Introduction aux études historiques/1/1

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Livre I


LIVRE I

LES CONNAISSANCES PRÉALABLES


CHAPITRE I

LA RECHERCHE DES DOCUMENTS
(HEURISTIQUE)

L’histoire se fait avec des documents. Les documents sont les traces qu’ont laissées les pensées et les actes des hommes d’autrefois. Parmi les pensées et les actes des hommes, il en est très peu qui laissent des traces visibles, et ces traces, lorsqu’il s’en produit, sont rarement durables : il suffit d’un accident pour les effacer. Or, toute pensée et tout acte qui n’a pas laissé de traces, directes ou indirectes, ou dont les traces visibles ont disparu, est perdu pour l’histoire : c’est comme s’il n’avait jamais existé. Faute de documents, l’histoire d’immenses périodes du passé de l’humanité est à jamais inconnaissable. Car rien ne supplée aux documents : pas de documents, pas d’histoire.

Pour conclure légitimement d’un document au fait dont il est la trace, il faut prendre de nombreuses précautions, qui seront indiquées plus loin. — Mais il est clair que, préalablement à tout examen critique et à toute interprétation des documents, se pose la question de savoir s’il y en a, combien il y en a, et où ils sont. Si j’ai l’idée de traiter un point d’histoire[1], quel qu’il soit, je m’informerai d’abord de l’endroit ou des endroits où reposent les documents nécessaires pour le traiter, supposé qu’il en existe. Chercher, recueillir les documents est donc une des parties, logiquement la première, et une des parties principales, du métier d’historien. En Allemagne, on lui a donné le nom d’Heuristique (Heuristik), commode parce qu’il est bref. — Est-il utile de démontrer l’importance capitale de l’Heuristique ? Non, sans doute. Il va de soi que, si on ne la pratique pas bien, c’est-à-dire si l’on ne sait pas s’entourer, avant de commencer un travail historique, de tous les renseignements accessibles, on augmente gratuitement ses chances (toujours nombreuses, quoi qu’on fasse) d’opérer sur des données insuffisantes : des œuvres d’érudition ou d’histoire, faites conformément aux règles de la méthode la plus exacte, ont été viciées, ou même totalement annulées, à cause de cette simple circonstance matérielle que l’auteur ne connaissait pas des documents par lesquels ceux qu’il avait sous la main, et dont il s’est contenté, auraient été éclaircis, complétés ou ruinés. Toutes choses égales d’ailleurs entre eux, la supériorité des érudits et des historiens modernes sur les érudits et les historiens des derniers siècles consiste en ce que ceux-ci ont eu moins de moyens d’être bien informés que n’en ont ceux-là[2]. L’Heuristique, en effet, est aujourd’hui plus facile qu’autrefois, quoique le bon Wagner soit encore fondé à dire :

Wie schwer sind nicht die Mittel zu erwerben
Durch die man zu den Quellen steigt[3] !

Essayons d’expliquer pourquoi la récolte des documents, naguère si laborieuse, est encore, quels qu’aient été, depuis un siècle, les progrès accomplis, très pénible ; et comment cette opération essentielle pourrait, grâce à de nouveaux progrès, être ultérieurement simplifiée.

I. Ceux qui, les premiers, ont essayé d’écrire l’histoire d’après les sources, se sont trouvés dans une situation embarrassante. — S’agissait-il de raconter des événements relativement récents, dont tous les témoins n’étaient pas morts ? On avait la ressource d’interviewer les témoins survivants. Thucydide, Froissart, et bien d’autres, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, ont procédé de la sorte. Lorsque l’historien de la côte californienne du Pacifique, H. H. Bancroft, se proposa de recueillir les matériaux d’une histoire dont quelques acteurs vivaient encore, il n’épargna rien, il mobilisa une armée de reporters, pour leur soutirer des conversations[4]. — Mais s’agissait-il d’événements anciens, qu’aucun homme vivant n’avait pu voir et dont la tradition orale n’avait gardé aucun souvenir ? Il n’y avait pas d’autre moyen que de réunir des documents de toute sorte, principalement des écrits, relatifs au passé lointain dont on s’occupait. C’était difficile, alors que les bibliothèques étaient rares, les archives secrètes et les documents dispersés. H. H. Bancroft, qui s’est trouvé à cet égard, vers 1860, en Californie, dans la situation où les premiers chercheurs se sont trouvés, autrefois, dans nos contrées, s’en est tiré comme il suit. Il était riche : il a râflé, à n’importe quel prix, tous les documents à vendre, imprimés ou manuscrits ; il a négocié avec des familles et des corporations dans la gêne l’achat de leurs archives ou la permission d’en faire prendre copie par des copistes à ses gages. Cela fait, il a logé sa collection dans un bâtiment ad hoc, et il l’a classée. Théoriquement, rien de plus rationnel. Mais cette procédure rapide, à l’américaine, n’a été employée qu’une fois avec l’esprit de suite et les ressources qui en ont assuré le succès ; ailleurs et en d’autres temps elle n’eût pas, du reste, été de mise. Ailleurs, les choses ne se sont pas, malheureusement, passées ainsi.

À l’époque de la Renaissance, les documents de l’histoire ancienne et de l’histoire du moyen âge étaient dispersés dans d’innombrables bibliothèques privées et dans d’innombrables dépôts d’archives, presque tous inaccessibles, sans parler de ceux que le sol recélait encore et dont personne ne soupçonnait l’existence. Il était alors matériellement impossible de se procurer la liste de tous les documents utiles pour élucider une question (par exemple, la liste de tous les manuscrits conservés d’un ouvrage ancien) ; impossible encore, si, par miracle, on avait eu pareille liste, de consulter tous ces documents sans des voyages, des dépenses et des démarches interminables. D’où des conséquences, faciles à prévoir, qui se sont, en effet, produites : 1o l’Heuristique offrant pour eux des difficultés insurmontables, les premiers érudits et les premiers historiens, qui se sont servis, non de tous les documents, ni des meilleurs documents, mais des documents qu’ils avaient à leur portée, ont été presque toujours mal renseignés, et leurs œuvres ne sont plus intéressantes que dans la mesure où ils ont utilisé des documents aujourd’hui perdus ; 2o les premiers érudits et les premiers historiens qui aient été relativement bien renseignés sont ceux qui, à cause de leur profession, avaient accès dans de riches dépôts de documents : bibliothécaires, archivistes, religieux, magistrats, dont l’Ordre ou la Compagnie possédait des bibliothèques ou des archives considérables[5].

De bonne heure intervinrent, il est vrai, des collectionneurs qui, à prix d’argent, voire par des moyens moins recommandables, tels que le vol, se formèrent, avec des intentions plus ou moins scientifiques, des « cabinets », des collections de documents originaux et de copies. Mais ces collectionneurs européens, nombreux depuis le xve siècle, diffèrent assez notablement de H. H. Bancroft. En effet, notre Californien n’a recueilli que des documents relatifs à un sujet particulier (l’histoire de certains États du Pacifique), et il a eu l’ambition de les recueillir tous ; la plupart des collectionneurs européens ont acquis des pièces, des épaves, des fragments de toute espèce et un nombre de documents très petit par rapport à la masse colossale des documents historiques qui existaient de leur temps. De plus, ce n’est pas, en général, avec le dessein de les rendre publici juris que les Peiresc, les Gaignières, les Clairambault, les Colbert, et tant d’autres, ont retiré de la circulation des documents qui risquaient de s’y perdre : ils se contentaient (et c’était déjà louable) de les communiquer, plus ou moins libéralement, à leurs amis. Mais l’humeur des collectionneurs (et de leurs héritiers) est changeante, souvent bizarre. Certes, il vaut mieux que les documents se trouvent dans des collections particulières qu’exposés à tous les hasards ou soustraits absolument à la curiosité scientifique ; mais, pour que l’Heuristique soit véritablement facilitée, la première condition est que toutes les collections de documents soient publiques[6]

Or, les plus belles des collections privées de documents — à la fois bibliothèques et musées — furent naturellement en Europe, à partir de la Renaissance, celles des rois. Dès l’ancien régime, les collections royales ont été presque toutes ouvertes, ou entre-bâillées, au public. Et tandis que les autres collections particulières étaient souvent liquidées après la mort de leurs auteurs, elles, au contraire, n’ont pas cessé de s’accroître : elles se sont enrichies précisément des débris de toutes les autres. Le Cabinet des manuscrits de France, par exemple, formé par les rois de France et ouvert par eux au public, avait, à la fin du xviiie siècle, absorbé la meilleure partie des collections qui avaient été l’œuvre personnelle des amateurs et des érudits des deux siècles antérieurs[7]. De même, dans les autres pays. La concentration d’un grand nombre de documents historiques dans de vastes établissements publics, ou à peu près publics, fut le résultat excellent de cette évolution spontanée.

Plus favorable et plus efficace encore pour améliorer les conditions matérielles des recherches historiques fut l’arbitraire révolutionnaire. En France la Révolution de 1789, des mouvements analogues dans d’autres pays, ont procuré la confiscation, par la violence, au profit de l’État, c’est-à-dire de tout le monde, d’une foule d’archives privées et de collections particulières : archives, bibliothèques et musées de la couronne, archives et bibliothèques de couvents et de corporations supprimées, etc. Chez nous, en 1790, l’Assemblée constituante mit ainsi l’État en possession d’une prodigieuse quantité de dépôts de documents historiques, auparavant dispersés et plus ou moins jalousement défendus contre la curiosité des érudits ; ces richesses ont été réparties depuis entre quelques établissements nationaux. Le même phénomène s’est produit plus récemment, sur une moins grande échelle, en Allemagne, en Espagne, en Italie.

Ni les collections de l’ancien régime, ni les confiscations révolutionnaires ne se sont faites sans causer d’importants dommages. Le collectionneur est, ou plutôt était souvent jadis, un barbare qui n’hésitait pas, pour enrichir ses collections de pièces et de débris rares, à mutiler des monuments, à dépecer des manuscrits, à disloquer des fonds d’archives, en vue de s’en approprier des morceaux. De ce chef, bien des actes de vandalisme ont été accomplis avant la Révolution. Les opérations révolutionnaires de confiscation et de transfert eurent aussi, naturellement, des conséquences très fâcheuses : outre que l’on détruisit alors par négligence, ou même pour le plaisir de détruire, on eut l’idée malheureuse de trier systématiquement, de ne conserver que les documents « intéressants » ou « utiles », et de se débarrasser des autres. Le tri fit alors commettre à des hommes pleins de bonnes intentions, mais incompétents et surmenés, des ravages irréparables dans nos archives anciennes : il y a aujourd’hui des travailleurs qui s’exercent, ce qui demande infiniment de temps, de patience et de soin, à reconstituer les fonds démembrés et à rajuster en leur place les fragments isolés par le zèle irréfléchi de ceux qui manipulèrent jadis de la sorte, avec brutalité, les documents historiques. Il faut reconnaître d’ailleurs que les mutilations causées par les collectionneurs de l’ancien régime et par les opérations révolutionnaires sont insignifiantes en regard de celles qui proviennent d’accidents fortuits et des effets naturels du temps. Mais fussent-elles dix fois plus graves, elles seraient encore largement compensées par ces deux bienfaits de premier ordre, que l’on ne saurait trop mettre en relief : 1o la concentration, dans quelques dépôts, relativement peu nombreux, de documents qui jadis étaient disséminés, et comme perdus, en cent endroits différents ; 2o la publicité de ces dépôts. Désormais, ce qui reste de documents historiques anciens, après les grandes destructions du hasard et du vandalisme, est enfin mis à l’abri, classé, communiqué et considéré comme une partie du patrimoine social.

Les documents historiques anciens sont donc réunis et conservés aujourd’hui, en principe, dans ces établissements publics que l’on appelle archives, bibliothèques et musées. À la vérité, tous les documents qui existent n’y sont pas puisque, malgré les incessantes acquisitions à titre onéreux et à titre gratuit que font chaque année, depuis longtemps, dans le monde entier, les archives, les bibliothèques et les musées, il y a encore des collections privées, des marchands qui les alimentent, et des documents en circulation. Mais l’exception, qui est négligeable, n’entame pas, ici, la règle. Tous les documents anciens, en quantité limitée, qui extravaguent encore, viendront, du reste, échouer tôt ou tard dans les établissements d’État, dont le propriétaire perpétuel acquiert toujours, n’aliène jamais[8].

En principe, il est désirable que les dépôts de documents (archives, bibliothèques et musées) ne soient pas trop nombreux, et nous avons dit qu’heureusement ils le sont moins, sans comparaison, aujourd’hui qu’il y a cent ans. La centralisation des documents, dont les avantages, pour les travailleurs, sont évidents, pourrait-elle être poussée encore plus loin ? N’existe-t-il pas encore des dépôts dont l’autonomie se justifie mal ? Peut-être[9] ; mais le problème de la centralisation des documents a cessé d’être grave et urgent depuis que les procédés de reproduction ont été perfectionnés, et surtout depuis que l’habitude a été généralement prise de remédier aux inconvénients de la multiplicité des dépôts en faisant voyager les documents : on peut maintenant consulter, sans frais, dans la bibliothèque publique de la ville où l’on réside, des documents qui appartiennent aux bibliothèques de Saint-Pétersbourg, de Bruxelles et de Florence, par exemple ; assez rares sont désormais les établissements comme les Archives nationales de Paris, le Musée britannique de Londres, et la Bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence, dont les statuts interdisent absolument les communications au dehors[10].

II. Étant donné que la plupart des documents historiques sont aujourd’hui conservés dans des établissements publics (archives, bibliothèques et musées), l’Heuristique serait très aisée, si seulement de bons inventaires descriptifs de tous les dépôts de documents qui existent avaient été dressés, si ces inventaires étaient munis de tables ou si des répertoires généraux (alphabétiques, systématiques, etc.) en avaient été faits ; enfin s’il était possible de consulter quelque part la collection complète de tous ces inventaires et de leurs index. Mais l’Heuristique est très pénible, parce que ces conditions sont encore loin, par malheur, d’être convenablement réalisées.

D’abord, il y a des dépôts de documents (archives, bibliothèques et musées) dont le contenu n’a jamais été catalogué, même en partie, de sorte que personne ne sait ce qui s’y trouve. Les dépôts dont on possède des inventaires descriptifs complets sont rares ; beaucoup de fonds, conservés dans de célèbres établissements dont les collections n’ont été inventoriées qu’en partie, restent encore à décrire[11]. — En second lieu, que de différences entre les inventaires déjà exécutés ! Il en est d’anciens, qui, parfois, ne correspondent même plus au classement actuel des documents, et dont on ne saurait se servir sans concordances ; il en est de modernes qui n’en sont pas moins rédigés d’après des systèmes surannés, trop détaillés ou trop sommaires ; les uns sont imprimés, les autres manuscrits, sur registres ou sur fiches ; quelques-uns sont soignés et définitifs, beaucoup sont bâclés, insuffisants et provisoires. Apprendre à distinguer, dans cette énorme littérature confuse des inventaires imprimés (pour ne parler que de ceux-là), ce qui mérite confiance de ce qui n’en mérite pas, en un mot à s’en servir, est tout un apprentissage. — Enfin, où consulter commodément les inventaires qui existent ? La plupart des grandes bibliothèques n’en possèdent que des collections incomplètes ; il n’en existe nulle part de répertoires généraux.

Cet état de choses est très fâcheux. En effet, les documents que renferment les dépôts et les fonds qui ne sont pas inventoriés sont vraiment comme s’ils n’étaient pas pour tous les travailleurs qui n’ont point le loisir de dépouiller eux-mêmes, d’un bout à l’autre, ces dépôts et ces fonds. Nous avons dit : pas de documents, pas d’histoire. Mais pas de bons inventaires descriptifs des dépôts de documents, cela équivaut, en pratique, à l’impossibilité de connaître l’existence des documents autrement que par hasard. Disons donc que les progrès de l’histoire dépendent en grande partie des progrès de l’inventaire général des documents historiques, qui est encore aujourd’hui fragmentaire et imparfait. — Aussi bien, tout le monde est d’accord sur ce point. Le P. Bernard de Montfaucon considérait sa Bibliotheca bibliothecarum manuscriptorum nova, un recueil de catalogues de bibliothèques, comme « l’ouvrage le plus utile et le plus intéressant qu’il eût fait en sa vie[12] ». « Dans l’état actuel de la science, écrivait E. Renan en 1848[13], il n’y a pas de travail plus urgent qu’un catalogue critique des diverses manuscrits des diverses bibliothèques… Voilà, en apparence, une besogne bien humble ;… et pourtant les recherches érudites seront entravées et incomplètes jusqu’à ce que ce travail soit fait d’une manière définitive. » « Nous aurions de meilleurs livres sur notre ancienne littérature, dit M. P. Meyer[14], si les prédécesseurs de M. Delisle [comme administrateur de la Bibliothèque nationale de Paris] avaient apporté la même ardeur et la même diligence à inventorier les richesses confiées à leurs soins. »

Il importe d’indiquer, en peu de mots, les causes et de préciser les conséquences d’une situation que l’on déplore depuis qu’il y a des érudits, et qui s’améliore, mais lentement.

« Je vous affirme, disait E. Renan[15], que les quelques cent mille francs qu’un ministre de l’Instruction publique y affecterait [à la confection d’inventaires] seraient mieux employés que les trois quarts de ceux que l’on consacre aux lettres. » Il ne s’est rencontré que rarement, aussi bien à l’étranger qu’en France, des ministres convaincus de cette vérité, et assez décidés pour se conduire en conséquence. Il n’a pas, d’ailleurs, toujours été vrai que, pour procurer de bons inventaires, il soit suffisant, comme il est nécessaire, de faire des sacrifices d’argent : les meilleures méthodes à employer pour la description des documents n’ont été assurées que récemment ; le recrutement de travailleurs compétents, qui n’offrirait pas aujourd’hui de grandes difficultés, eût été très malaisé et hasardeux, à l’époque où les travailleurs compétents étaient plus rares. — Mais passons sur les obstacles matériels : manque d’argent et manque d’hommes. Une cause d’un autre ordre n’a pas été sans action. — Les fonctionnaires chargés d’administrer les dépôts de documents n’ont pas toujours montré autant de zèle qu’ils en montrent maintenant pour en faire connaître les ressources par des inventaires corrects. Dresser des inventaires (comme on les dresse de nos jours, à la fois très exacts et sommaires) est une besogne pénible, très pénible, sans joie comme sans récompense. Plus d’un, vivant, à cause de ses fonctions, au milieu des documents, libre de les consulter à toute heure, beaucoup mieux placé que le public, en l’absence de tout inventaire, pour faire des dépouillements, et, au cours de ces dépouillements, des découvertes, plus d’un a préféré travailler pour lui plutôt que pour autrui, et fait passer la fastidieuse rédaction d’un catalogue après ses recherches personnelles. Qui est-ce qui, de nos jours, a découvert, publié, commenté le plus grand nombre de documents ? Ce sont les fonctionnaires attachés aux dépôts de documents. L’avancement de l’inventaire général des documents historiques en a été, sans doute, retardé. Il s’est trouvé que ceux-là précisément étaient le mieux en mesure de se passer d’inventaires dont le devoir professionnel était d’en faire.

Les conséquences de l’imperfection des inventaires descriptifs sont dignes d’attention. — D’une part, on n’est jamais certain d’avoir épuisé toutes les sources d’information : qui sait ce que tiennent en réserve les dépôts et les fonds non catalogués[16] ? D’autre part, on est obligé, pour se procurer autant d’informations que possible, d’avoir une connaissance approfondie des ressources que fournit la littérature actuelle de l’Heuristique, et de consacrer beaucoup de temps aux recherches préliminaires. — En fait, quiconque se propose de recueillir des documents pour traiter un point d’histoire, commence par consulter les répertoires et les inventaires[17]. Les novices procèdent à cette opération capitale avec une maladresse, une lenteur et des efforts qui excitent chez les personnes expérimentées, suivant leur tempérament, le sourire ou la compassion. Ceux qui sourient en voyant les novices patauger, et peiner, et perdre du temps à se débrouiller au milieu des inventaires, en négliger de précieux et en dépouiller d’inutiles, se disent qu’eux-mêmes ont passé jadis par des épreuves analogues : chacun son tour. Ceux qui voient avec regret ce gaspillage de temps et de forces pensent que, s’il est, jusqu’à un certain point, inévitable, il n’a rien de bienfaisant : ils se demandent s’il n’y aurait pas moyen de rendre un peu moins rude cet apprentissage de l’Heuristique, qui, naguère, leur a coûté si cher. Est-ce que, d’ailleurs, par elles-mêmes, dans l’état présent de l’outillage, les recherches ne sont pas bien assez difficiles, quelle que soit l’expérience des chercheurs ? Il y a des érudits et des historiens qui dépensent, en recherches matérielles, le plus clair de leur activité. Certains travaux, relatifs principalement à l’histoire du moyen âge et à l’histoire moderne (car les documents de l’histoire ancienne, moins nombreux et plus étudiés, sont aussi mieux répertoriés que les autres), certains travaux historiques supposent, non seulement la consultation assidue des inventaires (qui ne sont pas tous munis de tables), mais encore des dépouillements immenses, directs, dans des fonds mal pourvus, ou tout à fait dépourvus d’inventaires. Il n’est pas douteux, il est prouvé par l’expérience, que la perspective de ces très longues enquêtes à effectuer, préalablement à toute opération plus relevée, a détourné et détourne, de l’érudition historique, des esprits excellents. Telle est, en effet, l’alternative : ou travailler sur des documents très probablement incomplets, ou s’absorber dans des dépouillements indéfinis, souvent infructueux, et dont les résultats ne paraissent presque jamais valoir le temps dépensé. N’est-il pas répugnant d’employer une grande partie de sa vie à feuilleter des catalogues sans tables, ou à balayer des yeux, les unes après les autres, toutes les pièces qui composent des fonds de miscellanea non catalogués, pour se procurer des renseignements (positifs ou négatifs), que l’on aurait eus sans peine, en un instant, si ces fonds étaient catalogués, si les catalogues avaient des tables ? La conséquence la plus grave de l’imperfection des instruments actuels de l’Heuristique, c’est à coup sûr de décourager beaucoup d’hommes intelligents, qui ont la conscience de leur valeur et le sentiment d’une proportion normale entre l’effort et sa récompense[18].

S’il était dans la nature des choses que la recherche des documents historiques, dans les dépôts publics, fût nécessairement aussi laborieuse qu’elle l’est encore, on s’y résignerait : personne ne s’avise de regretter les dépenses inévitables de temps et de travail que coûtent les fouilles archéologiques, quels qu’en soient les résultats. Mais l’imperfection des instruments modernes de l’Heuristique n’a rien de nécessaire. Aux derniers siècles, la situation était bien pire ; rien ne s’oppose à ce qu’un jour elle soit tout à fait bonne. — Nous sommes amenés ainsi, après avoir parlé des causes et des conséquences, à dire un mot des remèdes.

Sous nos yeux, l’outillage de l’Heuristique se perfectionne continuellement, par deux voies. Chaque année augmente le nombre des inventaires descriptifs d’archives, de bibliothèques et de musées, dressés par les soins des fonctionnaires de ces établissements. D’un autre côté, de puissantes Sociétés scientifiques entretiennent des travailleurs experts à cataloguer les documents, qui se transportent successivement dans tous les dépôts, pour y relever tous les documents d’une certaine espèce, ou relatifs au même sujet : c’est ainsi que la Société des Bollandistes fait exécuter par ses missionnaires, dans diverses bibliothèques, un Catalogue général des documents hagiographiques, et l’Académie impériale de Vienne un Catalogue des monuments de la littérature patristique. La Société des Monumenta Germaniæ historica a institué depuis longtemps de vastes enquêtes du même genre ; ce sont de pareilles enquêtes dans les musées et les bibliothèques de l’Europe entière qui naguère ont rendu possible la fabrication du Corpus inscriptionum latinarum. Enfin plusieurs Gouvernements ont pris l’initiative d’envoyer à l’étranger des personnes chargées d’inventorier, pour leur compte, les documents qui les intéressent : c’est ainsi que l’Angleterre, les Pays-Bas, la Suisse, les États-Unis, etc., accordent des subventions régulières à leurs agents qui inventorient et transcrivent, dans les grands dépôts de l’Europe, les documents qui concernent l’histoire de l’Angleterre, des Pays-Bas, de la Suisse, des États-Unis[19], etc. — Avec quelle célérité et quelle perfection ces utiles travaux peuvent être conduits aujourd’hui, pourvu que, dès l’origine, une sage méthode ait été adoptée, et pourvu que l’on dispose, en même temps que de quelque argent pour le rétribuer, d’un personnel compétent, convenablement dirigé, l’histoire du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France le montre : commencé en 1885, cet excellent Catalogue descriptif compte en 1897 près de cinquante volumes et sera bientôt terminé. Le Corpus inscriptionum latinarum aura été exécuté en moins de cinquante années. Les résultats obtenus par les Bollandistes et par l’Académie impériale de Vienne ne sont pas moins concluants. Il suffit sûrement, désormais, d’y mettre le prix pour doter à bref délai les études historiques des instruments de recherche indispensables. La méthode pour les faire est, en effet, fixée, et un personnel exercé serait aisément recruté. — Ce personnel serait évidemment composé en grande partie d’archivistes et de bibliothécaires de profession, mais aussi des travailleurs libres qui ont une vocation décidée pour la fabrication des catalogues et des tables de catalogues. Ces travailleurs-là sont plus nombreux que l’on serait porté à le croire, au premier abord. Non pas que cataloguer soit facile : cela exige de la patience, l’attention la plus scrupuleuse et l’érudition la plus variée ; mais beaucoup d’esprits se plaisent à des besognes qui, comme celle-là, sont à la fois précises, susceptibles d’être faites d’une manière achevée et manifestement utiles. Dans la grande famille, si différenciée, de ceux qui travaillent au progrès des études historiques, les faiseurs de catalogues descriptifs et d’index forment une section à part. Comme c’est naturel, ils acquièrent dans l’exercice de leur art, lorsqu’ils s’y livrent exclusivement, une extrême dextérité.

En attendant que la convenance et l’opportunité de pousser vivement, dans tous les pays, l’inventaire général des documents historiques soient clairement conçues, un palliatif est indiqué : il faut que les érudits et les historiens, surtout les débutants, soient exactement informés de l’état des instruments de recherche qui sont à leur disposition, et tenus régulièrement au courant des améliorations de l’outillage. — Pour cela, on s’est fié longtemps à l’expérience, au hasard ; mais les connaissances empiriques, outre que, comme il a été dit, elles ne s’acquièrent qu’à grands frais, sont presque toujours imparfaites. — On a entrepris récemment de dresser des répertoires, raisonnés et critiques, des inventaires qui existent, des catalogues de catalogues. Peu d’entreprises bibliographiques ont sans doute, au même degré que celle-là, un caractère d’utilité générale.

Mais les érudits et les historiens ont souvent besoin d’avoir, au sujet des documents, des renseignements que les inventaires et les catalogues descriptifs ne leur fournissent pas d’ordinaire ; de savoir, par exemple, si tel document est connu ou non, s’il a déjà été critiqué, commenté, utilisé[20]. Ces renseignements, ils ne les trouveront que dans les ouvrages des érudits et des historiens antérieurs. Pour avoir connaissance de ces ouvrages, il faut recourir aux « répertoires bibliographiques » proprement dits, de toutes formes, composés à des points de vue très divers, qui en ont été publiés. Les répertoires bibliographiques de la littérature historique doivent donc être considérés, aussi bien que les répertoires d’inventaires de documents originaux, comme des instruments indispensables de l’Heuristique.

Donner la liste raisonnée de tous ces répertoires (répertoires d’inventaires, répertoires bibliographiques proprement dits) avec les avertissements convenables, afin de faire faire au public studieux des économies de temps et d’erreurs, est l’objet de ce qu’il est légitime d’appeler, si l’on veut, la « Science des répertoires » ou « Bibliographie historique ». M. E. Bernheim en a publié une première esquisse[21], que nous avons essayé d’agrandir[22]. L’esquisse agrandie est datée d’avril 1896 : de nombreuses additions, sans parler des retouches, y seraient déjà nécessaires, car l’outillage bibliographique des sciences historiques se renouvelle, en ce moment, avec une rapidité surprenante. Un livre sur les répertoires à l’usage des érudits et des historiens est, en règle générale, vieilli dès le lendemain du jour où il a été achevé.

III. La connaissance des répertoires est utile à tout le monde ; la recherche préliminaire des documents est laborieuse pour tout le monde ; mais non pas au même degré. — Certaines parties de l’histoire, cultivées depuis longtemps, sont arrivées à un tel degré de maturité que, tous les documents conservés étant connus, réunis et classés dans de grandes publications spéciales, l’œuvre historique peut se faire maintenant tout entière, sur ces points-là, par le travail de cabinet. Les études d’histoire locale n’obligent d’ordinaire qu’à des enquêtes locales. Il y a des monographies importantes qui se fondent sur un petit nombre de documents, trouvés ensemble dans le même fonds, et de telle nature qu’il serait superflu d’en chercher d’autres ailleurs. Au contraire, telle humble monographie, telle modeste édition d’un texte dont les exemplaires anciens ne sont pas rares, et se trouvent dispersés dans plusieurs bibliothèques de l’Europe, a nécessité des consultations, des démarches et des déplacements infinis. La plupart des documents de l’histoire du bas moyen âge et de l’histoire moderne étant encore inédits ou mal édités, on peut poser en principe que, pour établir aujourd’hui un chapitre vraiment neuf d’histoire médiévale ou moderne, il faut avoir fréquenté longuement les grands dépôts de pièces originales, et en avoir, pour ainsi dire, fatigué les catalogues.

Que chacun choisisse donc avec le plus grand soin le sujet de ses travaux, au lieu de s’en remettre pour cela, purement et simplement, au hasard. Tels sujets ne peuvent être traités, dans l’état actuel des instruments de recherche, qu’au prix de ces énormes dépouillements où l’intelligence et la vie s’usent sans profit ; ils ne sont pas nécessairement plus intéressants que d’autres, et un jour, demain peut-être, par le seul fait des perfectionnements de l’outillage, ils deviendront aisément abordables. Il faut choisir, de propos délibéré, et en connaissance de cause, certains sujets d’études historiques plutôt que d’autres, suivant que certains répertoires de documents et certains répertoires bibliographiques existent ou n’existent pas ; suivant que l’on aime ou que l’on n’aime pas le travail de cabinet ou le travail d’exploration dans les dépôts ; suivant même que l’on a ou que l’on n’a pas les moyens de fréquenter commodément certains dépôts. « Peut-on travailler en province ? » s’est demandé M. Renan au Congrès des Sociétés savantes, à la Sorbonne, en 1889 ; il s’est répondu très sagement : « Une moitié au moins de l’œuvre scientifique peut se faire par le travail de cabinet… Soit la philologie comparée, par exemple : avec une première mise de fonds de quelques milliers de francs, et l’abonnement à trois ou quatre recueils spéciaux, on posséderait tous les outils nécessaires… J’en dirai autant des idées philosophiques générales… Un très grand nombre de branches d’études pourraient être ainsi cultivées d’une façon toute privée, et dans les endroits les plus retirés[23]. » Sans doute ; mais il y a « des raretés, des spécialités, des recherches qui exigent de puissants outillages ». Une moitié de l’œuvre historique peut se faire, désormais, il est vrai, par le travail de cabinet, avec des ressources restreintes, mais une moitié seulement ; l’autre moitié suppose encore la mise à contribution des ressources, en répertoires et en documents, qu’offrent seuls les grands centres d’étude ; souvent même, il est nécessaire de visiter successivement plusieurs grands centres d’étude. Bref, il en est de l’histoire comme de la géographie ; sur certaines parties de la terre, on possède des documents assez complets et assez bien classés, dans des publications maniables, pour que l’on puisse en raisonner utilement, au coin du feu, sans se déranger ; tandis que la moindre monographie d’une région inexplorée ou mal explorée suppose une exertion de forces physiques et une dépense de temps considérables. Choisir un sujet d’études, comme il arrive souvent, sans s’être rendu compte de la nature et de l’étendue des recherches préliminaires qu’il comporte, est un danger : plusieurs se sont noyés pendant des années dans de pareilles recherches qui auraient été capables de s’employer mieux à des travaux d’une autre espèce. Contre ce danger, d’autant plus redoutable pour les novices qu’ils sont plus actifs et plus zélés, l’examen des conditions actuelles de l’Heuristique en général, et des notions positives de Bibliographie historique sont certainement salutaires.



  1. En pratique, le plus souvent, on ne se propose point de traiter un point d’histoire avant de savoir s’il existe ou non des documents qui permettent de l’étudier. C’est, inversement, un document, découvert par hasard, qui suggère l’idée d’approfondir la question d’histoire que ce document intéresse et de colliger, à cet effet, les documents du même genre.
  2. C’est pitié de voir comment les meilleurs des anciens érudits ont vaillamment, mais vainement, lutté, pour résoudre des difficultés qui n’auraient pas même existé pour eux s’ils avaient eu sous les yeux des dossiers moins incomplets. Mais la plus brillante sagacité ne pouvait pas suppléer aux secours matériels qui leur ont manqué.
  3. Faust, I, sc. 3.
  4. Voir Ch.-V. Langlois, H. H. Bancroft et Cie, dans la Revue universitaire, 1894, I, p. 233.
  5. Les anciens érudits avaient le sentiment de ce que les conditions où ils travaillaient avaient de défavorable. Ils souffraient très vivement de l’insuffisance des instruments de recherche et des moyens de comparaison. La plupart d’entre eux ont fait de grands efforts pour se renseigner. De là, ces volumineuses correspondances entre érudits des derniers siècles, dont nos bibliothèques conservent tant de précieuses épaves, et ces relations d’enquêtes scientifiques, de voyages à la découverte des documents historiques, qui, sous le nom d’Iter (Iter italicum, Iter germanicum, etc.), étaient jadis à la mode.
  6. Signalons en passant une aberration puérile, mais très naturelle et très fréquente chez les collectionneurs : ils sont portés à s’exagérer la valeur intrinsèque des documents qu’ils possèdent, par cela seul qu’ils les possèdent. Des documents ont été publiés avec un grand luxe de commentaires par des personnes qui les avaient acquis par hasard, et qui n’y auraient attaché, avec raison, aucune importance, si elles les avaient rencontrés dans des collections publiques. Ce n’est là, du reste, que la manifestation la plus grossière d’une tendance générale contre laquelle il faut toujours être en garde : on s’exagère aisément l’importance des documents que l’on possède, des documents que l’on a découverts, des textes que l’on a publiés, des personnages et des questions que l’on a étudiés.
  7. Voir L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale, Paris, 1868-1881, 3 vol. in-4. — Les histoires d’anciens dépôts de documents qui ont été publiées récemment en assez grand nombre l’ont été sur le modèle de cet admirable ouvrage.
  8. Une bonne partie des documents anciens qui circulent encore proviennent de vols commis, depuis longtemps, au préjudice des établissements d’État. Les précautions prises pour éviter de nouvelles distractions sont aujourd’hui sérieuses et, presque partout, aussi efficaces que possible.
       Quant aux documents modernes (imprimés), la règle du Dépôt légal, adoptée par presque tous les pays civilisés, en assure la conservation dans des établissements publics.
  9. On sait que Napoléon Ier conçut la pensée chimérique de réunir à Paris les archives de l’Europe entière et qu’il y envoya, pour commencer, celles du Vatican, du Saint-Empire, de la couronne de Castille, etc., que l’on dut, plus tard, restituer. — Il ne saurait être question, aujourd’hui, de procéder à des confiscations. Mais les archives anciennes des notaires pourraient être centralisées partout, comme elles le sont déjà en quelques pays, dans des établissements publics. On ne s’explique pas que, à Paris, les ministères des Affaires étrangères, de la Guerre et de la Marine conservent des papiers anciens, dont la place naturelle serait aux Archives nationales. Il serait facile d’énumérer un grand nombre d’anomalies de cette espèce, qui ne laissent pas, en certains cas, de gêner, sinon d’empêcher, les recherches ; car les petits dépôts dont l’existence est inutile sont précisément ceux qui ont les règlements les plus restrictifs.
  10. Le service international du prêt des documents manuscrits fonctionne régulièrement (et gratuitement pour le public) en Europe, par l’intermédiaire des Chancelleries. En outre la plupart des grands établissements se consentent, entre eux, des prêts : cette voie est aussi sûre, et parfois plus rapide, que la voie diplomatique. Des congrès d’historiens et de bibliothécaires ont mis souvent à l’ordre du jour, en ces dernières années, la question du prêt (ou de la communication hors des dépôts où ils sont conservés) des documents originaux. — Les résultats obtenus jusqu’à présent sont déjà très satisfaisants.
  11. Ce sont quelquefois les plus considérables, dont la masse effraye ; on entreprend plus volontiers l’inventaire des petits fonds, qui n’exige pas tant de peines. C’est pour la même raison que l’on a publié beaucoup de cartulaires insignifiants, mais courts, tandis que plusieurs cartulaires de premier ordre, mais volumineux, sont encore inédits.
  12. Voir son autobibliographie, publiée par E. de Broglie, Bernard de Montfaucon et les Bernardins, II (Paris, 1891, in-8), p. 323.
  13. E. Renan, L’Avenir de la science, p. 217.
  14. Romania, XXI (1892), p. 625.
  15. À l’endroit cité.
  16. H. H. Bancroft a, dans ses Mémoires intitulés : Literary industries (New York, 1891, in-16), analysé assez finement quelques conséquences pratiques de l’imperfection des procédés de recherche. « Supposons, dit-il, qu’un écrivain industrieux prenne la résolution d’écrire l’histoire de la Californie. Il se procure aisément quelques livres, les lit, prend des notes ; ces livres le renvoient à d’autres, qu’il consulte dans les dépôts publics de la ville qu’il habite. Quelques années se passent ainsi, au bout desquelles il s’aperçoit qu’il n’a pas sous la main la dixième partie des sources ; il fait des voyages, il entretient des correspondances, mais, désespérant finalement d’épuiser la matière, il console son orgueil et sa conscience par cette réflexion qu’il a beaucoup fait ; que la plupart des documents qu’il n’a pas pu consulter sont probablement peu importants, comme beaucoup d’autres qu’il a consultés sans profit. Quant aux journaux et aux myriades de rapports officiels du gouvernement des États-Unis qui tous contiennent cependant des faits intéressants pour l’histoire californienne, il n’a pas même songé, s’il est sain d’esprit, à les explorer d’un bout à l’autre ; il en a feuilleté quelques-uns, voilà tout ; il sait bien que chacun de ces champs de recherche réclamerait le travail de plusieurs années, et que s’imposer de les parcourir tous, ce serait se condamner à des corvées écœurantes, dont il ne verrait jamais la fin. En ce qui concerne les témoignages oraux et les manuscrits, il attrapera quelques anecdotes inédites, au hasard des conversations ; il obtiendra communication, sous le manteau, de quelques papiers de famille ; il utilisera tout cela dans les notes et dans les pièces justificatives de son livre. Il piquera çà et là quelques documents curieux aux Archives de l’État, mais, comme il faudrait quinze ans pour dépouiller l’ensemble des collections de ce dépôt, il se contentera naturellement de butiner. Puis, il écrit. Il se garde bien d’avertir le public qu’il n’a pas vu tous les documents ; il met au contraire en relief ceux qu’il a réussi à se procurer, par vingt-cinq années de labeur incessant… »
  17. Quelques-uns se dispensent de recherches personnelles en s’adressant aux fonctionnaires chargés de l’administration des dépôts de documents ; ce sont alors ces fonctionnaires qui font, à la place du public, les recherches indispensables. Cf. Bouvard et Pécuchet, p. 158. Bouvard et Pécuchet se proposent d’écrire la vie du duc d’Angoulême ; à cet effet, « ils résolurent de passer quinze jours à la bibliothèque municipale de Caen pour y faire des recherches. Le bibliothécaire mit à leur disposition des histoires générales et des brochures… »
  18. Ces considérations ont été déjà présentées et développées dans la Revue universitaire, 1894, I, p. 321 et suiv.
  19. On sait que, depuis que les Archives du Saint-Siège sont ouvertes, plusieurs Gouvernements et plusieurs Sociétés savantes ont créé à Rome des Instituts dont les membres sont, pour la plupart, occupés à inventorier et à faire connaître les documents de ces Archives, concurremment avec les fonctionnaires du Vatican. L’École franchise de Rome, l’Institut autrichien, l’Institut prussien, la Mission polonaise, l’Institut de la « Görres-Gesellschaft », des savants belges, danois, espagnols, portugais, russes, etc., ont exécuté et exécutent dans les Archives du Vatican des travaux d’inventaire considérables.
  20. Les catalogues de documents mentionnent quelquefois, mais non pas toujours, le fait que tel document a été publié, critiqué, utilisé. La règle généralement admise est que le rédacteur mentionne les circonstances de ce genre quand il en a connaissance, sans s’imposer l’énorme tâche de s’en informer toutes les fois qu’il ignore ce qu’il en est.
  21. E. Bernheim, Lehrbuch der historischen Methode 2, p. 196-202.
  22. Ch.-V. Langlois, Manuel de Bibliographie historique. I. Instruments bibliographiques. Paris, 1896, in-16.
  23. E. Renan, Feuilles détachées (Paris, 1892, in-8), p. 96 et suiv.