Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Cinquième partie/02

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Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 335-338).


CHAPITRE II

CONSIDÉRATION SUR LE BÉNÉFICE QUE DIEU NOUS FAIT
NOUS APPELANT A SON SERVICE
SELON LA PROTESTATION MISE CI-DESSUS


1. Considérez les points de votre protestation[1]. Le premier, c’est d’avoir quitté, rejeté, détesté, renoncé pour jamais tout péché mortel ; le second, c’est d’avoir dédié et consacré votre âme, votre cœur, votre corps, avec tout ce qui en dépend, à l’amour et service de Dieu ; le troisième, c’est que s’il vous arrivait de tomber en quelque mauvaise action, vous vous en relèveriez soudainement, moyennant la grâce de Dieu. Mais ne sont-ce pas là des belles, justes et dignes et généreuses résolutions ? Pensez bien en votre âme, combien cette protestation est sainte, raisonnable et désirable.

2. Considérez à qui vous avez fait cette protestation ; car c’est à Dieu. Si les paroles raisonnables données aux hommes nous obligent étroitement, combien plus celles que nous avons données à Dieu : « Ah ! Seigneur, disait David, c’est à vous à qui mon cœur Ta dit ; mon cœur a projeté cette bonne parole ; non, jamais je ne l’oublierai ».

3. Considérez en présence de qui, car ç’a été à la vue de toute la cour céleste : hélas ! la Sainte Vierge, saint Joseph, votre bon ange, saint Louis, toute cette bénite troupe vous regardait, et soupirait sur vos paroles des soupirs de joie et d’approbation, et voyait des yeux d’un amour indicible votre cœur prosterné aux pieds du Sauveur, qui se consacrait à son service. On fit une joie particulière pour cela parmi la Jérusalem céleste ; et maintenant on en fera la commémoration, si de bon cœur vous renouvelez vos résolutions.

4. Considérez par quels moyens vous fîtes votre protestation. Hélas ! combien Dieu vous fut doux et gracieux en ce temps-là ! Mais dites en vérité, fûtes-vous pas conviée par des doux attraits du Saint-Esprit ? Les cordes avec lesquelles Dieu tira votre petite barque à ce port salutaire, furent-elles pas d’amour et charité ? Comme vous alla-t-il amorçant avec son sucre divin, par les sacrements, par la lecture, par l’oraison ? Hélas ! chère Philothée, vous dormiez, et Dieu veillait sur vous et pensait sur votre cœur des pensées de paix, il méditait pour vous des méditations d’amour.

5. Considérez en quel temps Dieu vous tira à ces grandes résolutions, car ce fut en la fleur de votre âge. Ah ! quel bonheur d’apprendre tôt, ce que nous ne pouvons savoir que trop tard ! Saint Augustin, ayant été tiré à l’âge de trente ans, s’écriait : « O ancienne Beauté, comme t’ai-je si tard connue ? Hélas ! je te voyais et ne te considérais point ». Et vous pourrez bien dire : « O douceur ancienne, pourquoi ne t’ai-je plutôt savourée ? » Hélas ! néanmoins, encore ne le méritiez-vous pas alors ; et partant, reconnaissant quelle grâce Dieu vous a faite, de vous attirer en votre jeunesse, dites avec David : « O mon Dieu, vous m’avez éclairée et touchée dès ma jeunesse, et jusques à jamais j’annoncerai votre miséricorde ». Que si ç’a été en votre vieillesse, hélas ! Philothée, quelle grâce, qu’après avoir ainsi abusé des années précédentes. Dieu vous ait appelée avant la mort, et qu’il ait arrêté la course de votre misère au temps auquel, si elle eût continué, vous étiez éternellement misérable !

Considérez les effets de cette vocation : vous trouverez, je pense, en vous de bons changements, comparant ce que vous êtes avec ce que vous étiez. Ne prenez-vous point à bonheur de savoir parler à Dieu par l’oraison, d’avoir affection à le vouloir aimer, d’avoir accoisé et pacifié beaucoup de passions qui vous inquiétaient, d’avoir évité plusieurs péchés et embarrassements de conscience, et enfin, d avoir si souvent communié de plus que vous n’eussiez pas fait, vous unissant à cette souveraine source de grâces éternelles ? Ah ! que ces grâces sont grandes ! il faut, ma Philothée, les peser au poids du sanctuaire. C’est la main dextre de Dieu qui a fait tout cela. « La bonne main de Dieu, dit David, a fait vertu ; sa dextre m’a relevé. Ah ! je ne mourrai pas, mais je vivrai et raconterai de cœur, de bouche et par œuvres les merveilles de sa bonté.

Après toutes ces considérations, lesquelles, comme vous voyez, fournissent tout plein de bonnes affections, il faut simplement conclure par action de grâce et une prière affectionnée d’en bien profiter, se retirant avec humilité et grande confiance en Dieu, réservant de faire l’effort des résolutions après le deuxième point de cet exercice.

  1. Voir plus haut 1re Partie, chap. 20.