Introduction à la connaissance de l’esprit humain/Livre deuxième

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Œuvres de Vauvenargues, Texte établi par D.-L. Gilbert, Furne et Cie, éditeurs (p. 27-49).


LIVRE DEUXIÈME


22. — Des passions.

Toutes les passions roulent sur le plaisir et la douleur, comme dit M. Locke c’en est l’essence et le fonds.

Nous éprouvons en naissant ces deux états le plaisir, parce qu’il est naturellement attaché à être ; la douleur, parce qu’elle tient à être imparfaitement.

Si notre existence était parfaite, nous ne connaîtrions que le plaisir. Étant imparfaite, nous devons connaître le plaisir et la douleur ; or, c’est de l’expérience de ces deux contraires que nous tirons l’idée du bien et du mal.

Mais comme le plaisir et la douleur ne viennent pas à tous les hommes par les mêmes choses, ils attachent à divers objets l’idée du bien et du mal, chacun selon son expérience, ses passions, ses opinions, etc.

Il n’y a cependant que deux organes de nos biens et de nos maux les sens et la réflexion[1].

Les impressions qui viennent par les sens sont immédiates[2] et ne peuvent se définir ; on n’en connaît pas les ressorts elles sont l’effet du rapport qui est entre les choses et nous ; mais ce rapport secret ne nous est pas connu.

Les passions qui viennent par l’organe de la réflexion sont moins ignorées. Elles ont leur principe dans l’amour de l’être ou de la perfection de l’être, ou dans le sentiment de son imperfection et de son dépérissement.

Nous tirons de l’expérience de notre être une idée de grandeur, de plaisir, de puissance, que nous voudrions toujours augmenter nous prenons dans l’imperfection de notre être une idée de petitesse, de sujétion, de misère, que nous tâchons d’étouffer voilà toutes nos passions.

Il y a des hommes en qui le sentiment de l’être est plus fort que celui de leur imperfection ; de là l’enjouement, la douceur, la modération des désirs.

Il y en a d’autres en qui le sentiment de leur imperfection est plus vif que celui de l’être ; de là l’inquiétude, la mélancolie, etc.

De ces deux sentiments unis, c’est-à-dire celui de nos forces et celui de notre misère, naissent les plus grandes passions ; parce que le sentiment de nos misères nous pousse à sortir de nous-mêmes, et que le sentiment de nos ressources nous y encourage et nous porte par l’espérance. Mais ceux qui ne sentent que leur misère sans leur force, ne se passionnent jamais autant, car ils n’osent rien espérer ; ni ceux qui ne sentent que leur force sans leur impuissance, car ils ont trop peu à désirer ainsi il faut un mélange de courage et de faiblesse, de tristesse et de présomption. Or, cela dépend de la chaleur du sang et des esprits ; et la réflexion qui modère les velléités des gens froids encourage l’ardeur des autres, en leur fournissant des ressources qui nourrissent leurs illusions d’où vient que les passions des hommes d’un esprit profond sont plus opiniâtres et plus invincibles, car ils ne sont pas obligés de s’en distraire comme le reste des hommes par épuisement de pensée ; mais leurs réflexions, au contraire, sont un entretien éternel à leurs désirs, qui les échauffe ; et cela explique encore pourquoi ceux qui pensent peu, ou qui ne sauraient penser longtemps de suite sur la même chose, n’ont que l’inconstance en partage.

23. — De la gaieté, de la joie de la mélancolie.[3]

Le premier degré du sentiment agréable de notre existence est la gaieté ; la joie est un sentiment plus pénétrant. Les hommes enjoués n’étant pas d’ordinaire si ardents que le reste des hommes, ils ne sont peut-être pas capables des plus vives joies ; mais les grandes joies durent peu, et laissent notre âme épuisée.

La gaieté, plus proportionnée à notre faiblesse que la joie, nous rend confiants et hardis, donne un être et un intérêt aux choses les moins importantes, fait que nous nous plaisons par instinct en nous-mêmes, dans nos possessions, nos entours, notre esprit, notre suffisance, malgré d’assez grandes misères.

Cette intime satisfaction nous conduit quelquefois à nous estimer nous-mêmes, par de très frivoles endroits ; il me semble que les personnes enjouées sont ordinairement un peu plus vaines que les autres.

D’autre part, les mélancoliques sont ardents, timides, inquiets, et ne se sauvent, la plupart, de la vanité, que par l’ambition et l’orgueil[4].

24. — De l’amour-propre et de l’amour de nous-mêmes.[5]

L’amour est une complaisance dans l’objet aimé. Aimer une chose, c’est se complaire dans sa possession, sa grâce, son accroissement ; craindre sa privation, ses déchéances, etc.

Plusieurs philosophes rapportent généralement à l’amour-propre toute sorte d’attachements, ils prétendent qu’on s’approprie tout ce que l’on aime, qu’on n’y cherche que son plaisir et sa propre satisfaction, qu’on se met soi-même avant tout ; jusque-là qu’ils nient que celui qui donne sa vie pour un autre, le préfère à soi. Ils passent le but en ce point car si l’objet de notre amour nous est plus cher sans l’être que l’être sans l’objet de notre amour, il paraît que c’est notre amour qui est notre passion dominante, et non notre individu propre ; puisque tout nous échappe avec la vie, le bien que nous nous étions approprié par notre amour, comme notre être véritable. Ils répondent que la passion nous fait confondre dans ce sacrifice notre vie et celle de l’objet aimé[6] ; que nous croyons n’abandonner qu’une partie de nous-mêmes pour conserver l’autre au moins ils ne peuvent nier que celle que nous conservons nous paraît plus considérable que celle que nous abandonnons. Or, dès que nous nous regardons comme la moindre partie dans le tout, c’est une préférence manifeste de l’objet aimé. On peut dire la même chose d’un homme qui, volontairement et de sang-froid, meurt pour la gloire : la vie imaginaire qu’il achète au prix de son être réel est une préférence bien incontestable de la gloire, et qui justifie la distinction que quelques écrivains ont mise avec sagesse entre l’amour-propre et l’amour de nous-mêmes[7]. Ceux-ci conviennent bien que l’amour de nous-mêmes entre dans toutes nos passions ; mais ils distinguent cet amour de l’autre. Avec l’amour de nous-mêmes, disent-ils, on peut chercher hors de soi son bonheur ; on peut s’aimer hors de soi davantage[8] que son existence propre on n’est point à soi-même son unique objet. L’amour-propre, au contraire, subordonne tout a ses commodités et à son bien-être il est à lui-même son seul objet et sa seule fin de sorte qu’au lieu que les passions qui viennent de l’amour de nous-mêmes nous donnent aux choses, l’amour-propre veut que les choses se donnent à nous, et se fait le centre de tout.

Rien ne caractérise donc l’amour-propre comme la complaisance qu’on a dans soi-même et les choses qu’on s’approprie.

L’orgueil est un effet de cette complaisance. Comme on n’estime généralement les choses qu’autant qu’elles plaisent, et que nous nous plaisons si souvent à nous-mêmes devant[9] toutes choses, de là ces comparaisons toujours injustes qu’on fait de soi-même a autrui et qui fondent tout notre orgueil.

Mais les prétendus avantages pour lesquels nous nous estimons étant grandement variés, nous les désignons par les noms que nous leur avons rendus propres. L’orgueil qui vient d’une confiance aveugle dans nos forces, nous l’avons nommé présomption ; celui qui s’attache à de petites choses, vanité celui qui est courageux, fierté.

Tout ce qu’on ressent de plaisir en s’appropriant quelque chose, richesse, agrément, héritage, etc., et ce qu’on éprouve de peine par la perte des mêmes biens, ou la crainte de quelque mal, la peur, le dépit, la colère, tout cela vient de l’amour-propre.

L’amour-propre se mêle à presque tous nos sentiments, ou du moins l’amour de nous-mêmes ; mais pour prévenir l’embarras que feraient naître les disputes qu’on a sur ces termes, j’use d’expressions synonymes, qui me semblent moins équivoques. Ainsi, je rapporte tous nos sentiments à celui de nos perfections et de notre imperfection ces deux grands principes nous portent de concert à aimer, estimer, conserver, agrandir et défendre du mal notre frêle existence. C’est la source de tous nos plaisirs et déplaisirs, et la cause féconde des passions qui viennent par l’organe de la réflexion.

Tachons d’approfondir les principales ; nous suivrons plus aisément la trace des petites, qui ne sont que des dépendances et des branches de celles-ci.

25. De l’ambition.

L’instinct qui nous porte à nous agrandir n’est aucune part si sensible que dans l’ambition ; mais il ne faut pas confondre tous les ambitieux. Les uns attachent la grandeur solide à l’autorité des emplois ; les autres aux grandes richesses ; les autres au faste des titres, etc. ; plusieurs vont à leur but sans nul choix des moyens ; quelques-uns par de grandes choses, et d’autres par les plus petites ainsi telle ambition est vice ; telle, vertu ; telle, vigueur d’esprit ; telle, égarement et bassesse, etc.

Toutes les passions prennent le tour de notre caractère. Nous avons vu ailleurs que l’âme[10] influait beaucoup sur l’esprit ; l’esprit influe aussi sur l’âme. C’est de l’âme que viennent tous les sentiments ; mais c’est par les organes de l’esprit que passent les objets qui les excitent. Selon les couleurs qu’il leur donne, selon qu’il les pénètre, qu’il les embellit, qu’il les déguise, l’âme les rebute ou s’y attache. Quand donc même on ignorerait que tous les hommes ne sont pas égaux par le cœur, il suffit de savoir qu’ils envisagent les choses selon leurs lumières, peut-être encore plus inégales, pour comprendre la différence qui distingue les passions mêmes qu’on désigne du même nom. Si différemment partagés par l’esprit et les sentiments, ils s’attachent au même objet sans aller au même intérêt ; et cela n’est pas seulement vrai des ambitieux, mais aussi de toute passion.

26. — De l’amour du monde.

Que de choses sont comprises dans l’amour du monde ! le libertinage, le désir de plaire, l’envie de primer, etc. : l’amour du sensible et du grand ne sont nulle part si mêlés. Le génie et l’activité portent les hommes à la vertu et à la gloire les petits talents, la paresse, le goût des plaisirs, la gaieté et la vanité les fixent aux petites choses ; mais en tout c’est le même instinct ; et l’amour du monde renferme de vives semences de presque toutes les passions.

27. — Sur l’amour de la gloire.[11]

La gloire nous donne sur les cœurs une autorité naturelle qui nous touche sans doute autant que nulle de nos sensations, et nous étourdit plus sur nos misères qu’une vaine dissipation elle est donc réelle en tous sens.

Ceux qui parlent de son néant inévitable soutiendraient peut-être avec peine le mépris ouvert d’un seul homme. Le vide des grandes passions est rempli par le grand nombre des petites : les contempteurs de la gloire se piquent de bien danser, ou de quelque misère encore plus basse. Ils sont si aveugles qu’ils ne sentent pas que c’est la gloire qu’ils cherchent si curieusement[12], et si vains qu’ils osent la mettre dans les choses les plus frivoles. La gloire, disent-ils, n’est ni vertu ni mérite ; ils raisonnent bien en cela elle n’est que leur récompense ; mais elle nous excite donc au travail et à la vertu, et nous rend souvent estimables afin de nous faire estimer.

Tout est très abject dans les hommes, la vertu, la gloire, la vie mais les plus petits ont des proportions reconnues. Le chêne est un grand arbre près du cerisier ; ainsi les hommes à l’égard les uns des autres. Quelles sont les vertus et les inclinations de ceux qui méprisent la gloire ? L’ont-ils méritée ?

28. — De l’amour des sciences et des lettres.

La passion de la gloire et la passion des sciences se ressemblent dans leur principe ; car elles viennent l’une et l’autre du sentiment de notre vide et de notre imperfection Mais l’une voudrait se former comme un nouvel être hors de nous, et l’autre s’attache à étendre et à cultiver notre fonds. Ainsi la passion de la gloire veut nous agrandir au dehors, et celle des sciences au dedans.

On ne peut avoir l’âme grande, ou l’esprit un peu pénétrant, sans quelque passion pour les lettres. Les arts sont consacrés à peindre les traits de la belle nature ; les sciences, à la vérité. Les arts et les sciences embrassent tout ce qu’il y a dans la pensée de noble et d’utile ; de sorte qu’il ne reste à ceux qui les rejettent que ce qui est indigne d’être peint ou enseigné, etc.[13].

La plupart des hommes honorent les lettres comme la religion et la vertu ; c’est-à-dire comme une chose qu’ils ne peuvent ni connaître, ni pratiquer, ni aimer[14]. Personne néanmoins n’ignore que les bons livres sont l’essence des meilleurs esprits, le précis de leurs connaissances et le fruit de leurs longues veilles. L’étude d’une vie entière s’y peut recueillir dans quelques heures c’est un grand secours.

Deux inconvénients sont à craindre dans cette passion : le mauvais choix et l’excès. Quant au mauvais choix, il est probable que ceux qui s’attachent à des connaissances peu utiles ne seraient pas propres aux autres ; mais l’excès se peut corriger.

Si nous étions sages, nous nous bornerions à un petit nombre de connaissances, afin de les mieux posséder. Nous tâcherions de nous les rendre familières et de les réduire en pratique : la plus longue et la plus laborieuse théorie n’éclaire qu’imparfaitement. Un homme qui n’aurait jamais dansé posséderait inutilement les règles de la danse ; il en est sans doute de même des métiers d’esprit.

Je dirai bien plus : rarement l’étude est utile, lorsqu’elle n’est pas accompagnée du commerce du monde. Il ne faut pas séparer ces deux choses : l’une nous apprend à penser, l’autre à agir ; l’une à parler, l’autre à écrire ; l’une à disposer nos actions, l’autre à les rendre faciles.

L’usage du monde nous donne encore de penser naturellement, et l’habitude des sciences, de penser profondément.

Par une suite naturelle de ces vérités, ceux qui sont privés de l’un et l’autre avantage par leur condition, fournissent une preuve incontestable de l’indigence naturelle de l’esprit humain. Un vigneron, un couvreur, resserrés dans un petit cercle d’idées très communes, connaissent à peine les plus grossiers usages de la raison, et n’exercent leur jugement, suppose qu’ils en aient reçu de la nature, que sur des objets très palpables. Je sais bien que l’éducation ne peut suppléer le génie ; je n’ignore pas que les dons de la nature valent mieux que les dons de l’art cependant l’art est nécessaire pour faire fleurir les talents. Un beau naturel négligé ne porte jamais de fruits mûrs.

Peut-on regarder comme un bien un génie à peu près stérile ? Que servent à un grand seigneur les domaines qu’il laisse en friche ? Est-il riche de ces champs incultes ?

29. — De l’avarice.

Ceux qui n’aiment l’argent que pour la dépense ne sont pas véritablement avares[15]. L’avarice est une extrême défiance des événements, qui cherche à s’assurer contre les instabilités de la fortune par une excessive prévoyance, et manifeste cet instinct avide qui nous sollicite d’accroître, d’étayer, d’affermir notre être. Basse et déplorable manie, qui n’exige ni connaissance, ni vigueur d’esprit, ni jeunesse, et qui prend par cette raison, dans la défaillance des sens, la place des autres passions.

30. — De la passion du jeu.

Quoique j’aie dit que l’avarice naît d’une défiance ridicule des événements de la fortune, et qu’il semble que l’amour du jeu vienne au contraire d’une ridicule confiance aux mêmes événements, je ne laisse pas de croire qu’il y a des joueurs avares et qui ne sont confiants qu’au jeu encore ont-ils, comme on dit, un jeu timide et serré.

Des commencements souvent heureux remplissent l’esprit des joueurs de l’idée d’un gain très rapide qui paraît toujours sous leurs mains : cela détermine.

Par combien de motifs d’ailleurs n’est-on pas porté à jouer ? par cupidité, par amour du faste, par goût des plaisirs, etc. Il suffit donc d’aimer quelqu’une de ces choses pour aimer le jeu ; c’est une ressource pour les acquérir, hasardeuse à la vérité, mais propre à toute sorte d’hommes, pauvres, riches, faibles, malades, jeunes et vieux, ignorants et savants, sots et habiles, etc. aussi n’y a-t-il point de passion plus commune que celle-ci.

31. — De la passion des exercices.

Il y a dans la passion des exercices un plaisir pour les sens et un plaisir pour l’âme. Les sens sont flattés d’agir, de galoper un cheval, d’entendre un bruit de chasse dans une forêt ; l’âme jouit de la justesse de ses sens, de la force et de l’adresse de son corps, etc. Aux yeux d’un philosophe qui médite dans son cabinet, cette gloire est bien puérile ; mais, dans l’ébranlement de l’exercice, on ne scrute pas tant les choses. En approfondissant les hommes, on rencontre des vérités humiliantes, mais incontestables.

Vous voyez l’âme d’un pêcheur qui se détache en quelque sorte de son corps pour suivre un poisson sous les eaux, et le pousser au piège que sa main lui tend. Qui croirait qu’elle s’applaudit de la défaite du faible animal, et triomphe au fond du filet[16] ? Toutefois rien n’est si sensible.

Un grand, à la chasse, aime mieux tuer un sanglier qu’une hirondelle : par quelle raison ? Tous la voient.

32. — De l’amour paternel.

L’amour paternel ne diffère pas de l’amour-propre[17]. Un enfant ne subsiste que par ses parents, dépend d’eux, vient d’eux, leur doit tout ; ils n’ont rien qui leur soit si propre.

Aussi un père ne sépare point l’idée d’un fils de la sienne, à moins que le fils n’affaiblisse cette idée de propriété par quelque contradiction ; mais plus un père s’irrite de cette contradiction, plus il s’afflige, plus il prouve ce que je dis.

33. — De l’amour filial et fraternel.

Comme les enfants n’ont nul droit sur la volonté de leurs pères, la leur étant au contraire toujours combattue, cela leur fait sentir qu’ils sont des êtres à part, et ne peut pas leur inspirer de l’amour-propre, parce que la propriété ne saurait être du côté de la dépendance : cela est visible. C’est par cette raison que la tendresse des enfants n’est pas aussi vive que celle des pères ; mais les lois ont pourvu à cet inconvénient. Elles sont un garant au père contre l’ingratitude des enfants, comme la nature est aux enfants un otage assuré contre l’abus des lois. Il était juste d’assurer à la vieillesse les secours qu’elle avait prêtés à la faiblesse de l’enfant.

La reconnaissance prévient, dans les enfants bien nés, ce que le devoir leur impose. Il est dans la saine nature d’aimer ceux qui nous aiment et nous protègent ; et l’habitude d’une juste dépendance en fait perdre le sentiment : mais il suffit d’être homme pour être bon père ; et si l’on n’est homme de bien, il est rare qu’on soit bon fils[18].

Du reste, qu’on mette à la place de ce que je dis la sympathie ou le sang. et qu’on me fasse entendre pourquoi le sang ne parle pas autant dans les enfants que dans les pères ; pourquoi la sympathie périt quand la soumission diminue ; pourquoi des frères souvent se haïssent sur des fondements si légers, etc. Mais quel est donc le nœud de l’amitié des frères ? Une fortune, un nom commun, même naissance et même éducation, quelquefois même caractère ; enfin l’habitude de se regarder comme appartenant les uns aux autres, et comme n’ayant qu’un seul être[19].

34. — De l’amour qu’on a pour les bêtes.

Il peut entrer quelque chose qui flatte les sens dans le goût qu’on nourrit pour certains animaux, quand ils nous appartiennent. J’ai toujours pensé qu’il s’y mêle de l’amour-propre rien n’est si ridicule à dire, et je suis fâché qu’ qu’il soit vrai ; mais nous sommes si vides, que, s’il offre à nous la moindre ombre de propriété, nous nous y attachons aussitôt. Nous prêtons à un perroquet des pensées et des sentiments ; nous nous figurons qu’il nous aime, qu’il nous craint, qu’il sent nos faveurs, etc. Ainsi nous aimons l’avantage que nous nous accordons sur lui. Quel empire mais c’est là l’homme.

35. — De l’amitié.

C’est l’insuffisance de notre être qui fait naître l’amitié et c’est l’insuffisance de l’amitié même qui la fait périr[20].

Est-on seul, on sent sa misère, on sent qu’on a besoin d’appui ; on cherche un fauteur de ses goûts, un compagnon de ses plaisirs et de ses peines ; on veut un homme dont on puisse posséder le cœur et la pensée. Alors l’amitié paraît être ce qu’il y a de plus doux au monde. A-t-on ce qu’on a souhaité, on change bientôt de pensée.

Lorsqu’on voit de loin quelque bien, il fixe d’abord nos désirs ; et lorsqu’on y parvient, on en sent le néant. Notre âme, dont il arrêtait la vue dans l’éloignement, ne saurait s’y reposer quand elle voit au delà : ainsi l’amitié, qui de loin bornait toutes nos prétentions, cesse de les borner de près ; elle ne remplit pas le vide qu’elle avait promis de remplir ; elle nous laisse des besoins qui nous distraient et nous portent vers d’autres biens.

Alors on se néglige, on devient difficile, on exige bientôt comme un tribut les complaisances qu’on avait d’abord reçues comme un don. C’est le caractère des hommes de s’approprier peu à peu jusqu’aux grâces dont ils jouissent ; une longue possession les accoutume naturellement à regarder les choses qu’ils possèdent comme à eux ; ainsi l’habitude les persuade qu’ils ont un droit naturel sur la volonté de leurs amis. Ils voudraient s’en former un titre pour les gouverner ; lorsque ces prétentions sont réciproques, comme on [le] voit souvent, l’amour-propre s’irrite et crie des deux côtés, produit de l’aigreur, des froideurs, et d’amères explications, etc. On se trouve aussi quelquefois mutuellement des défauts qu’on s’était cachés ; ou l’on tombe dans des passions qui dégoûtent de l’amitié, comme les maladies violentes dégoûtent des plus doux plaisirs.

Aussi les hommes extrêmes ne sont pas les plus capables d’une constante amitié. On ne la trouve nulle part si vive et si solide que dans les esprits timides et sérieux, dont l’âme modérée connaît la vertu ; car elle soulage leur cœur oppressé sous le mystère et sous le poids du secret[21], détend leur esprit, l’élargit, les rend plus confiants et plus vifs, se mêle à leurs amusements, à leurs affaires et à leurs plaisirs mystérieux c’est l’âme de toute leur vie[22].

Les jeunes gens sont aussi très-sensibles et très-confiants[23] ; mais la vivacité de leurs passions les distrait et les rend volages. La sensibilité et la confiance sont usées dans les vieillards mais le besoin les rapproche, et la raison est leur lien : les uns aiment plus tendrement, les autres plus solidement[24].

Le devoir de l’amitié s’étend plus loin qu’on ne croit : nous suivons notre ami dans ses disgrâces ; mais, dans ses faiblesses, nous l’abandonnons : c’est être plus faible que lui.

Quiconque se cache, obligé d’avouer les défauts des siens, fait voir sa bassesse. Êtes-vous exempt de ces vices, déclarez-vous donc hautement ; prenez sous votre protection la faiblesse des malheureux ; vous ne risquez rien en cela : mais il n’y a que les grandes âmes qui osent se montrer ainsi. Les faibles se désavouent les uns les autres, se lâchement aux jugements souvent injustes du public ; ils n’ont pas de quoi résister, etc.[25]

36. — De l’amour.

Il entre ordinairement beaucoup de sympathie dans l’amour, c’est-à-dire une inclination dont les sens forment le nœud ; mais, quoiqu’ils en forment le nœud, ils n’en sont pas toujours l’intérêt principal ; il n’est pas impossible qu’il y ait un amour exempt de grossièreté.

Les mêmes passions sont bien différentes dans les hommes. Le même objet peut leur plaire par des endroits opposés. Je suppose que plusieurs hommes s’attachent à la même femme : les uns l’aiment pour son esprit, les autres pour sa vertu, les autres pour ses défauts, etc. ; et il se peut faire encore que tous l’aiment pour des choses qu’elle n’a pas, comme lorsqu’on aime une femme légère que l’on croit solide. N’importe ; on s’attache à l’idée qu’on se plaît à s’en figurer, ce n’est même que cette idée que l’on aime, ce n’est pas la femme légère ainsi l’objet des passions n’est pas ce qui les dégrade ou ce qui les ennoblit, mais la manière dont on envisage cet objet. Or j’ai dit qu’il était possible que l’on cherchât dans l’amour quelque chose de plus que l’intérêt de nos sens. Voici ce qui me le fait croire. Je vois tous les jours dans le monde qu’un homme environné de femmes auxquelles il n’a jamais parlé, comme à la messe, au sermon, ne se décide pas toujours pour celle qui est la plus jolie, et qui même lui paraît telle. Quelle est la raison de cela ? c’est que chaque beauté exprime un caractère tout particulier ; et celui qui entre le plus dans le nôtre, nous le préférons. C’est donc le caractère qui nous détermine quelquefois ; c’est donc l’âme que nous cherchons on ne peut me nier cela. Donc tout ce qui s’offre à nos sens ne nous plaît alors que comme une image de ce qui se cache à leur vue ; donc nous n’aimons alors les qualités sensibles que comme les organes de notre plaisir, et avec subordination aux qualités insensibles dont elles sont l’expression ; donc il est au moins vrai que l’âme est ce qui nous touche le plus. Or ce n’est pas aux sens que l’âme est agréable, mais à l’esprit ; ainsi l’intérêt de l’esprit devient l’intérêt principal, et si celui des sens lui était opposé, nous le lui sacrifierions. On n’a donc qu’à nous persuader[26] qu’il lui est vraiment opposé, qu’il est une tache pour l’âme voilà l’amour pur.

Amour cependant véritable, qu’on ne saurait confondre avec l’amitié car, dans l’amitié, c’est l’esprit qui est l’organe du sentiment ; ici ce sont les sens. Et comme les idées qui viennent par les sens sont infiniment plus puissantes que les vues de la réflexion, ce qu’elles inspirent est passion. L’amitié ne va pas si loin[27].

37. — De la physionomie.

La physionomie est l’expression du caractère et celle du tempérament. Une sotte physionomie est celle qui n’exprime que la complexion, comme un tempérament robuste, etc. ; mais il ne faut jamais juger sur la physionomie car il y a tant de traits mâles sur le visage et dans le maintien des hommes, que cela peut souvent confondre ; sans parler des accidents qui défigurent les traits naturels, et qui empêchent que l’âme ne s’y manifeste, comme la petite-vérole[28], la maigreur, etc.

On pourrait conjecturer plutôt sur le caractère des hommes, par l’agrément qu’ils attachent à de certaines figures qui répondent à leurs passions ; mais encore s’y tromperait-on[29].

38. — De la pitié.

La pitié n’est qu’un sentiment mêlé de tristesse et d’amour[30] ; je ne pense pas qu’elle ait besoin d’être excitée par un retour sur nous-mêmes, comme on le croit[31]. Pourquoi la misère ne pourrait-elle sur notre cœur ce que fait la vue d’une plaie sur nos sens ? N’y a-t-il pas des choses qui affectent immédiatement l’esprit ? L’impression des nouveautés ne prévient-elle pas toujours nos réflexions ? Notre âme est-elle incapable d’un sentiment désintéressé[32] ?

39. — De la haine.

La haine est une déplaisance dans l’objet haï. C’est une tristesse qui nous donne, pour la cause qui l’excite, une secrète aversion on appelle cette tristesse jalousie, lorsqu’elle est un effet du sentiment de nos désavantages comparés au bien de quelqu’un. Quand il se joint à cette jalousie de la haine, une volonté de vengeance dissimulée par faiblesse, c’est envie.

Il y a peu de passions où il n’entre de l’amour ou de la haine. La colère n’est qu’une aversion subite et violente, enflammée d’un désir aveugle de vengeance ; l’indignation, un sentiment de colère et de mépris ; le mépris, un sentiment mêlé de haine et d’orgueil l’antipathie, une haine violente et qui ne raisonne pas[33].

Il entre aussi de l’aversion dans le dégoût ; il n’est pas une simple privation comme l’indifférence ; et la mélancolie, qui n’est communément qu’un dégoût universel sans espérance, tient encore beaucoup de la haine[34].

À l’égard des passions qui viennent de l’amour, j’en ai déjà parlé ailleurs je me contente donc de répéter ici que tous les sentiments que le désir allume sont mêlés d’amour ou de haine.

40. — De l’estime, du respect et du mépris.

L’estime est un aveu intérieur du mérite de quelque chose ; le respect est le sentiment de la supériorité d’autrui.

Il n’a pas d’amour sans estime j’en ai dit la raison. L’amour étant complaisance dans l’objet aimé, et les hommes ne pouvant se défendre de trouver un prix aux choses qui leur plaisent, peu s’en faut qu’ils ne règlent leur estime sur le degré d’agrément que les objets ont pour eux. Et s’il est vrai que chacun s’estime personnellement plus que tout autre, c’est, ainsi que je l’ai déjà dit, parce qu’il n’y a rien qui nous plaise ordinairement tant que nous-mêmes. Ainsi, non seulement on s’estime avant tout, mais on estime encore toutes les choses que l’on aime[35], comme la chasse, la musique, les chevaux, etc. et ceux qui méprisent leurs propres passions ne le font que par réflexion, et par un effort de raison car l’instinct les porte au contraire.

Par une suite naturelle du même principe, la haine rabaisse ceux qui en sont l’objet, avec le même soin que l’amour les relève. Il est impossible aux hommes de se persuader que ce qui les blesse n’ait pas quelque grand défaut ; c’est un jugement confus que l’esprit porte en lui-même, comme il en use au contraire[36] en aimant. Et si la réflexion contrarie cet instinct, car il y a des qualités qu’on est convenu d’estimer, et d’autres de mépriser, alors cette contradiction ne fait qu’irriter la passion ; et plutôt que de céder aux traits de la vérité, elle en détourne les yeux. Ainsi elle dépouille son objet de ses qualités naturelles, pour lui en donner de conformes à son intérêt dominant. Ensuite elle se livre témérairement et sans scrupule à ses préventions insensées.

Il n’y a presque point d’homme dont le jugement soit supérieur à ses passions. Il faut donc bien prendre garde, lorsqu’on veut se faire estimer, à ne pas se faire haïr, mais tâcher au contraire de se présenter par des endroits agréables ; parce que les hommes penchent à juger du prix des choses par le plaisir qu’elles leur font.

Il y en a à la vérité qu’on peut surprendre par une conduite opposée, en paraissant au dehors plus pénétré de soi-même qu’on [ne] l’est au dedans ; cette confiance extérieure les persuade et les maîtrise. Mais il est un moyen plus noble de gagner l’estime des hommes : c’est de leur faire souhaiter la nôtre par un vrai mérite, et ensuite d’être modeste et de s’accommoder à eux[37]. Quand on a véritablement les qualités qui emportent l’estime du monde, il n’y a plus qu’à les rendre populaires pour leur concilier l’amour, et lorsque l’amour les adopte, il en fait élever le prix. Mais pour les petites finesses qu’on emploie en vue de surprendre ou de conserver les suffrages, attendre les autres, se faire valoir, réveiller par des froideurs étudiées ou des amitiés ménagées le goût inconstant du public, c’est la ressource des hommes superficiels qui craignent d’être approfondis ; il faut leur laisser ces misères, dont ils ont besoin avec leur mérite spécieux[38].

Mais c’est trop s’arrêter aux choses ; tâchons d’abréger ces principes par de courtes définitions.

Le désir est une espèce de mésaise que le goût du bien met en nous, et l’inquiétude un désir sans objet.

L’ennui vient du sentiment de notre vide ; la paresse naît d’impuissance ; la langueur est un témoignage de notre faiblesse, et la tristesse, de notre misère.

L’espérance est le sentiment d’un bien prochain, et la reconnaissance, celui d’un bienfait[39].

Le regret consiste dans le sentiment de quelque perte ; le repentir, dans celui d’une faute ; le remords, dans celui d’un crime et la crainte du châtiment[40].

La timidité peut être la crainte du blâme, la honte en est la conviction.

La raillerie naît d’un mépris content[41].

La surprise est un ébranlement soudain à la vue d’une nouveauté ; l’étonnement est une surprise longue[42] et accablante ; l’admiration, une surprise pleine de respect[43].

La plupart de ces sentiments ne sont pas trop composés, et n’affectent pas aussi durablement nos âmes que les grandes passions. l’amour, l’ambition, l’avarice, etc. Le peu que je viens de dire à cette occasion répandra une sorte de lumière sur ceux dont je me réserve de parler ailleurs.

41. — De l’amour des objets sensibles.

Il serait impertinent de dire que l’amour des choses sensibles, comme l’harmonie, les saveurs, etc., n’est qu’un effet de l’amour-propre, du désir de nous agrandir, etc., etc. Cependant tout cela s’y mêle quelquefois. Il y a des musiciens, des peintres, qui n’aiment chacun dans leur art que l’expression des grandeurs[44], et qui ne cultivent leurs talents que pour la gloire ainsi d’une infinité d’autres.

Les hommes que les sens dominent ne sont pas ordinairement si sujets aux passions sérieuses, l’ambition, l’amour de la gloire, etc. Les objets sensibles les amusent et les amollissent ; et s’ils ont les autres passions, ils ne les ont pas aussi vives.

On peut dire la même chose des hommes enjoués ; parce que, ayant une manière d’exister assez heureuse, ils n’en cherchent pas une autre avec ardeur. Trop de choses les distraient ou les préoccupent.

On pourrait entrer là-dessus, et sur tous les sujets que j’ai traités, dans des détails intéressants. Mais mon dessein n’est pas de sortir des principes, quelque sécheresse qui les accompagne ils sont l’objet unique de tout mon discours ; et je n’ai ni la volonté ni le pouvoir de donner plus d’application à cet ouvrage[45].

42. — Des passions en général.

Les passions s’opposent aux passions et peuvent servir de contrepoids ; mais la passion dominante ne peut se conduire que par son propre intérêt, vrai ou imaginaire, parce qu’elle règne despotiquement sur la volonté, sans laquelle rien ne se peut.

Je regarde humainement les choses et j’ajoute dans cet esprit : Toute nourriture n’est pas propre à tous les corps, tous objets ne sont pas suffisants pour toucher certaines âmes. Ceux qui croient les hommes souverains arbitres de leurs sentiments, ne connaissent pas la nature ; qu’on obtienne qu’un sourd s’amuse des sons enchanteurs de Murer ; qu’on demande à une joueuse qui fait une grosse partie, qu’elle ait la complaisance et la sagesse de s’y ennuyer : nul art ne le peut.

Les sages se trompent encore en offrant la paix aux passions ; les passions lui sont ennemies. Ils vantent la modération à ceux qui sont nés pour l’action et pour une vie agitée ; qu’importe à un homme malade la délicatesse d’un festin qui le dégoûte ?

Nous ne connaissons pas les défauts de notre âme[46], mais quand nous pourrions les connaître, nous voudrions rarement les vaincre.

Nos passions ne sont pas distinctes de nous-mêmes ; il y en a qui sont tout le fondement et toute la substance de notre âme. Le plus faible de tous les êtres voudrait-il périr pour se voir remplacé par le plus sage ?

Qu’on me donne un esprit plus juste, plus aimable, plus pénétrant, j’accepte avec joie tous ces dons, mais si l’on m’ôte encore l’âme qui doit en jouir, ces présents ne sont plus pour moi[47].

Cela ne dispense personne de combattre ses habitudes[48], et ne doit inspirer aux hommes ni abattement ni tristesse. Dieu peut tout ; la vertu sincère n’abandonne pas ses amants ; les vices même d’un homme bien né peuvent se tourner à sa gloire[49].


  1. [Il fallait dire : les sens et la pensée ; de plus, la pensée, non plus que la réflexion, n’est dans aucun sens un organe. — La. H.]
  2. [Point du tout ; elles ne viennent à l’âme que médiatement, c’est-à-dire par l’entremise des sens. Les objets agissent immédiatement sur les sens, et médiatement sur l’âme. — La H.]
  3. Il faut noter que ce 2e livre traite des Passions, et que la gaîté, la joie et la mélancolie sont de simples manières d’être, ce qu’on appellerait, dans un langage plus rigoureux, des affections ou des impressions. — G.
  4. Le portrait intitule Cléon ou la Folle Ambition (voir les Caractères), n’est que le développement de cette pensée. — G.
  5. Ce chapitre seul suffirait à la gloire philosophique de Vauvenargues, car c’est là que, par une distinction décisive entre l’amour de soi et l’amour-propre, il ruine la théorie de La Rochefoucauld, que bientôt Helvétius devait reprendre et exagérer encore ; c’est là que Vauvenargues annonce sa morale, et qu’il relève la nature humaine, lui proposant des fins plus hautes, en même temps qu’il constate en elle de plus nobles mobiles. — G.
  6. [Fin, profond et juste. — V.]
  7. Sur l’exemple d’Aix, Voltaire remarque qu’il y a deux expressions anglaises répondant à l’idée de Vauvenargues, mais il ne les indique pas. — Ces deux expressions ne seraient-elles pas self-conceit et self-love ? — G.
  8. Davantage, au lieu de plis. — G.
  9. Devant, pour avant. — G.
  10. Il ne faut pas perdre de vue que Vauvenargues prend presque toujours le mot âme dans le sens de cœur. Voy. quelques lignes plus bas, où ce dernier mot remplace l’autre : « … tous les ne sont pas égaux par le cœur. » — G.
  11. [Excellent. — V.] — (Voir plus loin les deux discours sur le même sujet.) — G.
  12. « Ceux qui écrivent contre la gloire veulent avoir la gloire d’avoir bien écrit ; et ceux qui le lisent veulent avoir la gloire de l’avoir lu ; et moi qui écris ceci, j’ai peut-être cette envie ; et peut-être que ceux qui le liront, l’auront aussi. » — Pascal, 1re partie, art. V, pensée III. — G.
  13. [Beau. — V.]
  14. [Très-bien. — V.] — On avait copié cette pensée dans l’Encyclopédie, sans en citer l’auteur. Les journalistes de Trévoux, qui avait fort loué l’ouvrage de Vauvenargues lorsqu’il parut, firent un crime de cette maxime aux encyclopédistes. — M. [On peut juger par ce seul passage, si c’est un contempteur de la religion qui en parlerait comme il parle de la vertu et des lettres, c’est-à-dire des choses dont il paraît, dans tout son livre, faire le plus de cas. — La H.]
  15. [Ils sont avides. — V.]
  16. Cette courte et énergique peinture est tout à fait dans le ton de La Bruyère. — G.
  17. Voltaire et La Harpe, remarquent que, pour suivre la distinction qu’il a établie plus haut (ch. 24), Veuvenargues devait dire, ici plus que partout ailleurs, de l’amour de nous-mêmes. Si, malgré l’avis de Voltaire, l’auteur a maintenu le mot, c’est qu’en effet il n’entend parler ici que de l’idée de propriété, comme il l’appelle, et de la part d’égoïsme qui entre, à cet égard, dans cette affection. Le chapitre suivant explique, par opposition, la pensée de Vauvenargues. — G.
  18. [Cette différence est très-bien observée, et rentre dans le dessein de la nature. Loin de voir, comme Helvétius, dans la dépendance des enfants un principe de haine, Vauvenargues y voit avec raison une des causes de la tendresse familiale. — La H.]
  19. Les divers éditeurs de Vauvenargues donnent ici quatre lignes qui se trouvent, en effet, dans la première édition, mais qui ne paraissent plus dans la seconde. Vauvenargues, d’après le conseil de Voltaire, avait supprimé lui-même sur l’exemplaire d’Aix, ce passage peu important d’ailleurs, et nous ne voyons pas qu’il y ait lieu de le rétablir, contre l’intention de l’auteur. — G.
  20. [Bien. — V.]
  21. [Charmant. — V.]
  22. Plus d’une lettre de la correspondance avec Saint-Vincens (voir plus loin) pourrait servir de commentaire à cette remarquable analyse de l’amitié. — G.
  23. Première édition : « Les jeunes sont aussi très-sensibles, très-confiants et neufs à aimer. » Je regrette ce dernier mot que Voltaire a biffé. — G.
  24. Ici Voltaire met en marge : « Hélas ! les vieillards n’aiment guère ! » — G.
  25. Voyez le 7e Conseil à un jeune homme. — G.
  26. [Ne dirait-on pas que cette persuasion est la chose du monde la plus facile ? Il s’en faut pourtant de quelque chose. — La H.]
  27. Sur l’exemplaire d’Aix, Vauvenargues a retranché ici deux lignes qui, en effet, ne se retrouvent plus dans la seconde édition, et c’est à tort que les divers éditeurs les donnent. — G.
  28. On sait que Vauvenargues a été défiguré par la petite-vérole, et qu’il est mort du contre-coup de cette maladie, si terrible avant la découverte de la vaccine. — G.
  29. [Faible. Il y a de meilleures choses à dire. — V.] — On peut encore ajouter qu’un chap. sur la Physionomie ne paraît pas à sa place dans ce 2e livre, qui traite des Passions.
  30. Vauvenargues entend ici par amour, toute disposition qui nous porte vers un objet ; comme il entend par haine, toute disposition qui nous en éloigne. — S.
  31. Vaucenargues fait évidemment allusion à La Rochefoucauld qui prétend que la pitié « est une habile prévoyance des malheurs où nous pouvons tomber, » et que « les services que nous rendons sont, à proprement parler, des biens que nous faisons par avance. » (264e Max.). — G.
  32. [Cela mérite plus de détail. — V] — [Vous entendrez Helvétius s’écrier : « Quel autre motif que l’intéret personnel pourrait déterminer un homme à des actions généreuses ? » Vous aimerez mieux sans doute entendre ici Vauvenargues qui s’écrie : « Notre âme est-elle donc incapable d’un sentiment désintéressé ? » Les deux exclamations contraires ont également le ton de la conviction intime ; mais Helvétius entasse à l’appui de la sienne une foule de mauvais raisonnements, et celle de Vauvenargues est le dernier mot d’un court chapitre sur la Pitié. C’est qu’il était bien sur que tous ceux qui ont une âme le dispenseraient de la preuve, et qu’Helvétius sentait que tout son esprit ne suffirait pas pour répondre à l’âme de ses lecteurs. — La h.]
  33. [La haine semble être une colère d’habitude ; l’aversion, une forte antipathie ; l’antipathie, un instinct qui nous avertit que tel être n’est pas fait pour le nôtre. — V.]
  34. [Haine de quoi ? — V.]
  35. [Hors-d’œuvre ; à mettre dans le chap. de l’amour-propre. — V.]
  36. Au contraire, pour d’une manière contraire. — S
  37. [Bien. — S.]
  38. Bien. — V.] — Vauvenargues reviendra souvent sur ces idées ; voyez notamment le 8e Conseil à un jeune homme, et toutes les maximes sur la finesse et sur l’habileté. — G.
  39. [Trop commun. — V.]
  40. Ici Voltaire écrit à la marge Girard, faisant allusion, sans doute à l’auteur des Synonymes. — G. — Ce n’est pas à ce qu’il semble, la différence de la faute et du crime, qui constitue celle du repentir et du remords. On peut expier ses crimes par le repentir, et sentir le remords d’une faute. Si le repentir est moins cruel, c’est qu’il suppose le retour, et une résolution de ne plus retomber, qui console toujours. Le remords peut exister avec la résolution de se rendre encore coupable. Heureux, si je puis, dit Mathan dans Athalie,

    À force d’attentats, perdre tous mes remords.

    C’est ainsi que les scélérats les perdent ; il n’y a point pour eux de repentir,

    Dieu fit du repentir la vertu des mortels.

    Heureusement le remords peut naître sans la crainte du châtiment ; mais ce n’est guère que pour les premiers crimes. — S.

  41. [Bien. — V.]
  42. [Pourquoi longue ? V.]
  43. Il faut avouer que la plupart des définitions accumulées ici ne se rattachent pas assez étroitement au sujet annoncé par le titre du chapitre. — G.
  44. Vauvenargues veut-il dire que des artistes n’aiment leur art que comme moyen d’exprimer la grandeur de leur génie ? — La phrase est au moins obscur. — G.
  45. Dans la premiere édition, ce chapitre finissait ainsi : « Il serait sans doute agréable d’élever un edifice sur ses fondements, de l’orner, de s’y reposer : où ne le porterait-on pas ? que n’y ferait-on pas entrer ? Une longue vie suffirait à peine à l’exécution d’un tel dessein. Détourne de ses avantage par de vains désirs, et borné à lier mes réflexions, je cours rapidement au but, et j’ignore l’art d’embellir. » — Il nous a paru intéressant de rétablir, au moins en note, un des rares endroits où Vauvenargues parle de lui. Les vains désirs auxquels il fait allusion feraient penser qu’il écrivait e morceau au moment où il allait se démettre de son grade de capitaine, et solliciter, sans beaucoup d’espérance, un emploi dans la diplomatie. — G.
  46. [Pas assez développé. — V.]
  47. [Idee frivole. — V.]
  48. Sur l’exemplaire d’Aix, Voltaire fait observer que ce n’est pas la la conséquence attendue ; il n’y a cependant qu’a rapprocher cette ligne de celles qui précédent (nous ne connaissons pas les défauts de notre âme, etc.) pour s’assurer que la conséquence est rigoureuse ; j’imagine que ce qui chagrine Voltaire, c’est moins ce passage lui-même, que le mot suivant : Dieu peut tout. — G.
  49. Rapprochez de le 18e Réflexion et du 3e Conseil à jeune homme. — G.