxygène en gaz carbonique, en ce gaz délétère que produit aussi la combustion du charbon dans les foyers, n’est-il pas à craindre qu’un jour, par l’action multipliée des générations d’animaux, tout l’oxygène de l’air se modifie et devienne ainsi impropre à la respiration ? Le fait, en effet, quelque éloigné qu’il fût, arriverait infailliblement à la suite des siècles ; et ce terme a même été fixé, par les calculs des curieux de la nature, à 180 mille ans ; après cet espace de temps, tout l’oxygène de l’air devrait se trouver modifié en acide carbonique, par les générations successives d’hommes et d’animaux, si la Providence n’en avait ordonné autrement, au moyen de l’admirable harmonie qui existe entre les animaux et les plantes.

En effet, voici un phénomène chimique exactement contraire qui se passe dans un phénomène physiologique exactement pareil, dans l’acte de la respiration des plantes.


Respiration végétale.


Les poumons des plantes sont les feuilles et les parties vertes des plantes dans celles qui ne portent pas de feuilles.

Examinez attentivement les poumons de l’animal et les poumons de la plante, et vous verrez que la différence n’est pas aussi considérable dans la forme qu’elle le paraît au premier aspect. Comme les poumons des animaux, les feuilles présentent des cellules fort nombreuses, des petits conduits de la séve en nombre considérable, et des petites ouvertures par lesquelles pénètre l’air.

Y a-t-il autre chose dans les poumons de l’animal ? Mais remarquez le phénomène chimique qui va s’opérer : l’air, avons-nous dit, contient quelques minimes quantités d’acide carbonique. Ce gaz lui est fourni par le produit des combustions naturelles ou artificielles. La respiration animale est une combustion naturelle. Le charbon du sang ou des tissus est brûlé par l’oxygène de l’air, comme dans les combustions artificielles le charbon du bois est aussi brûlé par ce même gaz. Dans les deux cas il y a production de chaleur et d’acide carbonique (oxygène et carbone) ; eh bien, ce sera ce gaz que rejette l’animal par l’acte de la respiration, qui sera l’élément nutritif essentiel de la plante.

La cellule organique végétale décomposera ce gaz acide carbonique, composé, avons-nous dit, d’oxygène et de carbone ; elle s’appropriera le carbone qui lui est nécessaire pour son accroissement, ce carbone ou charbon qui constitue tout le squelette de la plante, et que nous pourrons nous approprier un jour pour alimenter nos foyers ; elle rejettera l’oxygène qui lui devient inutile.

Admirable harmonie entre les phénomènes de la nature : l’élément inutile à l’animal, nuisible même à son existence, l’acide carbonique, devient l’élément nutritif de la plante.

Mais, pour que cette réaction chimique s’accomplisse, il est une condition indispensable sans laquelle elle ne saurait avoir lieu : il faut la présence de la lumière solaire ; sans cette lumière point de décomposition d’acide carbonique ; sans elle la plante ne fixe pas de carbone ; elle s’étiole, elle blanchit. Ainsi l’industrie maraîchère profite de ce phénomène qu’elle accomplit artificiellement pour produire à son gré et à l’abri du soleil ces étiolements qui changent les plantes naturellement amères et vireuses, comme la laitue, le céleri, en végétaux tendres et sucrés. De même que, dans le règne animal, l’homme, au moyen d’une maladie qu’il sait procurer par l’abondance de la nourriture et la privation du mouvement, à certains animaux, développe d’une manière anormale le foie et la graisse de l’oie ou du porc, qu’il détourne ensuite à son profit particulier.

Ce fait est tellement vrai, qu’à l’abri des arbres à feuillages épais aucune plante ne peut prospérer ; ce n’est pas parce que l’arbre attire à lui seul tous les sucs de la terre, par la raison du plus fort, mais seulement parce qu’il dérobe aux petites plantes l’action bienfaisante du soleil. Dans les forêts touffues, les branches inférieures des arbres ne meurent que par cette cause ; ce n’est aussi que par cette raison que les arbres de cette même forêt s’allongent indéfiniment pour chercher les rayons solaires qu’ils se dérobent mutuellement dans les parties inférieures. Portez un vase de fleurs parfaitement sain sous l’abri d’un arbre touffu, soignez-le autant que vous voudrez, pour ne pas le laisser manquer d’eau ou d’engrais, la petite plante n’en deviendra pas moins chétive, elle mourra en dépit de vos soins.

L’acide carbonique : voilà donc l’aliment ; le soleil : voilà la raison vitale de l’existence végétale ; sans l’un comme sans l’autre, pas de végétation possible.

N’entrevoit-on pas déjà dans ces phénomènes de la végétation une partie de l’utilité des engrais ? Développez de l’acide carbonique au pied des plantes pour leur fournir l’élément de la respiration. Les plantes trouveraient cet acide carbonique en partie dans l’air, il est vrai ; mais si l’art leur en donne, leur en fournit de plus grandes quantités, n’y aura-t-il pas pour elles une cause de plus de progrès et d’accroissement ?

Si dans l’animal l’action vitale, pour accomplir le phénomène de l’inspiration, soulève à son insu et malgré sa volonté les muscles de la poitrine pour lui faire absorber périodiquement l’air à pleine gorgée, la plante n’est point douée de ce mécanisme ; aussi n’a-t-elle pas, comme l’animal des classes élevées, un seul conduit pour aspirer l’air ; mais se rapprochant de l’organisation des classes inférieures de l’échelle des animaux, des poissons, par exemple, dont les poumons extérieurs, les branchies, hument l’air dissous dans l’eau, la plante offre sur ses poumons aériens une multitude de petits conduits par lesquels l’air s’introduit naturellement et vient, comme dans le poumon de l’animal, sécher la séve, le sang de la plante, et la vivifier en lui abandonnant son carbone.

Rien n’est merveilleux comme l’énergie avec laquelle a lieu cette décomposition de l’acide carbonique par les feuilles des plantes au contact de la lumière solaire. Un courant d’air, quelque rapide qu’il soit, comme l’a vérifié M. Boussingault, en renfermant des feuilles de vigne dans un appareil en verre, est presque entièrement dépouillé de son acide carbonique par son passage sur ces feuilles quand l’appareil est exposé en pleine lumière solaire. Aucune action chimique ou électrique ne pourrait reproduire cette intensité de décomposition de l’acide carbonique, cette séparation de l’oxygène et du carbone que les plantes vivantes accomplissent avec tant de facilité.

L’abondance de l’acide carbonique dans l’air est un des éléments de la force végétale. Consultez le livre de la nature ; les entrailles de la terre vous fourniront la preuve que si l’air est aujourd’hui presque complétement dépouillé d’acide carbonique, il n’en a pas été ainsi de tout temps ; qu’il fut une époque bien éloignée de nous, dans les premiers âges du monde, dans les premiers jours de la création, où l’élément carbonique se trouvait en quantités considérables dans notre atmosphère, pour fournir à la végétation de ces plantes gigantesques, de ces forêts colossales enfouies aujourd’hui dans nos mines de charbon minéral. Ces forêts eurent leurs habitants aussi, de mœurs et de nature appropriées à leurs vastes demeures. Les animaux pouvaient respirer dans cette atmosphère, impossible pour notre organisation actuelle ; ils appartenaient aux degrés inférieurs de l’échelle animale ; leurs congénères n’existent plus aujourd’hui ; ces animaux à forme hideuse, à stature gigantesque, tels que nous les représenterait le cauchemar de la fièvre, ont disparu de la surface du globe à mesure que la végétation a épuré l’atmosphère, en lui enlevant une partie de son carbone. Peut-être sous l’action modificatrice de cette atmosphère nouvelle, les classes se sont améliorées, comme se modifient les races animales dans nos élèves agricoles ; peut-être aussi de nouvelles créations ont-elles été données à la terre par son divin Architecte, pour les approprier à son dernier chef-d’œuvre, après lequel il s’est reposé, pour les faire les compagnons ou les esclaves de l’homme, pour l’aider dans ses travaux ou pour lui fournir ses vêtements et sa nourriture.



NUTRITION
DES ANIMAUX ET DES PLANTES.


Mais la respiration ne suffit pas pour alimenter la plante ou l’animal ; elle vivifie le sang ou la séve ; mais le sang et la séve proviennent d’une autre origine : tous deux sont formés par les aliments. Ici encore nous allons trouver une harmonie admirable unissant les deux grandes classes des êtres organisés ; nous verrons encore les excrétions de l’une servir d’aliment à l’autre, pour constituer encore une chaîne de combinaisons et de décompositions chimiques, sans autre fin possible que celle que lui donnera la volonté de celui qui a tout créé.


Nutrition de l’animal.


Dans l’animal, nous parlons toujours de l’animal appartenant aux classes supérieures du règne, car dans les derniers degrés de l’échelle, l’animal et le végétal sont si bien confondus, qu’on ne sait où s’arrête un règne, où commence l’autre, tellement les fonctions se ressemblent ; dans l’animal, disons-nous, l’aliment est ingéré par la bouche, broyé par les dents, humecté de salive ; il descend dans l’estomac et poursuit sa route à travers les divers intestins, pour être enfin rejeté au dehors ; mais à travers cette longue route il se passe des phénomènes chimiques importants qui constituent l’acte de la digestion.

Des conduits d’une ténuité microscopique, dont les ouvertures sont parsemées sur la surface des intestins, véritables racines de l’alimentation animale, en pompent les sucs préalablement appropriés par le travail intestinal, les charrient en les élaborant à leur tour, et les déversent ensuite dans le torrent de la circulation du sang. Dans cette circulation, des appareils particuliers, les reins, le foie, les glandes mammaires, etc., le dépouillent des principes inutiles au rôle de nutrition qu’il doit jouer, ou des principes utiles aux fonctions de reproduction de l’espèce ou de nourriture des jeunes, et ces principes sont rejetés au dehors par les urines, par le lait, ou déversés dans le canal intestinal par le foie. Cette dernière sécrétion, la bile, après avoir aussi joué son rôle dans l’acte de la digestion, est définitivement éliminée avec les excréments.

Le sang ainsi modifié par ces appareils épurateurs est alors porté au cœur, le cœur le refoule aux poumons, où nous avons vu la réaction chimique opérée par la présence de l’oxygène de l’air ; là enfin, le sang devenu chair liquide, sang complet, peut aller porter l’existence, l’accroissement ou les substitutions dans les dernières fibrilles de nos organes.

La plante ne fait pas autrement ; seulement, chez elle le travail est plus simple.


Nutrition de la plante.


D’abord les plantes ne possédant pas d’appareil de locomotion, n’étant pas douées de la volonté comme les animaux, n’ayant pas comme eux un instinct ou une intelligence pour choisir leurs aliments, la nature devait pourvoir à leur nutrition, et par suite à la conservation de l’espèce, par des organes appropriés, et par une nourriture abondante partout où la plante est fixée. Les plantes ne possèdent donc point de bouches, d’estomac, ni d’intestins, pour élaborer leurs aliments. Nous avons vu l’animal puiser le principe primitif du sang au moyen de stomates correspondants à des conduits, et répandus sur la surface de l’intestin ; ces stomates existent aussi sur la plante ; seulement, ces stomates sont en communication directe avec le sol, qui lui fournit les aliments tout préparés par la nature ou l’agriculture. Les racines des plantes sont en effet munies à leurs extrémités finales de légers filaments d’un tissu fort tendre, toujours jeune, parce qu’il se renouvelle constamment par l’accroissement ; ces filaments sont formés par de jeunes cellules, auxquelles leur forme a fait donner le nom de spongioles. Ces spongioles sont là pour jouer le rôle que les conduits chylifères jouent dans le sang. Par leur action vitale excessivement énergique, elles absorbent les sucs que la terre leur fournit et les conduisent de là dans les canaux de la séve ascendante pour les porter jusque dans les feuilles, véritables poumons dans lesquels l’action de l’air ambiant les vivifie en leur fournissant le carbone nécessaire, par la décomposition de l’acide carbonique. Ces sucs deviennent alors de la séve complète, et cette séve complète redescend par d’autres conduits appropriés pour cette fonction.

Ainsi donc, il y a deux sortes de canaux conducteurs de la séve, comme il y a deux sortes de conduits sanguins, les canaux de la séve ascendante qui représentent assez exactement les veines, et les canaux des sucs descendants qui représentent les artères. Dans les deux cas, c’est toujours de la séve ou du sang qui remplit ces vaisseaux ; seulement la séve et le sang sont dans un état différent avant ou après la modification que leur fait subir l’action de l’air. Ainsi, les conduits de la séve descendante portent encore partout l’accroissement des organes ou la substitution des organes devenus inutiles, comme le fait le sang artériel dans l’animal.

Ici, nous voyons immédiatement la cause de la différence, dans la durée d’existence des plantes et des animaux.

Chez les premiers il y a de temps en temps arrêt dans la vitalité. Les organes vieillis par l’usage de quelques mois tombent, une saison nouvelle en amène de semblables, la plante est rajeunie tous les ans, elle a de nouveaux poumons, de nouvelles spongioles ; si les conduits séveux sont obstrués, il s’en forme de nouveaux par l’accroissement en diamètre de la tige, par la formation de nouvelles couches de bois jeune ; la mort ne peut arriver que par des circonstances fortuites, et nous pouvons admirer des arbres séculaires encore pleins de vigueur.

Chez les animaux, au contraire, les organes ne changent pas, ils ne peuvent se renouveler, et si un usage plus ou moins long les obstrue, si une cause maladive leur enlève leur énergie nécessaire, l’animal succombe.

Il est un fait singulier que tous les agriculteurs peuvent avoir remarqué : quand un rameau de la racine rencontre un filon de terrain qui lui convient, soit par l’abondance de nourriture, soit par une plus grande humidité, la racine s’y développe d’une manière extraordinaire, y multiplie ses petites divisions à l’infini, elle y forme enfin ce que l’on a nommé une queue de renard. Quelques auteurs en ont conclu que les racines des plantes avaient une sorte d’instinct pour rechercher le terrain qui leur convient, avaient une tendance vers la bonne terre. C’est là une grande erreur ; la plante n’a pas le sentiment de ce qui lui convient le mieux : ses racines s’étalent au hasard autour de son pivot central ; les divisions qui rencontrent un terrain sec, stérile, y meurent ou y vivent dans un état chétif ; au contraire, celles qui ont la chance de rencontrer un bon filon s’y développent à l’aise, et comme le nombre des organes s’accroît en proportion de la nourriture fournie, les radicelles et les spongioles s’y multiplient à l’infini.

Tout terrain n’est donc pas également propre à l’alimentation de la plante ; tout terrain ne convient pas également à son développement. Il est donc une étude à faire ici pour l’agriculteur, puisque son art a pour but de faire produire à la terre le plus possible.



ALIMENTS
DES ANIMAUX ET DES PLANTES.


Quelle est la nourriture des plantes, quelle est celle des animaux, quelle est celle de l’homme, enfin, puisque c’est à lui que tout doit se rapporter ?

La plante puise sa substance alimentaire dans la terre, par ses racines, dans l’air par ses feuilles.

L’animal herbivore se nourrit de la plante, et lui-même devient la nourriture de l’animal carnivore et de l’homme.

L’air, avons-nous dit, est une source inépuisable pour la plante, puisque l’acide carbonique qu’il fournit à ses besoins lui est incessamment livré par la respiration des animaux et les combustions naturelles ou artificielles ; cette source est donc intarissable ; mais en sera-t-il de même pour celle qui livre la nourriture à ses racines ?

Il convient d’abord de connaître les éléments de cette nourriture pour arriver sûrement à la solution du problème ; nous prendrons un exemple pour fixer les esprits et pour le rendre aussi palpable que possible, nous choisirons le végétal, auquel nous devons le plus nous intéresser dans notre colonie, la canne à sucre. Il n’y a guère de différence, du reste, dans les aliments propres à chaque plante, que dans les proportions des éléments qui constituent cette nourriture


Aliments de la canne à sucre.


Nous allons donc faire l’analyse rigoureuse des éléments qui constituent la canne à sucre. Il est bien évident que du moment où nous connaîtrons sa composition intime, il nous sera plus facile de lui fournir les éléments de cette composition, par la culture intelligente et raisonnée.

Si nous prenons un tronçon de canne à sucre, que nous le laissions dessécher à l’air, lentement d’abord et à la température ordinaire, puis à la chaleur d’un four ou d’une étuve, nous n’aurons plus dans ce fragment de canne que les matériaux constitutifs solides. Dans cet état, nous mettrons ce fragment dans un creuset fermé, dans une marmite de fer au besoin, en ayant soin de l’enterrer complétement dans du sable, afin que l’air ne puisse avoir accès dans cet ustensile et action sur la canne. Nous soumettrons cet appareil fort simple à l’action d’une température élevée jusqu’au rouge ; nous laisserons refroidir après calcination complète. Au lieu du fragment de canne, nous trouverons un fragment de charbon très-léger, mais qui, de même que le charbon employé dans nos ménages, conservera exactement la forme du végétal qui lui a donné naissance.

Ainsi donc, le végétal, la canne à sucre si vous le voulez, est formé par un squelette solide de charbon. C’est entre les mailles, les pores de ce squelette que circule dans des conduits appropriés, dans des cellules qui le tiennent en réserve, le suc sucré, que nous lui demandons pour nos usages.

Dans une seconde opération, nous calcinerons un nouveau fragment de canne, non plus dans un appareil ouvert, mais dans un vase clos, de telle façon que les produits de la combustion puissent se recueillir, comme l’on fait pour la production du gaz de l’éclairage extrait de la houille ou du bois résineux.

Cette opération pourra être faite dans un canon de fusil si l’on veut, dont l’extrémité ouverte sera munie d’un tube à dégagement, qui permettra de recueillir les produits gazeux, formés pendant la calcination, sous une cloche en verre ; il nous sera facile alors de soumettre ces gaz à l’analyse dans nos laboratoires.

Il restera dans le canon de fusil comme il est resté dans le creuset de l’opération précédente, un fragment de charbon.

Ce fragment de charbon n’est pas uniquement composé de carbone, car si nous calcinons de nouveau les résidus des deux opérations, mais cette fois-ci en n’entravant pas l’action de l’air, au contraire le laissant agir librement, en faisant l’opération dans un creuset ou une marmite de fonte propre et ouverte, le charbon se consumera, brûlera, et il ne restera plus qu’une petite quantité de substance grisâtre en poudre, ce sont les cendres.

Voilà donc tous les éléments de notre analyse réunis.

Par la dessiccation à l’air, la canne a perdu de l’eau.

Par calcination dans le creuset ou canon de fusil, elle a laissé dégager ses matières gazeuses.

Il est resté dans l’appareil du charbon. Ce charbon calciné à l’air libre nous a donné des cendres.

Il ne nous reste donc qu’à analyser ces matières gazeuses et les matières fixes qui constituent la cendre, pour en connaître la nature d’abord, les quantités ensuite. N’est-il pas évident que si nous connaissons aussi par l’analyse la nature du terrain que l’on voudrait exploiter pour la culture de la canne à sucre, les éléments qui entrent dans sa composition ; il nous sera facile d’en conclure à priori, si ce terrain convient à sa culture.

Bien plus, en connaissant les éléments constitutifs d’un fragment de canne pesé d’avance, il est très-facile d’en conclure le poids total de ces éléments pour une récolte entière, de même qu’en connaissant la composition d’un échantillon du terrain à cultiver, il est très-facile de connaître la somme des éléments pour le champ en entier ; dès lors il n’y aura plus aucune difficulté pour comparer ces deux analyses et savoir quels sont les principes que le terrain pourra fournir à la récolte, quels sont ceux qu’on devra lui apporter par les engrais, les amendements, jusqu’à quel terme ce même terrain pourra porter la même récolte sans s’appauvrir complétement des substances qu’il contient naturellement, et devenir ainsi complétement impropre, par son épuisement, à porter de nouvelles récoltes.

Ce n’est pas ici le lieu de décrire les opérations du laboratoire pour arriver à l’analyse précise des éléments gazeux et des cendres extraites par la calcination du fragment de canne à sucre. Ces opérations sont compliquées, elles exigent une pratique, une habitude spéciale ; mais, nous devons le dire aussi, pour ne pas décourager nos lecteurs, il n’est pas strictement nécessaire à un agriculteur d’approfondir la connaissance de la chimie, jusqu’à la pratique des opérations délicates du laboratoire ; l’agriculteur trouvera toujours à sa portée des livres spéciaux pour le renseigner, ou des chimistes praticiens pour lui donner le résultat d’une analyse. Avec ces renseignements et des connaissances générales de la science appliquée, son jugement et sa raison lui donneront facilement la solution du problème qu’il cherche.

Les éléments gazeux éliminés par la dessiccation à l’air libre, puis au four, ne sont que de l’eau. Le poids peut en être facilement apprécié par deux pesées comparatives avant et après la dessiccation.

Les éléments gazeux éliminés par la calcination dans le tube de fer sont les suivants :

L’oxygène.

L’hydrogène.

L’acide carbonique.

Et l’azote.

Les éléments solides qui constituent les cendres sont :

Le carbonate de potasse.

Le sulfate de potasse.

Le chlorhydrate de potasse.

Le carbonate de chaux.

Le phosphate de chaux.

Et la silice.


Éléments gazeux dans la canne à sucre.


Les éléments gazeux trouvés par l’analyse peuvent être réduits dans leur nombre, si nous faisons observer que l’oxygène et l’hydrogène sont les éléments constitutifs de l’eau, et que leurs quantités proportionnelles trouvées par l’analyse sont celles de la composition de l’eau.

Nous n’aurons donc plus que l’eau, l’acide carbonique et l’azote.

L’acide carbonique est lui-même formé par du carbone ou charbon et de l’oxygène ; comme nous avons trouvé un résidu de charbon aussi volumineux dans la calcination de la canne à sucre, nous pourrons confondre ces deux quantités de charbon dans une seule et même étude ; nous verrons du reste que la source et l’origine en sont les mêmes.


L’eau. — Il serait inutile d’aller chercher bien loin l’origine de l’eau dans la végétation.

Les pluies et les arrosements artificiels, dans certains cas, lui en fournissent la provision nécessaire. Si l’année est sèche, si les pluies périodiques manquent en leur temps, la végétation souffre. Les récoltes peuvent manquer complétement, faute d’humidité convenable ; car tous les éléments de la plante lui sont indispensables. L’abondance de l’un d’eux ne peut remplacer l’absence de l’autre, et l’eau n’est pas seulement nécessaire à la plante en ce qu’elle lui fournit ses éléments constitutifs, l’oxygène et l’hydrogène, mais encore en servant de dissolvant pour les autres principes que les racines puisent dans le sol.


L’acide carbonique et le carbone. — Le carbone ou charbon provient évidemment en grande partie de l’acide carbonique de l’air, que nous avons déjà vu décomposé par les feuilles, sous l’action du soleil ; l’oxygène est éliminé, et le carbone fixé dans les organes de la plante.

Dans la nature abandonnée à elle-même, la canne à sucre trouverait certainement dans l’air assez d’acide carbonique pour son parfait développement et pour végéter jusqu’à la floraison et la grenaison, but définitif de l’espèce, qui est la reproduction.

Mais l’homme ne veut pas atteindre ce but seulement ; il en a un autre plus conforme à ses intérêts, il veut développer le végétal dans des proportions telles qu’il puisse détourner à son profit l’excès de suc que pourra lui fournir une plante bien soignée, comme il bénéficie de la chair et de la graisse des animaux, dont une élève soignée augmente la proportion hors des limites habituelles assignées par la nature. Il lui conviendra donc de chercher les moyens d’augmenter cette proportion d’acide carbonique, premier élément de la nutrition.

Or, ce n’est pas seulement dans l’atmosphère que le végétal puise le carbone nécessaire à son développement ; il le puise encore dans le sol, où il l’aspire par ses racines, dissous dans l’eau à l’état d’acide carbonique encore.

Les débris des végétaux des générations précédentes, ceux qu’une sage culture y enterre en prévision, par l’action du temps, de l’humidité, de la chaleur et de l’oxygène de l’air qui s’infiltre dans la terre, entrent en fermentation. Le tissu se désagrége, et bientôt il se forme une poudre noire qui est l’humus.

Cet humus a une composition bien simple ; il représente les éléments de l’eau et du charbon combinés ensemble.

Le sol, toujours plus ou moins perméable à l’air, et que la culture rend artificiellement plus perméable par l’ameublissement, le labour, le sarclage, donne passage à l’air atmosphérique ; celui-ci, au contact du carbone divisé, le brûle, comme il le brûlerait dans nos fourneaux, mais avec une action lente et progressive, et en ne dégageant qu’une chaleur modérée, en raison de la lenteur de la combustion, mais dont la somme égale celle qui serait produite par une combustion rapide.

De la combinaison de l’oxygène et du carbone il se produit de l’acide carbonique. Tant que la petite atmosphère d’acide carbonique produit entoure la molécule de charbon divisé, il y a arrêt dans la combustion lente, puisque l’acide carbonique étant un corps déjà brûlé, ne peut lui-même brûler les autres corps ; mais les racines pompent ce gaz dans leurs spongioles, l’entraînent dans la séve pour l’amener jusqu’aux parties vertes, aux poumons de la plante ; là, le végétal, sous l’action de la lumière solaire, rend l’oxygène à l’atmosphère et ne garde que le carbone qu’elle assimile à la séve et de là à ses tissus.

La quantité plus ou moins grande d’humus que la plante trouvera dans le sol sera déjà la mesure d’une grande partie de son accroissement, puisque c’est au carbone qu’elle doit la trame de son squelette. L’agriculteur ne l’ignore pas ; aussi a-t-il soin d’en approvisionner largement ses cultures favorites. Le maraîcher enterre d’énormes quantités d’engrais végétaux pour pousser rapidement ses plantes à un développement luxuriant. Le propriétaire de champs de blé a bien soin d’empêcher toute exportation de paille ; il n’ignore pas que son espérance de belles récoltes futures est fondée sur la facilité qu’il donnera à ses plantes de s’approvisionner largement de carbone dans le sol.

Aussi, de quelque perfection que l’on entoure une fabrication d’engrais, quelque réduction de volume que l’on veuille donner à celui-ci pour la facilité du transport, de l’enfouissage, faut-il toujours arriver à enterrer dans le sol des quantités plus ou moins considérables de résidus végétaux, pour fournir au développement de la plante le carbone qui lui est indispensable. Voilà l’une des raisons premières de la préférence que l’on donne, toutes les fois qu’il y a possibilité, aux engrais de ferme, à ceux qui renferment avec les principes nutritifs des plantes, une copieuse quantité de débris végétaux, feuilles, tiges, pailles, pour produire l’humus en grande quantité.

Voilà pourquoi la terre de bruyère, le terreau presque entièrement composé de végétaux convient si bien à l’agriculture des dames, à la culture des fleurs en pots ; et c’est aussi pour la même cause que les forêts que l’on défriche fournissent pendant bien des années de superbes récoltes sans addition d’engrais ; les années, les siècles peut-être ont approvisionné le sol d’une couche abondante d’humus.

Dans le midi de la France, nous fumons nos terrains à blé et nos vignobles avec du guano, plus souvent encore avec des tourteaux de semences oléagineuses, résidus des fabriques à huile, quelquefois avec de la morue avariée ; mais avec un pareil régime nos terres ne conserveraient pas longtemps leur fertilité, si nous n’alternions ces engrais avec ceux d’origine végétale, ou au moins avec l’assolement par des plantes légumineuses ou des pommes de terre dont les fanes considérables approvisionnent le terrain d’humus, en les enfouissant sur place.

Quelques agronomes distingués ont même attribué à l’abus que nous avons fait depuis 10 à 12 ans de ces engrais concentrés, dans lesquels prédomine la substance la plus nutritive, l’azote, dont nous parlerons bientôt, au détriment des autres principes, les maladies terribles qui ont successivement ruiné nos récoltes de raisin, de blé et même d’olives. Je ne chercherai pas à approfondir cette question, car elle a échappé jusqu’à ce jour à toutes les investigations de la science ; ce que j’affirmerai seulement, c’est que mon père et moi avons constamment été moins maltraités que nos voisins, et que nous n’avons jamais eu recours au soufrage. Devons-nous cette faveur exceptionnelle à l’emploi constant du système dont je donne l’exposé ?

Loin de moi l’idée de vouloir tirer de ce système quelque conclusion pour la culture de la canne à sucre, menacée elle aussi par un fléau terrible, le borer ; mais je dirai aux planteurs de nos deux colonies sœurs : Soyez prudents, et fournissez à vos terres tous les produits que vous devez en retirer par la récolte ; on ne fait rien avec rien. Qui ne se rappelle les expériences qui furent faites, il y a longues années, sur un produit essentiellement azoté, la gélatine, qui devait sous un petit volume fournir la nourriture complète de quelques communautés ? Les résultats en furent déplorables ; on avait oublié que ce n’est pas l’azote seulement qu’il faut fournir à l’alimentation, mais qu’il est bien d’autres principes qui se trouvent dans les aliments composés et qui doivent fournir les éléments des autres tissus ; des os, par exemple, chez l’animal, du bois dans le végétal.

Ne semble-t-il pas qu’il y a un contre-sens évident dans l’industrie sucrière des colonies pour employer comme combustible le résidu fibreux de la canne, la bagasse, dont l’emploi immédiat comme production de l’humus est comme désigné par la nature ? La bagasse est une substance poreuse, facile à désagréger, à être modifiée par l’action de l’air, de l’eau et de la chaleur réunis ; elle donnerait un produit éminemment propre à fournir de l’humus en grande quantité.

« On a besoin de combustible, disait M. le baron Darricau ; la bagasse en offre un. — Mais quelqu’un a-t-il calculé s’il était le plus économique, s’il n’y aurait pas avantage à en employer un autre ? Pour moi, je reste persuadé que c’est le plus mauvais combustible possible, et si l’on calcule bien, c’est celui qui peut-être coûte le plus cher. »

Nous poserons tantôt les termes de ce calcul, et comme M. Darricau l’on sera convaincu que ces observations sont parfaitement fondées, que la destruction de la bagasse par la combustion est un contresens en économie rurale ; brûler la bagasse, c’est brûler une partie de la récolte future, c’est détruire volontairement une masse considérable d’humus, élément si nécessaire aux plantes, mais surtout à la canne à sucre.

Cet humus doit se transformer en acide carbonique ; si le sol est bien perméable à l’oxygène de l’air, cette transformation a lieu avec facilité ; de là l’avantage des sarclages dans les terres fortes, argileuses et compactes, et la supériorité des terres naturellement légères, friables, ou de celles que le génie de l’homme improvise au milieu même des roches, comme l’a fait M. D…, en convertissant, par l’apport d’une terre meuble artificielle, un désert aride en champs de canne à envier, véritable conquête de l’industrie sur la nature même.

Mais si au contraire le sol est marécageux, fortement imprégné d’eau croupissante, sans écoulement possible, l’oxygène ne peut arriver à lui ; les débris végétaux pourrissent, mais il n’y a pas cette combustion lente nécessaire à la formation de l’acide carbonique, si utile à la végétation ; le charbon ne se brûle pas, le sol devient noir ; il se forme des espèces de tourbes ; la végétation est entravée, il faut en arriver à l’opération du drainage pour procurer au sol la perméabilité nécessaire.

Si, quoique sèche, la terre est argileuse, compacte, par une cause différente, l’air ne pourra arriver non plus aux racines des plantes ; il faudra alors la diviser mécaniquement au moyen du sable siliceux, de la marne, suivant la composition chimique du sol.

Si l’année est naturellement sèche, s’il n’y a pas assez de pluie dans la saison convenable, la combustion lente est encore entravée, parce qu’il n’y a pas d’eau pour favoriser la réaction chimique. La plante souffre ; elle est obligée de se suffire avec le carbone de la respiration seule ; mais l’année d’après, l’agriculteur trouvera dans le sol l’humus qui n’a pas été consommé ; il peut y compter dans ses prévisions.


L’azote. — Tous les organes de la plante, les feuilles, les tiges, mais surtout les raisins et les semences, renferment de l’azote.

D’où vient cet élément ?

L’azote, avons-nous dit en commençant, est répandu en abondance dans l’atmosphère, dont il constitue les 4/5 ; et cependant ce n’est pas dans l’azote libre de l’atmosphère que les plantes puisent habituellement celui qui leur est nécessaire. L’azote est un des corps chimiques les plus réfractaires aux combinaisons. Ce n’est que par des réactions chimiques et physiques excessivement énergiques que l’on parvient à le combiner à l’oxygène, pour en produire de l’eau-forte, acide nitrique ; encore, l’étincelle électrique qui a seule ce pouvoir, ne l’exercera-t-elle que dans des limites très-restreintes, celles du passage de l’éclair. Aussi les pluies d’orage renferment-elles quelques traces d’acide nitrique à une analyse délicate.

Cette énergie réfractaire à la combinaison doit se comprendre parfaitement ; elle est toute providentielle. Que deviendrait la vie animale si une cause quelconque pouvait troubler l’harmonie dans l’atmosphère qui l’entretient, si l’azote pouvait se combiner à l’oxygène par une cause accidentelle ?

La plante puise cependant habituellement son azote dans l’atmosphère, mais non pas à l’état d’azote libre, mais à cet état de combinaison dans laquelle, vrai caméléon chimique, il peut se prêter aux transformations les plus inattendues, à l’état d’ammoniaque (combinaison de l’azote avec l’hydrogène).

L’ammoniaque existe dans l’atmosphère, mais en quantité si minime, qu’il faut des volumes considérables d’air soumis à l’analyse chimique, pour que celle-ci en signale quelques traces. Mais l’ammoniaque est fort soluble dans l’eau ; aussi tombe-t-il quelques gouttes de pluie sur la terre, ces quelques gouttes entraînent avec elles les petites quantités d’ammoniaque répandues dans l’air, et l’amènent ainsi condensée aux racines de la plante.

D’où provient donc cette ammoniaque nécessaire à tous les organes de la plante, et surtout aux semences, qui l’accumulent dans de nouvelles combinaisons plus complexes, comme en un dépôt ? Ce dépôt doit satisfaire intérieurement aux premiers besoins de la jeune plante, à laquelle la graine doit donner naissance, alors que celle-ci ne sera pas encore douée de tous les organes nécessaires pour vivre par elle-même, de même que le lait de la mère renferme tous les éléments nutritifs pour les premiers développements de son nourrisson.

Cette ammoniaque provient de la décomposition ultime des débris animaux.

Un animal vient à mourir, grand ou petit, il n’y aura pour le résultat final qu’une différence dans les quantités ; tous les éléments qui le constituaient s’en retournent à leur source première : les matières gazeuses à l’atmosphère, les matières fixes à la terre ; sublime vérité de l’Évangile, pulvis es, et in pulverem reverteris ; il n’y a dans cette transformation d’exception pour aucun être organisé, végétal ou animal, plante ou homme. La putréfaction décompose la matière animale ; l’azote à l’état naissant se combine dans cet état à l’hydrogène que lui donne en juste proportion, pour former de l’ammoniaque, le tissu en décomposition. L’ammoniaque se dégage parce que cette combinaison est très-volatile : elle se répand dans l’air. Si les insectes ont accès sur le cadavre, la décomposition marche plus rapidement, car des myriades d’existences nouvelles s’organisent aux dépens de l’animal mort, et des myriades de générations ailées dispersent l’azote sur la surface de la terre, alors qu’il semblait que le terrain sur lequel reposait le cadavre, devait profiter seul du bénéfice de sa décomposition. Ces générations ailées à existence éphémère doivent bientôt rendre elles-mêmes à la terre ce qu’elles lui avaient soustrait, soit en mourant isolées, soit en servant elles-mêmes de nourriture à d’autres animaux d’un autre ordre. Harmonie sublime, dans laquelle la mort engendre l’existence, pour perpétuer la vie dans ce monde, jusqu’aux limites que lui a tracées la Providence ; limites que nous ignorons.

Comprend-on maintenant le rôle des engrais azotés sur la plante ? Normalement, l’atmosphère doit être approvisionnée en quantités suffisantes de tous les éléments nécessaires pour entretenir la plante et la soutenir jusqu’à son but définitif, la reproduction de l’espèce par la semence ; mais le but de l’homme n’est pas le même que celui qui suffit à la nature. Si une plante ne donne naissance qu’à une plante, si un végétal ne se nourrit suffisamment que pour donner naissance à une seule graine, qui doit reproduire un nouvel individu, le but de la nature est atteint. Mais alors, où l’homme prendra-t-il les végétaux qu’il consomme, la semence de blé ou de riz qui l’alimente chaque jour, le sucre, l’huile, que les besoins de la civilisation lui ont imposés comme un accessoire indispensable à son alimentation ? Évidemment la culture doit venir alors en aide à la nature, et pour remplir parfaitement ce but, la culture n’a qu’à copier servilement les procédés que lui offre la nature ; ils sont infaillibles.

Les débris animaux, ses diverses excrétions, les débris des générations végétales antérieures, c’est là que le végétal trouvera en abondance l’azote qui lui est indispensable au surcroît de production que nous exigeons de lui.

Les débris animaux ne peuvent être employés qu’accidentellement, puisque nous faisons servir la chair des animaux sains à notre alimentation ; mais leurs excrétions sont périodiques, l’on peut en calculer mathématiquement les quantités et la composition.

Nous avons vu, dans la nutrition des animaux, que ceux-ci absorbent des quantités plus ou moins considérables d’aliments. Ces aliments fournissent, dans le canal intestinal, leurs éléments premiers au sang, puis sont rejetés sous forme d’excréments. Or, ces excréments ne contiennent plus guère que les principes qui n’ont pas servi à l’assimilation. Mais si l’alimentation est fort azotée, comme l’est habituellement celle des animaux carnivores, comme l’est celle de l’homme habitant nos villes, qui consomme en abondance la chair des animaux, les excréments retiennent encore beaucoup d’azote qui n’a pas servi à la nutrition ; aussi ces excréments seront des engrais de plus grande valeur que ceux de l’habitant des campagnes, dont la nourriture plus végétale est moins substantielle. Mais tout l’azote absorbé par l’acte de la nutrition ne reste point dans l’animal, normalement même ; lorsque ce dernier a atteint toute sa croissance, il doit rendre chaque jour, à poids égal, toutes les substances qu’il a consommées.

Eh bien, nous avons vu aussi dans la circulation du sang qu’il est des organes épurateurs qui lui enlèvent les principes inutiles ; si quelques glandes lui enlèvent de l’azote à l’état d’ammoniaque, facile à percevoir par l’odorat dans la transpiration des aisselles, par exemple, il est d’autres glandes d’un volume plus considérable, dont les fonctions ne sont pas subordonnées aux conditions du mouvement du travail ou de l’atmosphère, mais qui travaillent sans cesse à notre insu. Les reins déversent continuellement dans un réservoir approprié, dans la vessie, tous les principes azotés et même salins devenus inutiles ou dangereux dans la masse du sang.

L’urine, voilà donc la source réelle de l’azote des engrais, et comme ce liquide est habituellement mélangé avec les matières fécales, l’on peut dire en général : les excréments des animaux sont les aliments des plantes, et plus les excréments renfermeront d’urine, plus ils seront riches en principes assimilables pour les plantes.

L’azote est contenu dans l’urine à l’état d’urée, substance organique fort peu stable, et qui, au contact de l’air et à une température modérée, passe à l’état de carbonate d’ammoniaque dont il contient tous les éléments dans une autre position relative.

Le carbonate d’ammoniaque est précisément la forme sous laquelle l’ammoniaque est contenue dans l’atmosphère, et que les pluies entraînent dans le sol.

Il est donc évident que si nous demandons à la plante plus que la nature ne lui demande, nous devons lui venir en aide pour bénéficier de cette quantité de produits, graine, sucre ou huile, qui n’était pas exactement nécessaire à la reproduction de l’espèce. Alors nous devrons l’aider, en lui fournissant un excès de nourriture, et puisant cet excès d’aliments précisément dans les produits dont l’organisation animale tend à se débarrasser.

Semez du blé dans un terrain épuisé, la plante souffreteuse ne donnera que des grains rachitiques et en petit nombre ; fumez la terre, au contraire, la plante prendra un développement anormal et vous donnera de belles semences, bien nourries et en nombre considérable. — Plantez une canne à sucre dans un maigre terrain, vous n’aurez qu’un roseau rabougri ; fournissez-lui des engrais convenables, et les nœuds s’écarteront, le sucre abondera dans son tissu cellulaire.

Comprend-on maintenant toute l’importance que l’agriculture avancée attache aux excréments des animaux, à ceux de l’homme surtout, dont la civilisation permet en quelque sorte la réglementation ? Aussi, peut-on dire réellement que la prospérité d’un pays agricole peut se mesurer aux soins que l’on prend de recueillir les excréments de ses habitants. En Chine, des lois sévères forcent, depuis un temps immémorial, les habitants à ne pas les perdre. En Flandre on les emmagasine avec sollicitude ; et lorsque les questions d’hygiène publique viennent se joindre aux questions de décence et de moralité, l’on a peine à comprendre que dans nos villes où la civilisation est si avancée, les populations puissent interpréter comme mesures vexatoires celles que les municipalités s’efforcent de combiner, pour concilier tous ces graves intérêts.

L’azote est l’aliment nutritif de la plante par excellence ; sans azote, pas de végétation possible. Le commerce et l’agriculture connaissent si bien aujourd’hui cette vérité, que, quoique les engrais ne doivent pas seulement leur valeur à ce principe seul, l’azote n’en sert pas moins de base numérique à leur prix comme marchandise, parce que c’est l’élément le plus difficile à se procurer, et qu’après tout il est en effet le plus essentiellement utile.

En France, les propriétés agricoles sont loin d’avoir une valeur aussi considérable que dans les colonies. Les propriétaires s’estiment heureux quand leurs terres rapportent un revenu net de 2 à 3 pour cent. Nous ne reculons pas cependant devant l’achat d’un engrais dont l’azote coûte 3 et 4 francs le kilogr. À ce prix même, nous trouvons un bénéfice rémunérateur dans la récolte. Il est difficile dès lors de comprendre comment l’industrie qui avait pour mission, à Saint-Denis, de récolter les vidanges pour les convertir en engrais d’un facile transport, en poudrette, n’employait pas les ressources que lui offrait l’état actuel de la science pour fixer tout l’azote des déjections animales, l’azote, qui en constitue la plus grande valeur. Presque tous les commerçants qui s’occupent de cette industrie semblent prendre à tâche de se débarrasser le plus promptement possible des urines, qui renferment presque toutes ce principe fertilisant dans les déjections animales ; ils la rejettent comme un produit embarrassant, pour conserver quoi ? La matière presque inerte rejetée par l’économie animale, après qu’elle lui a enlevé tous les principes nutritifs dans l’acte de la digestion, pour les amasser dans le sang, et de là dans l’urine. Quelques-uns font mieux encore, et poussent encore plus loin le contre-sens : ils éliminent de leur engrais tout ce qui pourrait, en dépit de leurs opérations, persister dans la masse pour lui donner encore quelques valeurs en azote, en mélangeant à ce caput mortuum de la digestion animale des cendres végétales, dont les alcalis fixes, la potasse et la soude, chassent les dernières traces d’ammoniaque.

La chimie offre cependant des moyens bien sûrs de fixer l’ammoniaque ; ces moyens ne sont pas coûteux, il suffit de savoir choisir le plus économique, suivant les conditions de localité où l’on se trouve ; mais jamais ce moyen ne sera l’emploi des cendres, parce que la cendre renferme une grande quantité de potasse, et que la potasse remplace l’ammoniaque dans les combinaisons salines, en laissant dégager l’alcali volatil, que l’industrie des vidanges doit s’efforcer de fixer en entier.

Ici se présente une objection sérieuse. S’il est vrai que l’organisation végétale et animale forme une chaîne sans fin, liée étroitement l’une à l’autre par le mode de nutrition, qu’il soit dans la destinée de la plante de vivre des résidus de l’animal, et que l’animal emprunte ses premiers aliments à la végétation, il y en a beaucoup qui sont soustraits à cette fin par des circonstances fortuites, l’entraînement dans la mer, par exemple, par les ruisseaux qui lavent nos villes, par les rivières qui portent dans ce vaste réservoir toutes les immondices de nos industries. Dès lors, il semble rationnel de croire qu’il doit arriver une époque à laquelle ce gouffre, qui ne rend rien en apparence, devra accumuler dans son sein la majeure partie de l’élément constitutif des êtres vivants. Cette objection est sérieuse, et je ne pense pas que, mathématiquement, elle puisse être détruite par le chiffre de la quantité de substances nutritives que la mer rend chaque jour aux habitants des rivages, par le moyen des pêcheries.

La mer rend beaucoup moins en effet chaque jour qu’elle ne reçoit. Mais il est une famille de plantes croissant partout, plus ou moins abondamment, et qui sert d’intermédiaire entre l’homme et le végétal : c’est la famille des légumineuses.


Engrais verts. — La famille des légumineuses a presque à elle seule le privilége exclusif de soutirer de l’atmosphère de l’azote libre, et, par des procédés que nos laboratoires ignorent, de le forcer aux combinaisons chimiques qui le rendent assimilable.

La famille des graminées, qui fournit à l’homme sa première nourriture, le pain, le riz, le sucre, absorbe en entier son azote dans la terre ; elle ne peut le tirer de l’atmosphère. Aussi cette famille a-t-elle besoin de la culture intelligente de l’homme ; sans cette culture, la plante ne donne que des produits dégénérés.

Ainsi l’a voulu la Providence : l’homme doit gagner son pain à la sueur de son front. Mais l’animal n’a pas l’intelligence pour cultiver ; il fallait alors qu’il pût trouver sa nourriture partout, que partout la plante qui le nourrit pût croître sans épuiser le sol. Les légumineuses puisent donc leur azote dans l’air ; l’animal herbivore le recueille dans les légumineuses dont il se nourrit, se l’assimile ; puis, l’animal herbivore devenant la nourriture du carnivore et de l’homme, l’azote subit cette nouvelle transformation, et, rejeté avec les excrétions de ces derniers, il sert à devenir l’aliment de la plante graminée, qui suit l’homme partout comme le pupille suit son tuteur, sans le secours duquel il ne pourrait pas vivre.

Voilà la chaîne admirable parcourue par cet élément : de l’atmosphère à la plante légumineuse, de celle-ci à l’animal herbivore, de ce dernier au carnivore et à l’homme, et enfin de l’homme à ses cultures intelligentes, le riz, le blé, la canne à sucre, ses premiers aliments, ses premiers besoins.

Dans les cultures dirigées avec intelligence, l’agronome traite sa terre comme un négociant se conduit vis-à-vis de son commettant : il lui ouvre un compte de crédit et de débit ; il lui prête tant dans une année, elle doit rendre tant en récolte ; ce qu’elle ne rend pas, elle le doit, et elle s’acquittera dans une récolte ultérieure. Il est bien évident cependant que l’on fera la part des événements de force majeure : les grandes pluies dévastatrices, les coups de vents qui ruinent des récoltes sur le point de mûrir. Ce sont là les faillites de l’agriculture, elles entrent dans les profits et pertes.

Si la récolte doit fournir tant en azote, il faut lui donner tout cet azote par les engrais ; mais souvent les engrais sont difficiles à se procurer ; coûtant fort cher, les sociétés savantes, les gouvernements, stimulent les recherches des inventeurs par l’appât d’une prime pour un nouvel engrais, et l’atmosphère, mine inépuisable pour qui sait l’exploiter, ouvre à chacun ses trésors, sans aller chercher plus loin ce que la nature met à notre portée.

Puisons dans l’atmosphère l’azote qui nous est nécessaire pour rendre la fertilité à nos terres, en intercalant dans nos cultures quelques récoltes de légumineuses. Cette théorie rentre en partie dans celle des assolements.

L’agriculture locale suit-elle ces préceptes, donnés par la nature elle-même ? Lorsqu’un champ s’est épuisé par de riches récoltes en cannes à sucre, on laisse reposer la terre pendant quelques années, sans lui donner aucune culture ; le sol se couvre alors d’une graminée sauvage qui vient partout, le chiendent. On laisse librement ce chiendent envahir le sol, qu’il défend contre les ardeurs du soleil tropical. Sans cette précaution, dit-on, le soleil brûlerait la terre et la rendrait stérile.

Il est évident que cette pratique doit avoir sa raison d’être dans quelque vérité. En effet, si le sol n’était pas mis à l’abri de l’ardeur du soleil, il perdrait complétement l’humidité qui l’imprègne, et sans humidité il ne saurait y avoir désagrégement du terrain, dont les éléments doivent fournir ultérieurement les principes minéraux de la nutrition aux végétations futures ; il ne saurait y avoir formation de cet humus que nous avons vu indispensable à la plante, et qui ne se forme pas sans l’action de l’humidité. Les débris végétaux accumulés par les dépouilles inférieures de la canne à sucre se conserveraient intacts, ils ne pourriraient pas. À l’abri du chiendent, ces débris se combinent lentement à l’oxygène de l’air, ils forment de l’humus, de l’acide carbonique pour le chiendent, qui accumule ainsi de nouvelles quantités de carbone pour de nouvelles récoltes de cannes à sucre.

Mais n’arriverait-on pas au même résultat en alternant ces récoltes de cannes avec quelque légumineuse de facile reproduction, quelque variété de ces pois qui, suivant les localités, viennent avec un feuillage si touffu ? L’agriculture y gagnerait beaucoup, d’abord parce que la plante légumineuse ne prend pas à la terre les mêmes principes que la canne et le chiendent qui, tous deux de la même famille, se nourrissent des mêmes aliments ; ensuite la légumineuse soutirant de l’azote libre de l’atmosphère, en rendrait de grandes quantités à la terre par ses débris foliacés et ses racines, cumul dont profiteraient en entier les cultures ultérieures de cannes ; enfin, ce serait une précieuse ressource pour le pays qui emprunte presque tous ses animaux de boucherie à la grande île de Madagascar ; car, par ce système, nous pourrions nourrir sans frais et sans peine de vastes troupeaux de bœufs et de moutons, exemptant ainsi notre colonie d’un tribut qu’elle s’impose volontairement.

Ces bœufs et ces moutons fourniraient à nos cultures un engrais économique et complet ; ils fourniraient en même temps une nourriture plus substantielle à nos travailleurs engagés, auxquels on pourrait alors demander un travail en rapport avec la nourriture substantielle qu’ils prendraient. Le propriétaire y gagnerait, car si l’azote fournit la belle végétation, l’azote aussi constitue la force de l’homme ; et, plus un homme prend de nourriture azotée (dans de justes limites cependant), plus il peut rendre des services. Un homme mal nourri, ne vivant que de végétaux, de riz, reçoit à peine des forces pour exécuter les mouvements de la locomotion ; une nourriture animalisée lui donne un supplément de forces qu’il peut alors employer au service de celui qui le paye et le nourrit.

J’ébauche seulement cette idée ; mais il me semble difficile de disconvenir qu’elle pourrait peut-être devenir la source d’une amélioration dans notre système de culture, et, par suite, dans le mode d’alimentation de la population de la colonie, en abaissant le prix de la viande de boucherie à la portée de toutes les positions sociales, de toutes les fortunes.

Une petite cause, en agriculture comme en tout, peut souvent produire les plus grands effets.

Pourquoi la culture de la canne à sucre exige-t-elle une si grande quantité d’engrais d’importation ? Pratiquement, l’on ne doit donner à la terre que ce qu’on doit lui enlever par la récolte qui doit s’exporter : ainsi, pour la récolte de blé, l’on ne donne à la terre que l’azote et les sels fixes qu’on a pris au sol par les semences de blé qui doivent se consommer ailleurs, et nullement les principes constituants de la paille, puisque celle-ci doit faire retour à la terre par le fumier de ferme préparé à l’habitation même. Il semblerait dès lors rationnel de penser que la culture de la canne à sucre devrait se suffire à elle-même, sans aucun engrais venu du dehors, car le produit exporté, le sucre, ne contient pas d’azote ; sa composition est à peu près analogue à celle de l’humus : il ne renferme que de l’oxygène, de l’hydrogène et du carbone. Cela devrait être ainsi en effet ; cela se pourrait, si l’industrie entrait un jour dans la voie qui lui a été indiquée par M. le baron Darricau, si les usines renonçaient au combustible actuel pour le remplacer par la houille.

C’est ici le cas d’étudier cette question intéressante : La bagasse est-elle le combustible réellement le plus économique pour l’industrie sucrière ?

Il est indispensable, pour étudier cette question, de rappeler quelques principes de physique expérimentale à la portée de chacun.

La valeur des combustibles, dans l’industrie, s’appelle pouvoir calorifique.

Ce pouvoir calorifique est représenté par le nombre de degrés centigrades de chaleur qu’un kilogramme de combustible, brûlant dans les meilleures conditions, peut donner à un kilogramme d’eau.

Ainsi, le pouvoir calorifique de la houille a été trouvé par l’expérience de 7,200 ; c’est-à-dire que la chaleur provenant de la combustion de un kilogramme de houille pourrait élever un kilogramme d’eau qui serait à la température initiale de zéro, à la température de 7,200° centigrades ; elle élèverait donc une quantité d’eau dix fois plus forte à une température dix fois moindre, ou soit 10 kilogr. d’eau à la température de 720°, ou soit encore 100 kilogr. d’eau à 72°.

La bagasse, parfaitement desséchée à l’air, et contenant de 38 à 40 pour 100 de son poids de carbone, a un pouvoir calorifique de 2,800, c’est-à-dire qu’un kilogr. de bagasse élèverait 100 kilogr. d’eau à la température de 28°. Donc, les nombres 72 et 28 représentent les pouvoirs comparés de la houille et de la bagasse. En divisant le nombre 72 par le nombre 28, l’on trouve la quantité de bagasse nécessaire pour remplacer une partie de houille.

Il faut 2,570 kilogr. de bagasse pour remplacer 1,000 kilogr. de houille ordinaire, dont le prix de revient pourrait probablement être moindre de 80 fr., si l’industrie venait à consommer un jour régulièrement ce combustible.

Si l’on songe au volume immense que ces 2,570 kilogr. de bagasse représentent, les journées de bras employées à les porter sur l’aire, à les retourner au soleil, à les emmagasiner pour les besoins ultérieurs, puis à les porter au foyer de combustion, où l’activité incessante de plusieurs chauffeurs suffit à peine pour alimenter cette rapide combustion qui dévore un aussi fragile aliment que cette paille, si l’on songe encore à cette surveillance constante que le contre-maître doit exercer, surveillance qui n’atteint pas toujours son but, pour que le degré de chauffe ne varie pas par l’inégalité de distribution du combustible ; si l’on réfléchit enfin à l’incertitude dans la marche que donne à notre industrie un combustible que la saison peut empêcher de sécher, quand le besoin est le plus pressant, on verra que toutes ces dépenses, tous ces chômages forcés constituent une valeur supérieure à la somme de 80 fr. que coûterait la tonne de houille.

Mais la bagasse est-elle une substance sans aucune valeur, qui ne trouverait aucun emploi économique si on ne l’utilisait au chauffage des batteries ou des machines à vapeur ? Loin de là, car nous avons vu déjà qu’elle a une valeur considérable comme élément de reproduction naturel du carbone divisé, de l’humus, si nécessaire à la végétation en général, et surtout à celle de la canne à sucre, qui affectionne les terrains légers riches en ce principe.

Si, maintenant, nous soumettons la bagasse à l’analyse chimique, nous y trouverons 2 kilog. d’azote pour 1,000 kilog. de ce résidu industriel, et près du tiers de tous les sels qui composaient la séve dans la canne vivante, car la pression des cylindres n’enlève pas toute la partie aqueuse de la canne, tant s’en faut. Or, vous achetez à grand prix du guano, du poisson avarié, des poudrettes, etc. Dans ces divers engrais, le kilogramme d’azote vous revient au prix de 3, 4, 5 fr., et quelquefois davantage, suivant la pureté des engrais ou la manière dont ils sont préparés. C’est donc une valeur de 15, 20 ou 25 fr. que représente l’azote contenu dans les deux tonnes et demie de charbon, suivant le terme de comparaison qu’on lui donne ; et si l’on observe que dans la bagasse les substances qui accompagnent l’azote sont exactement celles qui conviennent à la culture de la canne, puisqu’elles en constituaient la nature intime, on ne pourra disconvenir que c’est l’engrais qui doit, à priori, nous paraître le mieux convenir à cette culture.

Ne le prendriez-vous que comme l’équivalent de toutes les autres substances végétales qui forment la base du fumier de ferme, on ne peut disconvenir que la quantité considérable de bagasse produite par l’industrie sucrière représenterait un capital énorme de fumier de ferme. L’on peut maintenant donner l’explication des expériences faites par MM. B… et L… Ils ont employé des quantités de guano égales ; mais M. B… a mêlé le guano d’une partie égale de fumier de ferme, quand M. L… employait le guano seul ; en d’autres termes, M. B… donnait pour aliment à ses cannes de l’azote, de l’humus et les autres principes indispensables à la canne ; M. L…, au contraire, ne donnait guère que de l’azote ; la canne devait chercher ses autres aliments dans le terrain, et, comme ces autres aliments ne s’y rencontraient pas en même proportion que dans le terrain fumé de M. B…, il n’y a rien d’extraordinaire que le premier expérimentateur ait triplé la production du second. Ce résultat eût été prévu par la théorie.

Ainsi donc, l’expérience est concluante : elle confirme les prévisions de la chimie agricole. Ce n’est pas seulement de l’azote qu’il faut donner en aliment aux végétaux, il faut aussi leur fournir en grande quantité les autres aliments, parmi lesquels le carbone joue un grand rôle, ainsi que nous l’avons déjà vu, et ce carbone se rencontre en grande quantité dans la bagasse que vous détruisez par la combustion.

M. le baron Darricau a donc bien raison de vous dire : « Si vous calculez bien, la bagasse est le combustible qui vous coûte le plus cher. » Car vous anéantissez en pure perte un produit d’une valeur considérable. Vous pouvez vous procurer facilement de la houille, mais rien ne pourra vous remplacer avantageusement l’humus que vous détruisez, l’azote que vous volatilisez par la combustion des bagasses.

La bagasse convertie en engrais vous économiserait une grande quantité d’engrais que vous payez si cher, et que vous avez tant de peine à vous procurer.

La petite quantité d’engrais qu’il vous faudrait acheter pour compléter le fumier produit par la bagasse serait nécessité par les pertes en azote faites par l’évaporation des sirops et l’emploi des mélasses dans la guildiverie.

En effet, il se dégage de sensibles quantités de vapeurs ammoniacales pendant la cuisson du vesou ; il est impossible, industriellement parlant, de pouvoir les fixer d’une manière économique. Quant au précipité que donnent les matières albumineuses avec la chaux, dans l’opération de la défécation, il est très-facile de les ajouter au fumier ; c’est un produit excessivement azoté.

Il reste aussi quelques portions d’azote dans les mélasses. Ce sont ces principes azotés qui aident à la fermentation ; l’on ne doit pas compter sur la possibilité de les faire retourner à la terre ; mais là seulement seraient les pertes à compenser, par l’achat de minimes quantités d’engrais azotés. La culture de la canne à sucre se suffirait presque à elle-même.


Principes fixes de la canne à sucre.


Nous passons maintenant à l’étude des substances fixes que le feu n’a pu éliminer dans notre analyse de la canne.

Le carbonate de potasse.

Le sulfate de potasse.

Le chlorhydrate de potasse.

Le carbonate de chaux.

Le phosphate de chaux.

Et la silice.

Toutes ces matières sont d’une utilité incontestable dans la végétation ; elles entrent dans la constitution de la plante que nous avons prise pour exemple.

On ne les trouve pas toutes dans l’état de combinaison chimique que nous offrent les cendres, parce que la combustion et l’incinération les ont modifiées ; mais ce que l’on peut tenir pour certain, c’est que les principes fixes qui leur servent de bases se trouvent réunis dans la séve : l’action de la chaleur ne peut transformer ni la potasse, ni la chaux, ni la silice.

La potasse, base des trois premiers sels, est un élément indispensable aux végétaux terrestres, comme la soude est l’élément indispensable aux végétaux marins. La terre, le sol, renferme cet alcali en assez forte proportion ; mais il y existe dans un état de combinaison telle, que les plantes ne peuvent se l’assimiler, si le sol n’a pas été préalablement modifié pendant un long espace de temps, par l’action de l’air, de l’humidité et de la chaleur réunies, qui désagrégent le terrain ; de là encore une des nécessités du sarclage, des labours répétés, qui renouvellent les surfaces au contact de l’atmosphère.

Si l’on défriche une forêt, l’on pourra pendant plusieurs années avoir de belles récoltes de graminées, blé, canne ou maïs, sur le même terrain, sans lui donner des engrais ; l’action du temps y aura accumulé, avec l’humus, une énorme quantité d’alcali fixe ; il faudra longtemps pour l’en épuiser par la récolte ; mais ce temps d’épuisement arrivera ; on peut en calculer l’époque précise par l’analyse du sol et celle des récoltes exportées, et les terres fertiles deviendront alors complétement stériles. L’on ne pourra demander de nouvelles récoltes au sol qu’après lui avoir donné le temps de reproduire une nouvelle quantité de la potasse qui le constitue dans l’état auquel l’exige la végétation(D).

Le carbonate de chaux se trouve en abondance dans presque tous les terrains, à l’état auquel l’exige la végétation. Cependant les terrains volcaniques, tels que ceux qui constituent le sol de notre colonie, y font exception. Ici la chaux y est dans un état de combinaison excessivement réfractaire à toute autre réfraction chimique ; un acide énergique versé sur notre terre végétale n’y produit pas de bouillonnement, d’effervescence. Ce sera donc avec peine que le sol cédera sa chaux à la végétation ; les engrais devront lui apporter cet élément nécessaire. La chaux est l’un des éléments de presque tous les engrais, surtout des engrais végétaux.

Mais voici un nouveau principe qui, comme l’azote, doit être rendu à la végétation, presque exclusivement par le règne animal.

Le phosphate de chaux ne se trouve qu’en minime quantité dans le sol.

Aux récoltes qui en contiennent beaucoup dans leur constitution, il faut en donner beaucoup par les engrais, sous peine de voir les efforts de la culture être vains.

Le phosphate de chaux est l’un des éléments constituants des os des animaux. L’animal l’a épuisé dans le végétal, par la nutrition et l’assimilation ; l’animal doit le rendre au sol presque en entier. Ce phosphate n’a pas, comme l’azote, cette volatilité qui peut le faire perdre par les diverses manipulations de notre industrie ; il est fixe.

Lorsque l’animal a atteint tout son développement, le phosphate qu’il absorbe par les aliments ne sert plus à son accroissement ; il le rend en entier par les excrétions. Les excréments solides en renferment de grandes quantités, et les excrétions liquides, les urines, en contiennent beaucoup aussi. Ce phosphate est, dans ce liquide surtout, dans un état de division chimique telle, qu’il est éminemment propre à être absorbé par les racines du végétal.

C’est ce principe qui rend compte des quelques avantages que peuvent présenter dans la culture, des poudrettes même complétement dépouillées de leur azote, par les cendres avec lesquelles on a absorbé leur humidité. Ces poudrettes renferment encore tout le phosphate de chaux des excrétions solides, et ce principe seul lui donne encore quelque valeur.

De quelles propriétés ne jouiraient pas ces engrais alors, si au phosphate des matières solides on joignait celui des urines, et surtout encore si l’on y fixait l’azote des deux. L’on aurait un engrais d’une valeur considérable, car tous les éléments de la végétation seraient là réunis, et dans les conditions essentielles de l’assimilation. Tous les principes inutiles à l’animal feraient alors retour au végétal.

La quantité de phosphate de chaux perdue par les mélasses est considérable, car elle égale plus d’un demi-centième du poids de la mélasse elle-même. À quelle source les récoltes futures s’approvisionneront-elles de cet élément, si on ne le restitue à la terre par les engrais animaux, par les fumiers de ferme, par le guano, qui en renferme aussi, et qui n’est lui-même qu’un excrément accumulé par les années ?

Les cannes à sucre renferment beaucoup de phosphate de chaux dans leur constitution intime ; le sol, au contraire, en renferme peu. Il faut donc approvisionner le sol de cet élément, pour que la canne puisse trouver toutes les conditions nécessaires à son parfait développement.

La silice se trouve en quantités assez considérables dans le sol volcanique de notre colonie, pour qu’il en soit largement approvisionné pendant des siècles. Il serait donc inutile d’apporter cet élément de la canne à sucre, qui est destiné à revêtir le roseau d’un enduit externe très-solide ; c’est la silice qui forme l’enveloppe luisante et glacée, assez dure déjà dans la canne à sucre, et qui, chez quelques graminées, atteint une dureté telle qu’elle résiste au couteau, comme dans nos bambous.



CONCLUSION.


Nous terminerons ces considérations sur l’exposé succinct des phénomènes physiologiques et chimiques de la végétation, par une citation d’un ouvrage d’agriculture peu répandu peut-être, mais qui résume réellement toute la science agricole :

« Il n’est aucun principe nouveau, » ont écrit James et Sousthon, « pour confectionner des engrais. Un engrais ne peut être un spécifique pour telle ou telle récolte sur un sol quelconque, qu’autant qu’il contient tous les principes que la récolte enlève, et que ces substances s’y trouvent en quantités au moins égales à celles qui sont enlevées à la terre. »

Là se résume en effet toute la science agricole : étude des principes constituants de chaque récolte, étude du terrain, de sa composition chimique, pour savoir ce qu’il possède déjà et ce qui lui manque pour fournir à la récolte.

Le guano renferme de l’azote, du phosphate de chaux ; mais les autres éléments, la potasse, la chaux, l’humus surtout, manquent complétement ; pour le rendre complet, ajoutez-lui ce qui lui manque, comme l’a fait M. B…, en mélangeant de son poids de fumier de ferme qui renferme ce complément, et les récoltes se doubleront en produit.

Jauffret, l’habile cultivateur provençal, qui a rendu de si grands services à l’agriculture, ce dont il a été si mal récompensé, avait fort bien appliqué cette théorie, basée sur la raison. Aussi, à part le mérite qu’avaient les fumiers dont il est l’inventeur, de se décomposer rapidement, d’être préparés en peu de temps, avaient-ils l’incontestable avantage de réunir tous les éléments qui devaient les rendre complets : azote, sels minéraux, humus, tout enfin ce qui sert à donner à la plante son bois, ses feuilles, ses graines. Quelques changements dans les proportions de ses composants peuvent rendre l’emploi de la méthode avantageux à toutes les récoltes.

Préparez un engrais dont la composition soit basée sur ces principes ; la bagasse vous servira déjà à vous en fournir la majeure partie ; il vous faudra bien peu de chose à y ajouter pour le rendre complet. Que la composition de l’engrais soit telle qu’une certaine quantité restitue au sol tout ce qu’une récolte de cannes lui enlève, et le problème sera complétement résolu.

La majeure partie de ces principes complémentaires, vous les rencontrerez dans les excréments des animaux. Le fumier de ferme sera toujours le plus complet des fumiers, parce qu’il renferme toutes les déjections des animaux mélangées aux débris des végétaux ; parce que, avec l’humus provenant des plantes, qui doit fournir l’acide carbonique et le carbone à la végétation, la racine peut aussi y puiser les sels de potasse, le phosphate de chaux et l’azote qui sont nécessaires au développement des végétaux, et qui ont été accumulés là par les déjections des animaux ; car tout s’enchaîne ici-bas : si la respiration végétale épure l’atmosphère viciée par la respiration des animaux, et rétablit l’équilibre un instant troublé par elle, le même enchaînement existe pour la nutrition des deux grandes classes des êtres vivants : la plante se nourrit des excrétions animales, elle les transforme pour les rendre de nouveau assimilables à l’animal, sous forme de blé, de riz, de sucre, etc.

Dans cette chaîne sans fin, rien ne se détruit, pas une seule molécule de n’importe quel corps, rien ne se crée non plus ; il n’existe qu’une série de transformations continues, que la volonté de l’homme ne saurait empêcher, mais que son intelligence peut diriger au profit de ses intérêts et de son bien-être.


FIN.

NOTES.


(A). Pour la génération qui arrive, il se présenterait peut-être un bon moyen de concilier les études théoriques et pratiques ; l’exemple nous en est fourni par la métropole, qui en a déjà retiré d’excellents résultats. Ce moyen consisterait dans la création d’une ferme-école, d’une usine modèle, dans laquelle les jeunes gens qui se destinent à l’industrie agricole recevraient un complément d’instruction appropriée et spéciale à cette profession.

La géométrie pratique, l’arpentage, les notions de mécanique, de physique et de chimie agricole, la tenue des livres et surtout l’agriculture pratique, telles seraient les connaissances qui seraient enseignées aux élèves.

Après deux ou trois années d’études, les jeunes gens subiraient un examen de sortie pour acquérir le titre d’ingénieur agricole. L’avenir de ces élèves serait assuré, car de pareils sujets seraient recherchés pour la direction de toutes les exploitations agricoles.

Pour qu’un pareil projet fût possible, il faudrait que quelque industriel dévoué voulût offrir à son pays l’appui de son expérience, et le prêt ou la location d’une usine complète, fonctionnant déjà, avec une étendue de terrain assez vaste autour de l’usine ; c’est ainsi que cela se pratique en France, l’État n’est point propriétaire des fermes-écoles.


(B). Quels sont les traités élémentaires de chimie qui pourront guider la marche des personnes qui voudront étudier cette science ? Ces ouvrages ne manquent pas, nous n’avons que l’embarras du choix, les traités de Girardin, de Malagutti, de Regnault, de Boussingault…, etc. Quelques-uns de ces ouvrages sont les comptes rendus de leçons orales, professées aux ouvriers de l’industrie ; les préceptes de la science y sont démontrés d’une manière appropriée à des auditeurs qui n’ont pas fait de fortes études préparatoires ; mais les industries principales auxquelles s’appliquent plus spécialement ces traités, sont des industries qui ne sont guère représentées dans notre Colonie, dans laquelle une culture unique et spéciale absorbe tous les intérêts.

Il y a donc une étude nouvelle à faire pour le lecteur, une application toute spéciale à l’industrie locale. L’on m’a demandé quelquefois pourquoi je ne publierais pas moi-même un traité de chimie populaire, à l’usage des planteurs de la Réunion et de Maurice. Avec la réflexion on verra que ce travail est à peu près impossible. En outre des peines immenses qu’il demanderait a son auteur, des longues études qu’il nécessiterait et du temps fort long employé à le mûrir et à l’écrire, une fois achevé, où ce livre trouverait-il ses lecteurs ? Quatre à cinq cents planteurs l’achèteraient peut-être, mais à quelles conditions onéreuses ne faudrait-il pas livrer cet ouvrage, pour compenser les débours considérables qu’il nécessiterait ?

En France, lorsqu’un guide manque à de nouveaux besoins, un homme spécial en entreprend la composition, et dans les conditions où se trouve l’imprimerie par le salaire des ouvriers, le bas prix des matières premières, un ouvrage qui s’imprime à huit ou dix mille exemplaires donne, par la vente à un prix assez modique, une large compensation à tous les débours de l’éditeur, et souvent même aux travaux de l’auteur ; mais avec la vente, douteuse encore, de quatre a cinq cents exemplaires, rien de tout cela n’est possible.


(C). Nous donnerons ici le résultat de quelques analyses sur les produits industriels de la canne à sucre. Elles pourront servir de guide, pour la confection des engrais, aux personnes qui s’occuperaient de cette question si intéressante.

Composition de la canne à sucre :

Eau 72,1 72,0
Sucre 18,0 17,8
Ligneux 9,9 9,8
Sels 0,0 0,4
——— ———
100 (Péligot). 100 (Dupuy).

Ces analyses sont presque identiques.


Composition des matières salines contenues dans 10 litres de mélasse, provenant de la purgation du sucre brut :

grammes.
Acétate de potasse 208,31
Chlorure de potassium 113,63
Sulfate de potasse 84,46
Mucilage 66,28
Biphosphate de chaux 51,01
Silice 22,85
Acétate de chaux 15,18
Phosphate de cuivre 0,21
———
561,93 (Avequin).

Les 10 litres de mélasse pèsent en moyenne 13 kilos et demi. Le poids du résidu salin ou gommeux est de plus d’un demi-kilo ; il reste donc un peu moins de 13 kilos de sucre cristallisable ou incristallisable, et d’eau dans la mélasse.

On pourrait tirer parti du résidu salin que laisseraient les vinasses de l’alambic, dans les guildiveries, si on les évaporait ; mais les frais de combustible pour cette évaporation ne seraient pas compensés par le bénéfice.

Ces vinasses répandues sur la terre végétale seraient un bon engrais, si leur transport n’était pas fort onéreux.


(D). Une expérience fort curieuse peut démontrer l’effet de la désagrégation des terrains, et même des roches les plus dures, sur la solubilité des substances qui les composent. Le verre, celui de nos vitres, de nos carafes, etc., est tout à fait insoluble dans l’eau, puisque l’on se sert de cette substance pour en fabriquer des ustensiles destinés à conserver non-seulement l’eau et d’autres liquides économiques, mais même encore les acides les plus énergiques. Eh bien, si l’on réduit ce verre en poudre impalpable, cette poudre lavée à l’eau froide lui cède une partie considérable de ses principes constituants.

Ainsi, en est-il des terrains ; la division par les labours, les sarclages, l’action de l’intempérie des saisons, rendent les substances minérales propres à être dissoutes par l’eau, et absorbées alors par les plantes. C’est là la raison de la nécessité de laisser reposer les terres, pour donner à cette action le temps d’avoir lieu ; à moins que par les engrais on n’ajoute artificiellement au terrain toutes les substances que doit prendre la future récolte.