Introduction historique et critique aux livres de l'Ancien et du Nouveau Testament/Tome I/Chapitre 3/Article 1/Section 1/Question I

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QUESTION PREMIÈRE.
Quelle est la disposition du Canon des Juifs ?

Les Juifs divisent en trois classes les vingt-quatre livres de l’Ancien Testament qui composent leur Canon. La première, qui contient les cinq livres de Moïse, se nomme Tôrâ (תורה), mot qu’on rend ordinai- rement par loi, mais qui, dans la réalité, a une signification plus étendue ; car il répond à l’idée de doctrine, enseignement, instruction. La seconde, qui renferme Josué et les livres suivants jusqu’à Malachie, le dernier des petits prophètes inclusivement, s’appelle Nebîîm (נביאים), c’est-à-dire Prophètes[1]. La troisième, contenant tous les autres livres, est désignée sous le nom de Kethoubîm (כתובים) ou Ecrits par excellence, c’est-à-dire des Ecrits divins ; idée qui rend parfaitement le terme consacré Agiographes ou mieux Hagiographes. Or on appelait ainsi ces derniers, parce qu’ils avaient pour auteurs des écrivains qui, quoique divinement inspirés, n’avaient pourtant pas le caractère général des prophètes proprement dits. Pour compléter l’expression, les rabbins ont ajouté : écrits par l’Esprit saint (כרוח הקודש). C’est ainsi que les pères de l’Eglise[2] disaient également grâphéîa (γραφεῖα) ou hagiographa (ἁγιόγραφα).

Cette distribution des livres en trois classes se trouve très-fréquemment dans le Talmud, et saint Jérôme nous atteste que telle était la distribution consacrée chez les Juifs[3]. En remontant plus haut, nous trouvons cette même division dans Philon, Joseph, le Nouveau Testament, et dans le Prologue de l’Ecclésiastique[4]

Saint Jérôme, en désignant chacune de ces classes, cite les livres l’un après l’autre dans l’ordre que nous voyons suivi dans les Bibles hébraïques des Juifs. Mais Joseph n’est pas aussi explicite, il se borne à dire que sur les vingt-deux livres sacrés des Juifs, Moïse en a composé cinq ; que, depuis Moïse jusqu’à Artaxerxès, les prophètes en ont écrit treize ; et qu’il y en a quatre autres qui contiennent des hymnes à la louange de Dieu et des préceptes de conduite pour les hommes. Il paraît certain que les quatre livres qui constituent la troisième classe sont les Psaumes, les Proverbes, l’Ecclésiaste et le Cantique des cantiques.

Quoique Jésus-Christ cite quelquefois tout l’Ancien Testament sous la dénomination de Loi, comme dans saint Jean, x, 34, ou de Prophètes, comme en saint Luc, xviii, 31, conformément au langage des Juifs hellénistes, il distingue parfaitement ailleurs les trois classes, quand il dit au chapitre xxiv, verset 44 de saint Luc, que la Loi, les Prophètes et les Psaumes rendent témoignage de lui.

L’auteur du Prologue qui est en tête de l’Ecclésiastique, tout en re- connaissant la distinction des trois classes qui déjà de son temps formaient le Canon des livres sacrés, ne détermine la troisième par aucun nom en particulier ; car il dit seulement : La Loi, les Prophètes (ou les Prophéties, selon le grec), et les autres livres[5].

  1. Dans les Bibles hébraïques, les נביאים sont subdivisés en ראשונים (Rischônîm) premiers ou antérieurs, qui sont Josué et les livres suivants, jusqu’au deuxième des Rois inclusivement ; et en אחרונים (Aharônim) derniers ou postérieurs, qui sont Isaïe, Jérémie et les autres, jusqu’aux Psaumes exclusivement.
  2. Voy. Suicer. Thes. Eccles. à ces mots.
  3. Hier. Prolog. Galeat.
  4. Philo, Tom. II, p. 475. Jos. Contr. Ap. lI, § 8, Luc. XXIV, 44.
  5. Voici ses propres mots : Ὁ νόμος καὶ αἱ προφητεῖαι καὶ τὰ ἂλλα πάτρια βιβλία : ou bien, ce qui revient au même, au lieu de καὶ τὰ ἂλλα βιβλία, il dit καὶ τὰ λοιπὰ τῶν βιβλιῶν.