Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Seconde partie/09

La bibliothèque libre.
Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 78-79).


CHAPITRE IX

POUR LES SÉCHERESSES QUI ARRIVENT EN LA MÉDITATION


S’il vous arrive, Philothée, de n’avoir point de goût ni de consolation en la méditation, je vous conjure de ne vous point troubler, mais quelquefois ouvrez la porte aux paroles vocales : lamentez-vous de vous-même à Notre Seigneur, confessez votre indignité, priez-le qu’il vous soit en aide, baisez son image si vous l’avez, dites-lui ces paroles de Jacob : « Si[1] ne vous laisserai-je point. Seigneur, que vous ne m’ayez donné votre bénédiction » ; ou celles de la Chananée[2] : « Oui, Seigneur, je suis une chienne, mais les chiens mangent des miettes de la table de leur maître ». Autres fois, prenez un livre en main, et le lisez avec attention jusques à ce que votre esprit soit réveillé et remis en vous ; piquez quelquefois votre cœur par quelque contenance et mouvement de dévotion extérieure, vous prosternant en terre, croisant les mains sur l’estomac, embrassant un crucifix : cela s’entend si vous êtes en quelque lieu retiré.

Que si après tout cela vous n’êtes point consolée, pour grande que soit votre sécheresse, ne vous troublez point, mais continuez à vous tenir en une contenance dévote devant votre Dieu. Combien de courtisans y a-t-il qui vont cent fois l’année en la chambre du prince sans espérance de lui parler, mais seulement pour être vus de lui et rendre leur devoir. Ainsi devons-nous venir, ma chère Philothée, à la sainte oraison, purement et simplement pour rendre notre devoir et témoigner notre fidélité. Que s’il plaît à la divine Majesté de nous parler et s’entretenir avec nous par ses saintes inspirations et consolations intérieures, ce nous sera sans doute un grand honneur et un plaisir délicieux ; mais s’il ne lui plaît pas de nous faire cette grâce, nous laissant là sans nous parler, non plus que s’il ne nous voyait pas et que nous ne fussions pas en sa présence, nous ne devons pourtant pas sortir, ains au contraire nous devons demeurer là, devant cette souveraine bonté, avec un maintien dévotieux et paisible ; et lors infailliblement il agréera notre patience, et remarquera notre assiduité et persévérance, si qu’une autre fois, quand nous reviendrons devant lui, il nous favorisera et s’entretiendra avec nous par ses consolations, nous faisant voir l’aménité de la sainte oraison. Mais quand il ne le ferait pas, contentons-nous, Philothée, que ce nous est un honneur trop plus grand d’être auprès de lui et à sa vue.

  1. Ici, simple particule affirmative.
  2. La Chananéenne.